L'Inédit

par notreHistoire


Service du téléphone de la SDN

En 1937, trois opératrices travaillent à la réception des appels téléphoniques.

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Cette série est conçue en partenariat avec les Archives des Nations Unies à Genève, qui ont publié sur notreHistoire.ch des documents, principalement des photographies, sources du travail des historiens et des journalistes que L’Inédit réunit pour l’occasion.

A sa création en 1919, la Société des Nations inclut l’égalité dans son pacte fondateur, une première pour une organisation internationale. L’article 7 stipule que «toutes les fonctions de la Société ou des services qui s’y rattachent, y compris le secrétariat, sont également accessibles aux hommes et aux femmes». Cette ouverture permet à Florence Wilson d’occuper la fonction de cheffe de la bibliothèque dès 1920 et à Rachel Crowdy d’être nommée cheffe de la section des questions sociales et du trafic de l’opium en 1922. Si les femmes sont bien représentées et forment environ la moitié du personnel, elles sont peu nombreuses à accéder à des positions élevées dans la hiérarchie. La plupart d’entre elles occupent des postes qui sont certes indispensables au bon fonctionnement de l’administration de l’Organisation, mais qui sont des fonctions subalternes, comme opératrices téléphoniques ou sténodactylographes.

Le service du téléphone emploie au total entre cinq et six opératrices entre 1920 et 1931, puis quatre de 1932 à 1936. La réduction du nombre d’employées dès les années 1930 s’explique peut-être par l’automatisation progressive d’une partie des appels. Cette photo des opératrices date de 1937. A cette période, le service téléphonique comprend trois opératrices : Alice Tallichet, Ida Milhan et Renée Raymond. Alice Tallichet est née à Genève. Elle entre à la Société des Nations comme téléphoniste en 1922, à l’âge de 32 ans. Quatre ans plus tard, elle est promue responsable du service, poste qu’elle occupera jusqu’à la dissolution de l’Organisation en 1946. Le rôle de téléphoniste consiste ici à établir la communication entre la personne qui appelle et son destinataire grâce à un système dit de commutation manuelle – une pratique qui a disparu en Suisse à partir de la fin des années 1950. Chaque jour, les téléphonistes doivent répondre à un nombre important d’appels estimé à 70 communications par heure selon un rapport sur ce service réalisé en 1936. Il arrive que les délais de réponse aux appels dépassent 4 secondes, un temps d’attente considéré comme trop long selon ce même rapport, mais qui s’explique par le fait que les opératrices sont chargées de réaliser des travaux de rédaction et de comptabilité parallèlement à leur travail téléphonique.

Les employées de sténodactylographie compose l'un des plus grands service du Secrétariat.

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Un seul homme sténodactylographe

Autre profession très féminisée et tout aussi importante pour les services administratifs de la Société des Nations : sténodactylographe. Le service général de sténographie est l’un des plus grands services du Secrétariat. Il est composé presque exclusivement de femmes (plus de soixante en 1937). Seul un homme est recensé dans la liste du personnel : Gaston Paul Briscadieu, employé de 1929 à 1940. Le service des sténodactylographes est dirigé de 1922 à 1941 par Julienne Piachaud que l’on voit au centre de l’image (avec le pull blanc). Cette femme reste inconnue du public. Mais les choses vont peut-être changer grâce à une initiative de la Ville de Genève qui vise à rebaptiser certaines de ses artères avec des noms de femmes qui ont marqué l’histoire de Genève. En effet, le nom de Julienne Piachaud figure dans la liste des personnalités féminines qui pourraient à l’avenir obtenir une rue à leur nom. ■

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D’autres photos du personnel de la SDN, la galerie consacrée à la SDN et une série de documents sonores des Archives de la RTS

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En attendant le train de midi_139

Georges Davidovics, le bras en écharpe après sa chute. Il est accompagné de son parrain de guerre, Albert Flohr et, de gauche à droite, de Lina Archinard-Guillard, Ninon, Claire et Marinette sur les genoux de leur grand-mère maternelle, Charlotte Champendal-Glayre. (Eté 1946)

Coll. C. Bärtschi-Flohr/notreHistoire.ch

Notre rubrique Témoignage et récit reprend des articles des membres de notreHistoire.ch, à l’instar de ce texte de Claire Bärtschi-Flohr, qui relate l’accueil et le séjour, durant l’été 1946, de Georges-Guillaume Davidovics, orphelin et filleul de guerre.

Georges-Guillaume Davidovics, de nationalité française, est né le 24 novembre 1937 à Neuilly-sur-Seine. Son frère, Daniel, est né en 1939. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, mes parents ayant appris le décès de leur père, ils ont proposé à leur mère d’inviter Georges pour trois mois à Genève, pendant les vacances scolaires, afin de lui procurer de vraies vacances et essayer de lui redonner santé et joie de vivre après tant de souffrances.

En juillet 1946, George, qu’on appelait affectueusement Georgy, est venu passer les trois mois de vacances d’été chez nous à Genève. Nous l’avons emmené en vacances pendant un mois à Rougemont, dans le Pays d’Enhaut. Il n’avait jamais vu la montagne. Arrivé au sommet d’une pente très raide, tout à la joie de la découverte, il s’est mis à courir comme un fou dans la descente, il est tombé et s’est blessé au bras. Il a gardé le bras en écharpe un certain nombre de jours.

Voici comment Georgy est devenu orphelin puis filleul de guerre de mes parents. Son père était prisonnier avec mon père au Stalag VIIA, près de Moosburg, en Bavière, en 1939 et 1940.

Etienne Davidovicz et mon père, Albert Flohr, se sont évadés ensemble de ce camp. Evasion réussie. Mon père a rejoint sa famille à Genève et a retrouvé une vie normale en Suisse. Etienne, lui, a rejoint sa famille, sa femme et ses deux fils qui avaient quitté Paris et s’étaient réfugiés dans le département du Cher. Il travaillait comme agriculteur.

Etienne a été repéré puis dénoncé. Il était Juif. Le 10 juin 1943, les deux enfants ont assisté à l’arrestation de leur père par la Gestapo, cachés dans un champ de blé. Ce sont des événements qu’on ne peut oublier. En 1946, un jour que nous nous promenions en ville de Genève, dans les Rues-Basses, Georgy s’est tout-à-coup mis à courir sans plus s’occuper de nous. Il est allé se cacher dans une entrée d’immeuble : il avait aperçu deux officiers suisses et il avait cru qu’il s’agissait de la Gestapo !

Interné à Drancy, Etienne Davidovicz a été emmené pour Auschwitz, le 2 septembre 1943. Il a sauté du wagon pour s’échapper une nouvelle fois et les Allemands l’ont brûlé vif au lance-flammes.

Voici le témoignage de mon père, rédigé le 9 novembre 1946, pour demander que la Croix-de-guerre soit octroyée à Etienne Davidovicz à titre postume :

« Etienne Davidovicz, né le 11 mars 1907 à Budapest, prisonnier français au Stalag VIIA, Moosburg. Matricule : 64.845. Etienne Davidovicz a été capturé par les Allemands au cours d’un combat dans lequel il a été blessé à la tête par une balle, ainsi qu’aux jambes par des éclats d’obus.

Pendant sa captivité au Stalag VIIA, il a rendu de grands services à beaucoup de prisonniers français. En effet, parlant couramment l’allemand et s’étant fait une spécialité d’horloger, il a pu gagner de l’argent civil allemand. Cet argent lui permettait de procurer généreusement des vivres, des billets de chemin de fer et cartes d’Allemagne à ceux qui tentaient une évasion. Tout cela gratuitement. Il tenta lui-même, en notre compagnie, et réussit avec nous sa propre évasion par la Suisse (Shaffhouse) en février 1941. Rappelons qu’Etienne Davidovicz étant d’origine étrangère, il s’est, en 1939, volontairement engagé dans les rangs français pour participer à la défense du pays. » Signé Albert Flohr.

Avant la guerre, Etienne Davidovics et sa femme travaillaient dans la Haute couture, à Paris. Lui-même, je crois, était tailleur. En 1946, Madame Davidovicz habitait avec ses fils chez son père, El Dinner, couturier-fourreur, 7, rue des Capucines, Paris 1er.

En 1953, Georges est dans l'Etat de New York et adresse une carte postale à la famille Flohr.

Coll. C. Bärtschi-Flohr/notreHistoire.ch

Nous avons revu Georgy, son frère et leur mère en 1948. Les deux enfants sont venus à Genève et nous avons retrouvé leur mère à Annecy. Elle n’avait pas de visa pour pénétrer en Suisse.

Pendant quelques années, nous sommes restés en contact épistolaire, mais nous ne nous sommes jamais revus car, en 1949, Madame L. Davidovics et ses deux enfants ont émigré aux Etats-Unis. Mme Davidovics se disait dégoûtée de la France. Son mari, Hongrois, s’était engagé volontairement dans l’armée française et des Français les avaient atrocement trahis.

Nous avons encore reçu une carte de Georges en 1953. Il se trouvait à Stamford, Etat de New-York, pour les vacances. Des vacances rémunérées, semble-t-il, car il disait travailler dans une ferme.

Etienne Davidovics est inscrit auprès de « mémoires des hommes », organisme consacré à la Première et la Seconde Guerre mondiale.

Son nom figure également sur le Mémorial de la Shoah. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

D’autres photos du séjour de Georges dans la famille Flohr

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Hommage de Maurice Chappaz à Gustave Roud

"Voilà pourquoi nous sommes aujourd'hui devant cette maison..." Maurice Chappaz rend hommage à Gustave Roud, le 19 avril 1997.

Photo A. Burki, coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

En ce début d’automne 2020, alors que «le jour déjà baisse un peu», il y a des souvenirs dont on se souviendra toujours. Ainsi au sujet de cette rencontre qui avait marqué, le samedi 19 avril 1997, le centième anniversaire de la naissance du poète, traducteur, photographe et marcheur en plaine Gustave Roud (1887-1976).

Cette manifestation avait rassemblé une foule d’amis et de connaissances devant sa ferme de Carrouge-le-Jorat. Ce présent «retour sur images», au moment où le Centre des littératures en Suisse romande prépare activement l’édition critique des œuvres complètes à paraître en 2021, évoque particulièrement quelques extraits de l’allocution prononcée par un autre poète, lui aussi disparu aujourd’hui, et pour lequel une édition des «œuvres complètes» serait la bienvenue. Il s’agit de Maurice Chappaz (1916-2009), dont un précédent article de L’Inédit avait rappelé l’aventure de Vocation des fleuves.

Ces deux poètes étaient en effet liés par une longue amitié «aussi attentive que l’humilité du désespoir», selon les propos de Chappaz lui-même:

« Roud. Gustave Roud. Il est né il y a cent ans (dans un autre lieu, pas très loin) mais depuis son enfance il fut éternellement ici. Le temps glisse, je me rapproche si vite de ce qui se noie dans l’ombre et hésite dans notre cœur avec ce toujours qui repasse comme un nuage.

Voilà pourquoi nous sommes aujourd’hui devant cette maison avec la fontaine qui coule, le banc, le jardin, l’ombre de la grange… Une porte s’ouvre. Combien de fois suis-je venu ? Son visage apparaît et il y a ce mélange de confusion et de joie.

Nous lisons aujourd’hui ses livres avec le silence qu’il y a autour. Son acte poétique est en même temps un acte de naissance de Carrouge dans la mémoire collective. En elle frémira le grand adieu temporel de toute une race d’hommes. Il a ressuscité un lieu, il nous a transmis, telle une musique pure, passionnée, nos sources toutes simples. Notre pays a été traversé une ou deux fois par de telles œuvres majeures qui ont fait émerger l’émotion d’une présence et une identité. Campagnes perdues signifie chacun des écrits du poète et résume à l’envers de son aventure une civilisation paysanne: avec l’abîme qu’il peut receler un certain visage du paradis. Pas plus que Roud, je ne puis séparer notre figure intérieure et le pays extérieur. Ils sont réels l’un par l’autre. Le monde purement existentiel est dénué de sens et si nous ne participons pas maintenant à l’éternité, nous n’y participerons peut-être jamais. »

Maurice Chappaz avait terminé son hommage par une pensée adressée aussi à Madeleine Roud, cette «sœur si intelligemment fidèle» dont le jeune écrivain Bruno Pellegrino a récemment retracé la vie sous le titre: Là-bas, août est un mois d’automne. ■

A lire également l’article de Patrick Gilliéron Lopreno sur les portraits photographiques du poète réalisés par Simone Oppliger.

A consulter également sur notreHistoire.ch

Gustave Roud photographié par Simone Oppliger; deux documents des Archives de la RTS: Gustave Roud interviewé par Guy Ackermann et un entretien radiophonique de 1956

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1ère Assemblée de la SDN

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Cette série est conçue en partenariat avec les Archives des Nations Unies à Genève, qui ont publié sur notreHistoire.ch des documents, principalement des photographies, sources du travail des historiens et des journalistes que L’Inédit réunit pour l’occasion.

Nous sommes le lundi 15 novembre 1920, à l’ouverture de la 1ère assemblée générale de la Société des Nations. «Genève a mis sa parure de fête. Elle est accueillante et jolie dans la profusion des couleurs des 22 cantons confédérés et des drapeaux des 41 pays affiliés à la Société des Nations, relate Le Journal de Genève. Elle est belle dans son cadre d’automne, qu’estompe une légère brume. La rade où les vapeurs battant pavillon se balancent et le coteau de Cologny offrent un incomparable coup d’œil. Là-haut, dominant la cité, Saint-Pierre dresse ses tours. Et, lorsque les cloches de l’antique cathédrale sonnent à toute volée, le soleil a dissipé la brume. Genève apparaît resplendissante… »

Nul radio alors pour diffuser l’événement, même en différé. Le Journal de Genève décrit en détail le cortège avec un enthousiasme débordant, si l’on songe à la mesure, à la retenue même de cet auguste journal des Libéraux conservateurs genevois.

«Et voici, évoluant dans l’éclat du soleil, l’escadrille des aviateurs suisses. Puis, c’est un bruit de fanfare: le cortège des autorités fédérales et cantonales débouche sur le Grand-Quai. Les acclamations redoublent. En tête un peloton de gendarmes, la musique de Landwehr et, précédés d’huissiers en manteaux rouge et blanc, M. Motta, président de la Confédération, MM. Schulthess et Haab, conseillers fédéraux, suivis de MM. Ador et Usteri, délégués suisses… »

C’est l’instant fixé par la photographie. Juste derrière l’huissier marche le président Guiseppe Motta, en charge également des Affaires étrangères. Il est entouré à gauche par Edmund Schulthess, chef du Département de l’économie publique et à droite par Robert Haab, chef du Département des postes et des chemins de fer. Derrière les conseillers fédéraux, on distingue le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Gustave Ador, ajustant son haut-de-forme et partiellement caché par la silhouette du président de la Confédération, Paul Usteri, à la tête du conseil d’administration de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accident, de celui de Neue Zurcher Zeitung, sans oublier le conseil de banque de la Banque nationale suisse dont il est vice-président.

Le soft power helvétique

Trois d’entre eux (Motta, Ador, Usteri) forment la délégation suisse à l’assemblée de la Société des Nations avec une autre éminente personnalité, Max Huber. Conseiller juridique permanent du Département politique (Affaires étrangères), ce membre et futur président du CICR dirigera à plusieurs reprises la délégation suisse à la SDN, tout comme plusieurs conseils d’administration d’entreprises industrielles et financières.

La délégation suisse: de gauche à droite, Gustave Ador, Max Huber (debout), Giuseppe Motta et Paul Usteri

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Ces grandes figures de la Suisse d’alors incarnent précisément la formule mise au point par Berne pour se positionner dans la recomposition d’un monde fracassé par la guerre de 14-18: une défense des intérêts économiques et politiques sous la bannière de l’œuvre philanthropique de la Croix-Rouge.

Et c’est Gustave Ador qui personnifie le mieux ce soft power de la Suisse à l’international. Sous sa présidence, le CICR a été capable de monter en puissance pour prendre en charge les soldats emprisonnés durant la Grande Guerre, un défi colossal accompli à la satisfaction de l’ensemble des belligérants. Par ses activités industrielles et financières, ce membre éminent des familles patriciennes genevoises peut compter sur un solide réseau international, en France et aux États-Unis en particulier. Ce vénérable libéral conservateur est donc le candidat idéal que le Conseil fédéral sort prestement de son chapeau l’été 1917. Il s’agit d’éteindre le scandale international de l’affaire Grimm-Hoffman causée par une tentative du conseiller fédéral Arthur Hoffman de favoriser une paix séparée entre le Reich allemand et le gouvernement issu de la première phase de la révolution russe. Et c’est comme ministre des Affaires étrangères, puis comme président de la Confédération que le toujours président de fait du CICR s’engage avec ses collègues pour que la Suisse intègre la Société des Nations et que son siège soit établi à Genève. Un objectif ambitieux pour un État dont l’état-major de l’armée penchait résolument du côté de l’Allemagne, un empire qui était depuis la fin du XIXe siècle le plus important partenaire commercial de la Suisse.

La démocratie alliée de la SDN

Dans son discours devant l’assemblée générale de la SDN de ce mois de novembre 1920, Guiseppe Motta évoque un autre écueil qu’il a fallu réduire pour que Genève accueille le siège de l’organisation définie par le traité de paix de la Conférence de Versailles: la révolution bolchévique.

«La liberté politique n’est plus seulement un idéal individuel, mais un moyen puissant de diminuer, dans la lutte pour la vie, les inégalités initiales si ce n’est de réaliser l’égalité permanente de conditions qui, elle, est condamnée, pour le bien même de l’humanité, à n’être jamais qu’une folle chimère», affirme Guiseppe Motta.

De 1920 à 1929, la Société des Nations a tenu ses dix premières Assemblées dans la salle de la Réformation, située entre la rue du Rhône et la rue Versonnex. L'Hôtel Victoria, qui la jouxtait, abritait les bureaux du Secrétariat de la SDN lors des réunions de l'Assemblée.

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Et le Tessinois de marteler une conviction partagée par les pères fondateurs de la SDN: «La démocratie apparaît comme l’obstacle le plus solide à la violence, au désordre et aux dictatures des minorités, mais elle ne remplit sa fonction essentielle d’éducatrice et de pacificatrice que parce qu’elle ouvre et élargit les voies aux aspirations collectives les plus généreuses et aux évolutions sociales les plus hardies. C’est par ce trait et je dirais même par cette parenté morale que la démocratie est l’alliée de la Société des Nations.»

Les bolcheviques russes étaient la hantise des négociateurs européens réunis à Paris en 1918 et 1919, d’autant qu’ils inspirèrent des projets révolutionnaires en Allemagne, en Autriche et ailleurs. Et la grève générale déclenchée en Suisse en novembre 1918 fit craindre en Suisse comme à l’étranger que le pays alpin ne devienne un nouveau foyer d’agitation révolutionnaire. Difficile dès lors de choisir Genève pour accueillir une organisation internationale censée aussi répondre au péril rouge, avec notamment l’Organisation internationale du travail. 

Un risque que les autorités suisses ont résolument combattu. Dans son Bulletin périodique de la presse suisse de mars 1919, le ministère de la guerre français relève à la rubrique « Le bolchevisme en Suisse » que «le gouvernement fédéral poursuit son œuvre d’épuration: il a de nouveau, dit le Bund (22.02.19), expulsé quelques étrangers bolchevistes révolutionnaires» ; et notamment le Russe Chapiro (Bund, 23.02.19).»

Le Bulletin poursuit: «Avec le bolchevisme russe, c’est maintenant le bolchevisme allemand que craint la Suisse; le Berner Tagblatt, (24.02.19, 2e éd), redoute à cet égard la contagion bavaroise: le Conseil fédéral devrait fermer complètement la frontière, tant que ces désordres sévissent en Allemagne. On ne peut plus avoir égard aux intérêts privés. Il faut que la révolution limite à l’Allemagne son incendie et que nous nous protégions par tous les moyens contre les étincelles. Si les autorités trouvaient enfin le courage de prendre au collet ceux qui excitent et intoxiquent le peuple dans la presse, de faire passer en conseil de guerre pour trahison tous ceux qui par la plume ou par la parole invitent les soldats à la désobéissance, le calme régnerait bientôt.» 

Le traumatisme de 14-18

Cela dit, l’objectif premier de la SDN est bien sûr l’instauration d’une paix durable entre les Nations dans ses dimensions politiques, économiques, culturelles et sociales. Dans son ultime ouvrage, Le monde d’hier, souvenir d’un Européen, l’écrivain Stefan Zweig restitue avec émotion le climat qui accompagne la naissance de la SDN, en se remémorant son séjour à Zurich et à Genève: «Celui qui a vécu ce temps-là se souvient que les rues de toutes les villes retentissaient de cris d’allégresse pour accueillir Wilson (le président des États-Unis, ndr) comme le sauveur du monde, que les soldats ennemis s’étreignaient et s’embrassaient; jamais il n’y eut en Europe autant de foi que durant ces premiers jours de la paix. Car il y avait enfin place sur la Terre pour le règne si longtemps promis de la justice et de la fraternité; c’était enfin, maintenant ou jamais, l’heure de cette Europe unie dont nous avions rêvé. L’enfer était derrière nous, qu’est-ce qui pouvait encore nous effrayer? Un nouveau monde commençait. »

Mais quelques pages plus loin, le Viennois déchante: «Chacun sait aujourd’hui — et nous étions un petit nombre à le savoir à l’époque déjà (les années1920, ndr) — que cette paix avait été l’une des plus grandes, sinon la plus grande possibilité morale de l’histoire. Wilson l’avait reconnu. Dans une vaste vision, il avait tracé le plan d’une entente véritable et durable. Mais les vieux généraux, les vieux hommes d’État, les vieux intérêts avaient déchiré et mis en pièces, réduit à des chiffons de papier sans valeur cette grande conception. La promesse sacrée, faite à des millions d’hommes, que cette guerre serait la dernière, cette promesse qui, seule, avait pu engager à mobiliser leurs dernières forces des soldats déjà à demi déçus, à demi épuisés et désespérés, fut cyniquement sacrifiée aux intérêts des fabricants de munitions et à la fureur des politiques qui surent sauver triomphalement, contre l’exigence sage et humaine de Wilson, leur fatale tactique des conventions et des délibérations derrière des portes closes.»

C’est le constat brutal d’un écrivain jeté sur les routes de l’exil par l’expansion de l’Allemagne nazie sur l’Europe. Après avoir achevé Le Monde d’hier, Stefan Zweig mit fin à ses jours le 22 février 1942 à Petrópolis, au Brésil. C’est l’année où le déchaînement génocidaire des nazis connait ses premiers revers face à l’Armée rouge de Staline. À l’issue de ce désastre humain bien pire que la Première Guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies reprend le meilleur de la SDN, tout en cherchant à combler ses faiblesses, comme de favoriser prudemment dans les territoires colonisés le droit des peuples à disposer d’eux même. Un principe guidant les Quatorze points du programme de paix de Woodrow Wilson dont les peuples colonisés avaient été exclus, fautes d’être suffisamment civilisés par l’œuvre coloniale, selon la ferme conviction du président américain, comme de ses homologues européens, au moment du Traité de Versailles.■

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