Notre rubrique Témoignages et récits offre l’occasion d’une reprise – intégralement et en extrait – d’articles et de récits publiés par les membres de notreHistoire.ch sur la plateforme. François Rudhard est l’auteur de cet article biographique sur le chef d’orchestre Franz von Hoesslin, rédigé pour accompagner un document sonore précieux qu’il a partagé sur notreHistoire.ch: le seul enregistrement connu de la voix de Franz von Hoesslin, captée lors d’une répétition d’un Divertimento de Mozart avec l’Orchestre de chambre de Lausanne. Texte et son se répondent, en quelque sorte, et nous vous invitons aujourd’hui à les découvrir sur L’Inédit (le titre et les intertitres sont de la rédaction).
Franz von Hoesslin est né à Munich le 31 décembre 1885, il décède tragiquement dans un accident d’avion au large de Sète, le 25 septembre 1946.
Elève de Max Reger et de Félix Mottl, il fit ses débuts de chef d’orchestre à Danzig. De 1908 à 1911, il est nommé au Théâtre de Saint-Gall où il dirige tout L’Anneau du Nibelung, Tristan et Isolde, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner, Fidelio, de Beethoven, ainsi de nombreux opéras de Mozart et Gluck. A Hellerau, il rencontre Émile Jaques-Dalcroze pour étudier la rythmique Jacques Dalcroze.
En 1912, Franz von Hoesslin est appelé à Riga où il dirige le «Konzertverein». Au début de la Première Guerre mondiale, il s’engage comme volontaire. Il y resta avant tout musicien, fondant un ensemble de musique de chambre et transformant ses bagages en petite bibliothèque musicale.
Une amitié avec Klee, Kandinsky et Gropius
Dans les années 1919-1920, il est chef de la «Société des amis de la musique» de Lübeck, puis maître de chapelle à Mannheim les deux années suivantes, où il fit la connaissance de sa seconde épouse, la cantatrice Erna Liebenthal. Il dirige ensuite à la Grosse Volksoper de Berlin. En 1923, il est nommé Generalmusikdirekort (Directeur général de la musique) du Landtheater de Dessau-Roßlau, comme successeur de Hans Knappertsbusch. L’amitié qui le liait aux peintres Paul Klee et Vassily Kandinsky, ainsi que l’architecte et urbaniste Walter Gropius est une des origines du transfert du Bauhaus à Dessau après la dissolution du Bauhaus de Weimar.
A côté de ses activités à Dessau, Franz von Hoesslin dirige à Vienne, Madrid, Lisbonne, Londres, Stockholm et Amsterdam. En 1923, il conduit un cycle Wagner à Hambourg, ainsi que les festivals Wagner de Madrid en 1922 et 1923. En 1926, il partage avec Karl Elmendorff la direction de Bärenhäuter et Sternengebot de Siegfried Wagner. En 1927, il est appelé à diriger L’Anneau du Nibelung au Festival de Bayreuth. C’est cette année-là que se firent les tous premiers enregistrements sur disque au Festival. En 1928, Franz von Hoesslin dirigea à nouveau trois cycles de représentations de L’Anneau du Nibelung à Bayreuth.
En 1929, il monta L’Anneau du Nibelung avec l’Orchestre Walther Straram et les solistes du Festival de Bayreuth au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris. Ces représentations, les premières en langue allemande en France, eurent un grand retentissement à travers toute la France, puis au niveau international, puisqu’elles firent l’objet d’enregistrements sur disques par la firme Pathé.
Le veto de Joseph Goebbels
En 1932, Franz von Hoesslin conduisit des cycles Mozart à Nice et Genève. De 1932 à 1936, il est « Generalmusikdirecktor » de l’Opéra de Breslau. Lorsque Vassily Kandinsky se trouva confronté à des difficultés politiques face au nazisme, Franz von Hoesslin lui offrit refuge dans son chalet proche de Munich. Lui-même devait bientôt se heurter à une opposition massive de la part du régime national-socialiste. Pourtant, en 1934, il partage encore la direction de Parsifal avec Richard Strauss à Bayreuth. Mais il se voit refuser la direction des opéras de Munich où de Hambourg. Alors même que le Sénat de cette dernière ville l’avait accepté comme Generalmusikdirekor, il se voit opposer le veto de Joseph Goebbels, Ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande. Son épouse étant juive, on lui fit comprendre que s’il s’en séparait, rien ne s’opposerait à ce qu’il soit nommé à un poste de haut rang. Se heurtant, même à Breslau, à toujours plus de difficultés d’ordre politique, Franz von Hoesslin se décide à quitter l’Allemagne pour se rendre en Italie avec son épouse et sa fille.
En 1938 (Parsifal), 1939 (Parsifal) et 1940 (L’Anneau du Nibelung), il retourna tout de même diriger à Bayreuth à l’appel de Winifred Wagner. Il voulut considérer Bayreuth comme un haut lieu international de la musique, au-delà de toute actualité politique – ce qui, de toute évidence ne fut qu’utopie. Malgré tout, les représentations de Parsifal au Festival de Bayreuth 1938, avec Germaine Lubin (Kundri), Joseph Manowarda (Gurnemanz) et Franz Völker (Parsifal) furent à ses yeux un des moments culminants de sa carrière : « Avec cette représentation, je me trouve au seuil d’une nouvelle interprétation. Jusqu’ici, je n’ai fait qu’apprendre; maintenant, je crois avoir atteint la maîtrise de mon art » (1).
Son activité de chef plus restreinte en exil, Franz von Hoesslin se consacra plus à la composition, notamment de Lieder. Encore appelé à diriger à Bayreuth en 1942, bien que sur la liste noire du national-socialisme, rien ne l’y fit revenir.
Les conditions politiques se détériorant en Italie également, le chef se réfugia à Genève, où il avait régulièrement été appelé par Ernest Ansermet à diriger l’Orchestre de la Suisse romande. Il y dirigea notamment une Symphonie n° 9 de Beethoven qui obtint un tel succès que le concert dut être répété le lendemain.
Désormais applaudi à travers toute l’Europe et alors qu’il venait de diriger une série de concerts à Barcelone, Franz von Hoesslin, accompagné de son épouse accepta de se faire conduire en avion privé pour retourner à Genève. L’avion s’abîma en mer au large de Perpignan le 25 septembre 1946. ■
Référence
(1) Festspiel Nachrichten der Nordbayerischen Kurier, Bayreuther Festpiel, 1986