L'Inédit

par notreHistoire


Spahis en direction de Veyrier

Coll. Mémoire de Veyrier/notreHistoire.ch

Scène exceptionnelle dans la campagne genevoise, ce 20 janvier 1941. Plusieurs centaines de soldats nord-africains marchent sur la route en tenant leurs chevaux par la bride. Ils sont vêtus de pantalons bouffants, coiffés de turbans et enveloppés dans leurs vestes kaki, ou dans des burnous, leurs longues capes traditionnelles. Formant une colonne de 300 mètres, hommes et bêtes cheminent dans les flaques de neige fondue. Les regards sont fatigués, mais empreints de l’espoir du prochain retour chez soi.

Ce sont des spahis: leur nom vient du turc sipahi, cavalier de l’armée ottomane; un mot issu lui-même du persan sipâhi signifiant «soldat à cheval». Ces troupes efficaces ont été recrutées sous la bannière française à partir de 1830 et ont contribué à la conquête de l’Algérie. En plus des cavaliers algériens, l’armée française a aussi levé par la suite des troupes marocaines et tunisiennes. Les spahis ont combattu lors des deux guerres mondiales.

En juin 1940, les 7e et 9e régiments de spahis algériens faisaient partie du 45e corps de l’armée française. Ce dernier s’est retrouvé pris en tenaille par les Allemands dans le Doubs, non loin de la frontière suisse. Le général Daille, qui dirigeait les opérations, a demandé à la Confédération l’autorisation de se replier sur sol helvétique. Quelque 42’000 hommes ont passé la frontière et ont été désarmés, puis internés dans plusieurs régions de la Suisse. Les spahis du 9e régiment n’ont en revanche pas eu cette chance: ils ont été fait prisonniers par les forces allemandes avant d’avoir pu passer la frontière.

Parfum d’Orient au sud du Lac de Neuchâtel

Ces spahis sur la photo, marchant sur les routes genevoises, font partie du 7e régiment. Plus de 1000 hommes et près de 750 chevaux, qui ont été accueillis sept mois auparavant dans les Franches-Montagnes, puis logés dans des granges du Seeland durant l’été. Ils ont ensuite été cantonnés à l’automne dans plusieurs localités à l’est du lac de Neuchâtel, telles que Cheyres, Estavayer-le-Lac ou encore Yvonand.

Les spahis «amenaient avec eux une parcelle d’Afrique, un parfum oriental qui ne furent pas sans troubler les populations», raconte le journal neuchâtelois L’Express en janvier 1941. Pour des villageois n’ayant pas eu l’occasion de voyager hors du continent, leur présence suscitait de la curiosité, parfois de la méfiance, souvent de l’admiration. Certaines jeunes filles ne restaient pas indifférentes à leur charme. Des peintres, aussi, furent séduits par leurs yeux perçants. Leurs majestueux étalons arabes attiraient également les regards; les chevaux à robe blanche avaient retrouvé leur couleur, après avoir été teints en guise de camouflage sur le terrain de la guerre. Les hommes aidèrent aux récoltes. Parfois, ils chantaient et dansaient en s’accompagnant d’un tambourin. On en vit jouer au foot contre des équipes locales, et d’autres s’essayer à la luge.

En novembre 1940, après l’armistice, un accord franco-allemand est signé, permettant aux soldats internés en Suisse de rentrer en France pour y être démobilisés. Les spahis devront rejoindre la zone non occupée en passant la frontière à la hauteur de Genève. Les possibilités sont restreintes, étant donné que le Pays de Gex est occupé, et que la ligne ferroviaire Genève-Lyon est interrompue car le viaduc de Longeray a été dynamité. En janvier 1941, les cavaliers et leurs montures voyagent donc d’abord en train jusqu’au village de Satigny. Un bol de soupe est servi aux spahis, tandis que les chevaux sont abreuvés dans des baignoires et récipients divers réquisitionnés au village. Les spahis vont et viennent, «s’occupant davantage de leurs bêtes que d’eux-même», écrit un officier suisse témoin de la scène. Les chevaux ne sont plus équipés de leurs selles. Ces pièces, traditionnellement très ouvragées, ont été inclues dans le matériel de guerre que la France a dû céder à l’Allemagne dans le cadre de cet accord.

18 kilomètres à pied jusqu’à la frontière

De Satigny, les troupes doivent donc parcourir 18 kilomètres à pied jusqu’à la frontière française, en passant par Bernex, Confignon, Troinex et enfin Veyrier. Un premier convoi de plus de 500 hommes et 300 chevaux se met en marche. Dans les villages, de nombreux curieux et sympathisants viennent à leur rencontre en leur apportent des fruits, du chocolat et des cigarettes. «Vive la Suisse !», remercient les spahis. Ils se voient même offrir des boissons chaudes additionnées d’alcool, qu’ils refusent poliment, étant majoritairement musulmans, note L’Express. Ils font une halte de 10 minutes toutes les heures.

Coll. Mémoire de Veyrier/notreHistoire.ch

Les hommes s’accroupissent et grillent une cigarette, les chevaux mordillent quelques feuilles mortes encore suspendues aux branches malgré l’hiver rigoureux. Le Rhône est franchi, puis le Salève se rapproche. La joie gagne les marcheurs, car on leur a dit que le point d’arrivée se trouve près de la montagne.

Coll. Mémoire de Veyrier/notreHistoire.ch

Plus de 4 heures après leur départ de Satigny, les voici qui arrivent à Veyrier, chaleureusement accueillis par la municipalité et la population. Des écoliers accourent à leur rencontre avec des fleurs en papier et des chants. A la douane, côté France, le 27e bataillon de chasseurs alpins est venu d’Annecy pour leur rendre les honneurs. Portant bérets et gants blancs, ils sont au garde à vous. Les cors et clairons d’une fanfare résonnent, jouant Aux champs puis la Marseillaise. Le jour décline quand la colonne pénètre en France, prenant la direction d’Annemasse. «Merci les Suisses ! Au revoir !», lâchent encore des spahis émus en s’éloignant. ■

Références

1. Archives de L’Express, de la Gazette de Lausanne et du Journal de Genève
2. «Le passage des Spahis à Veyrier», site internet La Mémoire de Veyrier
3. Le Journal, Mémoire de Confignon
4. Satigny en clair, septembre 2017

Complément

Extrait des actualités cinématographiques suisses

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Fête des vignerons Vevey

Coll. J.-M. Dupasquier/notreHistoire.ch

En pleine matinée du 11 août 1999, le spectacle de la Fête des Vignerons suit son cours. Soudainement, au moment de l’épiphanie de Dionysos, le ciel s’assombrit. Il y avait certes un peu d’orage dans l’air ce jour là, mais l’événement était attendu : une éclipse solaire totale était annoncée, elle allait se dérouler en pleine représentation. A croire que la lune était jalouse du soleil, au point de venir lui ravir un peu de lumière sur la scène de la Fête des Vignerons. Certains sont déçus, il ne fait pas nuit noire. Mais les figurants et les spectateurs se sont figés et une nuée de lunettes argentées couvrent leurs yeux. En silence, tous contemplent le spectacle des deux astres qui se déroule devant leurs yeux.

Comme l’explique François Rochaix, le concepteur de la Fête des Vignerons 1999, au micro de la RTS, tout était prévu. L’éclipse attendue est intégrée au spectacle. « On a pu accompagner l’apparition d’un dieu de fiction, Dionysos, par l’apparition d’une éclipse de soleil réelle, ça s’est extraordinaire! » Tout a été entrepris pour permettre aux spectateurs dans la gradins et aux acteurs et figurants sur scène de profiter de ce moment unique. Avant la représentation, des lunettes ont été distribuées aux entrées et dans les coulisses.

L’ombre créée par le passage de la lune devant le soleil parcourt 13’000 km (du Canada au Benghale, via l’Europe). Malgré sa courte durée, environ 5 minutes, elle reste l’une des plus exceptionnelles et des centaines de millions d’individus peuvent assister à une éclipse totale de soleil. En règle générale, ces phénomènes ne sont observables que dans des régions peu habitées et ne couvrent pas une telle distance.

Comme le titrait le journal 24 Heures dans son édition du 12 août 1999: « Le Soleil noir entre en scène ». Sa prestation, heureusement, n’aura duré qu’un instant. ■

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Les Fêtes des Vignerons en archives photographiques, et en vidéos de la RTS

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Scène de rue en 1943

Coll. M.M. Demont/notreHistoire.ch

Partout la guerre, en ce 8 juillet 1943. Mais à Yverdon-les-Bains, à la rue du Midi, le calme règne sur une petite rue plantée d’arbres. Au sud, elle est bordée de champs où broutent paisiblement les vaches et les chevaux de la ferme Bühler, laquelle est installée à la jonction de la rue du Midi et de la rue Roger-de-Guimps. Longue d’une vingtaine de mètres, la rampe inclinée donnant accès à la grange de l’exploitation agricole sert de piste de luge aux gamins du quartier lors des hivers enneigés d’alors, et le fenil abrite parfois quelques amours enfantines pas toujours innocentes.

Quotidiennement, remontant la rue paisible, poussant devant elle sa brouette, la Marie aux beuses (beuse : variante Suisse romande de bouse) collecte les crottins et les bouses laissés par le bétail. Elle en fait commerce avec des propriétaires de jardins potagers.

Seuls quelques cyclistes se rendant à leur travail, et un petit nombre de chars de livraison tirés par des chevaux empruntent cette artère sur laquelle les enfants du quartier jouent librement à la marelle, au football de grille avec une balle de tennis usée jusqu’à la corde ou une boîte de conserve vide, à cache-cache, à la bague d’or, aux cow-boys et aux Indiens, patinent, font de la luge ou du vélo selon la saison.

Les conducteurs des rares véhicules s’excusent d’interrompre le jeu un bref instant.

Menant sa charrette à bras, le facteur, Monsieur Roy (alpiniste, il a gravi le Cervin), s’accorde une courte pause, juste le temps de participer à l’action avec les enfants et de marquer un but.

Bien avant que le jour ne se lève, Monsieur Zwahlen, le laitier (il s’est rendu célèbre par la fabrication artisanale de marionnettes), secondé par le chien saint-bernard qui tire sa carriole, livre lait, beurre, crème, fromage selon les commandes inscrites sur un billet déposé la veille au soir par chacun de ses clients dans leur boîte à lait.

En 2019, plus de 10’000 véhicules empruntent chaque jour la rue du Midi. ■

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Yverdon-les-Bains, hier et aujourd’hui

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Visite Royale

Coll. J. Blaser/notreHistoire.ch

Le 30 avril 1980, la reine Elisabeth II d’Angleterre fait les honneurs d’une visite officielle au Palais de Beaulieu à Lausanne. A cette occasion, plusieurs centaines de personnes composant la colonie britannique en Suisse sont invitées à une réception. La tournée de la reine comprend un déjeuner au château de Chillon et un cocktail à l’English Speaking Club de l’avenue Dapples. Au passage, le journal 24 heures se permet d’ironiser sur le chapeau de la souveraine, orné de papillons artificiels.

La porte par laquelle sort la délégation appartient à la façade principale du Palais de Rumine. Cette façade de béton est construite en 1939 par l’architecte Charles Braun dans le style néoclassique monumental très en vogue dans les années 1930, à l’instar de Palais de Chaillot, à Paris. Avant l’installation de la foire annuelle du Comptoir suisse à Beaulieu en 1920, dont le Palais est le siège principal, le site faisait partie du domaine du même nom. Le château de Beaulieu, qui abrite aujourd’hui le Musée de l’art brut, se trouve en contrebas. Le terrain est racheté par la Ville en 1860 pour servir de place d’armes et de champ de manœuvres, l’esplanade de Montbenon s’avérant trop étriquée pour ce type d’exercice. La construction de la caserne de Lausanne en 1882 un peu plus haut, à la Pontaise, confirme la vocation militaire du lieu.

En 1920, l’architecte Charles Braun dirige déjà la construction d’une première halle en dur, faite de grands cintres en béton armé. Autour de cette halle centrale, s’agglutinent progressivement de nouveaux équipements : grand restaurant, halle des fêtes, bâtiment administratif et théâtre. Braun, architecte attitré du Comptoir suisse, en assume la réalisation jusqu’à sa mort en 1946. Les architectes Charles Thévenaz et son fils Charles-François prennent alors la relève. Au-dessus de chaque porte est indiquée une des différentes fonctions du bâtiment : salle de bal, grill-room, théâtre, etc. Les candélabres de part et d’autre de chaque porte ont aujourd’hui disparu. La photo ne permet pas de voir à gauche et à droite de la façade deux grandes statues de béton, dressées par le sculpteur Casimir Reymond en 1954 et représentant l’agriculture et l’industrie dans un style presque stalinien.

La mort du Comptoir suisse a été déclarée en 2019. Le site est aujourd’hui en pleine transformation. Le théâtre, une des plus grandes salles de Suisse, est en train de subir une rénovation complète. L’intérieur de Palais a été presque entièrement vidé ou reconstruit, ne conservant que sa façade monumentale. God save Beaulieu! ■

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Au Comptoir suisse en images
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