L'Inédit

par notreHistoire


La baie de Clarens

Coll. M. Bezençon/notreHistoire.ch

Cette photographie montre le bateau Le Léman au débarcadère de Clarens. Au fond de l’image se dresse la Dent de Jaman, en-dessous s’étendent les premières maisons de Vernex qui constitueront plus tard le centre de Montreux. Derrière le mât du bateau, avec deux galeries dotées de stores en tissu, se trouve l’infirmerie de Montreux construite en 1877. L’hôtel Belmont, mis en chantier en 1892, n’existe pas encore. L’absence de toute construction laisse supposer que le cliché a été pris au début des années 1880.

Au premier plan, à gauche, se déploie le quai de Clarens, dont la construction par étape est entamée à la fin des années 1870. Il est décidé que le quai servira de « promenade publique interdite aux chars », signe du développement d’équipements destinés exclusivement aux loisirs. Pour aménager les bords du lac encore faut-il que le niveau des eaux ne soit plus sujet à fortes variations. Cela est rendu possible par un accord trouvé entre les cantons de Genève, Valais et Vaud en 1885. Des retenues d’eau seront réalisées au débouché du lac, à Genève, avec le financement des trois cantons et de la Confédération. Ce projet donne lieu à la construction des Bâtiment des forces motrices, près du pont de la Coulouvrenière, achevé en 1892, et se complète d’un barrage à « rideau » au Pont-de-la-machine. La Ville se voit fournie par la même occasion en eau courante et en énergie électrique grâce à la pression obtenue. Dès le niveau du Léman régulé, toutes les agglomérations environnantes, qui jusqu’alors vivaient les pieds dans l’eau, se dotent de routes de contournement ou de quais, qui offrent un regard continu sur le panorama.

Une fusion pour donner naissance à la CGN

Le Léman qui apparaît sur l’image a été construit en 1857 par la société Escher-Wyss à Zurich. En 1873, la compagnie qui le gère fusionne avec celle de L’Helvétie et de L’Aigle pour donner naissance à la Compagnie générale de navigation (CGN), qui dispose dès lors du monopole du transport de passagers sur le lac. Rénové en 1876, Le Léman est équipé d’un pont ouvert à l’avant et à l’arrière permettant aux passagers de profiter au mieux du paysage.

Clarens pourrait presque être considéré comme à l’origine du tourisme sur l’arc lémanique. En effet, dès la levée du blocus imposée à l’Angleterre par Napoléon, les voyageurs britanniques se précipitent pour visiter « le bosquet de Clarens », décor du roman Julie ou La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, publié en 1761 et auréolé d’un énorme succès.

Deux jours en diligence de Genève à Vevey

Au début des années 1820, quelques années après les guerres napoléoniennes, un Américain originaire de Boston, Edward Church, qui séjourne à Genève, s’étonne de l’absence de bateaux de transport sur le Léman. Le plan d’eau présente pourtant les conditions les plus favorables. Jusqu’alors, les barques à voiles qui naviguent sur le lac transportent rarement des voyageurs, mais surtout des marchandises. Les personnes passent de préférence par la route. Le trajet en diligence de Genève à Vevey prend alors deux jours, en s’arrêtant une nuit à Nyon, dans des conditions de confort précaire. Le mauvais état de la chaussée fait notamment subir de très pénibles cahots. Church a déjà lancé plusieurs lignes de bateaux à vapeur sur les lacs de Côme et de Constance, sur le Rhône et la Saône. Ce nouveau moyen de transport a été mis au point par un ingénieur, également américain, Robert Fulton. Sa première exploitation commerciale en 1807 sur l’Hudson River, entre New York et Albany, rencontre un succès foudroyant.

Le « Guillaume Tell » ouvre une nouvelle ère

Church s’associe avec François Mathieu, un riche homme d’affaire genevois, pour faire construire un bateau à Bordeaux, Le Guillaume Tell. Celui-ci est inauguré à Genève en 1823 devant une importante foule de curieux. Il est dès lors possible de rallier tous les jours Genève à Ouchy en 6 heures, puis, très rapidement de faire le tour du lac, dans des conditions de confort inédit, sans cahot et au bénéfice d’un chauffage en cas de froid. En raison de leur coût, ces trajets ne s’adressent qu’à une catégorie de personnes privilégiées et demeurent prohibitifs pour de simples ouvriers. Cependant, le succès est immédiat et l’opération s’avère hautement lucrative, suscitant aussitôt d’autres vocations et la création de plusieurs sociétés concurrentes. De là va se développer toute une industrie du tourisme avec la construction de grands hôtels à Lausanne, Vevey et Montreux, ainsi que le lancement de lignes de chemin de fer au départ de Villeneuve, à la conquête des Alpes et de l’Italie. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Les vapeurs de la CGN
Un article détaillé sur le vapeur Le Léman

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Cérémonie d'accueil de la Conseillère fédérale Ruth Dreifuss par les autorités genevoises

Coll. Ephège Gobet/notreHistoire.ch

Le 19 mars 1993, Genève fête sa nouvelle conseillère fédérale. Au bras de Germaine Duparc, pédagogue de renom, Ruth Dreifuss paraît radieuse en déambulant dans les couloirs de l’école de Sécheron. Faut-il y voir la joie de retrouver la lointaine familiarité d’un établissement dont elle fréquenta les bancs ? Ou alors le bonheur simple de partager un instant complice ? Peut-être. Mais la gaîtée qu’elle affiche doit sans doute beaucoup à la folle journée qu’elle a vécue la semaine précédente. Retour sur un séisme politique qui fit basculer le destin d’au moins deux femmes.

En mars 1993, à la suite de la démission du socialiste René Felber, commence la course pour l’élection d’un nouveau membre au sein du Conseil fédéral. Depuis l’éviction précipitée d’Elisabeth Kopp en 1989, ce dernier ne compte plus aucune femme. La gauche estime qu’il est temps de corriger cette anomalie, d’autant plus que l’immense grève féministe à laquelle ont participé un demi-million de personnes deux ans plus tôt est encore dans tous les esprits (lire l’article à ce propos dans L’Inédit). Et puis, comment justifier la mise à l’écart de la moitié de la population, plus de vingt ans après l’introduction du suffrage féminin ?

Les socialistes font alors de Christiane Brunner leur candidate, mais la droite n’apprécie guère son profil et lui refuse une bonne partie de ses suffrages, lui préférant un homme en la personne de Francis Matthey. L’élection suscite un tollé et rarement la Berne fédérale aura été soumise à une telle effervescence. Finalement, face à l’ampleur de la contestation, un nouveau vote a lieu. Tout se jouera cette fois-ci entre deux candidatures féminines : Christiane Brunner, qui obtient une seconde chance, et Ruth Dreifuss.

Née le 9 janvier 1940, Ruth Dreifuss est bien connue des milieux de gauche, elle est l’ancienne adjointe scientifique à la direction de la coopération et de l’aide humanitaire du Département des Affaires étrangères, poste qu’elle occupe de 1972 à 1981, avant de devenir secrétaire de l’Union syndicale suisse. En politique, la socialiste Ruth Dreifuss a été membre du Conseil de Ville de Berne, entre 1989 et 1992. Lors des élections fédérales de 1991, elle n’obtient pas le siège de conseillère nationale qu’elle convoitait pour le PS.

Tout se joue pour elle le 10 mars 1993. Ruth Dreifuss est finalement élue au 3e tour de scrutin avec 144 voix. Par la même occasion, elle deviendra la première femme socialiste et la première personne de confession juive à siéger au gouvernement fédéral. Voilà qui justifie bien le sourire rayonnant qu’elle arbore dans l’école de son enfance, vous ne trouvez pas ? ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Une série de documents consacrés à Ruth Dreifuss, dont un choix de vidéos des archives de la RTS

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Franz Weber et le Lavaux

Coll. archives de la RTS/notreHistoire.ch

« On doit être à genoux, on doit dire merci à l’univers, à Dieu, qu’on ait pu préserver ça! » Franz Weber le dit sans détour dans ce reportage de la RTS qui lui est consacré le 1er mars 2008 : le sauvetage de Lavaux est presque miraculeux.

Franz Weber n’a pas attendu le déferlement de la « vague verte » pour se soucier de la préservation de l’écosystème et de la biodiversité qu’il couplait, justement, à son désir de sauvegarder la beauté des paysages et le patrimoine historique. Personnage d’exception, il a été hors de son époque, à contre-courant, le plus souvent seul dans ses combats mais a pu aussi compter sur l’engagement de sa femme et de sa fille. Il fut l’un des premiers à penser l’écologie alors que la vision dominante d’alors, biberonnée aux thèses productivistes et socialo-capitalistes, encourageait le bétonnage à tout va avec l’entière approbation de la majorité agissante.

C’est cette constance, cette intégrité et cette permanence des choses qui font de lui un être d’exception et d’excès, cela va de paire, bien entendu. L’écrivain valaisan Slobodan Despot, qui fut son porte-parole, dit de lui : « Il n’est pas d’être plus émotif que les vrais héros. Leur pathos est la risée des médiocres et la barre d’uranium de leur réacteur à exploits ».

Aujourd’hui, grâce à Franz Weber, nous pouvons jouir paisiblement de la beauté de Lavaux, classé au patrimoine de l’UNESCO, des paysages montagneux de l’Engadine, du site archéologique de Delphes, des Baux-de-Provence, du monastère serbe de Studenica…

La cohérence des luttes

Ce combat pour la sauvegarde des paysages et des vestiges historiques est couplé à un autre combat, que sa fille Vera poursuit, pour les droits des animaux. Comme si les deux étaient intimement liés. Et ils le sont!

Insulté, calomnié, sans cesse attaqué, jamais Franz Weber n’a rompu. Toujours fidèle à ses idéaux, dans un respect total de la nature, des êtres et du vivant, il fut le premier à faire le lien entre sauvegarde du patrimoine, écologie et défense de la cause animale. En précurseur, il a accompli cette synthèse, trente ans avant les mouvements écologistes et animalistes.

Ainsi, depuis des décennies, la famille Weber s’essaye à recoudre inlassablement l’unité perdue de notre monde. Franz Weber, de par son ultra-sensibilité, avait perçu dans sa chair l’urgence de la catastrophe et a vu le probable naufrage de notre société. ■

Référence

Citation de Slobodan Despot tirée de « Memoriam Franz Weber (1927-2019) , dans L’Antipresse, 7 avril 2019.

A consulter également sur notreHistoire.ch

Voir le reportage de la RTS du 1er mars 2008
Une série de vidéos d’archives de la RTS consacrée à Franz Weber
Lavaux en images d’hier et d’aujourd’hui

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1er convoi spécial

Coll. M. Bezençon/notreHistoire.ch

Quatorze chevaux pour tirer un tronc phénoménal, cette image renvoie aux débuts hippomobiles de l’entreprise Friderici, qui fut dans les années 1970 la plus grande affaire de transport routier en Suisse, très active en outre à l’international. Un demi-siècle auparavant, son rayon d’action ne dépassait guère le district de Morges. Et la nécessité de renforcer les attelages pour tirer des chargements lourds joua un rôle décisif dans l’histoire de cette dynastie de camionneurs.

L’ancêtre, Charles-Clément (†1885), arrivé du Hanovre en 1848, devient bourgeois d’Allaman et propriétaire d’une maison à Morges, où il installe son échoppe de cordonnier. Son fil Charles-Emile (†1923), qui gère les entrepôts de l’Union des coopératives à la gare de Morges, fait des livraisons de bois, à titre complémentaire. Le petit-fils, Charles-Félix (†1958), se voue entièrement aux activités de transport, avec des chevaux – c’est une vraie passion, pour lui, pas seulement une énergie de traction – avant que le moteur ne s’impose. Dans les années 1920, donc, il va charger des billes dans les forêts du Jorat, mais aussi du Jura. La forte pente et le poids des bois obligent le charretier à doubler ou tripler son attelage. Il prend donc des chevaux de renfort à Pampigny. Le loueur s’appelle Bussy, il a des filles.

Une femme de tête dans un monde d’hommes

Charles-Félix épouse l’aînée, Elise, mère d’Alfred (†1996) et de Luisa (†2011). Quand Elise meurt à 28 ans, la petite fille étant en très bas âge, Charles-Emile épouse la sœur cadette de sa femme décédée : Alice (†1971), qui lui donne un second fils, Paul (†2018). Il suit la vieille coutume hébraïque du lévirat, remise à l’honneur dans le milieu protestant fondamentaliste d’où viennent ses épouses. Les Bussy, en effet, sont darbystes; le fondateur de la secte, l’Anglais John Nelson Darby, avait en effet séjourné et recruté des adeptes à Pampigny. C’est Alfred et son demi-frère Paul qui porteront l’entreprise Friderici à son maximum, le premier gérant le secteur commercial et le second s’occupant du domaine technique; mais tout se fera toujours sous le regard d’Alice, une maîtresse femme sous des allures discrètes, la vraie patronne de l’entreprise dans un secteur, à l’époque, exclusivement masculin – et qui demeure un peu macho, n’ayons pas peur des mots.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la traction hippomobile fait déjà figure de curiosité historique, ou quasiment, mais Charles-Emile Friderici tient à ses chevaux. L’entreprise en possède encore 48, qui ne travaillent plus guère. Ils sont même subventionnés, car incorporés comme chevaux militaires dans la cavalerie ou le train. On les bichonne sur La Côte avant les cours de répétition, et l’hiver on les loue à Gstaad pour promener les touristes en traîneau. Les chevaux sont vendus à la mort de Charles-Emile. Dans ses dernières volontés, le patriarche a demandé qu’on abatte le dernier, son favori. Il ne supportait pas l’idée qu’il soit moins bien traité, ailleurs, après sa mort. La photo de ce demi-sang noir restera longtemps dans le bureau directorial. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Le cheval au service de l’homme

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