L'Inédit

par notreHistoire


1er convoi spécial

Coll. M. Bezençon/notreHistoire.ch

Quatorze chevaux pour tirer un tronc phénoménal, cette image renvoie aux débuts hippomobiles de l’entreprise Friderici, qui fut dans les années 1970 la plus grande affaire de transport routier en Suisse, très active en outre à l’international. Un demi-siècle auparavant, son rayon d’action ne dépassait guère le district de Morges. Et la nécessité de renforcer les attelages pour tirer des chargements lourds joua un rôle décisif dans l’histoire de cette dynastie de camionneurs.

L’ancêtre, Charles-Clément (†1885), arrivé du Hanovre en 1848, devient bourgeois d’Allaman et propriétaire d’une maison à Morges, où il installe son échoppe de cordonnier. Son fil Charles-Emile (†1923), qui gère les entrepôts de l’Union des coopératives à la gare de Morges, fait des livraisons de bois, à titre complémentaire. Le petit-fils, Charles-Félix (†1958), se voue entièrement aux activités de transport, avec des chevaux – c’est une vraie passion, pour lui, pas seulement une énergie de traction – avant que le moteur ne s’impose. Dans les années 1920, donc, il va charger des billes dans les forêts du Jorat, mais aussi du Jura. La forte pente et le poids des bois obligent le charretier à doubler ou tripler son attelage. Il prend donc des chevaux de renfort à Pampigny. Le loueur s’appelle Bussy, il a des filles.

Une femme de tête dans un monde d’hommes

Charles-Félix épouse l’aînée, Elise, mère d’Alfred (†1996) et de Luisa (†2011). Quand Elise meurt à 28 ans, la petite fille étant en très bas âge, Charles-Emile épouse la sœur cadette de sa femme décédée : Alice (†1971), qui lui donne un second fils, Paul (†2018). Il suit la vieille coutume hébraïque du lévirat, remise à l’honneur dans le milieu protestant fondamentaliste d’où viennent ses épouses. Les Bussy, en effet, sont darbystes; le fondateur de la secte, l’Anglais John Nelson Darby, avait en effet séjourné et recruté des adeptes à Pampigny. C’est Alfred et son demi-frère Paul qui porteront l’entreprise Friderici à son maximum, le premier gérant le secteur commercial et le second s’occupant du domaine technique; mais tout se fera toujours sous le regard d’Alice, une maîtresse femme sous des allures discrètes, la vraie patronne de l’entreprise dans un secteur, à l’époque, exclusivement masculin – et qui demeure un peu macho, n’ayons pas peur des mots.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la traction hippomobile fait déjà figure de curiosité historique, ou quasiment, mais Charles-Emile Friderici tient à ses chevaux. L’entreprise en possède encore 48, qui ne travaillent plus guère. Ils sont même subventionnés, car incorporés comme chevaux militaires dans la cavalerie ou le train. On les bichonne sur La Côte avant les cours de répétition, et l’hiver on les loue à Gstaad pour promener les touristes en traîneau. Les chevaux sont vendus à la mort de Charles-Emile. Dans ses dernières volontés, le patriarche a demandé qu’on abatte le dernier, son favori. Il ne supportait pas l’idée qu’il soit moins bien traité, ailleurs, après sa mort. La photo de ce demi-sang noir restera longtemps dans le bureau directorial. ■

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Le cheval au service de l’homme

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Lettre à son petit-fils

Coll. A. Durussel/notreHistoire.ch

Cette lettre est celle d’un grand-père, Ami Schneider, adressée à son petit-fils André et au frère de ce dernier, écrite le 27 mai 1954, soit quelques jours après son 75e anniversaire, en réponse à des vœux reçus. Il s’agit d’un extrait que nous devons à l’écrivain André Durussel (le titre et l’intertitre sont de la rédaction de L’Inédit).

« Si le temps a suivi sa marche immuable ce jour-là, comme un autre jour, autour de moi on a voulu me témoigner du contentement et du plaisir de me voir encore là, en bonne santé, malgré que je sois un peu boiteux. Parmi les invitées et invités à cette fête d’anniversaire, nous avions tante Ida B. et son mari, de Pampigny. Elle a aussi bien de la peine à marcher, quoique son mal soit bien différent du mien.

Aujourd’hui, c’est votre oncle et parrain S. qui fête ses quarante-trois ans. Avant-hier, c’était Odette N. et, le 22 mai, un autre petit-fils, votre cousin, Pierre S., actuellement à Lonay. Vous voyez comme cela que si le mois de mai est le mois des fleurs, c’était aussi le mois des fêtes pour moi et les miens !

Septante-cinq ans ! Cela fait un moment que je « cours par le monde » sans être allé bien loin et sans avoir trop « roulé ». Je ne puis m’empêcher de songer au temps de ma jeunesse et de faire des comparaisons avec le temps d’aujourd’hui. Ainsi, en 1887, à l’âge de huit ans, j’étais petit bovairon à Cuarnens. J’avais gagné 7 francs, ce qui avait permis à ma maman de m’acheter mes premiers souliers. Souliers qu’on appelait « Napolitains », parce qu’ils venaient d’Italie. En 1891, 92, 93 et 1894, dès ma douzième année et jusqu’à l’âge de quinze ans, j’étais en place à Moiry. Pour 45 francs, 50, 55 et 60 francs la dernière année, il fallait me lever à quatre heures du matin, aller appeler trois domestiques et deux ouvriers, puis « turbiner » avec eux comme un homme.

L’hiver 1894-1895, qui a été un hiver des plus longs, a aussi été pénible dans mes souvenirs. Au mois de mars encore, les hommes, à l’Isle où nous habitions, remuaient la neige pour rien, la Commune ne pouvant plus les payer. Notre père ne gagnait rien non plus. Il y avait trop de neige dans les bois pour les travaux du bûcheron. Un certain soir, notre maman nous a dit (nous étions déjà sept enfants en famille): « Demain matin, il vous faudra aller à l’école sans petit-déjeuner, car je n’ai rien à  vous donner ! »

Et voici que ce même soir, vers 21 heures, une voisine était venue nous apporter un panier de pommes de terre ! Cela avait permis à notre maman de cuire une soupe pour ce premier repas de la journée.

Apprendre à gagner sa vie

Ce sont là des choses que je vous raconte, parce que je suis content de voir les progrès qui ont été réalisés. Je constate que les œuvres sociales, si elles chargent un peu les budgets, font beaucoup de bien ! Tout cela pour vous dire aussi que je suis content de vous voir bien décidés et bien courageux pour apprendre à gagner votre vie et entrer ainsi dans une école technique pour accomplir un apprentissage. Il faut surtout vouloir le faire honnêtement, vaillamment. Non seulement pour vous, mais pour tous ceux qui s’intéressent et pensent à vous et à votre avenir !

Et voilà ! Ce sont des choses que je n’avais jamais pensé à vous raconter et que mes septante-cinq ans m’ont remis en mémoire. Avec mes bien cordiales amitiés à tous deux et à votre papa. » Signé Ami Schneider

Moi et les miens

Né le 23 mai 1879 à Cuarnens, Ami Schneider deviendra le fermier associé (avec Gottlieb Frey, né en 1854) du beau domaine de « La Caroline », sur la commune de Tolochenaz, près de Morges, propriété de la famille Nicati-De Luze. Aîné d’une famille de douze enfants, il épouse en mars 1910 Mina Wendling, d’origine alsacienne.

D'abord avec un associé, puis seul, Ami Schneider (1879-1959) a géré le domaine de "La Caroline", à Tolochenaz.

Coll. A. Durussel/notreHistoire.ch

Père de cinq enfants, il reprend seul la gestion du domaine. Très tôt engagé dans la vie publique, il présidera la Société des Laiteries réunies de Morges et environs de 1920 à 1947. Cette « Tante Ida », mentionnée  au début de sa lettre, était l’une de ses sœurs (1890-1962). L’expression : « pour moi et les miens » peut surprendre aujourd’hui par son aspect égocentrique. Or, elle représente l’un des derniers vestiges de cette société rurale et patriarcale d’autrefois, telle qu’on la trouve dans la bible hébraïque : « Moi et les miens…(selon Josué 24, v.15 par exemple.) Ami Schneider a aussi été l’un des responsables de la construction de la chapelle de Tolochenaz, inaugurée en 1933. ■

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Genève, soutien au peuple Sahraoui

Coll. C.-A. Fradel/notreHistoire.ch

Fin des années 1970, Genève a expérimenté sa vision alternative du monde dans le sillage des raouts hippies « do it yourself » à la mode. Fondé en 1975, le Festival du Bois de la Bâtie a vu le jour l’année même où le Maroc prenait possession du Sahara occidental, au détriment des Sahraouis. Si le Festival de la Bâtie s’est immédiatement consacré à la culture (musique-théâtre-cinéma) pour mieux véhiculer son message, il ne dédaignait pas alors de se mêler de politique en prenant fait et cause pour l’indépendance des Sahraouis.

L’entrée de ce festival étalé sur trois jours en juin était gratuite. La buvette proposait déjà sur sa carte du thé arabe et du taboulé. Porté en étendard par de jeunes idéalistes, le pacifisme répondait aux turpitudes d’un monde rythmé par la Guerre froide. En 1979, une pétition a circulé à la Bâtie en faveur des Sahraouis. Le Comité suisse de soutien au peuple sahraoui fustigeait depuis un certain temps la position de la Suisse dans ce dossier, notamment celle de l’ancien conseiller fédéral socialiste neuchâtelois Pierre Graber, chef du Département des Affaires étrangères, du 1er février 1970 au 31 janvier 1978.

Neutralité suisse exigée

Pierre Graber était accusé par certains d’avoir repris les thèses des autorités marocaines dans le conflit du Sahara occidental. Ce territoire de 265’000 km2 situé entre le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, était occupé par le Maroc depuis 1975. Plusieurs associations exigeaient la neutralité de la Suisse dans ce conflit. Fin juin 1979, Pierre Graber apparaît donc à la Bâtie sous les traits acérés d’une caricature. Il est reconnaissable à ses lunettes double foyers. Des bombes et lance-roquettes émergent d’un fez marocain posé sur sa tête.   

A la suite du départ des Espagnols de leur ancienne colonie, la République Arabe sahraouie démocratique (RASD, Front Polisario) exigeait à nouveau l’indépendance. La vision de dizaines de milliers de Sahraouis quittant leur terre, le Sahara occidental, pour fuir la guerre et se réfugier dans des camps en Algérie voisine avait d’ailleurs choqué ces années-là une partie de l’opinion publique suisse. A fortiori à Genève, siège des Nations Unies, où la cause sahraouie avait de nombreux défenseurs.

Douze ans après ce Bois de La Bâtie politisé, la Mission de l’ONU pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) allait être déployée. Pour surveiller dès 1991 le cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario et pour organiser un référendum permettant aux Sahraouis de décider du statut de ce territoire. Référendum d’autodétermination dont le Maroc n’a voulu entendre parlé. ■

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Pierre Graber, à travers un choix de vidéo des archives de la RTS

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Le Réveillon

Coll. C. Zurcher/notreHistoire.ch

Cette photographie est datée, au dos, du 31 décembre 1924. Elle s’est retrouvée – par quel hasard – dans un lot vendu aux Puces de Plainpalais, à Genève. Qui étaient ces jeunes femmes élégantes, ces jeunes hommes en costume, réunis pour la soirée du réveillon? Qu’est-ce qui provoqua ces sourires? Comment se prénommait cette inconnue dont le regard se porte affectueusement sur l’homme assis devant elle? Que vivront-ils ensemble? Ou que ne vivront-ils pas tous les deux ? Qui sait… la vie…

Cette image d’un réveillon lointain nous offre l’occasion de vous souhaiter de belles Fêtes de fin d’année. Durant ces quelques jours, en raison des vacances, nous suspendons la parution de nos articles. Elle reprendra le 6 janvier 2020.

Toute la rédaction de L’Inédit vous remercie pour votre intérêt et votre soutien. Nous vous adressons nos meilleurs vœux pour la nouvelle année, à vous et à vos proches. ■

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