Le 19 mars 1993, Genève fête sa nouvelle conseillère fédérale. Au bras de Germaine Duparc, pédagogue de renom, Ruth Dreifuss paraît radieuse en déambulant dans les couloirs de l’école de Sécheron. Faut-il y voir la joie de retrouver la lointaine familiarité d’un établissement dont elle fréquenta les bancs ? Ou alors le bonheur simple de partager un instant complice ? Peut-être. Mais la gaîtée qu’elle affiche doit sans doute beaucoup à la folle journée qu’elle a vécue la semaine précédente. Retour sur un séisme politique qui fit basculer le destin d’au moins deux femmes.
En mars 1993, à la suite de la démission du socialiste René Felber, commence la course pour l’élection d’un nouveau membre au sein du Conseil fédéral. Depuis l’éviction précipitée d’Elisabeth Kopp en 1989, ce dernier ne compte plus aucune femme. La gauche estime qu’il est temps de corriger cette anomalie, d’autant plus que l’immense grève féministe à laquelle ont participé un demi-million de personnes deux ans plus tôt est encore dans tous les esprits (lire l’article à ce propos dans L’Inédit). Et puis, comment justifier la mise à l’écart de la moitié de la population, plus de vingt ans après l’introduction du suffrage féminin ?
Les socialistes font alors de Christiane Brunner leur candidate, mais la droite n’apprécie guère son profil et lui refuse une bonne partie de ses suffrages, lui préférant un homme en la personne de Francis Matthey. L’élection suscite un tollé et rarement la Berne fédérale aura été soumise à une telle effervescence. Finalement, face à l’ampleur de la contestation, un nouveau vote a lieu. Tout se jouera cette fois-ci entre deux candidatures féminines : Christiane Brunner, qui obtient une seconde chance, et Ruth Dreifuss.
Née le 9 janvier 1940, Ruth Dreifuss est bien connue des milieux de gauche, elle est l’ancienne adjointe scientifique à la direction de la coopération et de l’aide humanitaire du Département des Affaires étrangères, poste qu’elle occupe de 1972 à 1981, avant de devenir secrétaire de l’Union syndicale suisse. En politique, la socialiste Ruth Dreifuss a été membre du Conseil de Ville de Berne, entre 1989 et 1992. Lors des élections fédérales de 1991, elle n’obtient pas le siège de conseillère nationale qu’elle convoitait pour le PS.
Tout se joue pour elle le 10 mars 1993. Ruth Dreifuss est finalement élue au 3e tour de scrutin avec 144 voix. Par la même occasion, elle deviendra la première femme socialiste et la première personne de confession juive à siéger au gouvernement fédéral. Voilà qui justifie bien le sourire rayonnant qu’elle arbore dans l’école de son enfance, vous ne trouvez pas ? ■
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Une série de documents consacrés à Ruth Dreifuss, dont un choix de vidéos des archives de la RTS