La Suisse penche encore – mais pour combien de temps – du côté des jeunes. Du moins statistiquement. Selon les données de 2018 de l’Office fédéral des statistiques, notre pays compte d’avantage de personnes de moins de 19 ans (20%) que de personnes âgées de plus de 65 ans (18,7%). L’écart se réduit et viendra le jour où les plus de 65 ans se lèveront en nombre supérieur à leurs petits-enfants. Ainsi va la vie dans la Suisse du début du XXIe siècle: l’avenir appartient aux vieux. Autre chiffre, le nombre de centenaires s’accroît (et donc le nombre de cérémonies de remise de fauteuil ou de caisses de vin, avec conseiller d’Etat et huissier, syndic et secrétaire communal – la nouvelle gestion public new public management calcule-t-elle les coûts de ce temps passé à honorer les centenaires?) La moyenne en 2018 était de 18 centenaires pour 100’000 habitants et le nombre de centenaires a quasiment doublé tous les dix ans entre 1950 et 2010. Bref, un EPT (poste à plein temps) à l’échelle du pays pour la remise de bouquet de fleurs…
Les temps changent, les mœurs évoluent, les empires s’écroulent mais les cérémonies demeurent. Et les plus belles cérémonies d’une vie – nous serons tous d’accord – il n’y en a pas dix, pas cinq, mais trois: le baptême, le mariage… et la célébration de son centenaire. N’est-ce pas d’ailleurs une belle fête dont témoigne ce cliché de 1934? Vraisemblablement pris le 17 août 1934. Comme le relève Jean-Pierre Genoud, membre de notreHistoire.ch, après une recherche dans les archives du Nouvelliste, cette photo publiée par Michel Savioz pourrait bien avoir été réalisée ce jour-là – le 17 août 1934 tombe sur un vendredi – quand Vissoie fête le centième anniversaire de Mademoiselle Euphémie Abbé. « La commune lui a remis le traditionnel fauteuil, tandis que Mr l’abbé Francey et Mr le chanoine de Courten célébraient les mérites de la centenaire, écrit le Nouvelliste. Pour cette circonstance, Melle Abbé a été transportée sur la place de la Tour, devant son petit chalet. Elle jouit encore de toutes ses facultés mais elle ne peu plus guère marcher qu’en s’aidant de sa garde-malade. Elle a suivi les phases de la cérémonie avec calme, nous dirions même avec l’impassibilité la plus parfaite… »
Et l’homme et la femme de 2020, quelque soit son âge, se met à rêver. 100 ans en 1934, Mademoiselle Abbé est donc née en 1834, elle a connu la guerre du Sonderbund (1847) et la nouvelle constitution fédérale qui suivit une année plus tard. En France, 1848, c’est la Révolution, en Italie aussi et à Vienne, capitale de l’empire austro-hongrois, Ferdinand 1er abdique cette année-là au profit de son neveu François-Joseph, qui mourra en 1916 à l’âge de 86 ans (Mlle Abbé aura alors … 82 ans). Passons sur le Second Empire en France, la réforme du servage en Russie (1861), pour arriver à la guerre de 1870, la Commune, l’unité allemande, et celle de l’Italie. Viennent ensuite la deuxième constitution suisse (de 1874) et la IIIe République française. On regarde toujours du côté de l’Europe et de son empire colonial pour saluer la reine Victoria, sacrée impératrice des Indes en 1876. En 1903, pour ses 69 ans, Melle Abbé peut s’abonner au Nouvelliste, qui vient de se lancer. On saute allègrement la Révolution de 1905 à Moscou, le temps de cerises et la Guerre de 14 (Mlle Abbé est âgée de 80 ans quand le général Gallieni fait appel aux taxis de la Marne), en Suisse le général Wille monte merveilleusement à cheval, puis la Révolution bolchevique, la victoire des Alliés, la grève générale de 1918 et pour ne pas rallonger cet article passons ensuite à la création de la Société des Nations, le fascisme en Italie, le Krash de 1929, Staline, l’arrivée d’Hitler au pouvoir, et venons-en au 2 août 1934, deux semaines avant la fête du centenaire de Melle Abbé: ce 2 août 1934, le maréchal Hindenburg meurt à l’âge de 87 ans; un jeune homme! ■