Alors que de l’ancien hôtel Noga Hilton de Genève s’apprête à être rénové par l’architecte Jean Nouvel, cette photographie prise durant l’été 1979 nous renvoie au moment de la construction du complexe hôtelier. Le « Noga », comme l’appellent les Genevois, ouvre ses portes en 1980 au numéro 19 du quai du Mont-Blanc. Le bâtiment est conçu par les architectes André Gaillard, René Favre et Jean Hentsch. L’imposante construction en béton armé, verre et marbre contraste avec le paysage architectural de la Rade et l’édifice précédemment bâti à cet emplacement : le majestueux Kursaal construit à la fin du XIXe siècle, dont témoignent plusieurs photographies publiées sur notreHistoire.ch.
Le Kursaal : divertir les touristes
Genève connaît d’importantes transformations urbanistiques à partir du début du XIXe siècle. Celles-ci s’accélérèrent avec la démolition des fortifications dès 1850. Les travaux d’embellissement de la rive droite et le développement du tourisme favorisent la construction d’une série d’établissements hôteliers le long du quai du Mont-Blanc, parmi lesquels les Hôtels Beau-Rivage, d’Angleterre et de Russie qui accueillent des voyageurs internationaux plutôt aisés.
Au début des années 1880, un petit groupe d’entrepreneurs français fonde la Société du Kursaal international de Genève et fait l’acquisition d’un terrain face au lac appartenant à l’Hospice Général. La construction du Kursaal débute en 1884. Les plans du bâtiment sont initiés par l’architecte John Camoletti (1848-1894), puis repris par l’architecte et entrepreneur François Durel (1856-1906), qui réalisera en 1901 l’Hôtel Bellevue construit quelques mètres plus loin. L’édifice monumental est situé dans un cadre somptueux. Sa vaste terrasse offre une vue imprenable sur la rade et les Alpes. La revue Le Conteur vaudois raconte la visite du Kursaal peu après son ouverture : « L’aménagement intérieur est à la fois simple et luxueux, confortable avant tout. Quatre immenses salles oblongues sont respectivement réparties en restaurant, salle de concert avec salon de lecture, salle de bal, salle de jeux. »
C’est un lieu de divertissement destiné avant tout à attirer les visiteurs de passage. On y joue aux jeux de hasard comme le baccara : une pratique jugée immorale et décriée par une partie de l’opinion publique, qui plus est dans une ville marquée par l’héritage calviniste. Un article du Journal de Genève publié en 1885 lors de l’ouverture du Kursaal donne le ton : « Si cet établissement s’en tient à son programme, et il faut espérer qu’il le fera, il pourra rendre des services en fournissant un lieu de rendez-vous agréable aux étrangers et en les engageant à prolonger leur séjour au milieu de nous. S’il s’en écartait, en suivant l’exemple d’autres établissements du même genre, qui ont introduit le jeu pour augmenter leur clientèle et qui n’ont réussi qu’à éloigner la meilleure, en attirant la mauvaise, celle qui se ruine et ruine les autres, le service se changerait en un grave préjudice. »
Après avoir fermé ses portes durant la Première Guerre mondiale, le Kursaal est racheté par la Ville de Genève en 1921. La programmation musicale du lieu est particulièrement riche durant les années 1920-1950. Elle se compose surtout de spectacles de music-hall, d’opérettes et de revues. Certains gros succès européens sont à l’affiche comme le théâtre du Grand-Guignol venu de Paris. La situation change durant la Seconde Guerre mondiale où la venue d’artistes étrangers est rendue très incertaine, ce qui favorise la présentation de spectacles nationaux. Plus occasionnellement, le Kursaal propose des rencontres sportives. C’est le cas en 1913 lorsque le célèbre boxeur français Georges Carpentier affronte le champion d’Ecosse Jim Lancaster.
La promesse d’un Eldorado
Dès le début des années 1950, le Kursaal – qui est alors appelé Grand-Casino – commence à présenter des signes de vétusté. Trop délabré pour être exploité, le bâtiment ferme en 1965. Dans l’objectif de préserver ce lieu cher à la vie culturelle et touristique de Genève, le Conseil administratif de la Ville soutient le maintien du bâtiment avec un projet de réfection comprenant un aménagement partiel en Maison des congrès. Mais le projet est refusé par le peuple en 1966. Il est suivi d’une votation référendaire pour la reconstruction du Grand-Casino qui est acceptée trois ans plus tard. Il s’agit du projet dit « Eldorado » qui vise à doter les abords de la rade d’un complexe touristique moderne alliant hôtellerie de luxe, théâtre et casino. En 1970, le Kursaal est démoli. Loin d’être concrétisé, le projet immobilier connaît de multiples changements et remaniements, ce qui a pour conséquence fâcheuse de laisser un trou béant durant plusieurs années. Ce terrain laissé à l’abandon sur un site aussi exceptionnel suscite l’indignation de la population. C’est finalement en 1976 que débute le chantier de ce qui est appelé à devenir l’un des futurs fleurons de l’hôtellerie genevoise. ■
A consulter également sur notreHistoire.ch
La rade de Genève, en photos d’époque et en vidéos des Archives de la RTS
Références
1. Journal de Genève, 14 juillet 1885.
2. Le Conteur vaudois, 19 décembre 1885.
3. Joël Aguet, « Kursaal de Genève », dans A. Kotte (dir.), Dictionnaire du théâtre en Suisse, vol. 2, Zurich, Chronos Verlag, 2005, p. 1058–1059.
4. Leïla el-Wakil, « L’ancien Kursaal », dans P. Broillet (dir.), Les Monuments d’art et d’histoire du canton de Genève, La Genève sur l’eau, t. 1, Bâle, Wiese, 1997, p. 325.
5. Leïla el-Wakil, « Des temples pour l’art », dans C. Santschi et J. de Senarclens (dir.), Encyclopédie de Genève, Les plaisirs et les arts, t. 10, Genève, Association de l’Encyclopédie, 1994, p. 327-338.