L'Inédit

par notreHistoire


Collège Saint - Michel Fribourg - 1949

Sous la statue de saint Pierre Canisius, la traditionnelle photo de classe. Au premier rang, au centre, le préfet de l'internat, l'abbé Rossel, entouré des surveillants (1949).

Coll. P. Frochaux-Chevrot/notreHistoire.ch

Vidé de ses élèves par les mesures de lutte contre la pandémie, le collège Saint-Michel, à Fribourg, vit côté jardin le réveil de la nature, et côté cour un printemps silencieux. Plus un bruit, plus un mouvement dans l’espace minéral dessiné par les bâtiments d’origine et les ajouts du XXe siècle (l’ancien internat, « l’aquarium » à façade vitrée), pas un signe de vie non plus sur la place qui sépare l’église (1613) et le Lycée (1830). Dans ce cadre imposant, la suspension du temps favorise l’apparition de fantômes. Il y en a de plusieurs générations.

Les plus récents, encore bien en chair pour beaucoup, ce sont les grands-pères des garçons et des filles d’aujourd’hui. Ceux-là peuvent rire avec attendrissement, ou cultiver la nostalgie, en visionnant dans un document des Archives de la RTS, Mgr Edouard Cantin (1953-1971), leur ancien recteur, expliquer aux téléspectateurs romands, avec une onctuosité de prélat, que la mixité dans les écoles secondaires n’était pas souhaitable, à son point de vue de pédagogue catholique. Il fallait s’y résoudre néanmoins, ponctuellement, pour des raisons pratiques. Le collège du recteur Cantin était encore celui qu’avait façonné Georges Python, leader des conservateurs fribourgeois et directeur de l’Instruction publique de 1886 à sa mort en 1927.

Faire entrer des filles à Saint-Michel? Des élèves et le recteur, Mgr Cantin, expriment leurs réticences, trois mois après Mai 68.

Emission Carrefour (18.09.1968), coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Soit un établissement 100% masculin, chez les élèves comme dans le corps professoral. Les seules robes qu’on pouvait croiser sur le site étaient les soutanes habillant les professeurs ecclésiastiques logés dans la maison. (Pour les filles, il y avait l’Académie Saint-Croix tenue par les Sœurs d’Ingenbohl, une boîte privée reconnue par le canton pour délivrer la matu selon les prescriptions fédérales.) Unique à ce niveau dans le canton, le collège Saint-Michel était fermement structuré. A la filière humaniste classique, latin-grec ou latin-sciences, flanquée d’une filière commerciale, la malice des temps et le réalisme de Python avaient ajouté une légère teinture de chimie, de physique et de sciences naturelles dans les deux dernières années d’un cursus qui en durait huit. Toute la maison était cléricalement encadrée. Le recteur ne pouvait être qu’un ecclésiastique, idem pour le préfet des études et celui de l’internat, les prêtres enseignants détenaient tous les postes essentiels, la prière ouvrait les cours et la messe du dimanche était obligatoire. Tous les élèves portaient ce jour-là l’uniforme, un complet-veston-casquette bleu foncé à parements dorés qui les faisait vaguement ressembler à des caricatures d’officiers de marine.

La réputation du collège doit beaucoup à l'enseignement de la philosophie.

Emission Temps Présent (09.03.1972), coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Ont totalement disparu du site les fantômes d’Alexandre Daguet et de ses amis du régime radical (1848-1856) qui tentèrent, dans cette brève parenthèse éclairée, de remodeler le vieux collège pour l’adapter aux besoins du temps. Rebaptisé Ecole cantonale, ce qui était déjà blasphématoire pour les tenants de la tradition, l’établissement s’articula en trois sections, littéraire (classique), pédagogique (pour former les instituteurs) et industrielle (la Realschule que les bourgeois de Bulle réclamaient depuis longtemps). Revenus au pouvoir, les conservateurs s’empressèrent d’effacer les traces de cette réforme, jusque dans les mémoires.

L’esprit de saint Pierre Canisius

Les fantômes les plus anciens, ceux de saint Pierre Canisius (1521-1597) et de ses compagnons jésuites, sont encore bien présents à Saint-Michel, parce que nombre de témoignages ont matérialisé leur souvenir, côté cour et côté jardin, et parce que l’empreinte du ratio studiorum élaboré au sein de la Compagnie a marqué la pédagogie du collège pendant quatre siècles. Pierre Canisius, que l’on célèbre comme le fondateur de la maison, n’y a jamais donné une heure de cours, mais la chambre où il est mort, transformée en chapelle, ouvre sur le jardin et le monument qui lui est dédié. A quoi ressemblait son collège ? Il était masculin et clérical à 100%, bien sûr, tout l’enseignement état dispensé par les Pères et les cours n’accueillant que les garçons. Il était élitiste, par force : non seulement les familles patriciennes détentrices du pouvoir étaient les seules solvables, ou presque, mais encore la stratégie des jésuites visait à former des dirigeants capables de mener au succès la Contre-Réforme dans l’ordre temporel, sous la conduite de l’Eglise. L’enseignement était humaniste, enfin, dans la mesure où il honorait les classiques Anciens. Les cours se donnaient d’ailleurs en latin. Au fond, le collège de Canisius était une préfiguration concentrée du collège de Georges Python.

Autant dire que Saint-Michel a connu plus de bouleversements depuis quarante ou cinquante ans que dans les quatre siècles précédents. Plus d’uniforme, plus de messe obligatoire. Dirigé par un laïc depuis 1983, le collège a perdu ses prêtres enseignants, accueilli dans ses classes les filles (en 1976 les Alémaniques, dix ans plus tard les Romandes) et recruté des femmes professeures (une pionnière est signalée dès 1970). Il a perdu son monopole cantonal pour la délivrance des matus, il y en a deux autres en ville, un quatrième à Bulle et un cinquième à Payerne, partagé avec le canton de Vaud. Enfin, la réorganisation des maturités fédérales en système à options multiples, entre 1998 et 2002, a fait sauter la structure traditionnelle des sections. Bref, le collège de Canisius et de Georges Python, aujourd’hui, est un bahut comme les autres. Mais les fantômes demeurent, et même ils agissent. « C’est le collège de Harry Potter », m’a confié une élève, ravie. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Le collège Saint-Michel, en photos et vidéos des Archives de la RTS

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Carouge, la Praille: baraquements de saisonniers derrière la rue Alexandre Gavard

Photo Christian Murat, coll. Bibliothèque de Genève/notreHistoire.ch

Contraste saisissant entre ces baraquements de saisonniers et les tours de Carouge situées à l’arrière-plan. Les occupants des baraques sont venus en Suisse pour construire ces bâtiments, mais ils n’ont pas le droit d’y habiter et de profiter de leur confort moderne. Avec le statut de saisonnier, on ne peut séjourner que 9 mois par an dans le pays. Par un effet pervers, il est donc impossible de louer un logement pour une si courte durée. C’est donc aux entrepreneurs de s’occuper du logement. Dès les années 1950, avec l’explosion du nombre de saisonniers, des scandales éclatent dans la presse sur les conditions de logements de ces travailleurs précaires. Souvent, les patrons les logent dans des bâtiments en voie de démolition ou en cours de construction, ou dans ces baraquements aux conditions d’hygiène et de promiscuité inacceptables. On compte ici 6 personnes dans chacun des 20 pavillons.

De tels camps existent tout autour de Genève, dans la couronne des cités satellites : à Meyrin, à Cointrin ou au Lignon. Pour ce dernier chantier, les baraques sont aussi installées au pied des tours, au Bois-des-Frères. Elles sont toujours là, réaménagées en habitations plus confortables. On en voit également plus au centre, le long des voies de chemin de fer, chemin de Galiffe, toujours gérées par l’Armée du Salut.

Dans les années 1960 déjà, des mouvements de protestation se développent. Issues de milieux militants, de syndicats ou d’habitants des baraques elles-mêmes, pétitions, manifestations et menaces de grève dénoncent cette situation et demandent l’abolition du statut de saisonniers instauré en 1931. A partir de 1970, les autorités essaient de remplacer ces symboles honteux de la précarité économique par des foyers plus acceptables. Le centre des Tattes à Vernier est ainsi réalisé en 1987 en collaboration avec les milieux patronaux et syndicaux. Avec la raréfaction des saisonniers, le centre est reconverti en lieu d’accueil des requérants et requérantes d’asile. Le statut de saisonnier ne sera aboli qu’en 2002, non pas pour raisons humanitaires, mais pour se conformer aux accords de libre circulation avec l’Union européenne.

L’auteur de cette photographie, Christian Murat (1933-2013) a travaillé la plus grande partie de sa carrière pour La Tribune de Genève tout en conservant son statut de photographe indépendant. Il a réalisé plusieurs reportages remarquables à l’intérieur des baraquements et à la gare de Cornavin sur l’arrivée des migrants et migrantes. ■

Pour en savoir plus

Nous, saisonniers, saisonnières… Genève. 1031-2019, Archives contestataires, Collège du travail et Rosa Brux, Genève, 2019

A consulter également sur notreHistoire.ch

Le reportage de Temps Présent (27.11.1980) sur la vie quotidienne des saisonniers
Un choix de documents des Archives de la RTS

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Général Guisan, Lausanne, 1960

Coll. G. Baud/notreHistoire.ch

« La Suisse officielle a fait au général Guisan de nobles funérailles. Elle s’est acquittée de ce devoir avec simplicité, comme le commandent nos mœurs et nos traditions. La population s’est associée d’un plein cœur à cet hommage. Elle était grave, émue… » Ainsi commence l’éditorial de Pierre Béguin dans La Gazette de Lausanne, du 13 avril 1960, au lendemain des obsèques du général Guisan. Le cortège funèbre, entre le domicile de la famille Guisan à Ouchy et la place de la Riponne, aura rassemblé plus de 120’000 personnes. Un événement exceptionnel dont témoignent de nombreuses photos par la foule. Il faut « fixer » l’Histoire, et qui plus est le dernier hommage de celui qui a fait l’Histoire. Une série d’images réalisées par des anonymes alors que passe le cortège est maintenant réunie sur notreHistoire.ch aux côtés des archives du Ciné Journal Suisse et d’un enregistrement sonore inédit effectué depuis la Tour Bel-Air. On y entend sonner le glas de la cathédrale et la marche du cortège, perturbé par le passage d’avions Venom!

Devant la Tour Bel-Air, justement. Des échelles comme un signe d’élévation ou de recherche d’une transcendance. On veut voir une dernière fois le général Guisan passer sous ses yeux, de haut si possible, pour ne pas être gêné par la foule et lui faire un dernier adieu en plongée, du ciel.

Au premier plan, des échelles de bric et de broc, en bois, qui contrastent avec l’arrière-plan, moderne et infiniment haut de la tour. Cette image symbolise ce changement d’époque qui naît. Quatre ans avant l’Exposition nationale, laquelle engendrera de titanesques travaux d’urbanisme et verra Lausanne entrer de plein pied dans une nouvelle modernité urbaine.

Il y a 60 ans maintenant, ce 12 avril 1960, des femmes, des hommes et des enfants s’amassent au centre-ville de Lausanne pour voir défiler le corbillard du général Guisan. Une cérémonie grandiose mais sans faste, nappée de silence et de respect. Ici, au début de la décennie des années 1960, nous nous situons à une intersection. Le monde ancien s’en va et jaillit celui qui deviendra notre contemporanéité. Pour beaucoup le général symbolisait en ces temps de guerre et d’après-guerre l’autorité, le père et une certaine défense de la neutralité et de l’indépendance de la Suisse face à l’Allemagne nazie. Même si l’on sait depuis, grâce aux travaux d’historiens, que la chose fut plus complexe et pleine de contradiction.

A la place de la Riponne, la foule des anonymes.

Coll. G. Baud/notreHistoire.ch

Que dirions-nous aujourd’hui d’une telle foule venue saluer une dernière fois un chef militaire ? Il n’y a plus rien de comparable à un tel rassemblement en Suisse. Et le nombre constituant la foule n’est pas le seul critère de ce que l’on appelle sommairement l’émotion collective. Dans les années 2000, la Lake parade à Genève, ou la Street Parade,à Zurich, ont rassemblé elles aussi plus de 100’000 personnes, mais ça, c’est une autre histoire. ■

Référence

Les archives du Temps, Gazette de Lausanne du 13 avril 1960

A consulter également sur notreHistoire.ch

Une série inédite de photos des funérailles
L’enregistrement sonore du cortège réalisé depuis la Tour Bel Air
Les actualités du Ciné Journal Suisse

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Lausanne cortège des garçons bouchers.

Coll. C. Perotti Yvorne, A.-M. Martin-Zürcher/notreHistoire.ch

Notre rubrique Témoignage et récit reprend des articles des membres de notreHistoire.ch, à l’instar de ce texte de Sylvie Bazzanella dont la lecture est bien à-propos en cette période de Pâques (les intertitres sont de la rédaction).

Lausanne fêtait jadis, avec une particulière animation, le corps de métier bien représenté qu’est celui des bouchers. Traditionnellement, la Fête des garçons bouchers, l’une des plus anciennes manifestations lausannoises, se déroulait le lundi de Pâques.

La confrérie des bouchers apparaît déjà dans l’histoire lausannoise en 1343, mais c’est en 1552 que le traditionnel et célèbre ramassage des œufs revêtit sa véritable signification. Il faut dire que cette année là, un garçon boucher fort bien fait de sa personne livra querelle à un étudiant coupable de lui avoir ravi le cœur de sa belle. En 1558, les membres de la corporation des garçons-bouchers, charcutiers et tripiers de Lausanne instituaient la «Fête des œufs» en souvenir de leur loyal compagnon. Depuis elle fut célébrée avec parfois de longues coupures.

Un cortège haut en couleurs, riche en casquettes et culottes noires, blouses de satin blanc, ceintures rouges, emmenés par de magnifiques cavaliers défilait en ville, par Chauderon, Montbenon, Saint-François, les rues du centre, de l’Université, la Borde… Bœufs plantureux parés de guirlandes, groupe instrumental en grands uniformes, groupe de tambours, drapeaux, bannières, groupes de cyclistes fleuris, délégation des laitiers, char fleuri, voitures de fantaisie… De gracieuses jeunes filles en blanc, avec grande écharpe rouge en sautoir. Des enfants tout de blanc ou de rose vêtu portaient de légers arceaux de verdure et de fleurs. Partout, affluence et enthousiasme du public.

Tablier blanc, cravate, grand maillet entre les mains, les garçons bouchers lausannois prennent la pose à la place de la Riponne (Pâques 1950).

Coll. C. Perotti Yvorne, A.-M. Martin-Zürcher/notreHistoire.ch

La course aux œufs se tenait à Montbenon, puis bien des années plus tard, à Beaulieu. Avec l’installation du Comptoir suisse, la manifestation se déplaça à Vidy. Y était organisé un match de football entre bouchers et boulangers, traction à la corde, course aux sacs, etc…

Aux abattoirs, dans l’une des grandes halles décorée de verdure, après une collation, c’était joie, danse; une animation du tonnerre ! Et le soir, au Splendid, il y avait bal, entrecoupé de productions clownesques et acrobatiques. Mais beaucoup de traditions se perdent…

Afin de faire revivre cette vieille tradition lausannoise, la «Chorale» et la «Section du personnel de la boucherie de Lausanne», organisent chaque année la «Course aux œufs des bouchers» qui se déroule sur l’esplanade du Châtaignier au Mont-sur-Lausanne. Elle est suivie par une course pour les enfants et un concert de la «Chorale des bouchers de Lausanne». En soirée un bal champêtre est organisé. Sauf à Pâques 2020, distanciation sociale oblige… ■

Références

1. Feuille d’Avis de Lausanne, 19 avril 1938 – Gazette de Lausanne, 4 avril 1952 – Le Régional, 6 et 7 avril 2006 – Nouvelle Revue de Lausanne, 19 août 1978.
2. Découvrir la légende à l’origine de la Fête des garçons bouchers par ce lien.

A consulter également sur notreHistoire.ch

Les Fêtes de Pâques, une série de vidéo des Archives de la RTS

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