L'Inédit

par notreHistoire


Général Guisan, Lausanne, 1960

Coll. G. Baud/notreHistoire.ch

« La Suisse officielle a fait au général Guisan de nobles funérailles. Elle s’est acquittée de ce devoir avec simplicité, comme le commandent nos mœurs et nos traditions. La population s’est associée d’un plein cœur à cet hommage. Elle était grave, émue… » Ainsi commence l’éditorial de Pierre Béguin dans La Gazette de Lausanne, du 13 avril 1960, au lendemain des obsèques du général Guisan. Le cortège funèbre, entre le domicile de la famille Guisan à Ouchy et la place de la Riponne, aura rassemblé plus de 120’000 personnes. Un événement exceptionnel dont témoignent de nombreuses photos par la foule. Il faut « fixer » l’Histoire, et qui plus est le dernier hommage de celui qui a fait l’Histoire. Une série d’images réalisées par des anonymes alors que passe le cortège est maintenant réunie sur notreHistoire.ch aux côtés des archives du Ciné Journal Suisse et d’un enregistrement sonore inédit effectué depuis la Tour Bel-Air. On y entend sonner le glas de la cathédrale et la marche du cortège, perturbé par le passage d’avions Venom!

Devant la Tour Bel-Air, justement. Des échelles comme un signe d’élévation ou de recherche d’une transcendance. On veut voir une dernière fois le général Guisan passer sous ses yeux, de haut si possible, pour ne pas être gêné par la foule et lui faire un dernier adieu en plongée, du ciel.

Au premier plan, des échelles de bric et de broc, en bois, qui contrastent avec l’arrière-plan, moderne et infiniment haut de la tour. Cette image symbolise ce changement d’époque qui naît. Quatre ans avant l’Exposition nationale, laquelle engendrera de titanesques travaux d’urbanisme et verra Lausanne entrer de plein pied dans une nouvelle modernité urbaine.

Il y a 60 ans maintenant, ce 12 avril 1960, des femmes, des hommes et des enfants s’amassent au centre-ville de Lausanne pour voir défiler le corbillard du général Guisan. Une cérémonie grandiose mais sans faste, nappée de silence et de respect. Ici, au début de la décennie des années 1960, nous nous situons à une intersection. Le monde ancien s’en va et jaillit celui qui deviendra notre contemporanéité. Pour beaucoup le général symbolisait en ces temps de guerre et d’après-guerre l’autorité, le père et une certaine défense de la neutralité et de l’indépendance de la Suisse face à l’Allemagne nazie. Même si l’on sait depuis, grâce aux travaux d’historiens, que la chose fut plus complexe et pleine de contradiction.

A la place de la Riponne, la foule des anonymes.

Coll. G. Baud/notreHistoire.ch

Que dirions-nous aujourd’hui d’une telle foule venue saluer une dernière fois un chef militaire ? Il n’y a plus rien de comparable à un tel rassemblement en Suisse. Et le nombre constituant la foule n’est pas le seul critère de ce que l’on appelle sommairement l’émotion collective. Dans les années 2000, la Lake parade à Genève, ou la Street Parade,à Zurich, ont rassemblé elles aussi plus de 100’000 personnes, mais ça, c’est une autre histoire. ■

Référence

Les archives du Temps, Gazette de Lausanne du 13 avril 1960

A consulter également sur notreHistoire.ch

Une série inédite de photos des funérailles
L’enregistrement sonore du cortège réalisé depuis la Tour Bel Air
Les actualités du Ciné Journal Suisse

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Lausanne cortège des garçons bouchers.

Coll. C. Perotti Yvorne, A.-M. Martin-Zürcher/notreHistoire.ch

Notre rubrique Témoignage et récit reprend des articles des membres de notreHistoire.ch, à l’instar de ce texte de Sylvie Bazzanella dont la lecture est bien à-propos en cette période de Pâques (les intertitres sont de la rédaction).

Lausanne fêtait jadis, avec une particulière animation, le corps de métier bien représenté qu’est celui des bouchers. Traditionnellement, la Fête des garçons bouchers, l’une des plus anciennes manifestations lausannoises, se déroulait le lundi de Pâques.

La confrérie des bouchers apparaît déjà dans l’histoire lausannoise en 1343, mais c’est en 1552 que le traditionnel et célèbre ramassage des œufs revêtit sa véritable signification. Il faut dire que cette année là, un garçon boucher fort bien fait de sa personne livra querelle à un étudiant coupable de lui avoir ravi le cœur de sa belle. En 1558, les membres de la corporation des garçons-bouchers, charcutiers et tripiers de Lausanne instituaient la «Fête des œufs» en souvenir de leur loyal compagnon. Depuis elle fut célébrée avec parfois de longues coupures.

Un cortège haut en couleurs, riche en casquettes et culottes noires, blouses de satin blanc, ceintures rouges, emmenés par de magnifiques cavaliers défilait en ville, par Chauderon, Montbenon, Saint-François, les rues du centre, de l’Université, la Borde… Bœufs plantureux parés de guirlandes, groupe instrumental en grands uniformes, groupe de tambours, drapeaux, bannières, groupes de cyclistes fleuris, délégation des laitiers, char fleuri, voitures de fantaisie… De gracieuses jeunes filles en blanc, avec grande écharpe rouge en sautoir. Des enfants tout de blanc ou de rose vêtu portaient de légers arceaux de verdure et de fleurs. Partout, affluence et enthousiasme du public.

Tablier blanc, cravate, grand maillet entre les mains, les garçons bouchers lausannois prennent la pose à la place de la Riponne (Pâques 1950).

Coll. C. Perotti Yvorne, A.-M. Martin-Zürcher/notreHistoire.ch

La course aux œufs se tenait à Montbenon, puis bien des années plus tard, à Beaulieu. Avec l’installation du Comptoir suisse, la manifestation se déplaça à Vidy. Y était organisé un match de football entre bouchers et boulangers, traction à la corde, course aux sacs, etc…

Aux abattoirs, dans l’une des grandes halles décorée de verdure, après une collation, c’était joie, danse; une animation du tonnerre ! Et le soir, au Splendid, il y avait bal, entrecoupé de productions clownesques et acrobatiques. Mais beaucoup de traditions se perdent…

Afin de faire revivre cette vieille tradition lausannoise, la «Chorale» et la «Section du personnel de la boucherie de Lausanne», organisent chaque année la «Course aux œufs des bouchers» qui se déroule sur l’esplanade du Châtaignier au Mont-sur-Lausanne. Elle est suivie par une course pour les enfants et un concert de la «Chorale des bouchers de Lausanne». En soirée un bal champêtre est organisé. Sauf à Pâques 2020, distanciation sociale oblige… ■

Références

1. Feuille d’Avis de Lausanne, 19 avril 1938 – Gazette de Lausanne, 4 avril 1952 – Le Régional, 6 et 7 avril 2006 – Nouvelle Revue de Lausanne, 19 août 1978.
2. Découvrir la légende à l’origine de la Fête des garçons bouchers par ce lien.

A consulter également sur notreHistoire.ch

Les Fêtes de Pâques, une série de vidéo des Archives de la RTS

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Le podium pour les Fêtes de Genève

Le podium de tournage de la Télévision Genevoise installé pour filmer le Corso fleuri des Fêtes de Genève, en 1954

Photo Robert Ehrler, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Jean-Jacques Lagrange, un des fondateurs de la RTS, fait revivre dans cette série les premières heures de la Télévision, ce nouveau média qui va transformer la société des années 1960. Pour lire les articles précédents, cliquez sur ce lien.

Initiateur du groupe de la Télévision Genevoise, René Schenker, qui est alors directeur adjoint de Radio-Genève, propose à la Ville de Genève un reportage sur le Corso fleuri des Fêtes de Genève de 1954. Un projet qui déclenche des commandes de NBC, RTF Paris, Hilversum, Hambourg et Copenhague. Mais comme il est impossible de tirer des copies de films, l’équipe de tournage doit profiter des deux passages du Corso pour filmer un maximum d’images. C’est à Berne, aux laboratoires Schwarz, que les films inversibles sont développés et montés pour gagner du temps. Chaque plan est coupé en six pour faire six films presque identiques qui sont envoyés par poste express aux cinq stations qui les ont commandés, alors que la sixième version est diffusée sur l’antenne de la Télévision Genevoise avant d’être envoyée à la TV Suisse de Zurich. C’est notre premier reportage qui va passer sur la TV Suisse ! Pour ne pas le manquer, l’équipe de Mon Repos monte au Salève afin de capter l’émetteur du Bantiger en branchant une antenne sur un récepteur TV alimenté par un générateur !

Mais ce qui frappe surtout les édiles et les membres du Conseil municipal, ce sont les lettres qu’ils reçoivent de Suisses émigrés aux Etats-Unis, émus et excités d’avoir vu le Corso sur leur écran TV. Soudain, pour tous ces politiques, la télévision prend une autre dimension et ils en perçoivent vaguement les possibilités. Ils votent dans la foulée tous les crédits que le maire de Genève, Albert Dussoix, leur propose !

Cette petite caméra vidéo industrielle sans viseur a été bricolée pour avoir deux objectifs : un grand angle et un téléobjectif que l'on change à vue d'un vif coup de manivelle !

Photo Robert Ehrler, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Un nouvel effort pour l’automne 1954

René Schenker et Albert Dussoix préparent déjà les grandes manœuvres en vue de l’automne. Il faut un nouveau budget que Dussoix trouve facilement. Il faut ensuite profiter de la pause d’été commençant le 10 juillet pour déplacer l’émetteur afin de mieux arroser le canton. Le choix se fixe sur la Tour de la Rippaz, à Cologny, qui permet d’étendre la diffusion sur l’ensemble du territoire genevois et sur la côte lémanique jusqu’à Lausanne. Pour entrer le châssis de l’émetteur dans la tour exiguë, il faudra le hisser extérieurement par le toit puis le scier en deux et le ressouder à l’intérieur !

Installation d'une antenne TV sur le toit de Mon Repos, à Genève. De gauche à droite, Mercier, Meier et Stucky.

Photo Jaques Margot, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

La liaison link est donc facile de la Rippaz sur la villa Mon Repos, à Genève, où on installe le Télécinéma 16mm Radio-Industrie dans la véranda avec un nouveau Télécinéma 35mm que René Schenker a acheté à un constructeur genevois d’électronique, les Laboratoires Industriels de Monsieur Pradier. René Schenker achète également une petite caméra vidéo industrielle sans viseur pour pouvoir faire des annonces en direct sur laquelle on bricole une tourelle avec deux objectifs : un grand angle et un téléobjectif que l’on change à vue d’un vif coup de manivelle ! Et le bulletin de programme La Boîte à images que nous adressons aux téléspectateurs rappelle cette consigne importante : « Ne pas oublier de diriger l’antenne de votre poste récepteur sur la Tour de la Rippaz à Cologny et ne plus la laisser diriger vers l’Institut de Physique » !

La saison d’automne de la Télévision Genevoise démarre en fanfare le 30 août 1954. René Schenker a trouvé à Paris pour un prix dérisoire les films de Dimitri Kirsanof, un marginal du cinéma français, et d’autres films qui enrichissent le programme. Il achète les films de voyage de Georges Marny, un metteur en onde de Radio-Genève et ceux du journaliste-cinéaste Jean-Paul Darmstetter.

Pour mettre en valeur la Genève Internationale, René Schenker crée une émission en anglais Happy to meet you confiée à Robert Nivelle, chef des services radio de l’ONU et à son épouse américaine, Colette Carvel, qui présente l’émission. Le bulletin de La boîte à images s’est étoffé et on y présente en détail des productions comme le reportage du Théâtre de Poche. A défaut de photos, je continue à faire des petits dessins suggestifs gravés directement sur les stencils ! Comme celui qui illustre le premier tournage son synchrone au Théâtre de Poche.

Dessin de Jean-Jacques Lagrange pour la présentation, dans le bulletin La Boîte à images édité par la Télévision Genevoise, du tournage d'une séquence au Théâtre de Poche, le 10 juin 1954.

Coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Enfin René Schenker a obtenu de l’Office Français du Tourisme une invitation pour un reportage en Pays Basque. Ce sera le premier reportage à l’étranger de la Télévision Genevoise ! Le 1er septembre 1954, je pars donc pour Biarritz comme réalisateur-journaliste avec Robert Ehrler qui utilise sa VW personnelle avec, dans le coffre, la caméra Paillard, la petite caméra son et une valise de survoltées.

Jean-Jacques Lagrange filme sur la dune du Pilat. Cette photographie a été prise durant la semaine de tournage qu'il a passé avec Robert Ehrler au Pays basque, en septembre 1954. C'était le premier reportage à l'étranger de la Télévision Genevoise!

Photo Robert Ehrler, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Nous rejoignons à Bordeaux Monsieur Aymar, le délégué de l’OFT qui va nous accompagner. C’est un monsieur charmant, très cultivé, un peu vieille France avec sa lavallière et son panama blanc qui profite de cette mission pour faire de bons gueuletons ! Il décroche une interview du maire de Bordeaux… Jacques Chaban-Delmas, avant d’entraîner l’équipe à la découverte du Pays Basque qu’il connaît très bien. En une semaine cinq sujets de dix minutes sont tournés. Ils seront diffusés (et souvent rediffusés) sous le titre Le Pays basque à coup de manivelle : Les huîtres du bassin d’Arcachon – Corrida à Bayonne – Biarritz et Biriatou – Pelote basque – Voiles à Saint-Jean-de-Luz (voir une séquence vidéo et des photographies prises lors du tournage).

La Télévision Genevoise bouscule la SSR

Mais le développement du programme de la Télévision Genevoise pour l’automne et le dynamisme des initiatives genevoises en fait tousser plus d’un à Lausanne et en Suisse ; la SSR, elle, commence à s’échauffer. Il faut ici faire un petit retour en arrière pour comprendre cette irritation du reste du pays.

En janvier 1953, le Parlement a voté les crédits pour une période expérimentale de télévision prévue uniquement à Zurich jusqu’en 1957. Il est décidé que la Suisse romande sera servie après 1958, mais un émetteur à la Dôle pourra relayer, dès 1954, le programme en allemand et un car de reportage couvrira probablement la Suisse romande en 1955 ! Cette politique timide et centralisée n’a fait qu’accélérer la détermination de l’équipe de Mon Repos à avancer dans son projet d’une télévision genevoise.

La Direction générale de la SSR constitue donc une équipe de jeunes Alémaniques, de Romands et Tessinois issus de la radio pour commencer cette période expérimentale à Zurich, sous la direction d’Edouard Haas, directeur des Ondes Courtes Suisses. Aucun des membres de l’équipe de Mon Repos ne s’étant inscrit pour aller à Zurich, René Dovaz veut qu’un Genevois fasse partie de cette équipe et il désigne Frank Tappolet (qui parle le suisse-allemand). Tappolet est un excellent producteur de variétés et régisseur musical à Radio-Genève. Il ne s’est pas intéressé à l’aventure de Mon Repos mais est attiré par la télévision. Il part donc à Zurich comme futur réalisateur.

L’équipe zurichoise est prise en main par le couple Willy et Anne Roetheli – deux Suisses professionnels du cinéma en France – pour un stage d’un mois à la RTF, à Paris, puis s’installe à Zurich dans un studio de cinéma de la Kreutzstrase équipé en vidéo par les PTT pour commencer ses émissions le 1er juillet 1953.

Une vue du studio de Mon Repos de la Télévision Genevoise pendant une émission en direct: l'interview du cycliste Ferdy Kubler par Humbert-Louis Bonardelly.

Photo Jaques Margot, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Cette période expérimentale se déroule dans un certain climat d’hostilité de la classe politique alémanique qui est contre l’introduction de la télévision en Suisse. Les relations sont aussi mauvaises avec les cinéastes alémaniques qui méprisent le nouveau média vidéo et avec les distributeurs de films qui se sentent menacés par l’arrivée de la télévision.

En Suisse romande au contraire, l’intérêt est très grand et exacerbe la lutte Genève-Lausanne. Pourtant les deux villes surmontent leur rivalité pour demander d’une seule voix le lancement rapide et anticipé d’un programme TV en Suisse romande. Le grand succès de la Télévision Genevoise, la construction en cours de l’émetteur de la Dôle et la venue annoncée pour Noël d’un car de reportage en Suisse romande vont bouleverser les timides plans fédéraux et forcer la SSR à reprendre la main pour convaincre le Conseil fédéral d’avancer l’expérience TV en Romandie.

La SSR reprend la Télévision Genevoise

D’âpres négociations s’engagent, mais dans la hâte. Car la SSR souhaite lancer la Télévision Suisse Romande (TSR) au 1er novembre 1954 déjà. Le Parlement vote finalement un budget d’un million de francs pour l’extension TV en Suisse romande.

René Dovaz, René Schenker et Albert Dussoix insistent pour que l’équipe de la Télévision Genevoise soit engagée dans la nouvelle TSR et intégrée au personnel (surtout des techniciens de Radio-Lausanne) pour le car de reportage. Chacun des membres de l’équipe de Mon Repos pourra choisir s’il reste à Radio-Genève ou s’il passe à la TSR.

Comme René Schenker désire rester à Radio-Genève selon l’engagement qu’il a pris envers Frank Tappolet quand celui-ci a rejoint la TV de Zurich, c’est Tappolet qui est nommé directeur de la Télévision Suisse Romande. Il amène avec lui de Zurich quelques Romands de l’équipe expérimentale : Catherine Borel, Roger Bovard, Jean Kaehr, Jacques Stern et Serge Etter.

Pour la réalisation, la SSR engage trois personnes: Jean-Claude Diserens, Lausannois diplômé de l’IDHEC, André Béart, metteur en onde à Radio-Lausanne mais aussi ancien cinéaste documentaire et exploitant du Cinéac à Lausanne. Le troisième réalisateur doit être Genevois (pour conserver l’équilibre!) Je suis candidat avec William Baer. Finalement celui-ci préfère devenir chef opérateur du studio, je suis donc engagé comme réalisateur.

Jean-Jacques Lagrange retouche le film d'un générique de la Télévision Genevoise.

Photo Robert Ehrler, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Pour apaiser les tensions entre les villes, le Conseil fédéral désigne Genève comme centre fixe «provisoire» et Lausanne comme centre mobile «provisoire» de la TSR. Ironie du sort, comme l’émetteur de la Dôle n’est pas terminé, les PTT sont bien content de reprendre l’émetteur des étudiants de l’Institut de physique qui va rester en fonction jusqu’en mars 1955 comme seul émetteur des images TSR !

C’est ainsi que le samedi 30 octobre 1954, l’équipe de Mon Repos diffuse son dernier programme qui résume six mois d’émissions et clôt en feu d’artifice une incroyable aventure qui s’achève victorieusement par le lancement anticipé de la Télévision Suisse Romande.

La dernière émission

Ce dernier programme commence à 20h30 avec une grande rétrospective de 60 minutes que j’ai montée avec les actualités, reportages et documentaires diffusés pendant six mois. A 21h30 Variétés parisiennes avec quatre jeunes de la chanson. A 22h L’invitation à la valse, un court métrage avec Roger Blin et Suzy Carrier. A 22h15 l’émission en anglais Happy to meet You de Robert Nivelle et Colette Carvel et, à 22h45, Pour prendre congé : C’est demain dimanche par le pasteur Robert Stahler!

C’est aussi la fin du bulletin La boîte à images et, pour tous ceux qui, dans l’équipe, ont été engagés à la TSR, c’est leur dernier jour d’employés de Radio-Genève. Robert Ehrler devient le correspondant du Téléjournal pour la Suisse Romande.

Le public se rassemble devant la vitrine du magasin radio-tv Sauthier et Jaeger, à la Fusterie, à Genève, pour suivre une émission de la Télévision Genevoise.

Photo R. Ehrler, coll. J.-J. Lagrange/notreHistoire.ch

Le lendemain, 1er novembre 1954, tout l’équipe retrouve Frank Tappolet à Mon Repos pour préparer une première émission TSR sous ses ordres. Il y a quelques nouveaux techniciens qui desserviront sous peu les deux caméras PYE qui devront équiper le studio. Mais pour l’instant, on continue avec le matériel bricolé de la Télévision Genevoise alors que les techniciens PTT découvrent l’émetteur de la Rippaz qu’ils vont désormais utiliser en attendant que l’émetteur de la Dôle soit terminé.

Après la répétition, tout le monde se rend dans un salon de l’Hôtel Métropole pour la cérémonie de passation des pouvoirs. Discours des autorités politiques genevoises et de Marcel Bezençon, directeur général de la SSR qui présente Frank Tappolet, le nouveau directeur TSR.

Qui a la clé du studio ?

Après le cocktail, l’équipe repart vers Mon Repos pour faire la première émission de la TSR et les techniciens PTT rejoignent Cologny et la Rippaz. Mais arrivés au pied de la tour, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas la clef de la porte restée dans la poche des étudiants de l’Institut de physique, jeunes potaches qui sont allés fêter l’événement dans un bistrot de campagne. A Mon Repos, une tentative est faite, en vain, pour prendre contact avec la Rippaz. L’émetteur restera muet et la première émission de la TSR ne sera jamais diffusée !

Ainsi se termine l’aventure de la Télévision Genevoise commencée dans l’incertitude d’un nouveau média inconnu et qui s’achève deux ans plus tard par les débuts de la Télévision Suisse Romande. Une aventure rendue possible grâce à tous les collaborateurs bénévoles qui ont sacrifié leur temps libre à cette expérience d’une petite équipe de passionnés. Grâce aussi à l’aide des autorités municipales et cantonales qui ont investi plus d’un million de francs dans le financement de la Télévision Genevoise et dans la mise à disposition gratuite de terrains pour que la SSR puisse construire le centre TV de Carl-Vogt. ■

La suite de la série sera consacrée aux premières heures de la Télévisions Suisse Romande à la Villa Mon Repos.

A consulter également sur notreHistoire.ch

L’aventure de la Télévision Genevoise en images

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La centrale nucléaire de Lucens

Le 29 décembre 1967, les premiers essais dans la Centrale sont concluants. André Durussel travaille alors comme opérateur du réacteur. Il participera ensuite au démantèlement de la Centrale.

Coll. A. Durussel/notreHistoire.ch

L’arrêt automatique du réacteur (scram) de la petite Centrale nucléaire de Lucens, le 21 janvier 1969, mettait une fin brutale, mais définitive, à cette installation en caverne. Elle avait produit pour la première fois en Suisse du courant électrique d’origine nucléaire sur le réseau interconnecté de la Compagnie vaudoise d’électricité, comme elle se nommait à cette époque (aujourd’hui Romande Energie), cela en date du 21 janvier 1968.

Tout avait pourtant bien commencé et les premiers essais de physique du réacteur, le 29 décembre 1967, chargé avec ses premières barres d’uranium, avait démontré le bien-fondé de cette conception et de cette filière typiquement suisse. Il s’agissait en effet d’un réacteur dont l’eau lourde (D²O) était le modérateur des neutrons émis par la fission. Les 73 éléments d’uranium 235 étaient individuellement refroidis par un gaz caloporteur, le CO². Ce dernier, à environ 380 °C., était ensuite dirigé par deux soufflantes dans les deux échangeurs de chaleur qui, produisant la vapeur d’eau, actionnaient une turbine à vapeur conventionnelle et son turbo-générateur accouplé en bout d’arbre.

Une teneur en humidité trop élevée

Ces deux grandes soufflantes à axe vertical, qui assuraient ainsi la circulation forcée du gaz carbonique dans chacun des 73 éléments logés leur « tube de force », fonctionnaient normalement, mais la teneur en humidité du gaz (en ppm) était légèrement trop élevée. Cette humidité provenait d’une défectuosité des joints de barrage rotatifs au bas de ces soufflantes: ils n’étaient pas absolument étanches. De l’eau s’était accumulée au pied de certains tubes de force. Elle a empêché, lors d’un redémarrage, la circulation du gaz carbonique dans tous les tubes de force et c’est elle qui a provoqué la corrosion des gainages des éléments d’uranium, puis la fusion de quelques kilos d’uranium de l’élément No 59 en particulier.

Les actualités de l'été 1969 reviennent sur l'accident à la Centrale de Lucens et filment les premières opérations de contrôle (le son est manquant).

Emission Carrefour du 1er juillet 1969, coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Ces joints rotatifs des soufflantes avaient déjà fait l’objet d’améliorations de la part du constructeur, mais ils demeuraient un souci permanent de l’équipe d’exploitation, cela surtout après une première marche d’endurance. Il faut peut-être préciser ici que, dans les filières actuelles à eau bouillante et à eau pressurisée, le combustible (uranium) est gainé avec une enveloppe en acier inoxydable résistante à l’eau. Ce n’était pas le cas à Lucens, car les ailettes des gainages qui entouraient les barreaux d’uranium étaient en magnésium.

Ces ailettes furent soumises à l’action corrosive de ces résidus d’eau dans le gaz carbonique. Certains canaux de circulation furent ainsi obstrués, en particulier au pied de l’élément N° 59 déjà mentionné. Comme ce gaz carbonique destiné au refroidissement ne circulait plus, cet élément a atteint une température anormale de plus de 600° C. Sa gaine en magnésium, ainsi qu’une partie de l’uranium lui-même, entrèrent alors en fusion, en endommageant le tube de force lui-même.

La salle de commande n’est pas avertie

De plus, tous les éléments n’étant pas équipés d’une mesure de température individuelle, la salle de commande ne fut donc pas avertie de cette anomalie dès le début de la prudente  montée en puissance du 21 janvier 1969. L’arrêt automatique du réacteur se produisit quelques fractions de secondes après la rupture du tube de force No 59, déclenché par la brusque perte de pression du circuit du gaz carbonique caloporteur, tandis que tous les instruments de surveillance en salle de commande donnaient l’alarme.

Après un bref instant de surprise bien compréhensible, l’ingénieur de quart et son équipe prirent toutes les mesures nécessaires pour garder le contrôle des installations et de leur refroidissement, alertèrent les autorités fédérales et cantonales. Ils procédèrent aux premières investigations, ainsi qu’à la récupération de l’eau lourde du modérateur, dont la cuve en alliage d’aluminium avait été endommagée.

En 1999, la Radio Télévision Suisse a retrouvé des témoins de l'accident.

Emission Tout à l'heure du 22 janvier 1999, coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Aucune réparation possible, il faut démonter le réacteur

Les semaines qui suivirent furent consacrées à d’autres investigations, en particulier sur le système de défournement par le bas, réalisées au moyen d’une petite caméra de télévision improvisée. Elles montrèrent qu’un démontage du réacteur était inéluctable, toute réparation étant jugée impossible. Ce démantèlement fut une première en Suisse. Il s’acheva trois années plus tard, en 1972-1973. Le bon niveau de formation du personnel demeuré sur place a grandement facilité ces importants travaux. Le démantèlement de la Centrale nucléaire de Mühleberg, actuellement en cours dès le 20 décembre 2019, n’est donc pas une « première » en Suisse, bien que sa puissance en MWe était 150 fois plus grande.

A Lucens, ces travaux se sont déroulés sans accident, ni irradiation ou contamination de personnes ou atteintes à l’environnement, contrairement aux rumeurs qui circulent encore parfois dans la région. Le site, complètement dénucléarisé, est devenu aujourd’hui un dépôt souterrain géré par les Archives cantonales vaudoises (DABC) pour des objets précieux de nos musées. ■

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