Que de légendes sur l’histoire du Messager boiteux, figure essentielle de la Fête des Vignerons! Qu’en est-il réellement? Avec sa jambe de bois, sa redingote et son tricorne, il sort tout droit du XVIIIe siècle. Lorsqu’il apparaît pour la première fois à la Fête des Vignerons de 1927, sous les traits de François Streit, le personnage est déjà bien connu en Suisse Romande. C’est que son histoire est vieille de plusieurs siècles et intimement liée à celle d’un almanach du même nom dont la couverture représente un colporteur boiteux, appuyé sur sa canne.
Depuis le Moyen Age, les colporteurs sont des marchands ambulants qui sillonnent villes et campagnes. Son nom tire ses racines des verbes comportare qui signifie « transporter » en latin, mais aussi du verbe coltiner : « porter un lourd fardeau » et du terme « coltin » qui désigne une pièce de cuir, sorte de capuchon que les colporteurs portaient pour se protéger du froid et des intempéries. Les colporteurs voyageaient ainsi à pied en portant toute leur marchandise sur le dos, boitillant sous la charge en s’appuyant sur un bâton ou une canne. Dans leur sac, en plus des marchandises, ils diffusaient des almanachs. Ces publications contenaient les calendriers relatifs au travaux agricoles et viticoles mais aussi des éphémérides, des recettes de cuisine, des contes et des étrennes, des nouvelles des quatre coins du pays. Ils comprenaient souvent des esquisses afin que les paysans illettrés puissent les parcourir et reproduire les conseils dessinés dans leur champ ou leur vigne.
Il y a toujours un véritable messager quelque part
C’est en 1676 qu’apparaissent à Bâle deux almanachs nommés Der Hinkende Bote. Largement diffusés, dès 1707 une version française est colportée jusqu’à Vevey. A partir de 1748, il est édité dans la ville et sa version française y est directement imprimée directement en 1755. Le Messager boiteux devient alors Le Véritable messager boiteux de Berne ou Le Véritable Messager boiteux de Vevey en 1799 et enfin Le Véritable Messager boiteux de Berne et Vevey en 1803, nom qu’il porte encore aujourd’hui. Son édition est intimement liée à la ville puisque plusieurs imprimeries ancestrales l’éditeront au fil des siècles. Mais les Messagers boiteux ne sont pas uniquement une tradition romande puisqu’on en retrouve à Strasbourg et à Francfort, entre autres régions où sa figure s’est imposée comme la représentation du colporteur et du messager.
Une opération marketing réussie
Ils sont trois à avoir incarné le Messager boiteux lors des Fêtes des Vignerons de 1927 à 1999. François Streit en 1927, Samuel Burnand lors des éditions de 1955 et de 1977, enfin Jean-Luc Sansonnens en 1999. A la Fête de 2019, pour la première fois, c’est une jeune femme, Sofia Gonzalez, habitante de Jongny et championne d’athlétisme handisport, qui devient la première « Messagère » de l’histoire de la Fête des Vignerons.
C’est grâce à Emile Gétaz, un des Conseillers de la Confrérie des Vignerons, Abbé-Président de 1942 à 1952, mais aussi directeur de La Feuille d’Avis de Vevey (1898) et des imprimeries Klausfleder SA (depuis 1894) qui édite le fameux almanach, que le Messager boiteux apparaît lors de la Fête des Vignerons de 1927. S’il y a quelque chose d’une opération marketing bien menée pour l’époque, son apparition n’est pas anodine. Elle rend aussi hommage à un personnage de fiction iconique de la ville. A la manière dont la Fête des Vignerons assimile les traditions locales, le Messager boiteux devient alors le colporteur (au sens de messager) de la Fête et en 1955, Samuel Burnand qui l’incarne, restera célèbre pour avoir effectuer l’aller-retour à pied jusqu’à Lausanne et Berne pour annoncer la nouvelle Fête aux autorités cantonales et fédérales.
Mais la légende prend vie ! Samuel Burnand n’était pas seulement le Messager boiteux de la Fête des Vignerons. Il était réellement le colporteur de l’almanach qu’il distribue à pied sur les marchés et dans les foires de la région et le restera jusqu’à sa mort en 1985, quelques années après la Fête des Vignerons de 1977. Le costume est ici plus clinquant qu’au Moyen Age ou qu’au 18e siècle. Le coltin a disparu, remplacé par une redingote bleu et un chapeau tricorne. Mais il conserve son effet et rare sont les Veveysans ou les Romands qui ne le reconnaissent pas immédiatement à son allure.
Un mot encore sur la photo de cet article et publiée par Sylvie Bazzanella sur notreHistoire.ch. A-t-elle été prise à Vevey, ou à Lausanne? Yannick Plomb a levé le mystère. Après une recherche dans les annuaires vaudois, il a pu situer le magasin Confection Maison Moderne à la rue de la Madeleine 1 à Lausanne, en activité de 1925 jusqu’en septembre 1936, date de sa mise en faillite. On peut reconnaître l’immeuble sur Google, précise Yannick Plomb, malheureusement une camionnette est garée devant. Un livreur, sans doute, qui a pris la place des colporteurs! ■
A consulter également sur notreHistoire.ch
Le messager boiteux, une série de photos des différentes Fêtes des Vignerons et un choix de vidéos des Archives de la RTS