Ce fut une très agréable surprise de recevoir ce mail de Thaïlande: un lecteur de L’Inédit, André Chaubert, établi depuis 1968 en Asie, a partagé les souvenirs de son enfance à Corsier-sur-Vevey. Son texte, délicieusement vivant et sensible, évoque les figures et les lieux de cette commune viticole de Lavaux. Il fait écho à la série que nous avons lancée en réunissant des témoignages et des récits de membres de notreHistoire.ch sur le thème des rues de notre enfance. Si vous aussi vous souhaitez contribuer, vous pouvez nous écrire – claude.zurcher@fonsart.ch – ou publier votre texte dans notreHistoire.ch. Nous l’éditerons ensuite dans L’Inédit. Nous espérons ainsi, au fil de vos contributions, constituer un recueil des lieux de notre enfance, dont les souvenirs nous accompagnent au long d’une vie (et parfois jusqu’au bout du monde). Le titre et les intertitres du texte d’André Chaubert sont de la rédaction.
Je suis né à Corsier-sur-Vevey, dans un vieil immeuble accoté au Café de la Place, maintenant devenu son petit hôtel. Je l’ai quitté il y a plus de 50 ans et maintenant, bien qu’à plusieurs milliers de kilomètres, je n’ai qu’à fermer les yeux pour m’y retrouver. La passerelle qui longe sa façade est alors de bois, et l’on n’ose y mettre le pied de peur qu’elle ne s’effondre. Le Café, géré par la « Mère Apoth » a en son centre un gros calorifère et, en hiver, avant nos leçons de catéchisme, cette bonne dame nous prépare une tasse de thé chaud, saupoudré de cannelle. Le pasteur Diserens, qui vient juste de remplacer Nusslé, nous prépare à notre confirmation dans la petite Salle de paroisse, devant la cure. Un tilleul majestueux la sépare de l’église ; peut-être d’avoir trop vu de baptêmes, de mariages et de funérailles, il a malheureusement succombé. Comme nous, il a pu apprécier d’entendre résonner l’orgue lorsque notre grand Carlo Hemmerling laissait courir ses doigts sur le clavier.

La cure, à la fin des années 1950.
Des bandes de caoutchouc sous les semelles
Pour nous, la Route de Châtel, est la « Grande Route » et la Route de Corseaux qui nous y mène passe par-dessus le canal de la Bergère, qui est alors à ciel ouvert. Depuis son étang, en dessus de la Cure d’Attalens, la Bergère descend la Condémine, passe le chemin des Vergers, longe la propriété des Mzelles Grandchamp, suit le Chemin de Meruz sous l’Eglise libre, (on ferait bien un clin d’œil aux filles du pasteur Ladore, vision de conte de fées, avec leur belle chevelure blonde), avant de s’engouffrer dans un long tunnel. C’est un fier challenge, pour nous gamins, de la suivre sur tout son cours, et, en avançant à croupetons dans son tunnel obscur, d’arriver jusqu’à son embouchure. Gelée en hiver, torrentielle au printemps et presqu’à sec en été, la Bergère est un défi en toutes saisons.
Le long de la Route de Corseaux, les Schmidt tiennent une petite épicerie/laiterie ; leurs gamins, Kurt et Ernest, ont bien gardé leur accent d’Outre-Sarine. A l’angle du Chemin de Meruz se dresse le grand mur de la vieille maison où habitent les Rietschi ; le fils est l’un des batteurs réguliers de tambours, avec les fils Pasche, Louis et Roger, ainsi que Coderey, qui mènent le cortège des gymnastes de la Propat, à leur retour des fêtes régionales. En face, l’atelier du cordonnier Jomini. Assis devant son enclume à trois branches, il cloue bénévolement des bandes de caoutchouc sous les semelles de nos socques. Il assouplit les cuirs en les massant avec la graisse d’un bourillon de bœuf pendu à la paroi. Tout son bric-à-brac sent bon le cuir. Plus loin, sous l’escalier qui monte chez les Meylan, une porte voûtée s’ouvre sur des escaliers de pierre qui descendent au pressoir. Le sol est recouvert de pavés ronds. C’est un pressoir parmi la bonne dizaine d’autres qu’on peut compter dans notre petit village viticole. Aux vendanges, ça bourdonne d’activités. On attache une grosse corde à la grande palanche et deux costauds tournent la manivelle d’une roue à dents pour tirer la palanche et faire descendre la vis. On répète la manœuvre jusqu’à ce que la dernière goutte sorte du pressoir et remplisse la cuve à moût. Si on a bien bossé dans les vignes pendant la journée, on a droit à un verre de moût pris au goulot.

C'est l'heure des vendanges à Corsier-sur-Vevey. Cette photo a été prise devant le Châtelard, siège actuel de la FILA .
Un petit sentier part de derrière l’église pour descendre parmi les vignes jusqu’aux imprimeries Klausfelder. Le grand mur de la cour de l’église qui le surplombe lui donne des allures de coupe-gorge. Les vignes sont cultivées par deux frangins bricoleurs, peut-être les premiers inventeurs du tracasset. Le dos à la cure, quelques maisons font face à ce qui est aujourd’hui l’Esplanade. Une cour en pavés ronds amène aussi à un pressoir. Dans la cour de l’église, sous le platane, mon grand-père et son ami Fivaz construisent les grandes échelles qui servent à cueillir les cerises. Parmi les vilebrequins, les maillets et les varlopes, ça sent bon les copeaux.
La fille du syndic, la belle Irène, a fier allure à la laiterie
On appelle la Place du Temple simplement « la Place », et sous le platane qui, de loin, fait face au café, la « Mère Gilgen », avec son petit chien, a pris possession du banc public. Elle fait partie du paysage, bien que beaucoup préfèrent simplement ne pas la voir. Le domaine du château Couvreu, bien caché derrière un haut mur, descend jusque là. Et la rue qui le longe porte bien son nom : la Rue du Château. Ses nombreuses dépendances comprennent aussi un pressoir et sa porte voûtée donne directement sur la Place. Mon oncle Morel s’occupe des vignes du domaine et Duruz, avec sa sœur, vieille fille emblématique, cultive les jardins. Dans la serre, il prépare les plantons de légumes pour tous les gens du village, car beaucoup de familles ont leur petit potager. La poste et la laiterie se partagent la façade qui donne sur la Place, entre la Rue centrale et la Rue du Château. Genton est le maître postier ; il se fait un devoir de maintenir la réputation du fonctionnaire bourru et grincheux. La laiterie est tenue par Léon Conne, élu maintes fois syndic. Sa fille, la belle Irène, n’est pour rien dans le succès de ses élections, mais a fière allure dans le magasin. Les élus à la municipalité sont en général les commerçants et les entrepreneurs du village : avec Léon Conne, Louis Volet, charpente, qui a monté une entreprise qui sera florissante pour ses héritiers, les frères Barbey, maçonnerie, dont Jean-Louis, un chauvin de la montagne qui marche toujours d’un pas bien décidé dans ses souliers à bascule. Pour confirmer sa passion, il a appelé sa villa « La Moraine ». Son frère Alexis passe plus de temps à l’église qu’au bistrot et est plus actif du côté de Corseaux. Il y a aussi d’autres notables comme les Pasche, Maillard, Taverney. Aux Monts, on élit les gros propriétaires paysans : les Buffat, les Pilet. On retrouve tous ces personnages comme experts lors de nos examens scolaires.
La Rue du Château est très étroite et l’autobus passe avec difficulté l’angle de la maison où la fille Gottraux donne ses leçons de piano. Quand les beaux hivers nous permettent de nous luger du haut des Terreaux jusqu’en bas de la rue, nous organisons un système d’alerte pour annoncer l’arrivée de l’autobus, car il n’est pas possible, même pour une luge, de le croiser. Ça fait monter l’adrénaline et on joue au plus audacieux. Il y a deux menuiseries sur la rue : celle à Held et, plus modeste, celle à Horisberger ; sa fille Françoise sera plus tard la « Mariée » de la Fête des Vignerons de 77. Le célèbre « La Chute » habite aussi ce quartier. Il laisse beaucoup de responsabilités à ses chevaux quand il va livrer les gros blocs de glace ou les tonneaux de bière. Il ne touche pas à sa bière mais avale avec vengeance trois décis sur trois décis ; et quand notre agent de police Rochat, vêtu de son ample cape gris-vert fait la fermeture des bistrots, on entend La Chute, loin à la ronde, descendre la rue en injuriant tout le reste du monde.
Le tenancier du café a la moustache méchante

Le café du Châtelard. A droite, le chemin du Châtelard, on devine l'entrée de la boucherie-charcuterie. A gauche, entre les maisons, le début de sentier des Crosets qui descend en direction de Vevey.
La Place du Châtelard est en somme à l’arrière du château. C’est là que son fermier attitré, Alexis Guex, maintient une imposante courtine. On ose y préférer son odeur à celle des affreux pissoirs avec leurs tôles ondulées bouffées par la rouille, juste de l’autre côté de la place, près de la fontaine. En face, c’est chez Le Poing, la boulangerie Reymond. Jamais surnom n’a aussi bien décrit son sujet, avec son nez enfoui dans sa mâchoire. C’est son fils, Noldi, qui part sur son vélo avec sa hotte, tôt le matin pour délivrer le pain, même jusqu’à Corseaux. Il s’est fait en plus une belle renommée avec ses excellents mille-feuilles et, pour nous aux examens, ses succulentes salées au sucre. Il est aussi généreux avec ses délicieuses brisures.

Cette boucherie-charcuterie se situait au dessous du café du Châtelard au chemin du même nom.
Un peu en dessous, l’autre pinte locale, le Café du Châtelard, dit le Chate, semble s’accrocher désespérément au sommet de la dérupe qui descend sur Vevey, vers le hangar à coton de Kohler et le collège de la Veveyse. Cette dérupe est aussi un challenge classique pour tous les gamins : il faut l’avoir grimpée à vélo ! Le tenancier du Chate, Liand, a l’œil sombre et la moustache méchante. L’affaire est bientôt reprise par la plus volubile « Mère Davet ». Encore plus en dessous, la boucherie à Rossier est posée à 45 degrés sur la pente. Il est le fier propriétaire d’une des premières voitures du village et elle lui rend bien service quand il va faire boucherie dans les fermes des environs. Il « dépiéce » parfois aussi ses cochons à côté du bistrot, devant le four à pain du Poing. Juste à côté des pissoirs, il y a la « grande barre » où on attache les attelages. Les gamins s’y amusent à faire des prouesses de futurs gymnastes de la Propat. Souvent aussi, les chevaux y restent à ruminer patiemment dans leur muselière, au bon vouloir des gaillards qui restent crochés au bistrot devant leurs trois décis. Au Chate comme à La Place, les doyens ont une table réservée près du comptoir. On y tape le carton. Le bistrot, de pair avec l’église, est le noyau du village. Tous s’y retrouvent après le culte pour l’apéro, et pour faire la cagnotte : déposer les économies de la semaine. Le dévoué Willy Marti, banquier de métier, et marié à une fille Pilet des Monts, tient les comptes en ordre.
Le Poing est toujours habillé de sa blouse blanche et de son pantalon de boulanger pointillé de noir et de blanc. De même Rossier, le boucher, qui, sur sa blouse, prend le coin de son tablier blanc dans sa ceinture pour former un parfait triangle. Et aussi Kalmann, le tonnelier, avec son tablier de cuir et son marteau accroché à la ceinture. Parmi ces doyens, on trouve aussi Lehnherr, le propriétaire de la Condémine. Lui n’appartient à aucun corps de métier ; en politique, c’est un « noir », et il ne va jamais au bistrot. Bien sûr, il a une petite chaîne en or sur le ventre pour son oignon. C’est chez Lehnherr et chez le Poing qu’ont été installés les premiers téléphones. Sur la place parfois un aiguiseur met sa bécane sur son trépied et active sa meule : on lui apporte couteaux et ciseaux. Le sympathique Gonseth passe aussi souvent là pour réparer les sommiers et les matelas. Des colporteurs plus distingués font du porte à porte : Benetti, avec ses grosses lunettes de myope, venu de Romont pour vendre ses tissus, Evard qui propose des contrats de longue durée pour les trousseaux des jeunes filles à marier et bien sûr celui de « Just », avec ses produits pour décrasser les éviers et ses cosmétiques pour adoucir les mains et dérider les ménagères.

Rue des Terreaux, probablement dans les années 1920.
La Rue du Collège, jusqu’au préau, est bordée de petits jardins. Les parcelles sont louées et parfois aussi comprises dans la location des appartements. Les familles s’y activent en fin de journée pour échanger les ragots et, bien sûr, pour cultiver salades, tomates, pommes de terre, carottes et autres ; ça compte d’avoir ses propres légumes. On écrème aussi notre lait, on bat notre beurre ; sans oublier les bricelets faits maison.
Le Président de la Confédération est passé par là
Au coin du préau, un magnifique magnolia glorifie la maison rose bonbon des Pasche. Willy Gras, le clarinettiste habite à l’étage. Il joue à la Lyre de Vevey et fait partie de l’ensemble du Folly, qu’on entend souvent à la radio. Le collège est imposant. C’est là qu’habite Rochat, notre aimable agent de police. A la fin des récrés, avant de monter dans les classes, on doit venir s’aligner devant les escaliers du grand perron. Mzelle Hoffmann, en enfantine, petite boule d’énergie aux doigts de fée, Mzelle Maurer, avec un petit quelque chose de Rita Hayworth, puis Mme Rochat et Mzelle Forestier, qui, avant de devenir Mme Leblond, nous laissait être témoins de la cour assidue que lui faisait son prétendant, osant l’embrasser devant toute la classe. Enfin chez les grands, Berger, avec son béret bien planté sur la tête, droit sur son vélo, ses fesses effleurant à peine la selle et qui, si on le fâche, devient tout rouge et nous soulève par le lobe de l’oreille. Il dirige aussi le Chœur paroissial et sa façon de tirer une sonnette invisible à la fin des chants lui vaut son surnom : le Tram. Baudat a les cheveux lustrés de brillantine, comme Tino Rossi sur ses albums de disque. Le mercredi, c’est l’école des garçons ; quand les filles vont à l’école ménagère apprendre la couture et la cuisine, il nous enseigne la géométrie, l’algèbre et l’instruction civique. Le samedi matin, il nous lit des extraits de Croc-Blanc de Jack London. Il a aussi la fonction de greffier. Deux régents totalement différents, mais qui, à leur manière, façonnent nos racines. Chacun de nous a des souvenirs personnels de cette période d’adolescence. Derrière le collège, une nouvelle et magnifique salle de gym, la Grande Salle, est la fierté du village. On y a même reçu en grande pompe le Président de la Confédération, Paul Chaudet. Elle est au sommet de l’art avec ses grandes fenêtres, son parterre en linoléum, ses espaliers, ses colonnes métalliques coulissantes et ajustables pour les barres fixes, ses anneaux qu’on accroche au plafond; on peut même fixer le cheval d’arçon fermement au sol. Et sa grande scène avec son rideau de théâtre rouge. La Propat, le Chœur Mixte, la Fanfare, y organisent leur soirée annuelle. Un public chaleureux vient admirer les vedettes locales : pour la gym, Willy Marti qui fait la croix de fer aux anneaux et Gilbert Aubert le grand tour à la barre fixe. Pour la « pièce », les acteurs mythiques des Monts : Louis Jordan, Ida Mouron, Fernand et Huguette Cuénod. Ma mère y a chanté, en solo et avec Gentilini, le peintre-ténor du village. Les bals qui s’en suivent mettent nos cœurs d’adolescents à l’épreuve. En été, dans le préau, ces mêmes sociétés organisent les kermesses ; les jeunes fils Pasche et Volet ont inventé un pont de danse en bois qui se monte et se démonte à volonté. Il n’y a plus qu’à inviter Pintozze et son accordéon, faire tourner la roue à pain de sucre, mettre Gugu à la cantine et l’ambiance est à. Tout le monde y met du sien. Mizou encourage les habitants à décorer le village pour recevoir les participants aux fêtes régionales de gym ou de musique. Les enfants se costument pour les cortèges. Le village s’est fait une bonne réputation et les manifestations communales, régionales et cantonales abondent. L’arrivée de Charlie Chaplin ajoute encore une touche de célébrité.

Ici habitait Rémigia, qui a brisé tant de cœur!
Au bas de la Rue Centrale, la modeste Maison de Commune ne peut en aucun point être comparée à l’Administration communale établie aujourd’hui dans les majestueuses anciennes dépendances du Château ! Elle côtoie le pressoir de l’Assoc’, le plus important du village. Il est profond et on descend dans le sous-sol par un imposant escalier de pierre. A l’étage, la « Mère Marguet » vit avec son prince charmant, Banane, infatigable cycliste, toujours avec ses boyaux de vélo croisés sur le dos. Un peu plus haut, le charcutier von Burg a ouvert son nouveau magasin avec une belle vitrine, à côté de chez ma grand-mère. Presqu’en face, le seul horloger du village, Tièche, a son atelier dans son appartement. Toutes ces maisons ont, à l’arrière, un petit jardin avec un clapier ou un poulailler. Plus loin, la petite et toujours souriante Mme Held tient une épicerie qui sera bientôt reprise par Mme Moesching. Derrière la grande fontaine, la serrurerie Mottaz ; son travail ne s’arrête pas aux serrures : portails en fer forgé, magnifiques enseignes, lustres finement travaillés. Jean-Pierre s’est fait une belle réputation dans toute la région. Au coin du sentier de Beau Site habite le notable Alfred Taverney, avec son grand nez violacé et sa moustache gauloise. Sa femme pose sa poitrine opulente sur la fenêtre et sait tout ce qui se passe dans le village. Le sentier, très étroit, mène chez les Villars, Francis (notre Oin-Oin) et ses sœurs qui deviennent de plus en plus jolies en grandissant. De l’autre côté de la rue, la maison cossue des de Palézieux, avec, sur le montant de la porte, une sonnette dorée, toujours bien polie, qui ne demande qu’à être tirée. Ça nous coûte bien quelques punitions !
Derrière leur mur, comme chez les Couvreu, ils vivent dans un monde à part. Pour les coupes de cheveux, chez Germain, le barbier du village ; pêcheur de rivière dans son temps libre, il nous conte ses exploits en égalisant soigneusement nos favoris. Dans le miroir, on peut voir le père Chambaz, sérieux, noir sur son vélo noir, la bible sur son porte-bagage, partir à son boulot chez Obrist, sous la carrière, au bas de Meruz. On voit aussi passer notre facteur Groux qui pousse sa charrette ; une sacoche ne suffit pas pour tout le courrier du village, c’est pas encore midi et déjà sa casquette est sur Soleure. Chez le vigneron Reymond, une magnifique glycine embellit la façade, au-dessus de la porte du pressoir. C’est là aussi qu’habite Rémigia qui a brisé tant de cœurs en repartant en Italie. Ensuite, l’épicerie de Mzelle Nicklaus, une caverne d’Ali Baba : rouleaux de réglisse, sucre candi, caramels de toutes les couleurs dans de gros bocaux. Il y fait sombre, mais il y a des trésors dans tous les recoins. Nos ménagères y trouvent aussi tout ce qu’il faut.
Encore deux pressoirs de plus dans le quartier, chez Bonjour, et chez Jules Gras. Après les vendanges, ça sent le marc et la piquette. Les deux cultivent les vignes à Obrist. Jules Gras est un tireur d’élite, couvert de décorations. Il revient des Abbayes et des fêtes de tir avec son mousqueton, le torse bombé, vaillant disciple de Guillaume Tell. Il met longtemps à se dégonfler. Pour faire un peu d’argent de poche, on s’inscrit au stand de tir à Gilamont, comme « secrétaire », pour noter les scores ou comme « marqueur » sous les cibles, pour indiquer avec une palette où la cartouche avait pénétré, ou l’agiter vigoureusement pour une « pendule ».
En partant plus haut, plusieurs maisons attachées les unes aux autres font l’angle avec la Rue du Collège. C’est un nid de vieilles filles. S’il y a beaucoup de pressoirs dans le village, il y a autant de vieilles filles. L’un est-il la raison de l’autre ? Un problème bien vaudois. Tout droit on entre dans le sentier de la Condémine, et en passant devant chez Rimet, on peut continuer sur Nant, Bon Vallon, ou Riant Mont ; mais j’ai fini mon tour du village… ■
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