L'Inédit

par notreHistoire


Visite Royale

Coll. J. Blaser/notreHistoire.ch

Le 30 avril 1980, la reine Elisabeth II d’Angleterre fait les honneurs d’une visite officielle au Palais de Beaulieu à Lausanne. A cette occasion, plusieurs centaines de personnes composant la colonie britannique en Suisse sont invitées à une réception. La tournée de la reine comprend un déjeuner au château de Chillon et un cocktail à l’English Speaking Club de l’avenue Dapples. Au passage, le journal 24 heures se permet d’ironiser sur le chapeau de la souveraine, orné de papillons artificiels.

La porte par laquelle sort la délégation appartient à la façade principale du Palais de Rumine. Cette façade de béton est construite en 1939 par l’architecte Charles Braun dans le style néoclassique monumental très en vogue dans les années 1930, à l’instar de Palais de Chaillot, à Paris. Avant l’installation de la foire annuelle du Comptoir suisse à Beaulieu en 1920, dont le Palais est le siège principal, le site faisait partie du domaine du même nom. Le château de Beaulieu, qui abrite aujourd’hui le Musée de l’art brut, se trouve en contrebas. Le terrain est racheté par la Ville en 1860 pour servir de place d’armes et de champ de manœuvres, l’esplanade de Montbenon s’avérant trop étriquée pour ce type d’exercice. La construction de la caserne de Lausanne en 1882 un peu plus haut, à la Pontaise, confirme la vocation militaire du lieu.

En 1920, l’architecte Charles Braun dirige déjà la construction d’une première halle en dur, faite de grands cintres en béton armé. Autour de cette halle centrale, s’agglutinent progressivement de nouveaux équipements : grand restaurant, halle des fêtes, bâtiment administratif et théâtre. Braun, architecte attitré du Comptoir suisse, en assume la réalisation jusqu’à sa mort en 1946. Les architectes Charles Thévenaz et son fils Charles-François prennent alors la relève. Au-dessus de chaque porte est indiquée une des différentes fonctions du bâtiment : salle de bal, grill-room, théâtre, etc. Les candélabres de part et d’autre de chaque porte ont aujourd’hui disparu. La photo ne permet pas de voir à gauche et à droite de la façade deux grandes statues de béton, dressées par le sculpteur Casimir Reymond en 1954 et représentant l’agriculture et l’industrie dans un style presque stalinien.

La mort du Comptoir suisse a été déclarée en 2019. Le site est aujourd’hui en pleine transformation. Le théâtre, une des plus grandes salles de Suisse, est en train de subir une rénovation complète. L’intérieur de Palais a été presque entièrement vidé ou reconstruit, ne conservant que sa façade monumentale. God save Beaulieu! ■

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Marcel Cotting

Marcel Cotting a pris la succession de son père au Café des Chemins de fer, à Fribourg, faisant de ce lieu une institution populaire.

Photo Alain Wicht, coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

Non loin de la gare de Fribourg, des ensembles résidentiels ont poussé de part et d’autre du passage du Cardinal. Face à son débouché, les archéologues des siècles futurs ne risquent pas de découvrir les vestiges du Café des Chemins de fer, mais le souvenir reste vivant.

La mémoire des cafés remplit des bibliothèques, parce que les écrivains – piliers de ces établissements – ont érigé l’éloge du bistrot en genre littéraire. Les peintres ont si bien contribué à l’entreprise d’immortalisation que le bistrot est devenu lui-même œuvre d’art, objet culturel, et matière à expositions. La dernière en date, close le 17 mars 2019 au Musée d’art et d’histoire Fribourg, rappelait opportunément la fonction des cafés : c’est « une soif de société » qu’ils étanchent.

On le ressent d’autant plus douloureusement que les cafés ont connu une véritable décimation, à Fribourg, dans les quartiers historiques de la Basse-Ville et du Bourg. Dans la ville haute et les quartiers modernes, ceux où les voisins composent un fond de clientèle consistant ne se comptent plus que sur les doigts d’une seule main. Du moins sont-ils encore debout. Le Café des Chemins de fer, lui, ne vit plus que dans les têtes, où il résume une tranche d’histoire urbaine – celle qu’il concentra entre les décennies 1920 et 1970, quand il polarisait en bonne partie le quartier de Pérolles.

Coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

L’odeur des fabriques

Celui-ci, né à la belle Epoque, avait au milieu du siècle ajouté à sa population bourgeoise originelle une dense classe moyenne de fonctionnaires et commerçants, artisans et petits patrons, sur un socle ouvrier résistant. Les usines s’y mêlaient encore aux habitations. L’industrie longeait la voie de chemin de fer, et plus on s’éloignait de la gare, plus elle devenait hégémonique. Les fabriques se reconnaissaient à l’odeur : chocolat, fonderie, bière, patates. Dans les propos quotidiens, leurs raisons sociales obéissaient à un code familier; on bossait au Cardoche (la brasserie du Cardinal), aux Cartonnages (l’Industrielle, ou Cafag), aux Flocons (la Fédération des syndicats agricoles produisait des aliment pour le bétail). Le Café des Chemins de fer ralliait à heures fixes beaucoup de ces travailleurs – l’écriture inclusive n’est pas de mise ici, car les femmes ne fréquentaient pas les bistrots, du moins pas seules. Le Fribourg de l’immédiat après-guerre gardait aussi une forte proximité au monde rural. On y croisait autant de tracteurs que de camions. A moins de cent mètres du café, sur la droite, opérait le marchand de bétail Geissmann; à la même distance, du côté opposé, s’étendait le champ de foire. Le café offrait à celui-ci une sorte d’annexe, terrain vague en bordure de rue où les paysans attachaient à une barre de fer les bovins qu’ils venaient d’acheter. Tout cela, bien sûr, a disparu.

Louis Cotting a tenu le Café des Chemins de fer durant quatre décennies.

Coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

Louis Cotting (1882-1966) avait racheté le bistrot en 1923, imperturbable en dépit des sarcasmes sous le bonnet brodé qu’il ne quittait que pour dormir : « Tu n’auras jamais personne, c’est trop loin de la gare. » Presque trente ans plus tard, quand il laissa les rênes à son fils Marcel (1921-1988), le bistrot ne désemplissait pas de la journée. En vingt ans, Marcel en fit une véritable institution, tout en acquérant la stature d’un patron légendaire, à la bonne humeur inaltérable. Il gérait son établissement avec un doigté musical, réglant les entrées et mouvements de la clientèle comme un chef d’orchestre ceux de ses registres.

Moyennant quoi le Café des Chemins de fer intégra sans douleur les changements du quartier, parce que toutes les générations et les milieux sociaux s’y côtoyaient ou s’y relayaient, mais aussi parce qu’il s’enrichissait des apports les plus improbables. Les étudiants américains de la Villa Saint-Jean, par exemple, qui y passaient autant d’heures qu’à leurs cours, introduisirent le self-service au bar sans perturber le travail des sommelières, et le rock’n’roll au juke-box sans exclure le yodel aimé du patron, qu’ils appelaient « Mââârcel », of course. ■   

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L'indépendance du Jura

Coll. archives de la RTS/notreHistoire.ch

Victoire. Passion. Succès. Au balcon de l’Hôtel de Ville de Delémont, François Lachat ne boude pas son plaisir et use de mots forts pour s’adresser à une foule en liesse agitant d’innombrables drapeaux rouges et blancs. Les couleurs jurassiennes sont à l’honneur. En ce mémorable dimanche de votation fédérale du 24 septembre 1978, le peuple suisse vient en effet d’accepter la constitution du nouveau canton du Jura, avec des scores parfois stratosphériques (82,3%). Et puis, il faut bien admettre que l’indépendance de la petite république en devenir sonne comme un soulagement à travers tout le pays, après des décennies de lutte, de déchirement. D’attentats, aussi.

La RTS filme la proclamation des résultats de la votation fédérale annoncés par François Lachat, le 24 septembre 1978

Coll. archives de la RTS/notreHistoire.ch

Les racines contemporaines du conflit sont à chercher en l’an de trouble 1947, alors que le Jura n’est encore qu’une contrée francophone intégrée au vaste canton de Berne, très majoritairement alémanique. Cette année-là, le conseiller d’État Georges Moeckli n’obtient pas la Direction des travaux publics. Cet échec personnel aurait pu rester une anecdote sans grand intérêt pour la postérité. C’était sans compter le motif invoqué pour justifier ce refus : la langue maternelle de l’homme politique, qui se trouve être le français. Le scandale ne tarde pas à éclater.

La résistance contre Berne s’organise

Aussitôt s’organise la résistance face à ce crime de lèse-minorité. Certains Jurassiens y voient une preuve du mépris affiché à l’égard de leur région et de leur culture. François Lachat sera de ceux qui en appelleront à l’indépendance. Il participe ainsi à la fondation du Mouvement universitaire jurassien. Pourtant, le combat s’enlise. Les francophones sont bien plus divisés sur la question que ne le prétendent certains dirigeants des groupes dits « séparatistes ».

Et comme la liberté tarde venir, une poignée d’extrémistes sèment la terreur dans les années 1960 : incendies criminels, attentat à l’explosif dans les locaux d’une banque, sabotage d’une ligne de chemin de fer. Au début de la décennie suivante, dans une volonté d’apaiser les esprits, décision est prise d’organiser un scrutin dans le Jura. Les citoyens des districts francophones s’expriment donc le 23 juin 1974 sur la question de l’indépendance. A une courte majorité, le projet est accepté. Mais les districts du sud s’y opposent et choisiront de demeurer au sein du canton de Berne. Le Jura est coupé en deux.

Jusqu’au Québec

Alors, lorsque les Suisses entérinent la constitution du Jura quelques années plus tard, les séparatistes retrouvent un peu de baume au cœur.  La fièvre de la victoire aurait pu s’arrêter aux frontières du nouveau canton. Et pourtant, outre-Atlantique, d’autres indépendantistes bondissent de joie à l’annonce de la nouvelle : les membres du Parti québécois, qui rêvent de faire de leur province un pays souverain, applaudissent et félicitent sans attendre leurs cousins idéologiques. N’y voient-ils pas une promesse de parvenir à leurs fins ? Hélas pour eux, ils ne connaîtront pas le même succès : deux ans après l’ivresse jurassienne, les Québécois refuseront sèchement l’indépendance. Autres lieux, autres mœurs.

Le journal bernois Berner Nachrichten sera pour sa part moins enthousiaste. Extrait choisi : « Qu’il le veuille ou non, le nouvel État devra faire l’expérience que les problèmes quotidiens sont plus durs à supporter quand il faut les résoudre soi-même, que la réalité d’une part, et l’idéalisme qui caractérise la Constitution jurassienne de l’autre sont deux choses très différentes… » Les plus narquois diront qu’il s’agit-là du dernier grognement d’un ours bernois revanchard.

Quant aux mots prononcés par François Lachat au soir de la victoire, ils résonnent désormais étrangement, quarante ans après la création du nouveau canton : « Plus aucune entrave de nature formelle ne pourra désormais freiner l’essor de cet État que les Jurassiennes et les Jurassiens ont voulu avec passion et pour lequel ils ont lutté ». Depuis le cafouillage du vote organisé à Moutier en 2017, la réunification tant attendue semble bien en peine de se produire. La machine est-elle grippée pour de bon ou la question jurassienne connaîtra-t-elle de nouveaux rebondissements ? Affaire à suivre. ■

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La question jurassienne, 1964-1974, une série d’archives de la RTS

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Chez le photographe.

Coll. J.-G. Mallet/notreHistoire.ch

La photographie existait-elle à l’époque médiévale, comme cette image aimerait nous le faire croire ? Les personnages sont-ils endormis par un sortilège digne d’un conte de fées ? Que signifie donc cette esquisse de sourire sur le visage du petit marmiton au premier plan ?

Nous sommes en fait dans le studio du photographe A. Fontaine à Saint-Maurice, en 1890, et la famille venue se faire portraiturer ne manque pas de caractère ! Si les membres de la famille ferment tous les yeux, ce n’est pas en raison d’un temps de pose trop long. La technique photographique avait déjà fait suffisamment de progrès pour éviter tout souci de cet ordre dans un portrait. C’est donc purement intentionnel. Mais quelle est cette mascarade ?

A la fin du XIXe siècle, le pictorialisme est en vogue. Ce mouvement avait pour ambition de déployer et faire reconnaître le potentiel artistique de la photographie. Il s’inspirait de la mode du tableau vivant, des préraphaélites, de la littérature et de la peinture, et recourait à des explorations stylistiques telles que le flou ou le photomontage.

Cette famille et son photographe de Saint-Maurice s’inscrivent vraisemblablement dans cette vogue. On peut aussi raisonnablement supposer qu’ils ont puisé pour leur mise en scène dans le conte de la Belle au Bois Dormant, de par le choix du décor, des costumes, des poses, et bien sûr du sommeil feint. Les personnages endormis, ou yeux fermés, ne sont d’ailleurs pas rares chez les préraphaélites et autres pictorialistes. Le conte de la Belle au Bois Dormant a même inspiré exactement à la même époque que notre famille de Saint-Maurice le peintre anglais Edward Burne-Jones pour sa série de toiles The Briar Rose. Le photographe A. Fontaine en aurait-il vu une reproduction dans une revue ?

Seul le père, ou plutôt le prince, figé dans une attitude d’étonnement, semble avoir les yeux ouverts. Peut-être joue-t-il le moment où il découvre sa femme, ou plutôt la princesse, et s’apprête à l’embrasser pour la réveiller ! Cette trame narrative est un des ressorts artistiques majeurs expérimentés par les photographes pictorialistes.

La photographie et la fiction

Pourtant, ce n’était pas gagné. En effet, à partir de son invention officielle en 1839, la photographie est avant tout perçue comme le meilleur moyen d’enregistrer fidèlement la réalité. C’est en soi une révolution technique majeure. Mais c’est aussi un écueil pour ce nouveau médium : la photographie peut-elle aussi être un art ? Cette question taraudera l’histoire de la photographie jusqu’à la fin du XXe siècle et reste même encore ouverte pour quelques perplexes. Cette image de 1890 est bien la démonstration que la photographie, comme tous les autres médiums artistiques, recèle un potentiel fictionnel, d’autant plus puissant qu’elle est également la maîtresse d’une documentation objective du réel. ■

Références

1. Sur l’histoire de la photographie : L’art de la photographie des origines à nos jours, sous la direction d’André Gunthert et Michel Poivert, Paris, Citadelles et Mazenod, 2007
2. Sur la série pictorale de Burne-Jones: voir ce lien

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Voir la délicieuse galerie des portraits réalisés chez le photographe

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