L’arrêt automatique du réacteur (scram) de la petite Centrale nucléaire de Lucens, le 21 janvier 1969, mettait une fin brutale, mais définitive, à cette installation en caverne. Elle avait produit pour la première fois en Suisse du courant électrique d’origine nucléaire sur le réseau interconnecté de la Compagnie vaudoise d’électricité, comme elle se nommait à cette époque (aujourd’hui Romande Energie), cela en date du 21 janvier 1968.
Tout avait pourtant bien commencé et les premiers essais de physique du réacteur, le 29 décembre 1967, chargé avec ses premières barres d’uranium, avait démontré le bien-fondé de cette conception et de cette filière typiquement suisse. Il s’agissait en effet d’un réacteur dont l’eau lourde (D²O) était le modérateur des neutrons émis par la fission. Les 73 éléments d’uranium 235 étaient individuellement refroidis par un gaz caloporteur, le CO². Ce dernier, à environ 380 °C., était ensuite dirigé par deux soufflantes dans les deux échangeurs de chaleur qui, produisant la vapeur d’eau, actionnaient une turbine à vapeur conventionnelle et son turbo-générateur accouplé en bout d’arbre.
Une teneur en humidité trop élevée
Ces deux grandes soufflantes à axe vertical, qui assuraient ainsi la circulation forcée du gaz carbonique dans chacun des 73 éléments logés leur « tube de force », fonctionnaient normalement, mais la teneur en humidité du gaz (en ppm) était légèrement trop élevée. Cette humidité provenait d’une défectuosité des joints de barrage rotatifs au bas de ces soufflantes: ils n’étaient pas absolument étanches. De l’eau s’était accumulée au pied de certains tubes de force. Elle a empêché, lors d’un redémarrage, la circulation du gaz carbonique dans tous les tubes de force et c’est elle qui a provoqué la corrosion des gainages des éléments d’uranium, puis la fusion de quelques kilos d’uranium de l’élément No 59 en particulier.
Ces joints rotatifs des soufflantes avaient déjà fait l’objet d’améliorations de la part du constructeur, mais ils demeuraient un souci permanent de l’équipe d’exploitation, cela surtout après une première marche d’endurance. Il faut peut-être préciser ici que, dans les filières actuelles à eau bouillante et à eau pressurisée, le combustible (uranium) est gainé avec une enveloppe en acier inoxydable résistante à l’eau. Ce n’était pas le cas à Lucens, car les ailettes des gainages qui entouraient les barreaux d’uranium étaient en magnésium.
Ces ailettes furent soumises à l’action corrosive de ces résidus d’eau dans le gaz carbonique. Certains canaux de circulation furent ainsi obstrués, en particulier au pied de l’élément N° 59 déjà mentionné. Comme ce gaz carbonique destiné au refroidissement ne circulait plus, cet élément a atteint une température anormale de plus de 600° C. Sa gaine en magnésium, ainsi qu’une partie de l’uranium lui-même, entrèrent alors en fusion, en endommageant le tube de force lui-même.
La salle de commande n’est pas avertie
De plus, tous les éléments n’étant pas équipés d’une mesure de température individuelle, la salle de commande ne fut donc pas avertie de cette anomalie dès le début de la prudente montée en puissance du 21 janvier 1969. L’arrêt automatique du réacteur se produisit quelques fractions de secondes après la rupture du tube de force No 59, déclenché par la brusque perte de pression du circuit du gaz carbonique caloporteur, tandis que tous les instruments de surveillance en salle de commande donnaient l’alarme.
Après un bref instant de surprise bien compréhensible, l’ingénieur de quart et son équipe prirent toutes les mesures nécessaires pour garder le contrôle des installations et de leur refroidissement, alertèrent les autorités fédérales et cantonales. Ils procédèrent aux premières investigations, ainsi qu’à la récupération de l’eau lourde du modérateur, dont la cuve en alliage d’aluminium avait été endommagée.
Aucune réparation possible, il faut démonter le réacteur
Les semaines qui suivirent furent consacrées à d’autres investigations, en particulier sur le système de défournement par le bas, réalisées au moyen d’une petite caméra de télévision improvisée. Elles montrèrent qu’un démontage du réacteur était inéluctable, toute réparation étant jugée impossible. Ce démantèlement fut une première en Suisse. Il s’acheva trois années plus tard, en 1972-1973. Le bon niveau de formation du personnel demeuré sur place a grandement facilité ces importants travaux. Le démantèlement de la Centrale nucléaire de Mühleberg, actuellement en cours dès le 20 décembre 2019, n’est donc pas une « première » en Suisse, bien que sa puissance en MWe était 150 fois plus grande.
A Lucens, ces travaux se sont déroulés sans accident, ni irradiation ou contamination de personnes ou atteintes à l’environnement, contrairement aux rumeurs qui circulent encore parfois dans la région. Le site, complètement dénucléarisé, est devenu aujourd’hui un dépôt souterrain géré par les Archives cantonales vaudoises (DABC) pour des objets précieux de nos musées. ■
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Lorsque j’habitais à Paris, je participais presque chaque semaine aux deux randonnées en rollers des vendredi soir (niveau confirmé) et dimanche après-midi (tous niveaux). Ces randonnées comptent parmi les rares choses qui m’ont manqué en venant habiter en Suisse. Il me reste la sensation euphorisante de prendre possession de la ville, tout trafic bloqué pour laisser passer le cortège de centaines, voire de milliers de patineuses et de patineurs de tous âges et de tous milieux. Il me reste la sensation humainement si rassurante d’être un petit élément faisant partie d’un grand tout, filant comme des flèches dans le même effort, levant ensemble les bras pour indiquer d’aller à droite, à gauche, de ralentir pour cause d’obstacle ou de personne ayant chuté. Je n’oublierai jamais le sentiment de privilège et de victoire lorsque nous avons descendu les Champs-Elysées ou lorsque nous avons fait une pause à l’intérieur du Grand Palais!
À Lausanne, j’ai entendu parler plusieurs fois des descentes de la ville en rollers dans les années 1990. Je ne pense pas avoir l’audace de m’y essayer un jour, mais j’ai beaucoup d’admiration pour les doux dingues qui s’y risquaient et s’y risquent sans doute encore. Voici mon enquête sur l’époque où Lausanne était une capitale du roller.
Le quad et starway pour une nouvelle culture urbaine
Dans les années 1980, la glisse urbaine est en vogue. Les petites roues des skates et des patins usent le bitume des villes suisses, comme de toutes les métropoles européennes et américaines. Lausanne et Genève deviennent de hauts lieux de la glisse et du quad en particulier, c’est-à-dire les patins aux roues disposées en carré. Mais savez-vous que le patin à roulette aurait été inventé par un Belge en 1760 ? Il ressemblait au roller inline que nous connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire un patin avec les quatre roues alignées dans l’axe, à l’instar de la lame du patin à glace qu’il était d’ailleurs destiné à remplacer durant la saison estivale. C’est un siècle plus tard, en 1863, que le quad est inventé, par un Américain cette fois.
Pourquoi un tel engouement à la fin du XXe siècle ? Techniquement, on peut l’attribuer à l’invention des roues en polyuréthane, permettant une glisse plus agréable, sûre et variée, en quad comme en inline, ainsi qu’en skate d’ailleurs. Socialement, c’est la diffusion de la culture urbaine et populaire des Etats-Unis couplée à la production industrielle qui assurent le succès de la glisse urbaine.
Mais cela
ne suffit pas à tout expliquer. Une jeune fille nous donne une piste dans
l’émission Un jour une heure du 17 avril 1980 : « On arrive à
remarquer qu’on est quelqu’un. » Les jeunes, adeptes du patin ou non, se
retrouvent tous dans ce désir : avoir l’impression d’exister. Différemment,
peut-être. En patins, il s’agit d’étonner les passants, de se défouler sans
complexe, d’aller plus vite et plus loin que tout le monde, bref de s’éprendre
de la liberté.
Une autre jeune fille témoigne dans le même reportage : « C’est le moteur alternatif, je trouve. On n’est pas une voiture et on ne pollue pas l’air. Il y aura moins de voitures quand tout le monde fera ça. » Notons l’avant-goût de conscience écologique, bien avant les manifestations des jeunes pour le climat, et une autre caractéristique de l’esprit du patin qui rassemble les jeunes quelle que soit l’époque : la pensée alternative, le questionnement des limites et des conventions.
Les rollers avant la trotinnette!
Mon
compagnon, patineur depuis 1990, m’a raconté qu’à l’époque, les patins Starway
étaient incontournables sur l’arc lémanique, notamment pour ses roues baptisées
« Kryptonics » et surnommées par les aficionados « les
Kryptos ». Tout le monde avait des Starway, m’assure-t-il : c’étaient
les meilleurs patins ! Il en a d’ailleurs toujours une paire.
Basée à Saint-Légier dans les hauts de Vevey, la société Starway fabrique depuis 1987 des patins. Guy Kramer m’explique que sa société produisait à l’époque 20’000 paires par an, écoulées majoritairement en Suisse romande. Aujourd’hui bien sûr, ce n’est plus l’effervescence des années 1980 où l’engouement pour le patin touchait même le domaine de la restauration ! Au restaurant branché Rollerball à Genève, les serveurs ne faisaient pas le service en baskets mais bien en patins. Guy Kramer, amoureux de l’esprit sportif, me raconte aussi au téléphone, la voix pleine de sourire, la belle ambiance qui régnait dans le milieu du patin et ses quelques exploits de l’époque accomplis pour le pur plaisir, comme la traversée de la Suisse. Aujourd’hui, c’est la trottinette qui devance en popularité et en part de marché les skates et les patins. À la surprise générale du milieu, avoue Guy Kramer. Starway est toujours en activité, à plus petite échelle, et continue de prendre les commandes de celles et ceux qui n’ont pas succombé à l’appel du inline, préférant rester fidèles au quad.
Le inline et Ivano l’intrépide Lausannois
Les années 1990 voient en effet l’essor d’un nouveau type de glisse : le roller inline. Le vocable anglais roller (abréviation de roller skating) se popularise à côté du terme français patin. Et Lausanne devient la capitale romande du roller. Ouchy est le point de rassemblement de la crème des patineurs. C’est là que les intrépides en mettent plein la vue avec des figures plus osées les unes que les autres. C’est là que toutes les réputations se font.
Lausanne accueille également des compétitions, par exemple la première édition du International Roller Contest qui fait de Vidy le « Woodstock du patinage » selon le journaliste Bernard Heimo dans ce reportage de 1994. Il résume d’ailleurs très bien les raisons de la popularité du roller : c’est aussi bien un sport de famille qu’un sport extrême, donc il y en a pour tous les goûts, et surtout c’est « un état d’esprit, une façon de vivre ».
Une façon de vivre, exactement : c’est ce qui transparaît tout au long de ce beau reportage pour l’émission Tell Quell en 1994 dans lequel les rebelles deviennent des héros, au premier chef l’attachant Ivano Gagliardo. Car c’est encore autre chose qu’une compétition qui fera de Lausanne un lieu mythique du roller dans les années 1990 : les descentes à toute berzingue depuis les hauts de la ville jusqu’au bord du lac. Ivano Gagliardo en est le meneur, suivi à la trace par une dizaine de jeunes. Il faut le regarder, le bienveillant Ivano, faire signe aux voitures de ralentir et inviter sa clique à la prudence aux passages critiques. Il faut les regarder, ces patineurs volant sur le bitume, faire la nique aux voitures, chercher la vitesse et rajouter quelques cabrioles. Il faut les regarder pour sentir une irrépressible envie de liberté nous envahir et nous flanquer des petites roues dans le cœur pour le reste de la journée !
Un esprit de famille
Les
descentes lausannoises regroupent alors des personnes de tous horizons, sans
aucune discrimination. Le reportage de 1994 montre bien cette mixité sociale en
choisissant de faire le portrait d’Ivano Gagliardo, ouvrier moquetteur, et de
son ami David, licencié en biologie de l’EPFL. L’écrivaine lausannoise Claire
Genoux, qui a participé à ces folles équipées, me le confirme aussi : « Il
y avait peu de filles par exemple, mais nous étions très bien accueillies et immédiatement
acceptées, nous formions une famille. » Cet esprit était même typique du
milieu du roller en général où il régnait une ambiance d’entraide plus que de
compétition, et ce même au sein des compétitions.
Claire Genoux précise qu’il y avait aussi une composante de marginalité dans cette petite communauté, d’opposition à l’ordre établi, même si c’était sans agressivité. Cela confirme ce que décrit Ivano dans le reportage : « Quand on est en patins, on a l’impression que tout le monde sait qu’on existe. Le patineur provoque, mais il aimerait se faire accepter. » Il suscite l’émerveillement, le choc, la jalousie… mais finalement, il nous interroge sur notre propre désir de liberté. L’amie d’Ivano, hôtesse de l’air de profession, évoque ainsi le sentiment qui l’envahit à regarder son cher patineur : « C’est un petit bout de rêve dans la journée. C’est comme si un danseur de ballet allait faire quelques pas de danse au milieu de la route. C’est beau. »
La ligne 5 pour remonter jusqu’à Epalinges
Se confronter à soi-même, à la ville, à la vie : voilà en fait le véritable enjeu des descentes, plus que le shoot d’adrénaline. Comme le dit Ivano : « Ça nous fortifie de savoir qu’on peut prendre des risques et être chaque fois à la hauteur de ces risques. » Mais chacun selon ses capacités. Claire Genoux mentionne par exemple qu’il y avait les prudents empruntant la ligne 5 du bus pour remonter en direction d’Epalinges et puis les téméraires qui se faisaient tracter par les véhicules, à l’instar des frères Lenoir, Luc surnommé « le patron » et David qui gère aujourd’hui le skatepark de Sévelin. Et si la réussite est au rendez-vous en bas de chaque descente, pourquoi ne serait-elle pas au rendez-vous d’autres défis ? Le tremplin est peut-être le même pour sauter en rollers et dans la vie.
La topographie de Lausanne limite fortement l’organisation de randonnées longues et tous niveaux. Le groupe autogéré de patineurs des années 1990 ne s’est jamais institutionnalisé pour cette raison, mais surtout parce que personne ne voulait fédérer et gérer un grand groupe. Même si certains sont restés en contact, le groupe a donc fini par se disperser.
Mais dans d’autres villes du monde, des randonnées en rollers de plusieurs heures, dans un environnement plus plat permettant d’aligner les kilomètres, sont devenues des traditions hebdomadaires, notamment à Paris depuis le milieu des années 1990 avec deux associations organisatrices (Rollers & Coquillages et Pari-Roller). Plusieurs villes suisses, dont Genève, organisent également des randonnées qui ont lieu le lundi soir de mai à septembre. Découvrir la ville autrement, laisser les soucis quotidiens sur le trottoir, faire partie d’une communauté bienveillante : qui ne serait pas grisé par l’expérience ? Pour moi qui suis nostalgique des randonnées parisiennes, regarder Ivano descendre Lausanne avec tant d’élégance et de légèreté me donne immanquablement des frissons de plaisir. C’est décidé : dès que Genève organise une rando, je rechausse mes rollers ! ■
Jean-Jacques Lagrange, un des fondateurs de la RTS, fait revivre dans cette série consacrée à l’histoire de la Télévision les premières heures de ce média qui va transformer la société des années 1960. Son premier article mettait en lumière le système D des pionniers genevois, leur vision, et le soutien des autorités. Après quelques mois de préparation, ils se lancent.Nous sommes en janvier 1954.
Tout le monde parle de télévision mais personne ne l’a jamais vue, ce qui va changer avec la naissance de la Télévision Genevoise. Son lancement officiel est organisé au Palais Eynard devant tout le gratin politique de Genève, de Suisse romande et les pontes des P.T.T et de la SSR. Le télécinéma 16mm Radio-Industrie a été installé dans un local adjoint à celui de l’émetteur qui envoie l’image et le son depuis la tour tubulaire de l’Institut de physique, avec vue directe sur le Palais Eynard où un poste TV est installé.
Dans l’après-midi une répétition
est faite… et crac ! L’émetteur son tombe en panne ! Panique vite maîtrisée :
des techniciens radio tendent une ligne son du bâtiment de l’Institut de
physique par-dessus la rue des Bains jusqu’au central de Radio-Genève où
aboutissent les lignes fixes pour l’Université. De l’Uni, une ligne est tirée
sur les arbres du Parc des Bastions pour atteindre le Palais Eynard où deux
haut-parleurs sont cachés derrière des rideaux. Le soir, ni vu ni connu,
l’émission passe comme une lettre à la poste.
C’est la sensation : pour la première fois les invités voient sur un écran TV un vrai programme de télévision qui met en valeur les atouts de Genève et montre les possibilités de ce nouveau média.
« Notre télévision s’ouvre à l’espérance »
Au cours de cette cérémonie de lancement de la Télévision Genevoise, le maire de la ville, Albert Dussoix, prononce une allocution véritablement prospective sur l’avenir de la télévision dans la cité et en Suisse. En voici les principaux extraits :
« Loin de nous la pensée d’avoir voulu faire concurrence au poste émetteur officiel de Zurich. Mais Genève, que nous avons promis de servir de toutes nos forces et qui a droit à notre premier élan, ne pouvait demeurer à l’écart de cette tentative nouvelle d’information rapide et de diffusion des idées(…)
Nous ne sommes qu’à une période d’essais et il faudra plusieurs mois encore pour mettre au point nos installations et pouvoir offrir à nos concitoyens toutes les satisfactions qu’ils espèrent retirer de votre action. Pour l’instant notre « télévision » s’ouvre à l’espérance et les sympathies actives qu’elle rencontre sont un heureux présage. Nous espérons de tout notre cœur que la télévision genevoise contribuera au développement de la télévision suisse, qu’elle répandra rapidement les bienfaits de la science et permettra également de faire connaître les événements du jour (…)
Un poste émetteur tel que celui de Genève doit faire connaître notre actualité : il contribuera à mettre l’accent sur l’existence et la nécessité de notre culture latine au sein de notre communauté nationale. Sur le plan international, il répondra aux besoins des organisations internationales qui ont leur siège sur notre territoire, en mettant à leur disposition ce nouveau moyen d’expression qu’elles réclament depuis longtemps déjà.Il n’est pas dans notre idée que Genève soit, par la suite, une station de télévision complètement indépendante. Nous sommes persuadés que le développement de la télévision se fera d’ailleurs sur le plan des échanges entre nations.
Permettez-moi, en terminant, d’adresser mes vives et sincères félicitations à tous ceux – professeurs, ingénieurs, techniciens, ouvriers de l’Institut de physique, ainsi qu’aux animateurs du Centre de Mon Repos – qui ont fait et poursuivent un magnifique effort en vue de permettre un rapide départ de la télévision genevoise avec des appareils encore incomplets par suite de retards de livraison.
Grâce à leur activité incessante, et grâce à l’appui et la compréhension de nous espérons rencontrer encore auprès des P.T.T et de la Société Suisse de Radiodiffusion, nous serons ainsi en mesure d’apporter notre contribution au développement de la Télévision dans notre pays, pour le plus grand bien de Genève et de la Suisse tout entière. »
Lancement d’un programme régulier
Mais René Schenker et Albert Dussoix en veulent plus. La Ville vote un crédit spécial pour des émissions hebdomadaires à partir du début mars, à l’occasion du Salon de l’Auto, programme qui va continuer jusqu’aux vacances d’été. Ce qui veut dire que l’équipe de Mon Repos se lance dans une production régulière de sujets d’actualité, de sport, de petits reportages ou documentaires tout en continuant le travail journalier à Radio-Genève ! Robert Ehrler et Edouard Brunet sont « détachés » des tâches radio pour pouvoir se consacrer à 100% à faire des films et à entretenir la technique du studio.
De nouveaux collaborateurs viennent compléter le Groupe de Mon Repos : Lily Boïty, une monteuse de ciné-club amateur, Albert Krähenbuhl, un vieux caméraman documentaire et Roger Bimpage que René Schenker indemnise modestement à la pige. Il y a aussi des bénévoles de la radio comme Georges Milhaud, Georges Marny, Jean-Paul Darmstetter, des comédiens comme Isabelle Villars ou René Habib et Jean-Louis Roy, un gamin en culotte courte mais un fou de cinéma qui a déjà tourné des petits films en super8.
Pour assurer un programme cinq
fois par semaine, la production du Groupe de Mon Repos ne suffit pas et René
Schenker fait la chasse aux films gratuits : CFF, SNCF, Nations Unies, US
Information Service, Office Français du Tourisme !
Le bulletin « bricolé » pour les douze premiers téléspectateurs
Comme la presse n’est pas intéressée à annoncer les programmes de la Télévision Genevoise, René Schenker décide de publier un bulletin hebdomadaire gratuit. Ce sera La boîte à images pour lequel je dessine le logo ainsi que d’autres illustrations gravées dans les stencils (les photocopieuses n’existent pas) qui accompagnent l’éditorial de René Schenker, le programme des émissions de la semaine, des nouvelles sur les productions en cours à Mon Repos et de courtes infos sur la télévision dans le monde glanées dans la presse et dans le bulletin de l’UER.
Chaque jeudi soir, Jacqueline Regamey tape les textes sur stencils en laissant des espaces pour mes petits dessins improvisés sur le champ et le reste de la nuit se passe à tirer, agrafer et mettre sous enveloppe le bulletin qui sera envoyé aux téléspectateurs qui en ont fait la demande.
Car des téléspectateurs, il y en a ! Une douzaine d’abord puis la liste d’adresses s’allonge avec les bistrots qui se dotent d’un poste TV et des privés, une bonne cinquantaine, dont certains téléphonent après l’émission pour dire si la réception technique était bonne. Car l’émetteur est capricieux, surtout le quartz de l’ampli son que les étudiants doivent bricoler chaque jour comme ils doivent laisser entrouverte la porte du local émetteur pour éviter des interférences dans l’image ! C’est vraiment le temps des pionniers qui va se prolonger jusqu’à mi-juin 1954.
Ce bulletin assure un lien entre les rares spectateurs et la Télévision Genevoise. Il est le seul témoin des réactions du public qui s’épanche dans des lettres et téléphones pour féliciter l’équipe de Mon Repos ou pour râler parce que le son ou l’image sont imparfaits. Déjà il y a ceux qui rouspètent car on ne leur a pas proposé tel spectacle ou telle retransmission d’événements qui se passent à Genève. Une impatience qu’il faut calmer en rappelant les moyens modestes de la Télévision Genevoise et les limites techniques de cette TV expérimentale.
Les programmes d’un soir sont exclusivement composés de film 16mm mis bout-à-bout sur une grande bobine avec des annonces de speakerines pré-enregistrées et post-synchronisées. La bobine est ensuite portée à l’Institut de physique où se trouve le Télécinéma 16mm.
Enfin une caméra synchrone !
Il devient urgent de pouvoir enregistrer des annonces en son synchrone pour faciliter la gestion de ces programmes quotidiens. Après de vaines recherches dans les commerces d’appareils photos, je trouve dans le magazine American Cinematographer une caméra professionnelle que René Schenker commande aussitôt. Une photo immortalise la réception de cette première caméra 16mm blimpée son optique Auricon Pro CM71 qui facilite la tâche et permet de faire des reportages avec son sur des bobines de 60 mètres.
La finale de foot piratée !
La tenue en Suisse du championnat du monde de football, en juin 1954, offre des possibilités de populariser la télévision. L’Eurovision naissante va retransmettre les matchs que la TV Suisse débutante à Zurich diffusera sur ses antennes de l’Uetliberg et du Bantiger. La Télévision Genevoise ne fait pas partie de la SSR et de l’UER et il semble difficile d’obtenir des droits de retransmission d’autant plus que les P.T.T ne peuvent pas (ou ne veulent pas?) assurer une liaison hertzienne du Bantiger sur Genève alors qu’ils sont déjà surchargés par les retransmissions des différents stades suisses.
René Schenker obtient pourtant de
pouvoir diffuser en différé les résumés filmés produits chaque jour par la TV Suisse
de Zurich et qui parviennent le lendemain à Genève par poste « hors sac ». La
demande du public est grande comme est frustrante la perspective de ne pas
avoir en direct les demi-finales et la finale.
René Schenker et les techniciens de Mon Repos décident donc de tenter une captation pirate de l’image de l’émetteur italien du Monte Penice que l’on peut capter sur le Salève! Le restaurateur du téléphérique autorise la pose d’une tour tubulaire pour capter l’image de la RAI et la renvoyer sur l’émetteur de la TV Genevoise. C’est ainsi que les spectateurs peuvent voir les images des matches de demi-finale et la finale en direct commentés en studio par Humbert-Louis Bonnardelly. Certes l’image n’est pas très bonne et le son plusieurs fois interrompu. Ces pannes de son sont l’objet d’un petit commentaire dans le bulletin de la « Boîte à image » qu’il est amusant de relever :
…de nombreux spectateurs ont immédiatement pris le son du reportage de Squibbs sur la radio romande. Quelle ne fut pas notre joie d’apprendre, quelques jours plus tard, par Squibbs lui-même, qu’il avait reçu 241 lettres d’auditeurs qui avaient suivi le match à la TV et à la radio simultanément et qui le félicitaient. Vous voyez que le nombre de téléspectateurs est important !
Mon Repos devient donc un vrai studio de diffusion. Une petite caméra sonore Auricon blimpée avec bobines de 30m vient compléter l’Auricon CM71 et ses bobines de 60 m. C’est avec cette Auricon CM71 que William Baer et moi-même filmons des petits sketches en studio avec Isabelle Villars et René Habib. Un essai de théâtre filmé, Le héros et le soldat de G.B. Shaw, est tourné avec une scène du spectacle au Théâtre de Poche. Toutes ces productions sont mises en conserve pour la reprise des émissions en automne. ■
La semaine prochaine la suite de ce récit mettra en avant un nouveau coup d’audace de l’équipe de la Télévision Genevoise.
Pour les membres d’une coopérative agricole lucernoise en voyage à travers la Suisse, l’après-midi s’annonçait stimulant. En ce 24 juin 1968, peu avant 14 heures, le cortège monte à bord de sa prochaine correspondance, en gare de Sion. Le train se met en marche pour emmener les quelque 260 compagnons à Viège, où est prévue la visite d’une usine d’engrais. Malheureusement, le destin en décide autrement : en sens inverse, un convoi de marchandises brûle un feu rouge.
Non loin du chef-lieu valaisan, le choc frontal provoque un accident ferroviaire d’une ampleur rare dans le pays : la collision fait treize morts et plus d’une centaine de blessés. Les campagnes lucernoises seront particulièrement endeuillées par la tragédie, puisque la plupart des personnes décédées vivaient dans le village de Pfaffnau. Sur le lieu du drame, les secours s’activent de longues heures pour venir en aide aux victimes, dont certaines se retrouvent bloquées dans des wagons gravement endommagés, renversés sur le côté. Mais que s’est-il passé ? S’agit-il d’un problème technique ? D’une erreur humaine ? L’enquête penchera plus tard pour la seconde hypothèse.
Le lendemain, le président du Grand Conseil valaisan, Innozenz Lehner, témoigne de sa compassion lors de l’ouverture de la séance du jour : « La Haute Assemblée profondément attristée s’associe aux chagrins des familles lucernoises, à celles de Brigue et de Renens. Elle souhaite un prompt rétablissement aux personnes blessées. Que Dieu nous préserve dorénavant de telles catastrophes. »
Hélas, moins d’une semaine plus tard, un autre accident survenait, près de Lyon cette fois-ci. Un train déraille, faisant plusieurs morts et des dizaines de blessés.
Les actualités de la Télévision Suisse Romande filment les premières heures des secours. Images spectaculaires pour les téléspectateurs: les sauveteurs s’activent, sortent des blessés par les fenêtres des wagons couchés sur la voie. De telles images, en longues séquences, avec les portraits des victimes et les actions des secours, ne seraient certainement plus diffusées de cette manière aujourd’hui. Quant au son de ce document, il est manquant. A l’époque, pour certaines émissions, les commentaires écrits par les journalistes étaient lus depuis une cabine, en direct lors de la diffusion. Il se peut aussi que la bande-son ait été irrémédiablement endommagé. Ne restent aujourd’hui que ces images, d’autant plus impressionnantes qu’elles sont à jamais silencieuses. ■
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