L'Inédit

par notreHistoire


Championnat du monde 1930 à Caux

Coll. C. Gerber/notreHistoire.ch

A Caux, sur les hauts de Montreux, au cours de l’hiver 1909, une piste de luge parmi les plus longues de l’époque est aménagée. Une distraction qui n’a pas son pareil. Et puis, la vue sur le Léman est imprenable. Le panorama semble d’ailleurs séduire loin à la ronde, tant et si bien que les championnats du monde de bobsleigh se déroulent à Caux les 25 et 26 janvier 1930.

Pourtant, quelques jours avant le début de la compétition, les organisateurs ont des sueurs froides. Au début du mois encore, la région était recouverte d’une épaisse couche de neige. Vacanciers et gens des environs profitaient de la piste de luge. On organisait même des concours dans une ambiance bon enfant. Mais voilà que l’or blanc fond à vue d’œil. Les températures sont printanières. En toute hâte, il faut faire venir de la neige en train depuis Jaman.

L'équipage suisse sauve l'honneur

Coll. C. Gerber/notreHistoire.ch

Lorsque le coup d’envoi des championnats est donné, c’est donc sur une piste artificielle que les concurrents font glisser leurs bobsleighs. Heureusement, le succès est au rendez-vous. Plus de deux mille spectateurs ont fait le déplacement pour assister aux prouesses des douze équipes en lice, originaires de huit pays. 2,5 kilomètres de descente les attendent. Ce sont des concurrents autrichiens qui dévalent la piste les premiers. On retient son souffle. Parviendront-ils à prendre ces impressionnants virages sans mordre la neige ? Incroyable ! Ils franchissent la ligne d’arrivée après moins de trois minutes de course. C’est pourtant une équipe italienne qui se glisse sur le haut du podium à la fin de la première journée des championnats. Des Suisses obtiennent la troisième place. L’honneur est sauf.

L'équipe italienne, reconnaissable à la croix de Savoie, élément du drapeau du royaume d'Italie.

Coll. C. Gerber/notreHistoire.ch

Tout se joue cependant le dimanche, lors des dernières manches. Le suspense reste entier. Les Anglais et les Allemands ont bon espoir de rafler la médaille d’or. C’était compter sans la détermination de l’équipe italienne, qui bataille ferme et reste en tête. Mais chaque participant est tout de même convié au Caux Palace, le soir venu, pour la distribution des prix. Afin d’honorer les vainqueurs, on joue Giovinezza, l’hymne fasciste de la période mussolinienne. Sport et politique se mêlent. Puis vient l’heure du bal. On s’oublie, le temps d’une folle soirée. ■

Références

1. Feuille d’Avis de Vevey, 27 janvier 1930
2. La Tribune de Lausanne, 18 janvier 1930 et 27 janvier 1930
3. La Revue, 17 janvier 1930
4. L’Illustré, 30 janvier 1930

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D’autres photos du championnat
Les sports d’hiver à Caux

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Moto "Condor" 8 HP Side-car 1924

Coll. R. Horvay/notreHistoire.ch

Le débat est nourri sur notreHistoire.ch pour décrypter l’identité d’une équipée sauvage en side-car Condor. S’agirait-il des frères Chevrolet?

On aurait parié au premier coup d’œil sur… « la bande à Bonnot ». Mais à y regarder de plus près, peinturluré sur la portière de la carlingue, le mot CONDOR instille une forme de doute et contredit notre première impression. Cette photo nous transporterait-elle dans le Jura plutôt qu’à Paris ? A tout hasard disons à Courfaivre, commune de Haute-Sorne à 5 kilomètres au sud-ouest de Delémont et siège, entre 1896 et la fin des années 1990, de la fameuse marque de bicyclette et de moto Condor…

Un banquet se tient en arrière-fond sur ce cliché dégoté dans un album de vieilles photos orphelines acheté voici quatre ans par Robert Horvay chez Emmaüs à Etagnières, dans le canton de Vaud. Il a ensuite déposé sur notreHistoire.ch ce vieux cliché, lequel n’est pas sans rappeler Les Brigades du Tigre  ou – oui – l’extravagante « bande à Bonnot ». A la différence que les trois protagonistes posant sur la pellicule pourraient être… des Suisses.

Poseurs à moustache et costumes trois pièces, perchés sur ce side-car d’un autre âge, qui sont-ils ? Peut-être les frères Chevrolet ? Louis, Arthur et Gaston, comme d’aucuns le prétendent. Pour l’internaute Sylvie Bazzanella, « l’homme au Borsalino a des airs de Louis Chevrolet », le Jurassien de La Chaux-de-Fonds qui révolutionna l’industrie de l’automobile aux Etats-Unis. Mais, ajoute-t-elle aussi prudente : « bizarre, à ce moment-là je crois qu’il vivait aux Etats-Unis ».

L’énigme n’est pas si simple à résoudre

Quelle année évoque Sylvie Bazzanella ? 1910, 1912, 1926 ? La moto trônant sur la photographie daterait pour sa part de 1926… Mais l’énigme qui entoure l’identité des trois lascars endimanchés reste entière. Aucune piste n’a abouti jusqu’à présent. Robert Horvay s’est même tourné vers le service jurassien des archives ainsi qu’au fonds Condor. Aucun résultat. L’historien Alain Cortat, expert suisse de la marque Condor, s’est lui aussi pris au jeu. « Je connais l’histoire de l’entreprise par les documents écrits, mais peu par l’iconographie. Aussi, je ne parviens pas à identifier les trois personnages », se désole-t-il au milieu de cette chasse à l’homme engagée voici plus d’un an sur la Toile. L’historien dégaine soudainement le nom d’Otto Fricker, patron de Condor dès 1900. Sans pouvoir confirmer qu’il pourrait s’agir de lui sur l’image. Et qui sont les deux autres lascars qui le secondent? Robert Horvay lâche le nom d’André Chapatte, employé chez Condor… La quête d’identification se poursuit. Un autre internaute – Yannick Plomb – ébranle nos certitudes. Lui pense que ce sont bien les frères Chevrolet… « mais photographiés aux Etats-Unis et non en Suisse ». Nous voilà donc refaits avec notre introduction vantant Courfaivre.

Un siècle d’histoire

Dans l’histoire industrielle du Jura, la manufacture de vélocipèdes Condor aura perduré un siècle. Après la Deuxième Guerre mondiale, des duels homériques mettaient aux prises, sur les vélodromes et pistes du pays, les cyclistes défendant les couleurs de Condor à ceux de Cilo. Flairant les bons coups et adepte de la diversification, Condor était devenu, au sortir de la guerre, l’importateur attitré des vélomoteurs allemands Puch. Puis dans les années 1970 celui des motos italiennes Ducati. Nos soldats se rappelleront sans doute des vélos d’ordonnance à une vitesse livrés à l’armée, ainsi que les motos utilisées jusqu’au début des années 1990.

Mais au tournant du millénaire, Condor cessa finalement de fabriquer des vélos à Courfaivre, période coïncidant aussi avec le déclin de l’âge d’or des bicyclettes indigènes suisses (Allegro, Cilo, Cosmos, Mondia). Une soixantaine de personnes étaient encore employées dans le Jura – contre 300 en 1950 – quand le site de Courfaivre ferma.

Un bout d’ailes d’avion  

Pour n’avoir pas senti l’avènement du VTT, l’entreprise jurassienne s’est effondrée au point d’accorder une licence à un autre fabricant afin que la marque perdure tout de même un peu. En 2005, dernier avatar en date, la société sera absorbée par Fast Aero Space Technologies à Granges, une enseigne dans le giron du grand groupe aéronautique français Dassault. Condor livrait à Fast Aero Space des pièces en titane pour attacher les ailes des avions. Mais Dassault se désintéressa finalement de Condor, contraignant la société jurassienne à mettre fatalement la clé sous la porte. Les machines de la prestigieuse marque ont ensuite été bradées puis dispersées à la ronde. ■

Référence

Alain Cortat, Condor, cycles, motocycles et construction mécanique, 1890-1980, éditions Alphil, 2001

A consulter également sur notreHistoire.ch

Cycles et motos Condor, une galerie animée par Robert Horvay

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Lothar, L'Église d'Attalens décapitée

Coll. M. Schweizer/notreHistoire.ch

A quelques jours du passage à l’an 2000, certains frissonnaient à l’idée d’un « bug » monumental, provoqué par une gigantesque – et fort improbable – panne informatique. Mais c’est une catastrophe d’un autre genre, bien naturel celui-là, qui ferait souffler un air de fin du monde sur plusieurs pays européens, et notamment la Suisse. Toute une société fascinée par la technologie prenait soudainement conscience de sa fragilité. La nature semblait se rebeller, et la perspective de voir les écrans de nos ordinateurs s’éteindre passait au second plan.

Une tempête hors du commun pour la fin du siècle

En ce dimanche du 26 décembre 1999, les Romands se réveillent avec les souvenirs des réjouissances de Noël. Mais un hôte indésirable se lève à son tour pour jouer les trouble-fêtes. Il répondra du nom de Lothar et restera dans les mémoires comme l’une des tempêtes les plus effroyables de la fin du XXe siècle. Certes, de forts vents agitaient déjà une partie de l’Europe la veille, mais Lothar sera d’une violence plus terrible encore.

Ce jour-là, Markus Schweizer se trouve chez lui, à Blonay, dans une ferme isolée sur un pâturage. « Sur le moment, je ne me rendais pas compte de l’ampleur de la catastrophe. Lorsque j’ai aperçu au loin quelqu’un qui promenait son chien tout près de la forêt, alors même que les arbres se balançaient dangereusement sous l’effet des rafales de vent, je me suis dit qu’il fallait être fou pour mettre son nez dehors ». Et l’on ne peut que lui donner raison. Lothar atteindra des pics de 250 km/h dans les Alpes. Une centaine de personnes trouveront la mort à travers le continent, dont plus de trente en Suisse, si l’on tient compte de celles qui perdront la vie lors de travaux de remise en état.

Réfugiés dans leurs maisons, bien des Helvètes se retrouvent isolés du monde. De nombreuses régions connaissent des coupures d’électricité et les citoyens ne peuvent donc pas espérer s’informer en regardant la télévision. Le temps est encore venu où les nouvelles les plus fraîches s’afficheront en direct sur l’écran des téléphones portables… Le lendemain cependant, toute la presse fait le même constat, bien que les chiffres mentionnés sont provisoires. La Liberté titre : « Des morts et des dégâts par dizaines de millions de francs ». Le canton de Fribourg paiera d’ailleurs le deuxième tribut le plus lourd du pays, avec 1,4 million de m3 de bois déraciné, derrière Berne et devant l’Argovie.

Une église sans clocher

Une fois Lothar un peu calmé, Markus Schweizer part en virée : « Sur mon chemin, j’ai pu observer que de nombreuses maisons avaient souffert de la tempête. Et puis, je suis arrivé devant l’église d’Attalens, dans le district de la Veveyse. Son clocher avait été arraché par le vent et précipité dans le cimetière avoisinant. M’avait-on averti des dommages causés au bâtiment ou me suis-je retrouvé là par hasard ? Je serais bien incapable de m’en souvenir aujourd’hui ».

Quoiqu’il en soit, le photographe immortalise une scène qui fait grande impression. Les restes du clocher gisent comme une carcasse abandonnée. Aucun blessé n’est à déplorer. Un vrai miracle, d’autant plus que la messe dominicale a commencé depuis une demi-heure, au moment où le vent décapite l’église. Un bruit terrible se fait entendre. Les pompiers pénètrent alors dans l’édifice et évacuent les fidèles. L’un de ces derniers fera part de son effroi au journal Le Matin et dira même avoir cru que l’église était bombardée. Depuis lors, le bâtiment a guéri ses blessures. Le clocher a été reconstruit.

Deux décennies après avoir sévi, Lothar reste dans les annales comme l’une des tempêtes les plus dévastatrices de l’histoire suisse, aux côtés de celles de 1645, 1739 et 1990. Au-delà des irremplaçables pertes humaines, Lothar a causé des dégâts estimés à près de 1,8 milliard de francs. Le prix d’un bois soudainement disponible en immense quantité s’est effondré de 30 %. Il lui a fallu plusieurs années pour retrouver des couleurs, faisant traverser une crise à tout un secteur économique. Un communiqué du 28 décembre rédigé par le Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Énergie et de la Communication donne un chiffre qui résume à lui seul cette situation de surabondance : « L’ouragan a couché en un jour autant de bois que les bûcherons abattent normalement en deux années ».

Le soir de la tempête, le Téléjournal de la RTS diffuse des images spectaculaires de pans entiers de forêts qui se brisent sous les effets redoutables du vent. Les spécialistes évoquaient les liens toujours plus certains unissant catastrophes naturelles et réchauffement climatique. Lothar sonnait déjà le tocsin. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Le Téléjournal du soir de la tempête, une vidéo des archives de la RTS

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Fribourg - procession de la Fête-Dieu

Coll. P. et J. Schaller/notreHistoire.ch

Ces fillettes qui processionnent pour la Fête-Dieu, le 30 mai 1945, comme tous les élèves et pensionnaires des écoles et internats de Fribourg, sont les dernières à être scolarisées à l’Orphelinat bourgeoisial de la ville, hors du système cantonal de l’Instruction publique. Chapeautées et gantées de blanc, elles portent l’uniforme de la maison, une robe noire aussi triste que le vieillard en col dur qui les emmène : Albert Hug, directeur de l’établissement depuis trente-cinq ans. Dans quelques semaines, il prendra sa retraite, et ce départ mettra fin à un long règne familial. Avant Albert, son père Luc avait occupé le poste durant trente-sept ans. A bien des égards, cette année marque un tournant dans l’histoire de l’institution fondée en 1869. Les petites orphelines, bien sûr, n’en peuvent rien deviner.

Prendre exemple sur la famille du directeur

Orphelines, vraiment ? La plupart des garçons et filles confiés à M. Hug ont encore leurs parents, comme leurs camarades plus âgés mis en apprentissage. Ces enfants et adolescents sont pour la plupart placés à l’Orphelinat, pour des raisons sociales (parents trop pauvres, ou malades, ou problématiques) ou disciplinaires. Protection et répression, le binôme indissociable allait de soi au siècle précédent, de même que la stigmatisation des pauvres, vicieux et fainéants par définition. Il fallait sortir les enfants de leur famille et de leur milieu, pour les garder en internat sous un régime d’encadrement dont la famille du directeur, qui vivait dans la maison, était censée offrir l’exemple édifiant.

Mais en 1945, ce modèle clos ne convainc plus guère les autorités. La gouvernance, le bâtiment, le régime scolaire de l’institution sont mis en cause au fil des séances tenues par le Conseil communal.

La succession du directeur Albert Hug, ainsi, fait apparaître un conflit entre l’exécutif de la ville et la Commission qui chapeaute l’établissement. A l’arrière-plan s’aperçoit la tension qui existe entre une Bourgeoisie peu dynamique, mais jalouse de son pré carré, et l’autorité communale qui s’en impatiente. Le 14 avril, celle-ci choisit pour diriger l’Orphelinat un homme dont M. Hug avait combattu vivement la candidature, et que la Commission avait écarté. Le choix du Conseil communal se révélera très malheureux, mais ceci est une autre histoire.

Puis, des idées réformatrices percent après les vacances d’été. Le Conseil communal s’est rendu pour une vision locale à l’Orphelinat. Les jeunes “ difficiles ” y posent problème, il faudrait construire un espace adéquat pour les accueillir – on ne peut tout de même pas les envoyer à Drognens ou à Sonnenwyl, maisons de correction au régime trop dur (séance du 11 septembre). Tant qu’on y est, pourquoi ne pas vendre le vieux bâtiment de l’Orphelinat, qui occupe une aile de l’ancien Pensionnat des Jésuites élevé en 1827, et construire à neuf ? Dans la foulée, on s’interroge sur la possibilité d’envoyer les enfants aux écoles de la ville, au lieu de les enseigner à l’intérieur de la maison. Payer trois maîtres d’école pour trente gosses n’est pas raisonnable. Oui, mais le domaine ?

Une main d’œuvre gratuite au champ

Les pensionnaires de l’Orphelinat travaillent en effet dès les beaux jours, durant les vacances et les jours de congé sur le domaine agricole du Petit-Rome, tout proche, acquis en 1896 pour alimenter la table et nourrir le budget de l’institution. Cette ferme, où l’instituteur Paul Morel loge avec sa nombreuse famille, est exploitée par un agriculteur. Mais l’appoint de main d’œuvre gratuite de l’Orphelinat n’est pas négligeable – les enfants aident à faire les foins, entre autres travaux – même si la visée primordiale, on l’admet de plus en plus, est d’ordre éducatif.

Le Conseil communal prend sa décision le 18 septembre. Il va faire l’essai d’envoyer durant une année dans les classes ordinaires de la ville les huit fillettes d’âge scolaire, celles que l’on voit sur la photo derrière le bientôt ex-directeur Hug. En 1949, le transfert sera opéré pour les garçons comme pour les filles, les gosses de l’orphelinat auront des copains d’école comme tout le monde et l’instituteur Morel quittera la ferme du Petit-Rome pour se loger et enseigner à l’école primaire de l’Auge, un quartier de la Basse-Ville encore marqué, à l’orée des années 1950, par la misère et le mépris. Pas de quoi lui faire peur, après quinze ans passés à vivre avec les gosses de l’Orphelinat ! Très vite, ce petit homme au grand cœur deviendra la figure tutélaire, on aimerait dire : le père, de tout le quartier.

Les enfants et le personnel de l’Orphelinat déménageront en 1955 dans l’ancien pensionnat de Sainte-Agnès, au quartier du Jura. Le travail aux champs cessera en 1961, la ferme du Petit-Rome sera vendue en 1966, et parallèlement au Home bourgeoisial pour personnes âgées un foyer pour les jeunes sera construit aux Bonnesfontaines en 1974. Telles furent, après le dernière Fête-Dieu d’Albert Hug, les Trente Glorieuses de l’Orphelinat bourgeoisial. ■

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