Le débat est nourri sur notreHistoire.ch pour décrypter l’identité d’une équipée sauvage en side-car Condor. S’agirait-il des frères Chevrolet?
On aurait parié au premier coup d’œil sur… « la bande à Bonnot ». Mais à y regarder de plus près, peinturluré sur la portière de la carlingue, le mot CONDOR instille une forme de doute et contredit notre première impression. Cette photo nous transporterait-elle dans le Jura plutôt qu’à Paris ? A tout hasard disons à Courfaivre, commune de Haute-Sorne à 5 kilomètres au sud-ouest de Delémont et siège, entre 1896 et la fin des années 1990, de la fameuse marque de bicyclette et de moto Condor…
Un banquet se tient en arrière-fond sur ce cliché dégoté dans un album de vieilles photos orphelines acheté voici quatre ans par Robert Horvay chez Emmaüs à Etagnières, dans le canton de Vaud. Il a ensuite déposé sur notreHistoire.ch ce vieux cliché, lequel n’est pas sans rappeler Les Brigades du Tigre ou – oui – l’extravagante « bande à Bonnot ». A la différence que les trois protagonistes posant sur la pellicule pourraient être… des Suisses.
Poseurs à moustache et costumes trois pièces, perchés sur ce side-car d’un autre âge, qui sont-ils ? Peut-être les frères Chevrolet ? Louis, Arthur et Gaston, comme d’aucuns le prétendent. Pour l’internaute Sylvie Bazzanella, « l’homme au Borsalino a des airs de Louis Chevrolet », le Jurassien de La Chaux-de-Fonds qui révolutionna l’industrie de l’automobile aux Etats-Unis. Mais, ajoute-t-elle aussi prudente : « bizarre, à ce moment-là je crois qu’il vivait aux Etats-Unis ».
L’énigme n’est pas si simple à résoudre
Quelle année évoque Sylvie Bazzanella ? 1910, 1912, 1926 ? La moto trônant sur la photographie daterait pour sa part de 1926… Mais l’énigme qui entoure l’identité des trois lascars endimanchés reste entière. Aucune piste n’a abouti jusqu’à présent. Robert Horvay s’est même tourné vers le service jurassien des archives ainsi qu’au fonds Condor. Aucun résultat. L’historien Alain Cortat, expert suisse de la marque Condor, s’est lui aussi pris au jeu. « Je connais l’histoire de l’entreprise par les documents écrits, mais peu par l’iconographie. Aussi, je ne parviens pas à identifier les trois personnages », se désole-t-il au milieu de cette chasse à l’homme engagée voici plus d’un an sur la Toile. L’historien dégaine soudainement le nom d’Otto Fricker, patron de Condor dès 1900. Sans pouvoir confirmer qu’il pourrait s’agir de lui sur l’image. Et qui sont les deux autres lascars qui le secondent? Robert Horvay lâche le nom d’André Chapatte, employé chez Condor… La quête d’identification se poursuit. Un autre internaute – Yannick Plomb – ébranle nos certitudes. Lui pense que ce sont bien les frères Chevrolet… « mais photographiés aux Etats-Unis et non en Suisse ». Nous voilà donc refaits avec notre introduction vantant Courfaivre.
Un siècle d’histoire
Dans l’histoire industrielle du Jura, la manufacture de vélocipèdes Condor aura perduré un siècle. Après la Deuxième Guerre mondiale, des duels homériques mettaient aux prises, sur les vélodromes et pistes du pays, les cyclistes défendant les couleurs de Condor à ceux de Cilo. Flairant les bons coups et adepte de la diversification, Condor était devenu, au sortir de la guerre, l’importateur attitré des vélomoteurs allemands Puch. Puis dans les années 1970 celui des motos italiennes Ducati. Nos soldats se rappelleront sans doute des vélos d’ordonnance à une vitesse livrés à l’armée, ainsi que les motos utilisées jusqu’au début des années 1990.
Mais au tournant du millénaire, Condor cessa finalement de fabriquer des vélos à Courfaivre, période coïncidant aussi avec le déclin de l’âge d’or des bicyclettes indigènes suisses (Allegro, Cilo, Cosmos, Mondia). Une soixantaine de personnes étaient encore employées dans le Jura – contre 300 en 1950 – quand le site de Courfaivre ferma.
Un bout d’ailes d’avion
Pour n’avoir pas senti l’avènement du VTT, l’entreprise jurassienne s’est effondrée au point d’accorder une licence à un autre fabricant afin que la marque perdure tout de même un peu. En 2005, dernier avatar en date, la société sera absorbée par Fast Aero Space Technologies à Granges, une enseigne dans le giron du grand groupe aéronautique français Dassault. Condor livrait à Fast Aero Space des pièces en titane pour attacher les ailes des avions. Mais Dassault se désintéressa finalement de Condor, contraignant la société jurassienne à mettre fatalement la clé sous la porte. Les machines de la prestigieuse marque ont ensuite été bradées puis dispersées à la ronde. ■
Référence
Alain Cortat, Condor, cycles, motocycles et construction mécanique, 1890-1980, éditions Alphil, 2001
A consulter également sur notreHistoire.ch
Cycles et motos Condor, une galerie animée par Robert Horvay