A quelques jours du passage à l’an 2000, certains frissonnaient à l’idée d’un « bug » monumental, provoqué par une gigantesque – et fort improbable – panne informatique. Mais c’est une catastrophe d’un autre genre, bien naturel celui-là, qui ferait souffler un air de fin du monde sur plusieurs pays européens, et notamment la Suisse. Toute une société fascinée par la technologie prenait soudainement conscience de sa fragilité. La nature semblait se rebeller, et la perspective de voir les écrans de nos ordinateurs s’éteindre passait au second plan.
Une tempête hors du commun pour la fin du siècle
En ce dimanche du 26 décembre 1999, les Romands se réveillent avec les souvenirs des réjouissances de Noël. Mais un hôte indésirable se lève à son tour pour jouer les trouble-fêtes. Il répondra du nom de Lothar et restera dans les mémoires comme l’une des tempêtes les plus effroyables de la fin du XXe siècle. Certes, de forts vents agitaient déjà une partie de l’Europe la veille, mais Lothar sera d’une violence plus terrible encore.
Ce jour-là, Markus Schweizer se trouve chez lui, à Blonay, dans une ferme isolée sur un pâturage. « Sur le moment, je ne me rendais pas compte de l’ampleur de la catastrophe. Lorsque j’ai aperçu au loin quelqu’un qui promenait son chien tout près de la forêt, alors même que les arbres se balançaient dangereusement sous l’effet des rafales de vent, je me suis dit qu’il fallait être fou pour mettre son nez dehors ». Et l’on ne peut que lui donner raison. Lothar atteindra des pics de 250 km/h dans les Alpes. Une centaine de personnes trouveront la mort à travers le continent, dont plus de trente en Suisse, si l’on tient compte de celles qui perdront la vie lors de travaux de remise en état.
Réfugiés dans leurs maisons, bien des Helvètes se retrouvent isolés du monde. De nombreuses régions connaissent des coupures d’électricité et les citoyens ne peuvent donc pas espérer s’informer en regardant la télévision. Le temps est encore venu où les nouvelles les plus fraîches s’afficheront en direct sur l’écran des téléphones portables… Le lendemain cependant, toute la presse fait le même constat, bien que les chiffres mentionnés sont provisoires. La Liberté titre : « Des morts et des dégâts par dizaines de millions de francs ». Le canton de Fribourg paiera d’ailleurs le deuxième tribut le plus lourd du pays, avec 1,4 million de m3 de bois déraciné, derrière Berne et devant l’Argovie.
Une église sans clocher
Une fois Lothar un peu calmé, Markus Schweizer part en virée : « Sur mon chemin, j’ai pu observer que de nombreuses maisons avaient souffert de la tempête. Et puis, je suis arrivé devant l’église d’Attalens, dans le district de la Veveyse. Son clocher avait été arraché par le vent et précipité dans le cimetière avoisinant. M’avait-on averti des dommages causés au bâtiment ou me suis-je retrouvé là par hasard ? Je serais bien incapable de m’en souvenir aujourd’hui ».
Quoiqu’il en soit, le photographe immortalise une scène qui fait grande impression. Les restes du clocher gisent comme une carcasse abandonnée. Aucun blessé n’est à déplorer. Un vrai miracle, d’autant plus que la messe dominicale a commencé depuis une demi-heure, au moment où le vent décapite l’église. Un bruit terrible se fait entendre. Les pompiers pénètrent alors dans l’édifice et évacuent les fidèles. L’un de ces derniers fera part de son effroi au journal Le Matin et dira même avoir cru que l’église était bombardée. Depuis lors, le bâtiment a guéri ses blessures. Le clocher a été reconstruit.
Deux décennies après avoir sévi, Lothar reste dans les annales comme l’une des tempêtes les plus dévastatrices de l’histoire suisse, aux côtés de celles de 1645, 1739 et 1990. Au-delà des irremplaçables pertes humaines, Lothar a causé des dégâts estimés à près de 1,8 milliard de francs. Le prix d’un bois soudainement disponible en immense quantité s’est effondré de 30 %. Il lui a fallu plusieurs années pour retrouver des couleurs, faisant traverser une crise à tout un secteur économique. Un communiqué du 28 décembre rédigé par le Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Énergie et de la Communication donne un chiffre qui résume à lui seul cette situation de surabondance : « L’ouragan a couché en un jour autant de bois que les bûcherons abattent normalement en deux années ».
Le soir de la tempête, le Téléjournal de la RTS diffuse des images spectaculaires de pans entiers de forêts qui se brisent sous les effets redoutables du vent. Les spécialistes évoquaient les liens toujours plus certains unissant catastrophes naturelles et réchauffement climatique. Lothar sonnait déjà le tocsin. ■
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Le Téléjournal du soir de la tempête, une vidéo des archives de la RTS