L'Inédit

par notreHistoire


Genève - Place Neuve, 1951 - Le Grand Théâtre en feu

Coll. J.-C. Curtet/notreHistoire.ch

Il est midi, la foule afflue pour voir le triste spectacle à Genève, Place de Neuve, rue de la Croix-rouge, balcons genevois, plus loin ; la fumée se laisse apercevoir bien au-delà du Grand Théâtre. On serait tenté d’écouter La Walkyrie pour accompagner l’image que l’on regarde, puisque c’est en pleine répétition du célèbre opéra de Richard Wagner qu’un engin pyrotechnique met le feu à la scène, l’incendie se propageant rapidement. Mais c’est le silence qui règne dans l’attroupement. Peut-être certains commentent-ils brièvement, interrogent, déplorent, mais qu’y a-t-il à dire, pour l’instant, seulement à voir : le Grand Théâtre brûle. L’institution qui fait rayonner Genève, vieille d’à peine septante ans, se consume devant les Genevois hypnotisés par le tableau. Les pompiers s’activent, soutenus par tous ces yeux rivés sur eux, peut-être entendent-ils les prières et les encouragements que chacun formule en silence. Ils sont 250 à tenter de maîtriser le sinistre. Le combat dure plusieurs heures, aucune perte humaine n’est à déplorer mais les dégâts matériels sont conséquents ; les trois quarts du bâtiment sont détruits, dont la scène, la salle de spectacle, les salles annexes et le carré d’or. Seuls le grand foyer et la bibliothèque échappent aux flammes. Dehors, les façades sont préservées, les statues également représentant la danse, la comédie, la musique et la tragédie. Et c’est l’allégorie de la tragédie qui retient l’attention en ce 1er mai 1951, alors que le feu peu à peu s’éteint et que la fumée s’éloigne, emportant avec elle la musique de Wagner, le chœur des chanteurs, le trac de la troupe, l’impatience de l’orchestre, les ambitions de son chef.

Une année après l'incendie, en 1952, l'intérieur du Grand Théâtre est semblable à des ruines romaines.

Coll. C.-A. Fradel/notreHistoire.ch

Ensuite, pendant de nombreuses années, il s’agira d’argent et non plus d’art. Le Conseil administratif de la Ville de Genève se lance dans l’étude d’une reconstruction qui intégrerait les moyens électro-mécaniques les plus modernes de l’époque. Son projet, budgétisé à 14 millions de francs, est refusé lors du référendum populaire d’octobre 1953. Les travaux ne peuvent commencer, les volontés et les espoirs s’assoupissent. En 1958, un deuxième projet prévoit un budget à peine moins élevé de 13 millions de francs. Finalement, la facture s’élève à 26 millions de francs, en raison notamment de l’inflation, nous dit la Ville de Genève (notice d’autorité-Grand théâtre-Archives). Le Grand Théâtre reconstruit est inauguré le 10 décembre 1962, avec la version française de Don Carlos, de Verdi. Wagner attendra. Il sent encore le souffre. Il ne reviendra que le siècle suivant, en 2013 et en 2019, avant et après les seconds travaux de rénovation de la plus grande et la plus chère institution culturelle de Suisse romande. C’est d’ailleurs ce statut de géant autant que d’ogre que lui reprocheront les manifestants en 2015, en colère suite aux coupes budgétaires touchant la culture alternative. Cette fois, leur révolte touchera les façades du Grand Théâtre, la statue de la tragédie se retrouvant maculée de tags, devant les yeux indignés d’une autre génération de Genevois. ■

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Le Grand Théâtre, une série de photos et un document sonore des Archives de la RTS

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La polémique

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Au cœur du mois de juin 1983, c’est tout un petit monde qui est en proie à une vive excitation. Les esprits s’échauffent autour d’une affaire anatomique. Cause du scandale : sur les plages de la Riviera vaudoise, voilà que des dames bronzent seins nus. Une poignée de citoyens outrés publient une lettre ouverte aux municipalités de la région, dans les colonnes de la Feuille d’avis de Vevey. D’une plume solennelle, ils affirment que l’on « impose à une majorité d’adultes et d’enfants un spectacle contraire à la décence, à la morale et aux convictions religieuses de certains d’entre eux ». La gravité des faits justifie à leur sens l’application stricte des règlements de police. En un mot, ils veulent la peau du monokini.

Un été radieux… mais la polémique est lancée. Qu'en pensent les baigneuses?

Emission Journal Romand (28.06.1983), coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

On aurait pu penser que l’exposition de la poitrine féminine à la face du soleil n’était plus un motif susceptible de froisser les âmes prudes, encore moins de susciter des vocations de lanceurs d’alerte. La mode du monokini, après tout, avait ses adeptes depuis deux décennies déjà, en France tout du moins. Le journal 24heures consacrait ainsi un court article au phénomène du « deux pièces moins une », en juillet 1964.

Ce sont alors les maires, en France, qui prennent la décision de tolérer ou non le monokini en bord de mer. Si quelques-uns d’entre eux semblent à l’avant-garde de la libération des corps, certains arguments invoqués nous laissent aujourd’hui pantois. Un exemple ? Le maire de Biscarosse se montre favorable aux seins nus « surtout si les demi-maillots sont portés par des belles filles ». Une gauloiserie qui n’appelle aucun commentaire.

Au cours des années suivantes, et loin des plages hexagonales où défilent les stars du monde entier, les Suissesses peuvent enfin espérer s’affranchir de certaines injustices. En 1971, elles obtiennent un droit de vote qui leur était jusqu’alors refusé. Quant à l’égalité des sexes, elle n’est inscrite dans la Constitution fédérale qu’en 1981, après de longs débats. Alors, quand quelques âmes effarouchées à la vue de seins nus croient bon de crier à la « dégradation morale », les principales intéressées peuvent bien se contenter d’en sourire, sans accorder trop d’importance à ceux qui souhaitent leur imposer un code vestimentaire prétendument pudique. Et de retourner parfaire leur bronzage, le buste libre et dénudé. ■

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Les plaisirs de la baignade, en images et en vidéos des Archives de la RTS

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Le chemin dessiné

Coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

Le premier cadeau que l’on reçoit, c’est effectivement celui de la naissance. Une affaire biologique entre nos parents, indépendante de nos mérites ou de notre volonté. L’écrivain suisse Georges Piroué (1920-2005), né à la Chaux-de-Fonds, devenu directeur de collection pour les Editions Denoël, à Paris et traducteur de Luigi Pirandello, évoquait précisément son enfance dans un ouvrage intitulé : Tu reçus la naissance. Une brève et belle autobiographie que l’éditeur d’Orbe Bernard Campiche a eu l’heureuse idée de reprendre dans sa collection, il y a une quinzaine d’années déjà.

Lié à celui de la naissance « reçue », il y a un apprentissage initial autour duquel je ne vais point m’attarder, mais simplement le relever au passage. C’est celui de la fraternité. Naître en effet à quelques minutes d’intervalle avec son frère, pour des jumeaux monozygotes, c’est une notion de partage qui semble aller de soi dès le départ. Elle est quasi instinctive et, là aussi, biologique. Ainsi, mes parents n’ont jamais eu besoin de veiller ou d’insister sur cet aspect durant toute l’enfance de leurs deux enfants, presque semblables et pourtant différents, alors que la jalousie et la compétitivité sont souvent fréquentes entre frères et sœurs. Si ce cadeau d’une double naissance, au terme d’un bel été de l’année 1938, avait été une surprise pour ma mère, un peu désemparée par ce double accouchement, elle a toutefois bien assumé par la suite son rôle de mère et d’épouse d’un garde-frontière, tout d’abord dans une maison isolée aux confins des forêts et des pâturages du Jura, puis dans d’autres régions frontières. Cette maison, c’était la Douane des Charbonnières, à la Vallée de Joux. Elle avait  été dessinée par mon père sous la forme d’un croquis en 1940, afin de renseigner une personne de la famille qui, parvenue à la gare du Pont, venaient pour la première fois nous visiter à pied en suivant cette « Route de Mouthe » qui monte parmi les pâturages. Le dessinateur avait même fait figurer sa femme, tenant par la main ses deux enfants sur la route, en dessous de la maison. Ce document, contraire aux directives de la DAP (Défense aérienne passive) qui étaient en vigueur, n’est heureusement jamais tombé sous les yeux des responsables civils et militaires de l’époque…

Se tenir debout, c’est-à-dire apprendre à marcher, a ainsi été l’une de mes premières activités, surtout celle d’apprendre à avancer… dans la neige ! Cette denrée blanche, que chaque enfant essaie de prendre avec ses mains rougies et de manger, se déposait par offensives répétées, à la manière de la célèbre « manne » des Israëlites dans le désert, parfois dès le mois de septembre, pour ne disparaître qu’à la fin d’avril ou même au début de mai. Elle représentait le décor sur lequel les filles et fils des jeunes gardes-frontière, logés dans cette haute maison de la Douane, faisaient leurs premiers pas. Il m’est d’ailleurs resté de cette lointaine époque une expression coutumière, mais que la logique de l’enfant interprétait à sa manière. Ainsi, lorsque ces personnes venues en visite durant l’hiver nous quittaient, mes parents, comme les autres habitants de la maison, avaient  cette formule en guise d’adieu: « Portez-vous bien! »

J’ai longtemps cru que cela signifiait: «… sur la neige ». Autrement dit : que vos pas ne s’y enfoncent pas !

La neige a en effet cette capacité de nous « porter » sur sa surface souvent très dure et croûtée, et cela sans l’usage de raquettes, bien connues aujourd’hui des randonneurs et autres sportifs du dimanche. Ou alors, si elle est lourde et mouillée, l’on y enfonce jusqu’à la taille.

Elle peut même nous ensevelir complètement sous la forme d’une avalanche meurtrière.

L’apprentissage du ski a ainsi une sorte de nécessité dès l’âge de cinq ou six ans, toujours sous les conseils de mon père, mais sans jamais devenir, en ce qui me concerne, un sport ou une véritable passion. Longtemps plus tard, lors de mon apprentissage dans une ETML à Lausanne, à l’âge de dix-huit ans, il m’avait même fallu réapprendre à skier lors d’un unique « camp de ski » à Bretaye. Ce camp m’avait hélas laissé une mauvaise entorse et rendu boiteux pour de nombreux mois.

Cela peut certes paraître bizarre, voire incongru d’évoquer aujourd’hui la neige, alors que nous  sommes entrés dans un début d’été prometteur, cela après une difficile étape dite de confinement. Les nouveaux nés de ce printemps 2020 ne s’en souviendront peut-être pas, mais bien leurs parents et leurs grands-parents. Ces derniers avaient connu la Défense aérienne passive.■

Note

Piroué, Georges: Tu reçus la naissance. Nouvelle édition. Orbe, 2005. comPoche No 10

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A la découverte de la Vallée de Joux, une série de documents des Archives de la RTS

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Les Bacounis de Meillerie

Coll. P. Chappuis/notreHistoire.ch

En été 2017, j’ai vu à la Maison Garibaldi d’Evian l’exposition « Voiles latines du Léman ». A cette occasion, le documentaire Les barques du Léman, réalisé par le cinéaste Philippe Souaille, fut projeté et c’est grâce à ce film que j’ai entendu parler des bacounis.

Je compte Philippe parmi mes contacts Facebook. Le sachant connecté, je lui envoie un message et, dans la seconde, il me dit de l’appeler le lendemain pour une interview téléphonique, coronavirus et distanciation sociale obligent.

Etant en train de réaliser mon prochain livre de photographies sur le monde paysan, je l’appelle entre deux prises, sur la route. A défaut de cafés ouverts, je me réfugie pour être au calme à l’intérieur du temple de Morat.

Philippe Souaille a notamment réalisé Ashakara, qui a eu un succès international, et plusieurs documentaires. C’est une personne sincère, cultivée, un libéral à la fibre sociale; une espèce en voie d’extinction par les temps qui courent.

Mais revenons aux bacounis. Qui sont-ils ? Les bacounis – le mot provient du patois, terme savoyard, franco-provençal – sont les bateliers des rives du Léman, autant suisses que françaises. Ils transportent, à l’aide de brouette construite en bois, les lourdes pierres extraites des carrières de Meillerie (Haute-Savoie) et les chargent sur les bateaux venus accostés au port de Locum (port qui date de l’époque romaine). Les barques que l’on connaît, comme la Neptune, à Genève, seront construites dès le XIIe et XIIIe siècle pour transporter leur cargaison soit à la voile, soit en étant tirées le long de chemins de halage. Près d’une centaine d’hommes travaillaient à Meillerie, deux mille autres dans les carrières (aujourd’hui, avec l’automatisation, deux hommes suffisent au travail à Meillerie où l’on n’extrait plus de pierre, mais du gravier pour les chantiers).

La faillite par le béton

Il est intéressant de noter que jusqu’à la fin du XIXe et le début du XXe siècle, la main-d’œuvre française était mieux payée que les Suisses et la Savoie était le département le plus riche de France. A Saint-Gingolph, il y régnait une vie dense et animée avec une centaine de bars et cafés. L’alcool coulait faisait partie intégrante de la vie des bacounis.

Après l’opulence vient la ruine. Dès la fin de la Première Guerre mondiale mais surtout avec l’arrivée des camions pour le transport des pierres, l’activité des bacounis diminuent fortement.

Au milieu des années 1920, l’utilisation du béton, notamment pour la construction du bâtiment du Palais de la Société des Nations, à Genève, entraînera la faillite de nombreux patrons qui travaillaient depuis des générations avec la pierre de Meillerie.

Philippe Souaille me dit qu’un de ces patrons, pour ne pas signer de reconnaissances de dettes, se coupa la main!

Le bacouni, c’est Michel Simon dans le film L’Atalante. Il est fier, bourru, fort, travailleur, honnête et sensible. Il aime l’alcool, l’amitié et les femmes. C’est un peu un anar de droite.

A l’aide d’une misérable brouette en bois, il transporte les pierres pour les charger sur les barques ou les galères du Léman. Il doit passer le long de deux troncs d’arbres mis à plat entre la rive et la barque. Il fallait un sacré équilibre pour ne pas tomber ou faire tomber sa marchandises à l’eau, d’autant plus que le bois vibrait sous le poids d’une telle cargaison.

La dernière chose que l’on peut noter sur cette image, c’est la corpulence des deux bacounis. Loin des salles de fitness qui façonnent à charge de milliers de francs des corps secs et filiformes, ici, les bacounis ont des muscles naturels, forgés par des années et des années d’intense labeur physique. Le bacouni, comme le mineur des pays du Nord, est un homme fait de roc et son constant équilibre sur ces deux troncs d’arbre lui donne une dimension nietzschéenne: toujours entre deux éléments, sans jamais chuter.■

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Les barques du Léman, une série de photos couvrant le XXe siècle

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