L'Inédit

par notreHistoire


La polémique

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Au cœur du mois de juin 1983, c’est tout un petit monde qui est en proie à une vive excitation. Les esprits s’échauffent autour d’une affaire anatomique. Cause du scandale : sur les plages de la Riviera vaudoise, voilà que des dames bronzent seins nus. Une poignée de citoyens outrés publient une lettre ouverte aux municipalités de la région, dans les colonnes de la Feuille d’avis de Vevey. D’une plume solennelle, ils affirment que l’on « impose à une majorité d’adultes et d’enfants un spectacle contraire à la décence, à la morale et aux convictions religieuses de certains d’entre eux ». La gravité des faits justifie à leur sens l’application stricte des règlements de police. En un mot, ils veulent la peau du monokini.

Un été radieux… mais la polémique est lancée. Qu'en pensent les baigneuses?

Emission Journal Romand (28.06.1983), coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

On aurait pu penser que l’exposition de la poitrine féminine à la face du soleil n’était plus un motif susceptible de froisser les âmes prudes, encore moins de susciter des vocations de lanceurs d’alerte. La mode du monokini, après tout, avait ses adeptes depuis deux décennies déjà, en France tout du moins. Le journal 24heures consacrait ainsi un court article au phénomène du « deux pièces moins une », en juillet 1964.

Ce sont alors les maires, en France, qui prennent la décision de tolérer ou non le monokini en bord de mer. Si quelques-uns d’entre eux semblent à l’avant-garde de la libération des corps, certains arguments invoqués nous laissent aujourd’hui pantois. Un exemple ? Le maire de Biscarosse se montre favorable aux seins nus « surtout si les demi-maillots sont portés par des belles filles ». Une gauloiserie qui n’appelle aucun commentaire.

Au cours des années suivantes, et loin des plages hexagonales où défilent les stars du monde entier, les Suissesses peuvent enfin espérer s’affranchir de certaines injustices. En 1971, elles obtiennent un droit de vote qui leur était jusqu’alors refusé. Quant à l’égalité des sexes, elle n’est inscrite dans la Constitution fédérale qu’en 1981, après de longs débats. Alors, quand quelques âmes effarouchées à la vue de seins nus croient bon de crier à la « dégradation morale », les principales intéressées peuvent bien se contenter d’en sourire, sans accorder trop d’importance à ceux qui souhaitent leur imposer un code vestimentaire prétendument pudique. Et de retourner parfaire leur bronzage, le buste libre et dénudé. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Les plaisirs de la baignade, en images et en vidéos des Archives de la RTS

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Le chemin dessiné

Coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

Le premier cadeau que l’on reçoit, c’est effectivement celui de la naissance. Une affaire biologique entre nos parents, indépendante de nos mérites ou de notre volonté. L’écrivain suisse Georges Piroué (1920-2005), né à la Chaux-de-Fonds, devenu directeur de collection pour les Editions Denoël, à Paris et traducteur de Luigi Pirandello, évoquait précisément son enfance dans un ouvrage intitulé : Tu reçus la naissance. Une brève et belle autobiographie que l’éditeur d’Orbe Bernard Campiche a eu l’heureuse idée de reprendre dans sa collection, il y a une quinzaine d’années déjà.

Lié à celui de la naissance « reçue », il y a un apprentissage initial autour duquel je ne vais point m’attarder, mais simplement le relever au passage. C’est celui de la fraternité. Naître en effet à quelques minutes d’intervalle avec son frère, pour des jumeaux monozygotes, c’est une notion de partage qui semble aller de soi dès le départ. Elle est quasi instinctive et, là aussi, biologique. Ainsi, mes parents n’ont jamais eu besoin de veiller ou d’insister sur cet aspect durant toute l’enfance de leurs deux enfants, presque semblables et pourtant différents, alors que la jalousie et la compétitivité sont souvent fréquentes entre frères et sœurs. Si ce cadeau d’une double naissance, au terme d’un bel été de l’année 1938, avait été une surprise pour ma mère, un peu désemparée par ce double accouchement, elle a toutefois bien assumé par la suite son rôle de mère et d’épouse d’un garde-frontière, tout d’abord dans une maison isolée aux confins des forêts et des pâturages du Jura, puis dans d’autres régions frontières. Cette maison, c’était la Douane des Charbonnières, à la Vallée de Joux. Elle avait  été dessinée par mon père sous la forme d’un croquis en 1940, afin de renseigner une personne de la famille qui, parvenue à la gare du Pont, venaient pour la première fois nous visiter à pied en suivant cette « Route de Mouthe » qui monte parmi les pâturages. Le dessinateur avait même fait figurer sa femme, tenant par la main ses deux enfants sur la route, en dessous de la maison. Ce document, contraire aux directives de la DAP (Défense aérienne passive) qui étaient en vigueur, n’est heureusement jamais tombé sous les yeux des responsables civils et militaires de l’époque…

Se tenir debout, c’est-à-dire apprendre à marcher, a ainsi été l’une de mes premières activités, surtout celle d’apprendre à avancer… dans la neige ! Cette denrée blanche, que chaque enfant essaie de prendre avec ses mains rougies et de manger, se déposait par offensives répétées, à la manière de la célèbre « manne » des Israëlites dans le désert, parfois dès le mois de septembre, pour ne disparaître qu’à la fin d’avril ou même au début de mai. Elle représentait le décor sur lequel les filles et fils des jeunes gardes-frontière, logés dans cette haute maison de la Douane, faisaient leurs premiers pas. Il m’est d’ailleurs resté de cette lointaine époque une expression coutumière, mais que la logique de l’enfant interprétait à sa manière. Ainsi, lorsque ces personnes venues en visite durant l’hiver nous quittaient, mes parents, comme les autres habitants de la maison, avaient  cette formule en guise d’adieu: « Portez-vous bien! »

J’ai longtemps cru que cela signifiait: «… sur la neige ». Autrement dit : que vos pas ne s’y enfoncent pas !

La neige a en effet cette capacité de nous « porter » sur sa surface souvent très dure et croûtée, et cela sans l’usage de raquettes, bien connues aujourd’hui des randonneurs et autres sportifs du dimanche. Ou alors, si elle est lourde et mouillée, l’on y enfonce jusqu’à la taille.

Elle peut même nous ensevelir complètement sous la forme d’une avalanche meurtrière.

L’apprentissage du ski a ainsi une sorte de nécessité dès l’âge de cinq ou six ans, toujours sous les conseils de mon père, mais sans jamais devenir, en ce qui me concerne, un sport ou une véritable passion. Longtemps plus tard, lors de mon apprentissage dans une ETML à Lausanne, à l’âge de dix-huit ans, il m’avait même fallu réapprendre à skier lors d’un unique « camp de ski » à Bretaye. Ce camp m’avait hélas laissé une mauvaise entorse et rendu boiteux pour de nombreux mois.

Cela peut certes paraître bizarre, voire incongru d’évoquer aujourd’hui la neige, alors que nous  sommes entrés dans un début d’été prometteur, cela après une difficile étape dite de confinement. Les nouveaux nés de ce printemps 2020 ne s’en souviendront peut-être pas, mais bien leurs parents et leurs grands-parents. Ces derniers avaient connu la Défense aérienne passive.■

Note

Piroué, Georges: Tu reçus la naissance. Nouvelle édition. Orbe, 2005. comPoche No 10

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A la découverte de la Vallée de Joux, une série de documents des Archives de la RTS

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Les Bacounis de Meillerie

Coll. P. Chappuis/notreHistoire.ch

En été 2017, j’ai vu à la Maison Garibaldi d’Evian l’exposition « Voiles latines du Léman ». A cette occasion, le documentaire Les barques du Léman, réalisé par le cinéaste Philippe Souaille, fut projeté et c’est grâce à ce film que j’ai entendu parler des bacounis.

Je compte Philippe parmi mes contacts Facebook. Le sachant connecté, je lui envoie un message et, dans la seconde, il me dit de l’appeler le lendemain pour une interview téléphonique, coronavirus et distanciation sociale obligent.

Etant en train de réaliser mon prochain livre de photographies sur le monde paysan, je l’appelle entre deux prises, sur la route. A défaut de cafés ouverts, je me réfugie pour être au calme à l’intérieur du temple de Morat.

Philippe Souaille a notamment réalisé Ashakara, qui a eu un succès international, et plusieurs documentaires. C’est une personne sincère, cultivée, un libéral à la fibre sociale; une espèce en voie d’extinction par les temps qui courent.

Mais revenons aux bacounis. Qui sont-ils ? Les bacounis – le mot provient du patois, terme savoyard, franco-provençal – sont les bateliers des rives du Léman, autant suisses que françaises. Ils transportent, à l’aide de brouette construite en bois, les lourdes pierres extraites des carrières de Meillerie (Haute-Savoie) et les chargent sur les bateaux venus accostés au port de Locum (port qui date de l’époque romaine). Les barques que l’on connaît, comme la Neptune, à Genève, seront construites dès le XIIe et XIIIe siècle pour transporter leur cargaison soit à la voile, soit en étant tirées le long de chemins de halage. Près d’une centaine d’hommes travaillaient à Meillerie, deux mille autres dans les carrières (aujourd’hui, avec l’automatisation, deux hommes suffisent au travail à Meillerie où l’on n’extrait plus de pierre, mais du gravier pour les chantiers).

La faillite par le béton

Il est intéressant de noter que jusqu’à la fin du XIXe et le début du XXe siècle, la main-d’œuvre française était mieux payée que les Suisses et la Savoie était le département le plus riche de France. A Saint-Gingolph, il y régnait une vie dense et animée avec une centaine de bars et cafés. L’alcool coulait faisait partie intégrante de la vie des bacounis.

Après l’opulence vient la ruine. Dès la fin de la Première Guerre mondiale mais surtout avec l’arrivée des camions pour le transport des pierres, l’activité des bacounis diminuent fortement.

Au milieu des années 1920, l’utilisation du béton, notamment pour la construction du bâtiment du Palais de la Société des Nations, à Genève, entraînera la faillite de nombreux patrons qui travaillaient depuis des générations avec la pierre de Meillerie.

Philippe Souaille me dit qu’un de ces patrons, pour ne pas signer de reconnaissances de dettes, se coupa la main!

Le bacouni, c’est Michel Simon dans le film L’Atalante. Il est fier, bourru, fort, travailleur, honnête et sensible. Il aime l’alcool, l’amitié et les femmes. C’est un peu un anar de droite.

A l’aide d’une misérable brouette en bois, il transporte les pierres pour les charger sur les barques ou les galères du Léman. Il doit passer le long de deux troncs d’arbres mis à plat entre la rive et la barque. Il fallait un sacré équilibre pour ne pas tomber ou faire tomber sa marchandises à l’eau, d’autant plus que le bois vibrait sous le poids d’une telle cargaison.

La dernière chose que l’on peut noter sur cette image, c’est la corpulence des deux bacounis. Loin des salles de fitness qui façonnent à charge de milliers de francs des corps secs et filiformes, ici, les bacounis ont des muscles naturels, forgés par des années et des années d’intense labeur physique. Le bacouni, comme le mineur des pays du Nord, est un homme fait de roc et son constant équilibre sur ces deux troncs d’arbre lui donne une dimension nietzschéenne: toujours entre deux éléments, sans jamais chuter.■

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Les barques du Léman, une série de photos couvrant le XXe siècle

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Locomotive Ae 6/6

Coll. A. Salamin/notreHistoire.ch

Ae 6/6. Des lettres et des chiffres. Les amoureux des trains suisses ont souvent un langage codé pour évoquer leurs admirations. Et parfois de beaux surnoms glissent dans la conversation et les livres d’histoire – un train « des petits pains espagnols», une mythique « crocodile », une « flèche rouge ». 

L’Ae 6/6 de mon enfance, ma préférée, avait une forme de solidité virile, d’élégance sobre, de bonne facture des ateliers helvétiques pour les pentes du Gotthard et les lourds convois. Et elle était verte. En harmonie avec les wagons voyageurs des « directs » et des « omnibus » d’alors, à l’exception de ces merveilleux wagons restaurants d’un rouge profond, mieux qu’une cerise zougoise bien mûre, qui faisaient envie aux petits villageois habitués aux sauts de puce entre deux gares voisines.

Les nuanciers ont dû bien travailler dans les bureaux des ingénieurs. Comment choisir les couleurs qui marqueront les générations, des mécaniciens aux vaches des prés ? La nostalgie est tributaire aussi de ces harmonies anciennes. Le vert choisi avait quelque chose de volontairement militaire, d’épais, d’onctueux comme de l’épinard à la crème. Parfait dans le paysage helvétique et le camaïeu des saisons, des gras labours du plateau aux pâturages des Préalpes. Même les sapins y trouvaient leur compte.

Puis un jour indéfini des années 1980, les locomotives des CFF virèrent au rouge. Un rouge vif, contrastant, aveuglant, comme une fusée à l’horizontale en partance pour d’autres horizons. Pas seulement les nouvelles locos tout justement conçues par nos ingénieurs avec d’autres lettres et d’autres chiffres que nous ne retenions plus : les anciennes donc, les « bonnes vieilles », en livrée rouge pour une part, comme si on ne respectait plus ce brave « cheval de fer » fourbu. Ripolinées. Un mien ami protesta, écrivit en haut lieu pour dénoncer cette rupture du ton sur ton et des traditions. En visitant le sympathique centre des archives des chemins de fer, à Windisch, je me suis demandé l’an passé si j’avais une chance de retrouver cette lettre dans un dossier quelconque. Et s’il y en avait eu beaucoup d’autres, dans toutes les langues de ce pays (sauf le romanche, car les chemins de fer rhétiques étaient déjà à l’unisson). La vaguelette populaire ne fit pas trembler, j’en suis sûr, la République esthétique, ni le jet à pression des ateliers. Il fallait dire adieu à un monde.

Depuis, s’il reste des écussons sur les locomotives, des petits noms affectueux sans doute, on a vu bien plus de trains tagués – en Suisse comme en Arcadie – et des slogans publicitaires maculant nos locomotives. Le vert a glissé dans la mémoire visuelle, si importante. La couleur est archivée, associée. Les journées du patrimoine en automne 2019 avaient ressorti en Suisse romande toutes les palettes pour lire les bâtiments sur ce plan, symbolique et esthétique. Les historiennes et les historiens, à la suite des travaux fourmillant d’érudition et d’approches novatrices de Michel Pastoureau, se prennent de passions pour la nouvelle présentation des couleurs et de leur signification fluctuante à travers les siècles. Les trains anciens sont aussi en ce sens inoubliables : l’ivoire et le bleu nuit des wagons-lits de l’Orient express, le bleu et le jaune véritablement onctueux des anciens wagons des BLS, l’orange à jamais triomphant des premiers TGV d’avant la grisaille, l’élégant TEE aux deux couleurs si harmonieuses. Je ne me lasserai jamais de regarder passer les trains. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Trains de Suisse, une galerie richement illustrée. Les locomotives des CFF à travers les décennies.

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