Descendu du Danube, le silure conquiert le monde en quête d’eaux chaudes. Il n’en menait pourtant pas large en 1948 au Landeron. « Une toute
belle prise ! Un silure comme on en pêchait souvent dans les années d’après-guerre
dans les lacs de Neuchâtel et de Morat, ainsi que dans le canal de la Thielle ».
Michel Mallet réside toujours au Landeron (NE)… 72 ans après cette pêche
miraculeuse d’un des ogres de nos lacs. Une chance que ce silure gras, laid et
sale, doté d’une réputation de « mangeur d’enfants », n’ait pas eu tout
loisir de croquer les deux bambins plastronnant devant lui. Les spécialistes
parlent d’un animal opportuniste davantage que dangereux. Pour beaucoup, il n’inspire
vraiment de la sympathie que suspendu à un crochet.
Même si sa vue est
faible et à sa digestion lente, le silure commence gentiment aujourd’hui à envahir
aussi le Léman, où ce thermophile aurait semble-t-il trouvé là chaleur à sa
guise pour se reproduire depuis une dizaine d’années.
Clin d’œil à 50
ans
Michel Mallet ne conserve qu’un vague souvenir du jour où cette surprenante photo a été prise. « J’avais sept ans, vous savez », a-t-il récemment confié à L’Inédit. En 1948, Michel (à droite) posa pour la postérité, munis de ses souliers montants et de ses chaussettes en laine, le chef surmonté d’un ersatz de béret basque, devant l’appareil de Monsieur Acquadro, le photographe attitré de la première commune de l’autre côté de la frontière cantonale, à La Neuveville (BE). La bâtisse devant laquelle le silure exhibe sa nature morte est toujours debout. « C’était l’Hôtel Le Suisse à la rue Saint-Maurice », se rappelle-t-il.
L’animal pêché cette année-là devait faire plus de deux mètres de long et peser au bas mot 80 kilos. Comparé aux deux lilliputiens, l’effet optique est en effet saisissant. Accompagné de son camarade Bernard (à gauche), Michel Mallet a même l’air un peu hébété. « Cette photographie a dû être réalisée en automne. Elle est ressortie à l’occasion de mon cinquantième anniversaire. Et j’ai décidé d’illustrer mon carton d’invitation avec ». Mais comment Miche Mallet s’est-il procuré ce cliché en amont ? « Ma mère l’avait acheté à M. Acquadro, qui a dû un jour la proposer à l’école aux parents des élèves…» ■
Sixième article de la série – sorte de feuilleton historique – que Jean Steinauer consacre aux animaux, réels et imaginaires, qui jalonnent l’histoire des Suisses (et peuplent leur inconscient). Après l’ours de Berne et l’ours d’Appenzell, les oiseaux, le taureau, le cheval et le bouquetin, il est temps d’entrer dans un monde plus imaginaire… et menaçant avec le dragon.
Le dragon qui a fait peur aux Lausannois, le 6 septembre 2016,
venait de loin. C’était un dragon de Komodo. Ce puissant reptile venimeux
d’Indonésie, capable de dévorer un buffle, paraît-il, s’était échappé du
vivarium de Lausanne. Sa fugue, au chemin du Boissonnet, n’a duré qu’un quart
d’heure et, Dieu merci, ne l’a pas mis en présence d’humains dont il aurait
fait son menu. L’année précédente, il avait déjà mordu sa gardienne. Il était
arrivé dans le chef-lieu vaudois en provenance du zoo de Prague, rapporta la presse.
En fait, il était originaire de Lucerne, où le peuple avait tremblé durant tout
le Moyen Age devant des spécimens moins dangereux, pourtant, parce que moins réels.
On trouve les détails dans la Chronique
de Petermann Etterlin, écrite en 1507. Le schéma est classique. Un pays
terrorisé par le monstre, friand de créatures vivantes et spécialement de
jeunes filles. Un héros désigné pour l’abattre, qui en vient à bout d’un coup
de lance dans la gueule (à Lucerne, ce saint Georges est le bailli Heinrich Winkelried,
mort en 1273). Un sort maléfique atteignant le vainqueur – qui meurt d’avoir
reçu, sur sa main non gantée, une goutte du sang empoisonné de l’animal. Et 24 Heures, en veine d’érudition, de signaler
quelques épisodes ultérieurs : « En 1421, un paysan assiste à la chute de l’un d’eux dans un pré.
Une flaque de sang ainsi qu’une pierre de dragon retrouvée à l’endroit du choc
témoignent de l’incident. En 1499 encore, un autre animal, surpris par l’orage
alors qu’il volait en direction du mont Pilate, tombe dans la Reuss. Il en
ressort au niveau du Spreuerbrücke, sous les yeux ébahis des Lucernois. »
On vainc les dragons par les armes, mais pour vaincre la peur qu’ils inspirent la seule arme efficace est la science. Aussi les siècles suivants, épris de rationalité, s’attachent-ils à documenter la vie des dragons dans une perspective d’histoire naturelle. Le grand Isaac Newton (†1727) se lancera lui-même dans une expédition à la recherche de dragons alpins; l’esprit scientifique progressant, les monstres mythiques seront rétrogradés au rang de gros lézards. On saura donc que ces reptiles volants, dûment décrits et dessinés sur la base d’observations et de témoignages oculaires irréfutables, vivent en famille et survolent toute la Suisse centrale (d’aucuns disent : primitive, bien sûr) à partir de leur base, établie sur le Pilate, montagne lucernoise emblématique.
En fait, c’est le Pilate lui-même qui effrayait les Lucernois. Autrefois nommée Frakmünt, la « montagne cassée » devait son nouveau nom
à la légende selon laquelle, dans un lac près du sommet, était enseveli Pilate,
le procurateur de Judée qui avait laissé crucifier Jésus. Pilate étant bien sûr
maudit pour l’éternité, le lieu de sa sépulture devait l’être aussi, et l’on
interdit de gravir cette montagne. Il était d’ailleurs dangereux de réveiller
la colère du feu procurateur, dont l’âme irritée déchaînait alors les
intempéries sur la région lucernoise – dont la forte pluviométrie est restée
proverbiale. Lucerne, pot de chambre de la Suisse, affirme-t-on encore de nos
jours.
La science peut dissiper la peur qu’inspirent les dragons, mais elle est impuissante à vaincre celle que génèrent les montagnes. Il faut grimper dessus pour s’en faire une idée rationnelle. Ainsi naquit le tourisme helvétique, et le Pilate devint, comme son voisin le Rigi et tant d’autres montagnes, l’un de ces sommets qu’on croirait formés tout exprès pour porter un restaurant panoramique et la station d’arrivée d’un téléphérique, ou d’un chemin de fer à crémaillère. Toutes choses qui furent construites, avec enthousiasme, au cours du XIXe siècle. Ecœurés, les dragons cédèrent le terrain aux voyageurs anglais, et se replièrent dans l’archipel indonésien. ■
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Il y a déjà vingt ans cette année que vous quittiez notre monde des vivants à Saint-Loup, près de Pompaples, dans ce vallon du Nozon où la Communauté des Diaconesses était venue s’établir en 1852, sous l’impulsion du pasteur Louis Germond, précédemment à Echallens. Mais pourquoi donc, diriez-vous, cette lettre posthume, bien trop tardive ?
C’est, voyez-vous, pour tenter de mieux comprendre, puis de retracer partiellement votre parcours au sein de cette société rurale d’où vous êtes issue, puis dans le cadre de cette communauté de Saint-Loup. C’est là où vous avez acquis une formation dans le domaine médical après un certain temps de noviciat, puis travaillé durant une trentaine d’années, jusqu’à l’âge de la retraite, dans les divers établissements de la Suisse francophone, où l’on vous envoyait: ces « lieux de vie et de ministère ». Durant les années 1949-1950, c’était en effet 29 hôpitaux régionaux, 11 EMS, 5 maisons pour tuberculeux , plus 25 œuvres de « Sœurs visitantes » itinérantes (ces premiers jalons des soins à domicile) qui bénéficiaient ainsi de l’engagement, corps et âme, des diaconesses de Saint-Loup dont vous faisiez partie .
Si, dès les débuts, leur fondateur avait le souci de la formation spirituelle et professionnelle des diaconesses, véritable école de vie avec un célibat imposé, voici par exemple et pour mémoire ce qu’il écrivait dans le onzième rapport de l’Institution, deux années après cette installation à Saint-Loup déjà évoquée. A cette époque lointaine, ce vocabulaire n’était guère surprenant:
« Notre établissement est avant tout une école. Former pour leur sainte tâche les femmes chrétiennes disposées à se dévoue au soin des malades gratuitement et pour l’amour du Sauveur.Fonder ainsi pour notre Suisse française réformée une institution doublement utile aux malheureux dont elle aspire à soulager lesmisères physiques et morales, et à l’Eglise à laquelle elle doit apporter un nouvel élément de vie. »
En juillet 1940, alors que la moitié de la France est occupée et que le plein pouvoir vient d’être accordé au Maréchal Philippe Pétain, à Vichy, vous voici jeune Sœur, âgée de 32 ans, consacrée parmi toute une volée où vous êtes la troisième à partir de la gauche.
Vous serez dès lors envoyée à l’hôpital d’Orbe, puis à la Clinique
pour enfants Wildermeth, à Bienne, inaugurée en 1903 avec 4 pavillons et 40
lits. Vous achèverez votre « ministère » comme directrice d’une Maison
de Retraite à Yverdon-les-Bains, vous permettant en même temps d’accompagner
vos parents âgés qui vivaient dans un chalet, à Yvonand. Vous étiez la seconde
d’une famille de quatre enfants. Un frère aîné, Francis, né en 1904, puis deux
frères après vous, Paul, né en 1910, puis Armand, en 1915. Ce dernier décédera
à l’âge de 17 ans du tétanos, à la suite d’une blessure mal soignée. Vous aviez
24 ans à ce moment-là. Cet événement va probablement motiver votre future vocation, mais vous n’en
parliez jamais.
J’ai sous les yeux deux documents officiels vous concernant. Le premier, c’est votre passeport, établi à Orbe, valable jusqu’au 20 août 1940. Le second, avec votre même portrait photographique où vous paraissez très sérieuse, est intéressant, parce qu’il montre que les autorités militaire suisses reconnaissent officiellement cette formation en soins infirmiers donnée par Saint-Loup, au titre d‘infirmière auxiliaire de la Croix-Rouge, et cela déjà au lendemain de la guerre, en juin 1945, tandis que cela ne sera que deux années plus tard, en 1947, que cette même Croix-Rouge reconnaîtra la formation en soins infirmiers des responsables de l’Ecole de soins de Saint-Loup. Neuf années plus tard, cette Ecole sera aussi ouverte aux jeunes femmes laïques, ou d’autres confessions, tandis que les directives de Louis Germond vont subsister dans leur première partie seulement, en ce qui concerne le gratuitement de cette vocation qui demeure un sacerdoce.
C’est finalement en 1966 qu’une Caisse de pension sera instituée en fondation indépendante, pour aider financièrement les sœurs à l’âge de la retraite, sous l’impulsion du directeur Albert Curchod (1920-2017).
Voilà, chère Sœur Angèle, ces quelques lignes que je tenais à vous écrire, parce que j’ai moi-même partagé autrefois avec vous d’inoubliables journées de vacances estivales, alors que vous viviez une retraite heureuse dans ce chalet hérité de vos parents. ■
Référence
Je tiens à remercier aussi ici M. Pierre Blanchard, membre du Conseil de fondation, pour ses précieuses lignes publiées en 2010 au sujet de l’histoire de Saint-Loup. Empreintes du passé, Saint-Loup, une œuvre de pionnier. In: Saint-Loup, les défis d’une mission. Edit. Fondation Ouverture, 2010.
Sans l’expansion planétaire du coronavirus – dont la taille ne peut se comparer à la plus petite particule fine émise par le plus performant des moteurs à explosion – le Salon de l’auto de Genève, pardon le « Geneva International Motor Show », aurait dû s’ouvrir le 5 mars 2020 et cette 90e édition s’annonçait pleine de promesses avec de nouveaux modèles à essence, hybride et électrique. Je cite, en vrac, la « Supercar Vega EVX », la « Kio Sorento », la « Aiways U5 » ou encore la « Polestar 2 ». Des noms de planètes lointaines, d’astres morts. Des noms à des années-lumière, nous en conviendrons, de la simplicité d’avant les crises pétrolières des années 1970, quand on ne cherchait pas midi à quatorze heures pour donner un nom à une voiture. L’absence d’imagination, alors, avait du bon : le nom de famille du directeur et un chiffre. Personne n’a oublié la Peugeot 404, la Renault 4L et, bien sûr, l’inégalable Citroën DS qui fit autant pour le prestige de la France que la sublime mannequin Loulou de la Falaise, le Chanel no5 et le Château Lafite Rothschild réunis.
Il faut préciser ici que les marques automobiles de l’après-guerre n’appartenaient pas encore à des investisseurs financiers, fonds de pension, « funds management » et « capital adviser » anonymes. Des grandes familles, issues souvent d’un bricoleur de génie doublé d’un entrepreneur avisé, et qui avaient su plus ou moins intelligemment profiter des commandes de la Première Guerre mondiale et surtout des années 1933 à 1945, ont construit des puissances industrielles qu’elles n’avaient pas honte d’afficher dans le choix du nom de leur modèle (ne nous querellons pas sur cette pauvreté de trouvaille due à Jacques Séguéla, et les royalties payées aux Picasso à la fin des années 1990, pour un triste monospace familial à cinq portes). Le Salon de l’auto de Genève – pour revenir à lui – était bel et bien un salon, c’est-à-dire un lieu d’exposition autant que de prestige où les constructeurs assumaient leur ego sans chercher à passer pour des défenseurs de la biodiversité. Mais les temps changent, les moteurs se perfectionnent et la conduite automobile sera bientôt entièrement autonome. Sur cette photo du Salon de 1968, qui se tient encore au Palais des Expositions, au centre-ville de Genève – le bâtiment fera place en 1999 à Uni-Mail – il est facile de compter les marques qui ont survécu à la concentration industrielle dans le secteur automobile. Le panneau de NSU, au premier plan, fait référence à NSU Motorenwerke AG,entreprise allemande fondée en 1873 qui, après ses débuts de fabricant de machines à tricoter, se spécialisa dans les motos et les voitures. Bien que sa Ro 80 – le dernier modèle vendu sous la marque NSU avant son rachat par FIAT – fut sacrée voiture de l’année 1968, rouler en NSU était, il faut le dire, prendre le risque de moquerie au volant du véhicule le moins glamour de tous les temps (c’est un avis personnel). Et SIMCA, au fond de l’image ? Lisez Société Industrielle de Mécanique et Carrosserie Automobile crée par FIAT en France en 1934 pour construire et vendre des véhicules sous licence, adieu donc les barrières douanières. Comme des poissons voraces dans une rivière boueuse, SIMCA absorbera Ford France en 1954 puis la marque sera reprise par Chrysler, qui la cédera ensuite à Peugeot pour devenir Talbot, en 1979. Elle disparaîtra six ans plus tard, échouée sur la rive du désengagement industriel des années 1980.
De l’autre côté du « Channel »
Passons du côté des anglaises, il fut un temps où la gamme couvrait des voitures populaires aux grandes berlines historiques, c’était avant le déclin de l’industrie automobile britannique amorcé dans les années 1970 et le coup de grâce du thatchérisme (mon père, employé aux PTT – on dit Swisscom aujourd’hui – a roulé pour son travail en Sunbeam (vert militaire), marque choisie un temps par la grande régie, mais lui il était Renault, et ses collègues plus Citroën et Peugeot, bref tous le cœur et le budget côté France). Cette deuxième photo, prise au Salon de 1961, met en exergue Morris et Wolseley ; Morris (William) créant sa marque en 1910, et Wolseley, issu en 1901 d’un fabriquant d’armes associé à l’industriel Herbert Austin (oui, la Mini). Ces deux marques seront intégrées dans British Motor Corporation puis British Leyland, avant de disparaître en 1975.
Et pour la fin, comme une incantation à un passé industriel et à ces voitures sans électronique, sans alarme automatique pour non-port de la ceinture, sans caméra de recul ni ordinateur de bord, récitons à haute voix quelques-unes des marques exposées sur cette photographie du Salon de l’auto de 1926 : Citroën, Pontiac, Oakland, Chevrolet, Elcar, Berliet, Packard Ballot, de Dietrich… ça claque, non ? Et ça a tout de même une autre tenue, vous en conviendrez, que le choix de Audi, près d’un siècle plus tard, pour son concept-cars électriques et hybrides si joliment baptisé « e-tron »…■
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Et d’autres marques disparues, ainsi que des vidéos des archives de la RTS dans la série sur le Salon de l’auto
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