Sans l’expansion planétaire du coronavirus – dont la taille ne peut se comparer à la plus petite particule fine émise par le plus performant des moteurs à explosion – le Salon de l’auto de Genève, pardon le « Geneva International Motor Show », aurait dû s’ouvrir le 5 mars 2020 et cette 90e édition s’annonçait pleine de promesses avec de nouveaux modèles à essence, hybride et électrique. Je cite, en vrac, la « Supercar Vega EVX », la « Kio Sorento », la « Aiways U5 » ou encore la « Polestar 2 ». Des noms de planètes lointaines, d’astres morts. Des noms à des années-lumière, nous en conviendrons, de la simplicité d’avant les crises pétrolières des années 1970, quand on ne cherchait pas midi à quatorze heures pour donner un nom à une voiture. L’absence d’imagination, alors, avait du bon : le nom de famille du directeur et un chiffre. Personne n’a oublié la Peugeot 404, la Renault 4L et, bien sûr, l’inégalable Citroën DS qui fit autant pour le prestige de la France que la sublime mannequin Loulou de la Falaise, le Chanel no5 et le Château Lafite Rothschild réunis.
Il faut préciser ici que les marques automobiles de l’après-guerre n’appartenaient pas encore à des investisseurs financiers, fonds de pension, « funds management » et « capital adviser » anonymes. Des grandes familles, issues souvent d’un bricoleur de génie doublé d’un entrepreneur avisé, et qui avaient su plus ou moins intelligemment profiter des commandes de la Première Guerre mondiale et surtout des années 1933 à 1945, ont construit des puissances industrielles qu’elles n’avaient pas honte d’afficher dans le choix du nom de leur modèle (ne nous querellons pas sur cette pauvreté de trouvaille due à Jacques Séguéla, et les royalties payées aux Picasso à la fin des années 1990, pour un triste monospace familial à cinq portes). Le Salon de l’auto de Genève – pour revenir à lui – était bel et bien un salon, c’est-à-dire un lieu d’exposition autant que de prestige où les constructeurs assumaient leur ego sans chercher à passer pour des défenseurs de la biodiversité. Mais les temps changent, les moteurs se perfectionnent et la conduite automobile sera bientôt entièrement autonome. Sur cette photo du Salon de 1968, qui se tient encore au Palais des Expositions, au centre-ville de Genève – le bâtiment fera place en 1999 à Uni-Mail – il est facile de compter les marques qui ont survécu à la concentration industrielle dans le secteur automobile. Le panneau de NSU, au premier plan, fait référence à NSU Motorenwerke AG, entreprise allemande fondée en 1873 qui, après ses débuts de fabricant de machines à tricoter, se spécialisa dans les motos et les voitures. Bien que sa Ro 80 – le dernier modèle vendu sous la marque NSU avant son rachat par FIAT – fut sacrée voiture de l’année 1968, rouler en NSU était, il faut le dire, prendre le risque de moquerie au volant du véhicule le moins glamour de tous les temps (c’est un avis personnel). Et SIMCA, au fond de l’image ? Lisez Société Industrielle de Mécanique et Carrosserie Automobile crée par FIAT en France en 1934 pour construire et vendre des véhicules sous licence, adieu donc les barrières douanières. Comme des poissons voraces dans une rivière boueuse, SIMCA absorbera Ford France en 1954 puis la marque sera reprise par Chrysler, qui la cédera ensuite à Peugeot pour devenir Talbot, en 1979. Elle disparaîtra six ans plus tard, échouée sur la rive du désengagement industriel des années 1980.
De l’autre côté du « Channel »
Passons du côté des anglaises, il fut un temps où la gamme couvrait des voitures populaires aux grandes berlines historiques, c’était avant le déclin de l’industrie automobile britannique amorcé dans les années 1970 et le coup de grâce du thatchérisme (mon père, employé aux PTT – on dit Swisscom aujourd’hui – a roulé pour son travail en Sunbeam (vert militaire), marque choisie un temps par la grande régie, mais lui il était Renault, et ses collègues plus Citroën et Peugeot, bref tous le cœur et le budget côté France). Cette deuxième photo, prise au Salon de 1961, met en exergue Morris et Wolseley ; Morris (William) créant sa marque en 1910, et Wolseley, issu en 1901 d’un fabriquant d’armes associé à l’industriel Herbert Austin (oui, la Mini). Ces deux marques seront intégrées dans British Motor Corporation puis British Leyland, avant de disparaître en 1975.
Et pour la fin, comme une incantation à un passé industriel et à ces voitures sans électronique, sans alarme automatique pour non-port de la ceinture, sans caméra de recul ni ordinateur de bord, récitons à haute voix quelques-unes des marques exposées sur cette photographie du Salon de l’auto de 1926 : Citroën, Pontiac, Oakland, Chevrolet, Elcar, Berliet, Packard Ballot, de Dietrich… ça claque, non ? Et ça a tout de même une autre tenue, vous en conviendrez, que le choix de Audi, près d’un siècle plus tard, pour son concept-cars électriques et hybrides si joliment baptisé « e-tron »…■
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Et d’autres marques disparues, ainsi que des vidéos des archives de la RTS dans la série sur le Salon de l’auto