L'Inédit

par notreHistoire


Lausanne - Parc de Valency

Le parc de Valency, à Lausanne. La fontaine "Le Poulain" a été réalisée en 1942 par Pierre Blanc.

Coll. S. Bazzanella/notreHistoire.ch

Notre rubrique Témoignage et récit reprend des articles des membres de notreHistoire.ch, à l’instar de ce texte de Daniel Rup, illustré par une photo de Sylvie Bazzanella.

En 2019, nous suivions un joli parcours de Lausanne Jardins avec des amis. Près du Parc de Valency, à l’avenue d’Echallens, nous nous arrêtâmes devant un joli petit massif de buissons. Nous entendîmes des pépiements d’oiseaux fort mélodieux. Intrigué, je passai la tête à travers les rameaux, mais je ne perçus aucun oiseau. Je finis par découvrir des haut-parleurs qui diffusaient ce joyeux gazouillis. Il me transporta un demi-siècle en arrière. Une histoire à dormir debout.

1960 et des poussières, j’habitais à Pully-Nord, dans une maison de 6 appartements. Les familles partageaient, non seulement la chambre à lessive, l’étendage, la cour intérieure mais aussi le jardinet avec son « tape-tapis ». Chaque maman, à son tour, pendait son tapis sur la barre transversale et, au moyen d’une tapette en osier, battait la carpette jusqu’à lui faire recracher tout ce qu’elle avait avalé la semaine. Les papas, curieusement, n’avaient pas l’usage de cette installation. Par contre, ma sœur et sa copine Rose-Marie se la réservaient pour des parties de « cochons pendus » et de gymnastique à la barre parallèle. Jean-Marc et moi-même l’utilisions pour des concours de « tirs au but ». On pensait bien qu’un jour on verrait des robots aspirateurs, des robots tondeuses à gazon, des appareils de photo volants télécommandés, mais on ne se doutait pas que le tape-tapis, le dévaloir et le petit commerce disparaîtraient.

La vie s’écoulait comme un petit ruisseau tranquille qui murmurait à l’orée des cheveux. À l’est, ma chambre donnait sur un grand champ, avec une ferme plantée en son milieu. (aujourd’hui occupé par le collège Arnold Reymond). Au sud, la chambre à coucher de mes parents s’ouvrait sur un verger très apprécié des oiseaux. Cette particularité joue un rôle central dans l’histoire que je suis en train de retracer.

Un jour, un couple de jeunes mariés vint s’établir sur le même palier. Pour mon père, le mariage, c’était pour la vie, alors que les couples « modernes », eux, avaient cessé de s’engager durablement. Il avait affirmé que les nouveaux voisins ne se faisaient guère d’illusions sur la durée de leur couple. Je m’étonnais de ce jugement à l’emporte pièce, sans même avoir fait la connaissance de ces personnes. Ce n’est que le lendemain que je compris le sens de sa boutade. On pouvait lire sur leur porte « Madame et Monsieur D. et N. Touchon-Dubois ».

Un deuxième jeune couple s’installa dans l’appartement au-dessus du nôtre. La moyenne d’âge s’effondrait ! Pleins d’énergie et d’enthousiasme, ces nouveaux venus organisèrent avec quelques amis une soirée fort animée. Parmi les dégâts collatéraux, il fallait compter avec l’insomnie. Mon père se retournait dans son lit, sans réussir à choper Morphée. Ma mère, tranquille, lui offrit une solution toute simple. Elle ouvrit une boîte de tampons auriculaires et en partagea le contenu. L’une s’endormit sans problème, alors que les tampons dans les oreilles de l’autre, épris de liberté, se dispersaient dans les draps. À quatre pattes sur le lit, il perdait patience. La chasse aux tampons dans la literie avait quelque chose d’exaspérant. Vaincu, il se leva. Il était déjà minuit moins quart. Il décida de s’habiller. Il pratiquait deux sortes de tenue. Il choisissait, soit un pantalon en velours côtelé brun ou beige avec une chemise à carreaux, généralement aux alentours du rouge lorsqu’il partait en forêt, soit un complet cravate dans toutes les autres occasions. Il ne s’agissait pas d’une sortie sylvestre, il enfila donc la tenue adéquate. Il ajusta la cravate dans la salle de bains, se passa un coup de peigne et descendit à la cave. Il choisit une bouteille et sonna à la porte de l’appartement « sonorisé ». Au jeune homme qui ouvrit, il déclara.

– Écoutez voir, j’avais gardé cette bonne bouteille pour une grande occasion, mais on voit bien, au bruit que vous faites, qu’il doit s’agir d’une grande occasion, alors je viens la boire avec vous !

Il se joignit à la compagnie et participa aux décibels. L’ambiance était encore montée d’un cran, si bien qu’il était déjà cinq heures du matin quand il descendit se coucher.

Il entra discrètement dans la chambre à coucher. Ma mère se réveilla et interrogea.

– Tu viens d’où ?
– Je suis monté chez les voisins leur dire qu’ils faisaient beaucoup de bruit.

La cacophonie ayant cessé…

– Eh bien, tu as été convainquant ! Mais quelle heure est-il?
– Il est minuit, fit-il sans rougir. Rendors-toi !

Elle dressa l’oreille.

– Mais ce n’est pas minuit, on entend les oiseaux chanter !

Il ne se démonta pas. Il ouvrit la fenêtre à deux battants.

– Faux-jetons ! cria-t-il.

Les moineaux restèrent cois pendant deux secondes, puis reprirent leur concert. C’était la première fois qu’ils se faisaient engueuler au petit matin. Mon père ne mit pas plus de deux minutes à s’endormir comme un nouveau-né. Il avait inventé la fête des voisins, qui se tint régulièrement depuis, dans le petit locatif. ■

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Le loto, un passion populaire

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Le brouhaha m’enivre. Du haut de mes huit ans, ce vendredi soir, je suis toute excitée d’être de sortie avec mes parents et mes deux grandes sœurs. Nous avons fait 45 minutes de route depuis notre village neuchâtelois. La salle de la Grenette, à Fribourg, est pleine à craquer – de monde, de fumée et d’espoir. Je choisis mes cartons avec soin: ceux qui comportent les dates de naissance des membres de ma famille.

Les dames du loto, un reportage de l'émission Mon Œil de 1987.

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Munis de sandwichs pour nous ravitailler en cours de soirée, nous nous asseyons à l’une des longues tablées. Pour couvrir les numéros, il y a mille petits carrés rouges translucides, tels des paillettes, que je prends plaisir à faire couler entre mes doigts. Les jetons ronds de toutes les couleurs, cerclés de métal, attisent eux aussi ma convoitise. Ils me font penser à des bijoux ou des bonbons. J’envie les participants qui les ramassent en un geste, équipés d’une poignée aimantée en plastique d’une couleur assortie. Sur les tables trônent des gris-gris en tout genres, petites peluches, breloques ou pendules déposés là pour s’attirer la chance.

Rituels à foison

«Treize !», annonce le crieur depuis l’estrade, puis aussitôt «Thérèèèèèse !», petit jeu de mot rituel dont il ne se lasse pas. Puis «Dix !…Deux fois cinq !», ou encore «Un !…Tout seul !». Et dans les soirées bilingues: «Quarante-huit… Achtundvierzig !», ce qui a l’avantage de m’initier avant l’heure au comptage dans la langue de Goethe. De temps en temps, le crieur égrène ses numéros d’une façon chantante, comme pour rompre la monotonie de sa litanie. Et il y a bien sûr les «Coup d’sac !» régulièrement réclamés par les impatients et les joueurs bredouilles.

La concentration règne dans toutes les rangées. Ce n’est que lors des pauses entre deux tours que les participants se remettent à bavarder et plaisanter avec les voisins. Certains ont devant eux une bonne douzaine de cartes, et je me demande bien comment ils font, surtout les dames âgées, pour avoir le temps de toutes les parcourir à chaque criée. J’en soupçonne de connaître leurs numéros par cœur. Moi, comme gamine, je dois être au taquet pour scruter l’ensemble de mes chiffres. J’essaye des tactiques diverses: mes yeux balayent ligne après ligne, puis colonne après colonne.

Plus qu’une case vide avant le carton – mon cœur bat la chamade. Les paniers garnis, très peu pour moi, de même que les bouteilles de vin. Je lorgne plutôt sur les lots en espèces. Deux cent francs… je m’imagine déjà en leur possession, palpant les billets. «Trente-neuf… trente-neuf… trente-neuf…», grommelle ma voisine entre chaque annonce de numéro, comme si la force de ses incantations pouvait influencer le tirage. «Cartooooon !», hurle une participante. S’ensuit une clameur générale dans la salle, mélange de félicitations et de râles de déception. Il faut voir le visage exultant de la gagnante, ses yeux brillants, remplis de fierté comme si elle venait de remporter une victoire en réalisant un exploit.

Emotions et symboles

Les tours s’enchaînent et ma capacité de concentration baisse au fur et à mesure. Il se fait tard. Je me réjouis du trajet de retour. Sur le siège arrière de la voiture, je me réconforterai en humant notre gain – le jambon fumé qui sent rudement bon – et je m’endormirai par intermittence, bercée par le ronron du moteur. Ici j’ai chaud, la fumée me prend à la gorge et j’ai mal à la tête. Les gens m’exaspèrent avec leur façon de prendre tout ça tellement à cœur. Le brouhaha me lasse.

C’était dans les années 1980. Les matches au loto étaient alors en vogue. Organiser de tels événements permettait aux associations locales de remplir leurs caisses. Cette exaltation des participants, l’ethnologue Thierry Wendling la trouve lui aussi déconcertante et fascinante à la fois, comme il le relève dans une étude sur le sujet. En tant que joueur d’échecs, il comprend que l’on puisse rester assis des heures pour pratiquer une activité stimulante. Mais pour écouter les mêmes mots et répéter les mêmes gestes si mécaniquement, à attendre quelque gain somme toute modeste ? Et pourtant, le loto est très répandu à travers les pays du monde, où il est nommé de manières fort diverses comme tombola, quine, bingo ou encore rifle. Du reste, cette pratique requiert quelques capacités non dénuées d’intérêt pour les seniors: concentration, mémoire et dextérité manuelle. Ce qui frappe aussi, c’est cette alternance de silence et de vacarme. Ainsi que ce paradoxe: le caractère très individuel de ce jeu, qui s’inscrit pourtant dans un cadre et un rythme éminemment collectifs.

Aujourd’hui je me me remémore ces soirées avec un sourire condescendant, les jugeant bien désuètes. Il m’en est resté toutefois un je-ne- sais-quoi, une nostalgie esthétique pour le matériel, peut-être – mêlée à mon éternel goût pour les jeux de toutes sortes. Dans mon logis parsemé de trouvailles de brocante, on voit ça et là d’intrigantes boîtes de lotos anciens. Leurs bords sont élimés et leur contenu m’émeut. Ces cartes aux coloris pastels, ces nombres aux typographies variées, et ces jetons en bois sculptés que je me plais de temps en temps à brasser, aligner, observer. Puis je les range sur l’étagère, bien calés à côté des échiquiers et des souvenirs rêveurs. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

La fièvre du loto, une série de vidéos des Archives de la RTS

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Aristide Briand

Aristide Briand à la tribune de la Société des Nations. Il incarne la promesse de la paix portée par la SdN (photo années 1920).

Coll. J.-C. Curtet/notreHistoire.ch

Série - Regards sur la Société des Nations

Genève, capitale de la paix

Cette série est conçue en partenariat avec les Archives des Nations Unies à Genève, qui ont publié sur notreHistoire.ch des documents, principalement des photographies, sources du travail des historiens et des journalistes que L’Inédit réunit pour l’occasion. Retrouvez les articles de cette série en cliquant ici.

Depuis l’installation de la Société des Nations à Genève en 1920, un rituel s’est mis en place, celui des Assemblées annuelles de la nouvelle organisation internationale. A la fin de l’été, se dirigeaient sur les bords du Léman des Hommes d’Etat, des Ministres, les chefs de délégation des Etats membres, les représentants d’organisations non-gouvernementales, des délégués de minorités nationales et des peuples soumis aux Puissances coloniales ainsi que des défenseurs des droits politiques, sociaux, culturels, sans oublier de très nombreux correspondants de la presse internationale et progressivement des médias audiovisuels. Genève est rapidement devenue une sorte de Capitale mondiale, mais surtout une Capitale de la Paix.

De très nombreux discours étaient prononcés, souvent d’une grande éloquence. Un des orateurs qui a marqué la mémoire, surtout par ses élans rhétoriques en faveur de la paix, prononcés devant l’Assemblée de la Société des Nations ou dans des séances de commission, c’est bien Aristide Briand.

Personnalité politique de premier plan en France, il a dirigé plusieurs gouvernements en tant que Président du Conseil, mais surtout il a dirigé la diplomatie française de façon presque continue entre 1921 et à quelques mois de sa mort en 1932. C’est à ce titre qu’il est le Délégué de la France à la SdN. Il s’est fait remarquer par son action en vue d’un rapprochement et d’une réconciliation avec l’Allemagne de la République de Weimar; action qui a conduit aux Accords de Locarno en octobre 1925 et qui prélude à l’entrée de l’Allemagne à la SdN et par conséquent au renforcement de cette organisation. Cette période des années 1920 connaît un développement intense de la coopération internationale dans tous les domaines.

Un pèlerin de la Paix

Grâce à son éloquence, Aristide Briand a été un promoteur talentueux de cette politique de Paix : il était qualifié de « pèlerin de la Paix ». Il a été l’artisan d’une alliance avec les Etats-Unis, absents de la Société des Nations, bien que c’est leur Président Wilson qui en avait été un des principaux instigateurs en 1919 ; à défaut d’une alliance franco-américaine, l’initiative de Briand a abouti à la signature en 1928 d’un Pacte à portée universelle, le Pacte Briand-Kellogg de renonciation à la guerre, approuvé par la quasi-totalité des Etats du monde, y compris l’URSS, qui ne faisait pas encore partie de la SdN. En septembre 1928, l’Assemblée de la SdN adopte dans la foulée L’acte général pour le règlement pacifique des conflits internationaux que tous les Etats sont invités à approuver.

Dans ce contexte de paix universelle, l’Assemblée de septembre 1929 peut être considérée comme l’apogée du pacifisme. Réunis pour célébrer le 10e anniversaire de la SdN, les délégués des Etats présents, y compris les journalistes et les experts, dressent avec un enthousiasme éloquent l’œuvre de paix mise en œuvre sous l’égide de la Société.

Il est intéressant de noter qu’à quelques semaines du grand krach boursier qui ébranlera le monde à partir de l’automne 1929, les hommes d’Etat et les diplomates sont portés à se féliciter de l’incontestable amélioration politique et économique de l’Europe. Le délégué belge déclare solennellement : « on sent l’approche d’une époque nouvelle et l’éveil d’un esprit nouveau ».

La quasi-totalité des discours célèbre ce que l’on a appelé « L’Esprit de Genève ». En quoi consiste-t-il ? Il s’agit de la conviction que tous les problèmes qui affectent la vie des peuples et leurs relations extérieures peuvent être résolus par la concertation et la coopération internationale.

7e assemblée de la Société des Nations, septembre 1926. On reconnaît au premier rang de la salle, à gauche, Aristide Briand.

Coll. J.-C. Curtet/notreHistoire.ch

Dans ce climat  de paix universelle, Briand et ses collègues peuvent se féliciter en septembre 1929, et à juste titre, des progrès accomplis dans la coopération politique pour constater a contrario que dans le domaine économique, de grandes discordes sont apparues, des politiques protectionnistes exacerbent les rivalités entre les nations. Certes, une grande conférence économique internationale qui s’était tenue à Genève en 1927 avait déjà dénoncé les dangers qui résulteraient du maintien et du renforcement de politiques économiques strictement nationales. Or, en 1929, on constate avec inquiétude que les Etats n’ont pratiquement pas pris au sérieux les avertissements de la conférence, ni souscrit aux mesures préconisées.

Vers les Etats-Unis d’Europe

C’est dans ce contexte qu’Aristide Briand va parler, le 5 septembre 1929, de la nécessité de faire régner la paix économique. L’établissement de cette dernière, reconnaît-il, ne saurait résulter du seul travail des techniciens de l’économie. « C’est à la condition de se saisir eux-mêmes du problème et de l’envisager d’un point de vue politique que les gouvernements parviendront à le résoudre. S’il demeure sur le plan technique, on verra tous les intérêts particuliers se dresser, se coaliser, s’opposer : il n’y aura pas de solution générale ».

Briand se rend bien compte de l’ampleur de la tâche au niveau mondial, du fait notamment de l’absence des Etats-Unis et de l’URSS de la grande plateforme diplomatique genevoise.

C’est la raison pour laquelle le Ministre français des Affaires étrangères dans son fameux discours du 5 septembre 1929, propose d’entreprendre quelque chose de concret au niveau européen, cela d’autant plus que la grande majorité de ses interlocuteurs sont des délégués des Etats européens.

A l’instar de nombreux autres hommes d’Etat européens, sensibilisés à l’idée d’union européenne, le Chef de la diplomatie française s’est convaincu de la nécessité de donner un début de réalisation à la constitution de ce que plusieurs publicistes de l’époque appellent de leurs vœux : les Etats-Unis d’Europe.

Après avoir exprimé la réticence qu’il éprouvait en tant qu’Homme d’Etat à se lancer dans une pareille aventure que celle d’une Union européenne, Briand estime « qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral ; ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d’établir entre eux un lien de solidarité, qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves, si elles venaient à naître. C’est ce lien que je voudrais établir ». 

C’est bien à la suite de cette proposition que les délégués européens à la SdN, réunis le 9 septembre à l’Hôtel des Bergues, résidence de la délégation française, vont charger Aristide Briand de préparer un Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne. Ce document préparé par le Quai d’Orsay, daté du 1er mai 1930, sera remis à tous les Etats européens, qui sont appelés à se prononcer sur ce projet que l’histoire a retenu sous le vocable de Plan Briand d’union européenne.

La crise économique qui ravage le monde à partir de 1930 ne va pas permettre la mise sur pied de l’ambitieux projet confié à une commission de la SdN. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale et devant l’urgence de reconstruire l’Europe qu’une nouvelle commission d’étude pour l’Union européenne entreprendra sur des bases nouvelles la mise en œuvre d’une Union européenne ; celle-ci se concrétisera dans des institutions européennes qui vont se développer dès 1948 et se transformer jusqu’à nos jours.

C’est une autre dimension qu’aborde Aristide Briand, dans son discours du 7 septembre 1929 (pour écouter un extrait de ce discours, cliquez ci-dessous).

Ici, il s’agit d’une vaste question à l’ordre du jour depuis la fin du premier conflit mondial, celle du désarmement.

En effet, si dans le Traité de Versailles de 1919, l’Allemagne avait été condamnée à un désarmement presque total, il était convenu qu’une fois la Paix assurée les autres Etats devraient procéder à une réduction de leurs propres armements.

Or, les commissions, chargées d’étudier cette question sensible qui touche à la sécurité des Nations, ont traîné les pieds. Dès 1925, un projet d’une conférence générale portant sur la réduction des armements a été formulé : plusieurs réunions d’experts se sont tenues à Genève et leurs travaux ont été abordés lors des Assemblées de la SdN.  C’est ainsi que Briand évoque, le 7 septembre 1929, dans cet enthousiasme déjà évoqué de consolider la Paix générale entre les Nations, la nécessité de procéder à un accord international sur le désarmement. Il invite ainsi ses collègues à accélérer les travaux de la commission préparatoire d’une Conférence sur la réduction des armements. Après bien des obstacles, finalement la conférence est convoquée à Genève en 1932.  Mais en 1932, l’approfondissement de la crise économique mondiale et l’augmentation de l’insécurité ralentissent les travaux. Après bien des compromis entre les représentants des Etats sur le niveau de leur propre réduction des armements  et l’augmentation des armements concédée à l’Allemagne, au nom de l’égalité entre les forces disponibles pour la propre sécurité des Etats, un accord est enfin conclu. Mais, entre-temps, l’arrivée au pouvoir en Allemagne d’Adolf Hitler, en janvier 1933, change complètement la donne. En effet, Hitler reproche l’inégalité de traitement entre les Etats, puisque le délai accordé à l’Allemagne pour élever son niveau d’armement par rapport à la France et à l’Angleterre, lui sert de prétexte pour annoncer avec fracas la sortie du Reich allemand de la SdN.

La Paix par le Droit

A partir de ce moment, la SdN entre dans un engrenage de nouvelles tensions internationales et de conflits (Mandchourie, Ethiopie, Espagne…) qui la prive de sa vocation de garante de la paix par la sécurité collective. Son crédit est en chute libre et L’Esprit de Genève s’est étiolé au profit d’attitudes cyniques et lâches par rapport au respect des traités et des engagements pris au sein de la Société des Nations.

C’est la raison pour laquelle le discours de Briand du 7 septembre 1929 sur le désarmement n’a pas eu le retentissement historique qu’il aurait mérité, contrairement à ses ambitieuses propositions d’union européenne.

Par ses discours à Genève, Briand a incarné un magistère moral dans une perspective universaliste d’un monde de paix. Il a espéré par son verbe, par un charisme reconnu, qu’il pourrait contribuer à créer une humanité nouvelle sur le principe de la Paix par le Droit. Sans doute, cet Homme d’Etat français, cet apôtre de la Paix, si bien caricaturé, a-t-il incarné la mission universelle que la France s’était donnée : la Paix par le Droit, la civilisation et la philosophie des Lumières. ■

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D’autres documents dans la galerie consacrée à la SDN et une série de documents sonores des Archives de la RTS

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Sur les toits de New York

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

De nombreux Suisses s’installent en Amérique du Nord dans la seconde moitié du XIXe siècle, souvent en raison de difficultés économiques ou de crises agricoles. En 1929, le journal Le Jura publie un article intitulé « Un village émigre » (1). Il évoque le cas de Cornol qui compte près de 500 habitants partis tenter leur chance aux États-Unis, et plus particulièrement à New York, entre la fin du XIXe siècle et les années 1930. Ce petit village proche de Porrentruy présente une émigration relativement importante en proportion de sa population. C’est ce que révèle l’historienne Marie-Angèle Lovis qui s’est penchée sur ce phénomène migratoire dans un ouvrage qui vient de paraître (2).  

Quitter Cornol

La conjoncture économique difficile, l’instabilité du secteur de l’industrie horlogère ou la recherche d’une vie prospère sont parmi les facteurs qui poussent certains ressortissants de Cornol à émigrer. Marcel Girard est l’un de ces expatriés. Né en 1906 dans une famille nombreuse de neuf enfants, Girard embarque en 1923 à l’âge de 17 ans à bord du paquebot La Savoie au départ du Havre à destination de New York. Comme la plupart de ses concitoyens, il fait le voyage en deuxième classe. Le coût de la traversée, sans doute financée par ses parents, se situe aux alentours de 900 francs suisses – une somme importante pour l’époque. Le voyage a probablement été organisé par une agence d’émigration telles que les maisons bâloises Rommel et Zwilchenbart qui collaborent avec la Compagnie générale transatlantique, une entreprise de transport maritime.

Welcome to America

La Savoie accoste à Ellis Island le 6 août 1923. De nombreux ressortissants de Cornol se trouvent déjà sur place, ce qui laisse à penser que le jeune Girard a pu bénéficier du soutien de certains d’entre eux pour trouver un logement et un travail et prendre ses repères dans une ville dont la langue lui est étrangère. Il est courant qu’un membre de la famille, un cousin, un oncle, ou encore un ami de la famille, offre son appui aux nouveaux arrivés. La création de ces échanges est facilitée par le fait qu’un certain nombre d’émigrés de Cornol vivent dans le même quartier new-yorkais – qu’ils appellent fièrement « City Cornol », d’après Le Jura. Au cours de sa vie américaine, Marcel Girard a tissé des liens avec d’autres émigrés de Cornol, à l’exemple de Constant Adam.

Promenade à Central Park pour le couple de jeunes mariés, Marcel et Marie Girard,

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

Une photographie datant des années 1920 montre les deux expatriés posant chez un photographe vêtus d’un costume élégant.

Les habitants de Cornol émigrés à New York reviennent parfois au village en été pour les vacances. Selon Le Jura, ce bref retour est l’occasion de faire connaître leur nouvelle vie aux habitants par des récits susceptibles de susciter des envies de départ : « A les voir ainsi revenus avec leur chic américain, à les entendre raconter leur vie de peines, de travail, mais aussi de gains, à fréquenter ces vrais gentlemen, les sédentaires et les récalcitrants se sentent épris du désir de de préparer leur visa pour outre-mer. Jusqu’aux bambins de l’école primaire qui rêvent déjà de leur voyage d’Amérique. C’est une fièvre et je n’oserais pas ajouter que parmi notre jeunesse, environ quarante filles et garçons attendent leur tour pour prendre les prochains bateaux, via New York. »

La brigade de l'Union League Club. Marcel Girard (2e rang, 2e depuis la gauche) travaille alors comme cuisinier (années 1920).

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

Une vie américaine

En septembre 1944, Marcel Girard, mobilisé dans l'armée américaine, est en poste à Spartanburg, en Caroline du Sud.

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

C’est à New-York que Marcel Girard rencontre sa future épouse, Marie Maurer, d’origine française. Le mariage est célébré dans une église de Manhattan en 1928. A cette époque, il est cuisinier, elle est couturière dans une usine. Les emplois dans la restauration sont courants pour les nouveaux arrivés (casseroliers, plongeurs, éplucheurs de légumes) tout comme les métiers de chauffeurs, jardiniers ou d’ouvriers d’usine.

Dans son livre, Marie-Angèle Lovis signale deux avantages liés aux métiers de la restauration : la possibilité de grader en commençant au bas de l’échelle et la garantie de repas quotidiens. Des conditions favorables qui ont peut-être joué un rôle dans le choix professionnel de Girard.

Le couple vit tout d’abord à Manhattan, puis dans le Queens. Durant la Seconde Guerre mondiale, Marcel Girard est mobilisé, ce dont témoigne plusieurs photographies publiées sur notreHistoire.ch. Après New York, le couple s’établit en Floride pour y passer sa retraite. Marcel Girard décède en 1986 à Palm Beach. ■

Références

(1) « Un village émigre », Le Jura, vol. 79, nº110, 14 septembre 1929.
(2) Marie-Angèle Lovis, Un village suisse émigre. Le cas de Cornol dans le canton du Jura (1815-1956), Neuchâtel, Alphil, 2020.

A consulter également sur notreHistoire.ch

D’autres photos de Marcel Girard, notamment durant sa mobilisation dans l’armée américaine. Et des documents sur l’émigration des habitants de Cornol aux Etats-Unis.

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