Vissoie, Val d’Anniviers, 1956. La photographie montre trois hommes, autour de bûches qui semblent crépiter. L’homme au centre, concentré, racle une demi-meule de fromage bien entamée en direction d’une assiette. La raclette est prête à être servie.
Une seconde photographie publiée sur notreHistoire.ch donne un aperçu de la scène qui se déroule à l’arrière-plan : des tablées de convives se régalent de la raclette mangée en plein-air. Il se dégage de cette image une atmosphère conviviale, un air de fête qui rappelle que ce mets a une forte valeur symbolique et sociale. Faire fondre un morceau de fromage à la chaleur d’un feu de bois est une pratique commune à plusieurs régions de Suisse. Mais c’est en Valais que le terme « raclette » ou « râclette » apparaît progressivement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle pour désigner ce plat traditionnellement préparé dans les alpages. Les articles publiés dans la presse valaisanne de l’époque décrivent un plat, généralement accompagné de fendant, qui est souvent servi pour célébrer des moments particuliers de la vie, tels les anniversaires et les baptêmes, ou encore à l’occasion des désalpes et des fêtes villageoises.
La raclette se fait progressivement connaître en dehors du canton dès la fin du XIXe siècle. Les expositions nationales favorisent la propagation de ce mets dans les différentes régions de Suisse et sa reconnaissance comme spécialité valaisanne. Le Village suisse de l’Exposition nationale de 1896 à Genève accueille déjà une Auberge valaisanne où « les râclettes disparaissent dès leur arrivée ». Les expositions commerciales contribuent également à promouvoir l’industrie laitière et fromagère valaisanne, à l’image du Comptoir suisse à Lausanne qui familiarise le public romand avec la raclette dès les années 1920.
La communion avec la nature
« N’allez pas croire, surtout, que l’on mange la raclette dans une salle ou un carnotzet : la raclette exige le grand air, dans les montagnes du Valais » déclare le journal Le Rhône en 1944. Plus qu’un simple repas, la raclette est même décrite par certains commentateurs dans la presse de la première moitié du XXe siècle comme un moment de communion avec la nature. Un article de la Gazette de Lausanne évoque la joie de cet instant : « Oh ! je ne médis pas d’une raclette préparée dans un restaurant bien fréquenté. Mais la raclette en plein air crée un état d’euphorie particulier ».
La coutume de partager une raclette à ciel ouvert devient toutefois moins courante à partir des années 1950 en raison du développement des techniques de préparation. L’arrivée des fours à raclette électriques a largement permis de populariser et de faciliter la consommation de ce mets à l’intérieur des foyers. Cette évolution n’est pas sans susciter une certaine inquiétude. Certains craignent que ce changement ne conduise à la perte du caractère quasi sacré de ce plat.
Très attaché aux traditions rurales, l’écrivain valaisan Jean Follonier (1920-1987) partage ce point de vue : « J’ai une sérieuse envie d’écrire qu’on est en train de paganiser la raclette. En effet, dans notre véritable esprit de tradition, inviter quelqu’un à une raclette, c’est lui ouvrir les portes d’un monde inhabituel et quasiment merveilleux. Cela relève d’un rite, donc cela doit se dérouler dans un temple approprié. Quand je parle de paganisation du rite, je veux simplement dire que ce que nous appelons le progrès nous permet maintenant de manger la raclette à toutes les occasions et aussi à peu près n’importe où. » ■
Références
L. C., « Chronique », Le Valais romand, 15 juin 1896.
Ch. Beuchat, « La raclette », Le Rhône, 18 août 1944.
H. Tanner, « Un mets délectable : la raclette », Gazette de Lausanne, 13 juin 1950.
Jean Follonier, « Raclette », Treize étoiles, octobre 1967.
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