L'Inédit

par notreHistoire


Gare de Cornavin  du PLM

La gare Cornavin, env. 1860

Furne & Tournier, Coll. Y. Plomb/notreHistoire.ch

Ce week-end du 15 décembre 2019, Genève et la France voisine fêtent l’ouverture de la ligne ferroviaire du CEVA, qui relie la gare de Cornavin à Annemasse. C’est une étape majeure dans une longue histoire du rail à Genève. Il faut remonter en 1844 pour que la question du chemin de fer soit examinée pour la première fois par l’Etat de Genève. Une commission de onze membres est nommée. Sa mission : étudier la faisabilité d’une ligne de chemin de fer, comme le permet alors le système des concessions cantonales.

Durant la même période, une société se forme à Lyon et à Genève sous le nom de Compagnie lyonnaise-genevoise pour étudier du point de vue technique et financier la direction et le coût de divers tracés entre les deux villes. Des sociétés de capital et des banques participent à cette compagnie.

De son côté, la Ville de Genève, en parallèle à la commission de l’État, fait également une étude afin de démontrer les avantages d’une liaison de Genève avec la ligne Paris-Lyon-Marseille.

Dès le début 1846, l’État de Genève poursuit les études techniques et la Société lyonnaise-genevoise développe la recherche de fonds pour la réalisation de la ligne Lyon – Genève. Mais les Révolutions de 1846 et de 1848 ajournent l’entreprise.

Où construire la gare? A la Servette ou à Cornavin?

C’est à la fin de 1852 seulement que l’État de Genève reprend les démarches avec une compagnie formée à Paris pour la création d’une ligne entre Genève et la France. La concession et une subvention de 2 millions sont accordées le 8 janvier 1853. Les travaux ne débutent qu’une année plus tard, le 23 janvier 1854. Il y eut de nombreuses discussions entre la Compagnie et l’État de Genève sur l’emplacement de la gare. Une convention est signée le 4 août 1855 et la Compagnie accepte Cornavin comme terminus de la ligne, en lieu et place du plateau de Servette. La ligne Lyon – Genève (Gare de Cornavin) est inaugurée le 16 mars 1858 et trois jours plus tard la ligne est mise en service pour les voyageurs et les marchandises. La ligne vers Lausanne sera ouverte le 25 juin 1858.

On s’en doute, ce 16 mars 1858 est une grande journée, marquée comme il se doit : sorti de l’Hôtel de ville, le cortège composé du Conseil d’État et des délégués des différents corps constitués se dirige vers La Treille, la Corraterie, Rue Basse, Fusterie, Place du Rhône, la rue du Mont-Blanc et Cornavin. La gare est magnifiquement décorée, rapportent les observateurs, avec les écussons de l’Empire français, de la jeune Confédération suisse et de Genève. Après les discours, les autorités prennent le train composé de seize wagons et de deux locomotives (Salenches et Ville de Genève). Celui-ci s’ébranle en direction de La Plaine vers 15 heures et ne s’arrête pas dans les gares de Meyrin et de Satigny. A la gare de La Plaine, le convoi retrouve un autre train arrivé de Lyon avec des notables français, accompagnés par les membres de la direction de la Compagnie. Tout le monde retourna à Genève; à l’Hôtel de ville, les autorités genevoises offrent un collation. Plusieurs discours officiels dont celui de James Fazy sont prononcés.

Un premier agrandissement de la gare de Cornavin est entrepris par le PLM en 1873 et 1888 et 1893. Elle sera restaurée après l’incendie du 11 février 1909. Les CFF l’agrandissent entre 1929 et 1931 et enfin une modernisation de la gare débute dans les années 2004 puis se poursuit de 2012 à 2014.

De petites maisons pour les gardes-barrières

Dès le début, la ligne est construite en double voie et un certain nombre de passages à niveau sont réalisés avec, à chaque fois, une petite maison pour le garde-barrière. Ces bâtiments de 50 m2 sur deux niveaux seront tous identiques. En 1912 une annexe est construite pour des WC.

La ligne exploitée par la Compagnie Paris-Lyon-Marseille (PLM) est rachetée en 1913 par les CFF. En 1956, elle est électrifiée avec du courant continu 1500 Volts. Cette modernisation impose également la disparition des gardes-barrières ; certains bâtiments sont conservés et deviennent des habitations.

En 2012-2013, d’importants investissements seront consentis par la SNCF, les CFF et le canton de Genève pour tout d’abord changer l’électrification qui sera du courant alternatif 25 kVolts, tension disponible sur la plus grande partie du réseau ferré de France et en particulier sur les lignes TGV. Des aménagements sont aussi prévus pour les arrêts voyageurs de Meyrin et de Vernier, un développement en relation avec le futur RER Genevois après la construction du CEVA (Cornavin – Eaux-Vives – Annemasse). Des changements sont aussi prévus d’ici 2014 dans la signalisation ferroviaire.

En 2014, côté suisse comme côté France, le chantier consiste notamment à améliorer l’électrification (du courant continu 25 kVolts), la signalisation et les installations de sécurité. Les travaux permettent l’introduction de nouveaux trains régionaux bi-courants, sur l’ensemble de la ligne Genève – La Plaine – Bellegarde.

De 2017 à 2019, les quais des gares de la ligne sont allongés, ce qui devrait permettre de doubler le nombre de voyageurs sur ce trajet. Enfin, en avril 2018, des nouveaux trains du Léman Express sont mis en circulation plus rapidement pour remplacer les anciens trains qui arrivent en fin de vie. Les futurs FLIRT du Léman Express, mais qui ne sont pas encore aux couleurs futures de la ligne.

En 2018, les CFF entreprennent des travaux de modernisation des gares entre Cornavin et La Plaine. Les accès aux quais sont améliorés et les quais rallongés pour des trains plus longs, surtout aux heures de pointe. Les six gares concernées: Vernier, Meyrin, Zimeysa, Satigny, Russin et La Plaine. Et puis, ce sera ensuite le 12 décembre 2019, l’inauguration officielle du CEVA, qui tient en quelque sorte d’une ligne de métro urbain. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

La gare Cornavin, à toutes les époques, en photos et vidéos de la RTS

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

Fête du Canton de Vaud.

Coll. J.-F. Friederich/notreHistoire.ch

Dimanche 12 avril 1953. Dans l’amphithéâtre romain d’Avenches, la foule s’agite. On s’impatiente poliment, en terre vaudoise. Un coup d’éclat ? Vous n’y pensez pas. La journée est placée sous les meilleurs auspices. Près d’un siècle et demi plus tôt, le canton de Vaud faisait son entrée souveraine dans la Confédération. Plusieurs milliers de spectateurs installés dans les gradins sont venus assister à un défilé grandiose. En ces premiers jours de printemps, le 150e anniversaire de la petite patrie sera célébré en grande pompe.

Bientôt, un cortège romain fait irruption dans les arènes. Dans le public, on peine à contenir son émotion. Les fils et les filles des notables de la région ont le privilège de porter des costumes antiques, confectionnés pour l’occasion et condition sine qua non à la solennité de l’instant. Quelques hommes au regard altier sont hissés sur des chars, dans une sorte de reconstitution des Jeux de la Rome antique. On rend hommage comme il se doit au passé de la ville, lorsque la cité s’appelait encore Aventicum et qu’elle était la capitale de l’Helvétie romaine. Tout le district a uni ses forces pour mettre en scène ses prestigieux ancêtres. Un pour tous et tous pour un. Le résultat est à couper le souffle. Un seul mot d’ordre pour cette journée de festivités : carpe diem.

Coll. J.-F. Friederich/notreHistoire.ch

Les écoliers les plus jeunes entrent les derniers, comme le petit Jean-Fred Friedrich – qui a publié les photos de cet article notreHistoire.ch – alors âgé de 10 ans, dans son pantalon foncé et sa chemise blanche. Lui aussi a conscience de vivre un moment hors du commun. Après tout, de tels événements sont rares… Et puis, quelle fierté de parader devant un public si nombreux. L’hymne vaudois sera même chanté pour galvaniser l’esprit patriotique : « Que dans ces lieux règnent à jamais l’amour des lois, la liberté, la paix ». Le préfet Maurice Tombez, lui aussi costumé et monté sur un cheval noir lors du défilé, donne un discours bref. Mémorable. Un dernier tour d’honneur encouragé par l’acclamation de la foule et la musique des fanfares locales. Dans la soirée, de nombreux bals prolongeront l’émotion. On quitte l’amphithéâtre, déçus en bien et confortés dans l’idée que – cette fois, c’est sûr – y’en a point comme nous. ■

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

Le légionnaire

Cochinchine, Saïgon. Photo prise pour les 18 ans de Fernand Mesot, le 3 juillet 1946

Coll. R. Mesot/notreHistoire.ch

Incorporé à l’âge de 16 ans dans les rangs de la Légion étrangère, un enfant de Vallorbe a vécu les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale, l’Algérie puis l’Indochine… sous l’uniforme kaki. En 1950, à son retour en Suisse, les douaniers n’ont pas manqué de l’intercepter manu militari à Genève.  

Agé aujourd’hui de 92 ans, Fernand Mesot souffre de surdité. « Ce sont les aléas de la guerre qui lui ont partiellement fait perdre l’usage de l’ouïe », confesse son fils Richard à L’Inédit. Son père n’a que rarement évoqué en famille sa parenthèse de légionnaire. « Une histoire rocambolesque ! », comme la dépeint son fils. « Fernand est resté discret sur ce sujet. C’est moi qui l’ai titillé. » Qu’a-t-il donc retenu ? Qu’avant d’aller au combat, Fernand avait déjà eu à souffrir d’une enfance malheureuse. Jeune, il avait dû encaisser avec ses deux sœurs et son frère un divorce parental.

C’est la grand-mère de Fernand qui se charge du petiot. Séparé de sa fratrie, il est placé sans trop de ménagement dans une famille d’accueil de paysans des environs de Vallorbe. Le gamin a alors onze ans. « Il effectuait des travaux assommants dans la montagne pour un gosse de son âge », déplore son fils. Mais sans tout dévoiler, Richard évoque des histoires d’enfants placés de force, malmenés. Récits déterrés ici ou là en Suisse.  

Fuite dans le Doubs  

C’est ainsi peut-être que l’on devient rebelle… via les circonstances de la vie. Et Fernand va fuguer. Fuir cette maudite ferme sans prévenir. Repris puis puni, il sera expédié sans égard dans une maison de correction à Romont, dans le canton de Fribourg. Nous sommes en 1944. Fernand Mesot a 16 ans. La Deuxième Guerre mondiale s’éternise. Cet hiver-là, aidé par un camarade, il assomme l’un des gardiens de l’institut de redressement. Les deux adolescents prennent la fuite pour se retrouver, bec de gaz, dans la région du Doubs, côté français. Un territoire cerné par l’occupant nazi. Des soldats allemands tirent sur les fuyards et abattent son compagnon.

L’Algérie, l’Indochine

Lui demeure debout. Presque miraculeusement. Des résistants français le récupèrent puis l’amènent jusqu’à Lyon, dans les bureaux de la Légion étrangère. Comme l’homme-enfant de Vallorbe n’a aucune envie de rentrer en Suisse, fatalement il va faire sienne cette couleur kaki. Repéré par la Légion, il part au centre de recrutement à Marseille, et sous l’étiquette de « ravitailleur », Fernand sera expédié dans la foulée sur le front alsacien avant de poursuivre sa mission dans une Allemagne vaincue. Il rejoindra ensuite l’Algérie, puis l’Indochine. C’est à Saïgon (Ho-Chi-Minh-Ville) qu’il pose avec prestance pour la photo à laquelle nous devons aujourd’hui de relater son destin.

Saïgon, 1947. Fernand Mesot, à gauche, avec un camarade. Ce dernier ne rentrera jamais au pays.

Coll. R. Mesot/notreHistoire.ch

Zones d’ombres

Grièvement blessé, c’est une infirmière indochinoise qui l’aurait secouru. Son fils Richard pousse le bouchon plus loin. « Il aurait même eu une liaison en Indochine », pimente-t-il, « mais il n’a jamais rien voulu dire ». Fernand Mesot aura passé au total un peu plus de deux ans dans une région « où il ne laissait personne indifférent. C’était sa jeunesse qui touchait les autochtones », croit savoir Richard. Après Saïgon, retour en Algérie où il intègre à la fin des années 1940 le tout premier régiment de parachutistes de la Légion.  

Fernand Mesot, à gauche. En arrière-plan, la devise de la Légion étrangère: "Honneur et fidélité". A noter que les mots "Valeur et discipline" correspondent à la devise en cours de 1831 à 1921, inscrite sur le premier drapeau offert à la Légion en 1832 par Louis Philippe.

Coll. R. Mesot/notreHistoire.ch

Les contrats de la Légion étrangère étant renouvelés tous les cinq ans, le jeune homme de Vallorbe allait devoir maintenant se décider : rempiler ou abandonner son parcours de légionnaire émérite ?  Cinq ans de plus en kaki ? Quand on a le mal du pays, cinq ans… c’est long. Décision est prise : il va rentrer en Suisse. Intercepté en 1950 à la gare Cornavin par la police suisse, il se fait confisquer ses notes et ses photos (« un bon photographe », selon Richard). Quel avenir se présente à ce jeune légionnaire expérimenté sur le maniement des armes et qui a éprouvé le feu des combats? Un choix cornélien: pour lui, ce sera soit un séjour en prison pour avoir servi une armée étrangère, soit l’école de recrues en tant que grenadier au Tessin.

Bordel à la caserne !

Fernand Mesot choisit la seconde option. Mais quelle punition de devoir frayer avec de jeunes recrues suisses qui n’ont connu ni l’Allemagne nazie, ni l’Algérie et l’Indochine. Regroupés par l’armée dans des casernes tessinoises, d’autres anciens légionnaires d’origine suisse y trouvèrent là matière à déconner. « On a mis le bordel là-bas », raconterait parfois Fernand Mesot, sans s’appesantir. Motus et bouche cousue donc. « Un rebelle ! », résume Richard.

Fernand Mesot n’a pas gradé. Il s’est ensuite distancé de la Légion. « Mon père est allé s’établir au Locle afin d’y rejoindre un ami. Il a fait un apprentissage de faiseurs d’étampes chez Huguenin ». Ensuite, l’ancien légionnaire est retourné vivre sur ses terres. A Vallorbe puis à Genève, où il fonde une famille de trois enfants, dont Richard, lequel s’épanche sur ce passé: « notre père était sévère, exigeant, mais il nous a transmis des valeurs telles que l’honnêteté, la droiture, le respect de l’autre ».

Feuilles de palmier

Aujourd’hui encore, Fernand Mesot n’a pas pour habitude d’exhiber son passé de légionnaire. « Maman racontait que Fernand a toujours eu pour habitude d’agiter les pieds en dormant. En les faisant tournoyer la nuit au lit. Des gesticulations qui l’incommodaient, elle, pour dormir. » Pourquoi donc toute cette agitation fébrile sous la couette ? « En Indochine, les légionnaires s’accrochaient apparemment aux orteils des feuilles de palmier qu’ils éventaient ensuite pour mieux combattre la chaleur… »

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

Magdeleine G. hypnotisée par Emile Magnin

Magdeleine G. hypnotisée par Emile Magnin. Vers 1902.

Fred Boissonnas - coll. Bibliothèque de Genève/notreHistoire.ch

Nous sommes en 1904. Les yeux veloutés de Magdeleine G. se figent. Ses prunelles sombres se dilatent, et semblent rivées sur des paysages imaginaires. Les mâchoires tendues, elle penche la tête d’un air hagard. Les notes graves de la Marche funèbre de Chopin entrent dans son corps et dans son âme. En transe, elle se tord les bras. Tous ses muscles se contractent, ses jambes la propulsent et elle virevolte, comme possédée par une force invisible et sauvage. Chaque mouvement traduit d’intenses émotions, chaque geste est empreint de grâce et de puissance à la fois. Terreur et désespoir – elle se jette au sol, des larmes roulent sur ses joues. Mais après la tempête, d’autres rythmes s’élèvent déjà, ceux d’une valse qui attendrit son visage. Sa danse devient joueuse et légère.

Emile Magnin la couve du regard. Le magnétiseur d’origine suisse, établi à Paris, avait initialement soigné la jeune femme pour des maux de tête persistants. Puis il a fait d’elle le sujet de ses expériences d’hypnose artistique. Il emmène sa danseuse hypnotisée en tournée à travers l’Europe, et clame qu’elle est inconsciente de son talent. «Magdeleine, je regrette de devoir le dire, à l’état de veille ne comprend pas Chopin», assure-t-il. Il va jusqu’à lui attribuer «une gaucherie innée dans les gestes, une invincible terreur du public». C’est l’effet libérateur de l’hypnose qui lui permet de livrer ses interprétations si poignantes. Le renommé photographe genevois Fred Boissonnas, qui n’est autre que le beau-frère d’Emile Magnin, immortalise les poses expressives de Magdeleine G. par des centaines de clichés. Ceux-ci sont montrés en exposition, et serviront ensuite à illustrer les thèses d’Emile Magnin dans une livre intitulé L’art et l’hypnose.

La «danseuse somnambule» fait sensation: scientifiques, artistes et journalistes sont fascinés par les performances de la belle. Elle inspire des peintres et des poètes. Ses représentations rencontrent un succès particulier en Allemagne. En y assistant, le roi et la reine de Wurtemberg ont mis ce spectacle à la mode, raconte le psychologue genevois Edouard Claparède dans le Journal de Genève le 12 mai 1904. Il ajoute que quelques actrices se sont mises à imiter ses productions mais ont complètement échoué dans leur entreprise.

En Suisse aussi, des chroniques dithyrambiques paraissent dans les journaux. «Dans cette griserie complète du cerveau, dans ce paroxysme d’émotions artistiques, le sujet révèle pleinement son tempérament passionné et se laisser aller tout entier à ses impressions sans se soucier de l’assistance, sans savoir même qu’elle existe», lit-on dans la Gazette de Lausanne le 4 mars 1905, au sujet d’une performance à Berlin.

Transe ou frime ?

Malgré l’engouement suscité par ces démonstrations scientifico-artistiques, des voix critiques s’élèvent. Certains estiment que ces danses ont été soigneusement préparées à l’avance. «Magdeleine ne serait qu’une vulgaire actrice, et son hypnose une frime inventée pour épater le bourgeois», selon la rumeur rapportée par Edouard Claparède, qui ne partage pas cet avis. Il s’avère en tout cas que la jeune femme est loin d’être inexpérimentée, en réalité. L’éminent professeur de musique Emile Jacques-Dalcroze, venu assister à une représentation, loue son talent mais précise qu’elle a suivi un temps son enseignement. «Elle est dans ses représentations aussi éveillée que vous et moi. Je l’ai connue jadis au Conservatoire, où elle a été mon élève. C’est une excellente musicienne; elle est capable de jouer tous les rôles à l’état de veille, et ses productions (…) n’ont rien de surnaturel, rien qui dépasse son talent et ses capacités normales d’artiste.»

Magdeleine G. sous hypnose, "le chien était blotti…" (Verlaine)

Fred Boissonnas – coll. Bibliothèque de Genève/notreHistoire.ch

Et Edouard Claparède de nuancer ce point de vue. Selon lui, l’hypnose ne donne certes pas des facultés nouvelles, mais elle permet de franchir le pas entre une faculté latente et sa réalisation pratique. Elle supprime la timidité, qui d’habitude restreint l’individu se sentant observé, et qui lui enlève le naturel de ses mouvements. Elle donne à l’artiste l’aplomb indispensable à son jeu, conclut-il.

Mais la qualité même de ces performances n’est pas louée unanimement. Certains la jaugent sévèrement. Magdeleine est «un mime fort adroit», mais le rapport entre ses poses et la musique «est chose inesthétique, superflue, pénible ou mauvaise», assène un chroniqueur dans la publication française La Revue Musicale en 1907, alors que le phénomène retombe quelque peu. «Quand on me joue la Marche funèbre de Chopin, il m’est très désagréable de voir une femme faire des contorsions ou se coucher sur le sol, la face contre terre, comme si elle voulait évoquer un mort.»

Magdeleine G. – de son vrai nom Emma Guipet née Archinard, trentenaire, mariée et mère de deux enfants à Paris – connaît ainsi une gloire étincelante mais fugace, à une époque où la «psychologie nouvelle» et les théories sur l’hypnose et la suggestion sont en vogue. Son parcours, qui suscite un regain d’intérêt de nos jours auprès des historiens de l’art et des sciences, n’est pas totalement inédit. Vers la fin des années 1890, une certaine Lina de Ferkel a aussi fait l’objet d’une grande fascination lors d’expériences similaires, dont des photographies ont paru dans le livre Les sentiments, la musique et le geste en 1900. ■

Référence

Publication de l’historienne de l’art Céline Eidenbenz
Les archives du Temps

A lire également sur L’Inédit

Edouard Claparède hypnotise des moutons

A consulter également sur notreHistoire.ch

Un choix de photographies de Fred Boissonnas présentant Magdeleine G. dansant sous hypnose

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

Ne ratez aucun article.

Recevez les articles de L’Inédit en vous abonnant à notre newsletter.

Merci pour votre inscription!