L'Inédit

par notreHistoire


Hypnose d'un mouton

Coll. Elphège Gobet/notreHistoire.ch

Les élèves du collège Edouard Claparède, à Genève, imaginent-ils que le célèbre médecin et psychologue genevois qui a donné son nom à leur établissement a non seulement consacré sa vie à explorer le cerveau et l’inconscient de ses semblables, mais était aussi capable d’hypnotiser des moutons, des singes et même des cochons ! Une image prise lors d’une de ses séances, réalisée au Salève, en 1928, en apporte l’illustration. Lui-même écrivit plusieurs articles sur le sujet, notamment « Etat hypnotique chez quelques animaux », paru en mars 1915 dans la revue des sciences physiques et naturelles.

Edouard Claparède (1873 – 1940) est alors directeur du laboratoire de psychologie à la Faculté des sciences de l’Université de Genève. Sa carrière scientifique est jalonnée de création, comme la chaire de Psychologie expérimentale ou l’école des sciences de l’éducation qui deviendra l’Institut Jean-Jacques Rousseau. Dans ses travaux scientifiques sur le comportement, il étudie aussi bien l’inconscient, aux frontières de la psychanalyse naissante, que la psychologie animale (il rédigea en 1913 une étude sur les chevaux d’Elberfeld, réputés particulièrement intelligents).

Mais pourquoi Edouard Claparède conduit-il des séances d’hypnose sur des animaux ? L’hypnose, qui consiste à provoquer un état d’engourdissement, était depuis le médecin français Jean-Martin Charcot, à la fin du XIXe siècle, un moyen d’exploration de pathologies liées à l’hystérie. Freud lui-même rédigea au début de sa carrière un livre sur l’hypnose. L’hypnose est d’ailleurs la grande question du premier Congrès international de psychologie, organisé en 1889 à Paris, auquel participa Edouard Claparède.

Inclinaison scientifique pour la recherche sur le comportement animal, pratique de l’hypnose dans le cadre des sciences de l’inconscient… la concordance ne pouvait manquer de se faire dans les travaux d’Edouard Claparède. En 1895, il s’efforce avec le psychologue genevois Théodore Flournoy d’expliquer par le système nerveux des choses inexplicables, plus proches du spiritisme que des sciences. Le cousin d’Edouard Claparède assiste d’ailleurs à toutes les séances spirites organisées par la bonne société genevoise pour tenter de surprendre les phénomènes de divination et de télépathie. Une année plus tard, en 1896, c’est à l’hôpital psychiatrique des Vernets, à la Queue d’Arve, qu’Edouard Claparède fait quelques tentatives d’hypnose sur ses patients.

Et pour les animaux ? Dans son article de mars 1915, Edouard Claparède raconte avoir obtenu, en 1911, un état hypnoïde chez un singe cynocéphales. Et mobilisé en août 1914 dans le bataillon d’infanterie qu’il commande avec son grade de capitaine, Edouard Claparède s’exerce sur les cochons et les chèvres qu’il trouve à ses côtés dans le chalet de berger où il est cantonné. Il répliqua l’expérience au printemps 1928, lors d’une excursion sur le Salève avec ses étudiants, c’est à cette occasion que fut prise cette photo surprenante.

L’hypnose sur des animaux est-elle semblable à l’hypnose sur les humains ? Claparède s’explique. Dans ce chalet de berger, en 1915, il administre des frictions à un cochon, «avec un morceau de bois ou un bâton, car ces animaux étaient très sales et je préférais si possible ne pas les toucher avec les mains ». Frictions toujours dirigées dans le même sens, « en partant du cou et descendant jusque vers la cuisse ». Le cochon réagit très bien : « A mon grand étonnement, je vis le cochon se mettre peu à peu à chanceler sur ses jambes de derrière, et son corps s’incliner du côté opposé de la friction. Au bout d’une demi-heure, il tombait par terre, sur le flanc ; je lui fermais les paupières ; il garda les yeux clos et ne s’éveilla qu’au bout de 3 à 4 minutes ». Et Edouard Claparède de préciser que l’expérience tentée sur des cochons alors qu’ils étaient devant la porte de la cuisine à attendre leur repas ne réussit pas, «leur attention semblait uniquement fixée sur cette délicieuse perspective » !

L’expérience de l’hypnose fut reproduite sur sept chèvres et aboutit, mais « les circonstances dans lesquelles j’expérimentais, au milieu du va-et-vient des soldats, m’ont empêché de déterminer pendant combien de temps aurait duré le sommeil si aucun bruit quelconque n’était survenu ».

Edouard Claparède réussit également, en soutenant un lapin étendu sur le flanc, à le plonger dans un état hypnoïde. Il s’essaya une seule fois d’hypnotiser une vache… sans succès. Pourtant, le psychologue polonais Julian Ochorowicz, à la fin du XIX siècle, avait hypnotisé des mammifères de grandes tailles, lion, chameau et même, figurez-vous… un éléphant! ■

Remerciement

A Elphège Gobet, de l’Université de Genève, pour le partage de ses recherches.

Références

Edouard Claparède, « Etat hypnotique chez quelques animaux », Archives des Sciences physiques et naturelles, tome 33, mars 1915
Fernando Vidal, «Edouard Claparède », in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 18.06.2009
Martine Ruchat, Edouard Claparède. A quoi sert l’éducation?, Editions Antipodes, 2015

A consulter également sur notreHistoire.ch

L’Institut Jean-Jacques Rousseau en images
Vous dormez… une vidéo des archives de la RTS

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

14 juin 1991 : images de la grève des femmes

Coll. Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds/notreHistoire.ch

Ce 14 juin 1991 tombe sur un vendredi, journée historique pour la première grève des femmes en Suisse. A Neuchâtel, on sert un gaspacho aux manifestants en guise de «soupe de l’égalité». On rebaptise la rue du Bassin en rue de l’Egalité, tandis qu’à La Chaux-de-Fonds, l’avenue Léopold-Robert devient l’avenue de l’Horlogère à domicile. L’événement se déroule dans une ambiance bon enfant, dans ce canton comme dans le reste du pays, rapportent alors les journaux régionaux L’Express et L’Impartial. On défile en cortège. Ici et là, on débraye. Quelques employeurs offrent des chocolats et un merci à leurs collaboratrices.

Une action plus spectaculaire a lieu à Berne devant le Palais fédéral: à coup de sifflets et d’œufs, 2000 femmes chahutent la Journée des relations internationales qui accueille des officiels étrangers. «Les femmes bras croisés, le pays perd pied», tel est le slogan de la grève, mais celle-ci reste symbolique. La majorité des femmes ne déposent pas leurs outils de travail. Beaucoup n’osent pas le faire et se contentent de porter un badge. D’autres ne se sentent pas concernées.

Le regard de Moscou

Reste que ce jour marque les esprits, y compris à l’étranger, constatent les agences de presse. Jusqu’au journal Komsomolskaya Pravda (plus fort tirage d’URSS), qui note que même en Suisse, pays si aisé et démocratique, il y a une raison de faire grève. C’est que ce pan de l’histoire helvétique se caractérise par sa lenteur. En 1991, on fête les 700 ans de la Confédération, les seulement 20 ans des droits civiques des femmes, et les 10 ans de l’article constitutionnel sur l’égalité: cela amène «une comparaison ironique sur la longue histoire de la discrimination en Suisse», commentera la Neue Zürcher Zeitung en 2011.

L’égalité hommes-femmes est finalement ancrée en 1996 dans une loi fédérale, qui est ensuite mollement révisée en 2018. Mais près de trente ans après la mobilisation de 1991, il existe toujours de nombreux écarts de salaires injustifiés entre les femmes et les hommes, faute de contrôles et de sanctions. Sans compter les autres discriminations et marques d’irrespect impunies. A l’évidence, les piques-niques festifs, les sirops roses et les pauses prolongées ne suffisent pas pour concrétiser pleinement l’égalité sur le terrain.■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Deux grèves des femmes, celles de 1991 et de 2019, en images et vidéos

Le départ

Coll. M. Bernardi/notreHistoire.ch

Le 1er septembre 1965, à la gare routière de Genève, le père de Mauro Bernardi, faute d’emploi, se prépare à quitter la Suisse et à retourner en Italie avec sa famille. Ce témoignage, publié sur la plateforme, a reçu le Prix notreHistoire.ch en 2011.

« Cette image, nous montrant mon père, mon petit frère et moi, place Dorcière à Genève au début de l’automne 1965, a bien failli être la dernière photographie prise de nous sur sol helvétique avant sans doute pas mal d’années…

Mon père (qui était le plus adorable des papas bien qu’il ait sur cette photo des airs d’authentique gangster), venait en effet tout juste d’être mis au chômage par le propriétaire du commerce de fourrures pour lequel il travaillait. N’ayant que peu de perspectives d’avenir en Suisse et ayant la nostalgie de son pays, il décida de retourner vivre avec femme et enfants en Italie, et plus précisément à Saint-Vincent, le petit village valdôtain d’où était originaire ma mère (on peut d’ailleurs voir au second plan du cliché pris par cette dernière, l’autocar qui assurait à l’époque la liaison Genève-Aoste, via le tout nouvellement créé tunnel du Mont-Blanc).

Après avoir passé un peu plus d’une année à durement gagner sa vie dans les hauts fourneaux d’une usine sidérurgique, mon père reçut un soir l’appel inopiné de son ex-employeur. Ce dernier lui annonçait qu’ayant pu redonner du souffle à son entreprise, il serait prêt à le réengager s’il acceptait de revenir à Genève, où par ailleurs un nouvel appartement l’attendait déjà. Ni une ni deux, et sur le conseil avisé de ma mère, nous refîmes donc nos bagages pour la cité de Calvin que nous n’allions désormais plus quitter. Il m’arrive parfois, à plus de quarante-cinq ans d’écart, de me demander ce qui serait advenu s’il n’y avait pas eu ce soir là, ce coup de téléphone… D’autres circonstances nous auraient-elles tout de même permis, à ma famille et à moi, de reprendre un jour le chemin de la Suisse? Ou serions-nous définitivement installés en Italie, auquel cas mon parcours aurait forcément été en tous points différents de ce qu’il est aujourd’hui? S’il est bien évidemment impossible de le savoir, une chose est néanmoins sûre: certains « hasards » font parfois prendre à l’existence un tournant décisif. Et s’il y en eut bien quelques autres par la suite, celui-ci fut sans doute pour moi l’un des premiers.»■

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

A consulter également sur notreHistoire.ch

D’autres photos de la Place Dorcière

Genève, rue Bautte: école

Rue Bautte, à Genève. Une école très représentative de la mentalité du début du XXe siècle.

Coll. Bibliothèque de Genève/notreHistoire.ch

Datée des environs de 1910, cette photographie montre l’école de la rue Bautte à Genève, appelée aussi parfois école de la Gare, école du boulevard James-Fazy ou école de Saint-Gervais. Cette école est construite en 1867 par l’architecte Jean Franel. Déjà auteur de l’école des Pâquis en 1863, conçue sur le même modèle, Franel signe également à Genève l’université des Bastions, avec Joseph Collard et Francis Gindroz, et le monument Brunswick.

L’école est édifiée à l’emplacement des anciennes fortifications, démolies à partir de 1850. Avec l’arrivée du chemin de fer, le quartier de Saint-Gervais connaît un fort développement et exige la réalisation de nouvelles infrastructures scolaires. Sur la photo, apparaît du reste tout à gauche un mur de soutènement destiné à la voie du train.

Un espoir: passer par les combles

Le plan de l’école adopte la forme d’un H. La partie visible sur la photo se répète de manière parfaitement symétrique, dans le sens de la longueur et de la largeur, à l’arrière. En fait, il s’agit de deux bâtiments semblables accolés dos à dos, marquant une stricte ségrégation des sexes, l’un des bâtiments étant réservé aux garçons et l’autre aux filles. Chaque partie détient sa propre entrée, opposée l’une à l’autre. On voit ici la partie dédiée aux filles. Chaque partie est organisée exactement de la même manière, mais de façon inversée, et possède sa propre cage d’escalier. A moins de passer par les caves ou les combles, les élèves des deux sexes n’ont absolument aucune occasion de se croiser.

Les façades se caractérisent par leurs grandes fenêtres cintrées, dans le style néoclassique, simple et rigoureux, souvent utilisé pour signaler les édifices publics. Le grand développement des façades, avec son corps central et ses deux ailes, répond aussi aux préoccupations hygiéniques de l’époque. Il permet en effet d’apporter un maximum de lumière et d’aération dans les classes. La façade visible sur la photo ne présente plus le même aspect aujourd’hui. En 1994, un très vaste couvert, en verre et métal, y a été ajouté.

Une loi fédérale impose la gymnastique à l’école

A gauche, au fond de la photo, on voit également la salle de gymnastique. Celle-ci a été construite après l’école, en 1882. Elle répond à la loi fédérale de 1874 qui impose la pratique de la gymnastique dans les écoles. Réalisée par l’architecte de la ville Georges Habicht, il s’agit de la plus ancienne salle de gym encore existante à Genève, avec celle de l’école de la rue Ferdinand-Hodler, conçue en même temps par le même architecte.

Elle se démarque du bâtiment principal par son style d’inspiration industriel, exprimé par la prédominance du bois et de la brique, alternant avec de la pierre. Il est ainsi signifié que sa fonction est moins noble que celle du bâtiment principal. Son aspect fait également écho à celui de l’école des arts appliqués qui lui fait face, de l’autre côté de la rue de la Servette. Pour respecter la ségrégation des sexes, la salle est dotée de trois entrées, la première pour les garçons, la deuxième pour les filles et une troisième pour les sociétés locales, sur la rue de la Servette, autorisant l’accès en dehors des horaires scolaires. Le fait qu’elle soit placée dans le préau des garçons trahit certainement l’idée que l’activité physique leur soit destinée en premiers plutôt qu’aux filles.

Cette salle de gymnastique a vécu encore un épisode spectaculaire en 2006. Elle a en effet été déplacée de quelques mètres en direction du sud-est. Ce déménagement a été opéré par ripage, sur des rails avec des vérins, afin de permettre un élargissement des voies de chemin de fer, en vue de la réalisation du CEVA.■

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

A consulter également sur notreHistoire.ch

En photos: quand les garçons et les filles étaient séparés à l’école.

Ne ratez aucun article.

Recevez les articles de L’Inédit en vous abonnant à notre newsletter.

Merci pour votre inscription!