La légende de la photo, « Le stand des EEF à la Foire aux provisions en 1941 », cache sous sa banalité une large tranche d’histoire économique fribourgeoise.
Les EEF, Entreprises électriques fribourgeoises fondées en 1915, sont alors une régie d’Etat qui dispose, dans la pratique, de la liberté d’action d’une société anonyme, ce qu’elle ne deviendra qu’en 2001. Elle est l’héritière de l’administration cantonale des Eaux et Forêts qui avait repris à la fin du XIXe siècle, au grand dam de la ville de Fribourg, les installations de l’ingénieur failli Guillaume Ritter, soit le barrage et l’usine hydraulique de la Maigrauge construits en 1873. Depuis 2005 et l’absorption de la neuchâteloise ENSA, l’entreprise est connue sous le nom de Groupe E. A l’époque de la photo, et récemment encore, on disait tout simplement « les Entreprises », car aussi longtemps que l’électricité fut un monopole public, les EEF étaient le visage de l’Etat pour les Fribourgeois dans leur vie quotidienne. Leur impact sur la vie publique du canton, en politique ou dans l’économie, était de première importance.
La Foire aux Provisions se tenait à la Grenette, dans le quartier historique du Bourg. En 1941, date de la photo, l’appellation vous a un petit air d’incitation à l’accaparement – ah, les « réserves de guerre » ! – qui trompe, car tout ou presque est rationné. La Foire aux Provisions est l’ancêtre du Comptoir de Fribourg qui investira dans les années 1950 au quartier de Pérolles une ancienne halle industrielle prolongée par des halles sous tente, puis le complexe moderne de Granges-Paccot (Forum Fribourg) en se rebaptisant Foire. Mais la Foire de Fribourg, victime des nouveaux modes de consommation, a disparu du calendrier comme presque toutes les manifestations de ce type, à l’exception du prospère Comptoir de Martigny.
A la Foire aux Provisions, les EEF exposaient des appareils électro-ménagers, principalement des cuisinières. Cela ne surprend personne aujourd’hui. Les Fribourgeois sont familiers, en effet, du vaste magasin que l’électricien a conservé au rez de l’ancien siège des EEF, sur le boulevard de Pérolles. Groupe E a voulu garder cet emplacement stratégique en vendant le bâtiment à l’Etat (c’est la Direction cantonale de l’économie et de l’emploi qui l’occupe aujourd’hui). Entre 1930 et 1950, pourtant, cette activité commerciale résultait d’une politique industrielle innovante.
L’électro-ménager, ce nouvel horizon
Dans un canton encore très agricole, où les fermes ne sont guère électrifiées que pour l’éclairage de la partie d’habitation, pour vendre leur courant les EEF doivent alors compter sur les ménages… et investir dans l’industrie pour les équiper. En somme, fabriquer des clients en fabriquant à leur intention des machines consommatrices d’électricité. Dès les années 1930, les EEF font des essais de plaques de cuisson avec pour partenaire une fabrique moratoise de radiateurs en acier, dont elles deviennent actionnaire minoritaire; celle-ci deviendra La Ménagère (1947) puis Mena-Lux (1956). Sa première cuisinière électrique à anneaux mobiles est exposée à Bâle en 1943. L’électro-ménager, un vrai luxe au sortir de la guerre, est rapidement promu au rang de commodité indispensable. En 1949, les EEF installeront 1676 cuisinières et 922 chauffe-eau (boilers), soit 9 appareils chaque jour. Ils ne cesseront de se diversifier, de l’aspirateur au lave-linge et du frigo-congélateur à la station de repassage, en passant par la brosse à dents et la machine à café.
On ne fabrique plus de cuisinières électriques dans le canton, d’ailleurs il n’y a plus de Foire de Fribourg pour les exposer. La politique industrielle des EEF s’est désengagée de l’investissement dans les usines classiques fortement consommatrices (la verrerie, l’électro-métallurgie, l’équipement ménager) pour se concentrer sur la mise à disposition de terrains (zone industrielle du Grand Fribourg) et sur les activités de recherche et développement, menées en joint venture avec des partenaires internationaux comme Michelin, ou Engie, pour la production et l’utilisation de l’hydrogène.■