Ce document est une petite rareté. S’il existe
d’innombrables photographies de l’abbé Joseph Bovet (†1951), le plus populaire
des musiciens fribourgeois, très peu d’images en couleur nous sont parvenues. Celle-ci,
de plus, fixe dans sa tenue de chanoine – camail violet avec croix pectorale,
porté sur un surplis de dentelle – un prêtre que ses concitoyens étaient
habitués à voir en simple soutane noire. Il défile ici entre deux groupes, l’un
d’enfants de chœur, l’autre de séminaristes, dont il dirigera les chants lorsque
la procession, qui arrive au bas de la rue de Lausanne, s’arrêtera devant le
quatrième reposoir, dressé place Notre-Dame. Car nous sommes à la Fête-Dieu, la
plus impressionnante solennité religieuse de Fribourg.
La moitié de la ville défile devant l’autre moitié,
accrue de nombreux visiteurs accourus par trains et cars spécialement affrétés.
Charles-Albert Cingria, réveillé dès l’aube par le canon, succombe à la magie
du moment : « Vous dire ensuite ce que ce fut dépasse le talent le plus
exercé. Je vis un milliard de petites filles toutes vêtues de blanc et toutes
stupéfiantes, des enfants de chœur avec des ailes, des messieurs portant des
lanternes, des grands et des tout petits capucins pourvus de croix comme la
vraie croix en beau noyer frisé; des professeurs, le corps administratif, des
paysans et paysanne en atours folkloriques de leur région; le Lycée
Saint-Michel, impeccable dans son bel uniforme; enfin la et les musiques et
mille bannières et enseignes et pavillons », puis les notables, la gendarmerie,
l’armée… et enfin « les célébrants en chape d’or, précédés ou suivis d’une
multitude de séminaristes de toutes les statures et de tous les âges. Le
plain-chant se mélange aux fanfares et c’est des plus étranges. »
Il faut tout le merveilleux du spectacle pour faire oublier l’angoisse du moment. Au printemps 1942, le IIIe Reich est au plein de sa puissance en Europe, il frappe aux portes du Caucase et du Caire. On a besoin chez nous de figures fortes et paternelles pour se rassurer. Le général en est une, l’abbé Bovet une autre. D’ailleurs, il vient de dédicacer son œuvre la plus fameuse, le Vieux Chalet, à la figure qui rassure les Français, le maréchal Pétain. ■
A consulter également sur notreHistoire.ch
La galerie consacrée à l’abbé Bovet et celle de la Fête-Dieu en Valais et à Fribourg
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Le drame s’est produit dans le Massif du Mont-Blanc, plus précisément aux alentours des rochers de la Tournette, à 4677 mètres d’altitude, pratiquement 1000 mètres après le refuge Vallot. Nous sommes le 3 novembre 1950. Un Lockheed L-749 Constellation d’Air India baptisé Malabar Princess, assurant la liaison Bombay-Londres via le Caire et Genève, disparaît des écrans radars de Cointrin. Il est 10h45, l’appareil vient de s’écraser. Six membres d’équipage, commandés par Allan R. Saint, un pilote très expérimenté, et 39 passagers sont à bord. Aucun ne survivra. Les passagers sont majoritairement des marins pakistanais qui devaient rejoindre leur port dans le nord de l’Angleterre.
La carcasse de l’avion est découverte le dimanche qui suit. Un DC-3 de Swissair, qui participe aux opérations de recherche, repère la zone de l’impact. L’avion n’a pas brûlé, les ailes et le fuselage sont intacts, la queue de l’appareil est détruite. La colonne de secours arrivera sur place quatre jours après le crash.
Aussi incroyable que cela puisse être, 16 ans après le drame du Malabar Princess, un second avion d’Air India, un Boeing 707 assurant la liaison Bombay-Beyrouth-Genève-Paris-Londres-New York, se crashe sur les flans du Mont-Blanc. Le bilan, à nouveau, est lourd. Les 117 passagers et l’équipage disparaissent en ce 24 janvier 1966.
Deux générations de guide face à deux crash
La coïncidence entre ces deux drames est encore plus troublante quand l’on sait que le célèbre alpiniste René Payot, parti avec la colonne de secours à la recherche des rescapés du Malabar Princess, fit une chute mortelle durant cette ascension du Mont-Blanc. Son fils Georges a 29 ans quand il compose, lui, la colonne de secours du deuxième accident. Il ne lui arrivera rien. Comme il n’est rien arrivé à l’hôtesse suissesse du Malabar Princess, Doris Lüdi, qui, se sentant mal après le décollage à Bombay, quitta l’appareil lors de l’escale de Beyrouth…
Malgré le soin apporté à retrouver les corps et à ramener dans la plaine les objets personnels des passagers et les débris des deux avions, il arrive encore que la montagne rende des fragments de ces crash. En 2013, un jeune alpiniste a retrouvé un trésor de pièce de monnaie et de bijoux.
Le guide et ancien champion olympique, Vital Vouardoux, lui, avait découvert lors d’une excursion, quinze ans après le drame du Malabar Princess, une pièce importante de l’appareil, vraisemblablement une partie de l’aile. Il en fit une sculpture à la mémoire des victimes, qu’il installa à Grimentz où il s’était établi. Nous ne savons pas précisément ce qu’il est advenu de cette sculpture.■
Référence
Pionnair-Ge, le site des pionniers de l’aéronautique à Genève. Le drame du Malabar Princess inspira un film, en 1956, The Moutain, avec Spencer Tracy et Robert Wagner. Voir la bande-annonce
Couteau en main, Armando Bottacchi pose avec ses camarades internés au camp de Tramelan-Les Reussilles, durant la Deuxième Guerre mondiale. Comment ce jeune Italien s’est-il retrouvé interné dans le Jura ? Retour sur le parcours mouvementé d’un homme ordinaire, pris dans les tourments de la guerre. Né le 29 octobre 1925 à Oggiono, sur la rive droite du lac Majeur, à 20 km du Tessin, Armando Bottacchi avait fait ses gammes comme apprenti dans de grands hôtels à Milan et à Courmayeur. Mais la guerre est passée par là.
En été 1943, la Sicile est en proie aux troubles. Les Alliés débarquent. Le régime fasciste s’effondre. Le 9 septembre, le Grand Hôtel de Riccione, sur la côte adriatique, où Bottacchi était employé, doit fermer. Chômage technique. Le mirliton rentre au bercail au moment où Benito Mussolini fonde dans le Nord de l’Italie l’éphémère et fantoche République de Salò (septembre 1943-avril 1945).
Maquis en hiver
Les jeunes Italiens sont alors incités à incorporer les rangs de l’armée de Salò. Armando Bottacchi refuse et s’enfuit d’Oggiogno pour rejoindre, dans les montagnes, un groupe de résistants armés commandé par le capitaine Filippo Beltrami. Suivront quatre mois de maquis pour le jeune cuistot. Avec le danger réel d’une capture jusqu’en janvier 1944. Les troupes fascistes passent au crible la région et tentent de mettre la main sur chaque déserteur potentiel. La frontière suisse n’est pas loin. Armando Bottacchi prend son courage à deux mains et parcourt en plein hiver des sentiers sinueux jusqu’à Piodina, hameau reculé dans les environs de Brissago. Son effort se brise sur l’intransigeance des policiers suisses qui le refoulent. Motif : le nouvel arrivant était incapable de fournir la preuve de son enrôlement de force au sein des troupes de Mussolini. Première tentative de fuite ratée. Retour à la case départ. Voilà Armando errant dans la nuit sur la route du retour forcé vers Oggiogno.
Fascistes italiens et soldats allemands battent la campagne, ratissent
large. A bout, Armando Bottacchi tente quelques semaines plus tard, en février
1944, une deuxième tentative de fuite en direction de la Suisse. Direction
Brissago à nouveau. Là-bas, des membres de sa famille possèdent une pension.
Puis vers Bellinzone, caché dans un camion. Dans le chef-lieu tessinois, la
police suisse l’interroge sérieusement. Trois interrogatoires. Il avoue avoir
participé avec des résistants au saccage du siège du parti fasciste à Intra, au
bord du Lac Majeur. Mais il tait à la police sa première tentative de fuite en
Suisse de peur d’être refoulé. Le Département fédéral de justice et police
l’accepte finalement en tant que « réfugié civil » ayant demandé
l’asile pour des raisons politiques.
Plus d’un an à Tramelan
Après un passage obligatoire au camp de Büsserach (SO) pour désinfection et une mise en quarantaine, le jeune réfugié rejoint le camp d’internés de Tramelan le 20 mars 1944. Il y restera plus d’une année, jusqu’au 4 mai 1945. D’après ses souvenirs compilés par Marie-Angèle Lovis dans le Bulletin de la Société jurassienne des officiers, deux camps cohabitaient à Tramelan : un pour les civils et un pour les militaires. A son arrivée, une cinquantaine de réfugiés civils du nord de l’Italie y séjournaient. Parmi eux des réfugiés juifs. Armando Bottacchi se voit confier le poste de chef-cuisinier du camp. Une aubaine pour les ressortissants italiens présents. Les gnocchis aux pommes de terre remplaceront à leur goût avantageusement les habituels roestis du coin.
Il lui arrivait aussi d’aller rejoindre d’autres réfugiés qui travaillaient dans les tourbières afin d’extraire des briquettes. Des travaux rémunérés qui offraient une certaine autonomie financière aux internés. En congé, ces derniers descendaient des Reussilles jusqu’à Tramelan pour y boire un coup. Aucune tension n’a été ressentie au sein de la population locale, se rappelait Bottacchi. « On était respecté car on respectait tout le monde. On ne s’est jamais permis de faire quelque chose de pas bien ». Notamment avec les filles du village. Des virées à skis dans les Franches-Montagnes étaient organisées ainsi qu’une journée d’agrément au fameux Marché-Concours hippique de Saignelégier.
Retour désenchanté
Le 25 avril 1945, la République éphémère de Salò sombre corps et âme. Dix jours plus tard, Bottacchi obtient son avis de sortie du camp de Tramelan-Les Reussilles. Le retour en Italie est assez expéditif : départ du Jura bernois en train jusqu’à Domodossola. Puis jusqu’à Verbania et Intra. Enfin, treize kilomètres à pied pour rejoindre la maison familiale à Oggiogno. Là, il retrouve ses parents sains et saufs. Mais de retour a la casa, Armando Bottacchi va rapidement déchanter et regretter le bon temps passé à Tramelan. Qualifié de déserteur par le pouvoir transitoire en place en Italie, il est contraint d’accomplir 18 mois de service militaire dès 1948. Il reprendra ensuite son métier de cuisinier dans différents hôtels avant de servir la Compagnie internationale des wagons-lits. Point d’orgue d’un destin étonnant : Armando Bottacchi sera nommé responsable du pavillon qui abritera le restaurant italien aux Jeux olympiques d’été de Rome en 1960. Il décède le 30 avril 2011 à Milan, là où l’ancien maître queux de Tramelan avait finalement élu domicile.
D’autres camps d’internés et de réfugiés ont été ouverts pendant la Deuxième Guerre mondiale dans le Jura. A Bassecourt, une soixantaine de réfugiés politiques d’extrême-gauche étaient internés en 1944. Des Allemands, des Autrichiens, des Espagnols, mais également des Italiens. Pas très loin du Jura, à Granges, dans le canton de Soleure, des internés polonais avaient séjourné au plus fort de la guerre, entre avril 1942 et juillet 1943. ■
Références
Marie-Angèle
Lovis, Bulletin de la Société
jurassienne des officiers, numéro 28,
février 2012, pp. 71-79
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commence-t-elle ? Où notre vie individuelle prend-elle sa source ? (…) Sans
aucun doute, nous avons des racines plus profondes que notre conscience ne veut
l’admettre. Rien ni personne n’a d’existence indépendante… Un rythme universel
détermine nos pensées et nos actes ; la courbe de notre destin fait partie
d’une formidable mosaïque… »
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