L'Inédit

par notreHistoire


Tour TSR

Coll. D. Python/notreHistoire.ch

A l’occasion des Journées du patrimoine 2020 ce week-end, sur le thème de la verticalité, nous publions une série consacrée à quelques constructions en Suisse romande. Vous pouvez retrouver l’ensemble de cette série en cliquant ici.

En même temps que le groupe de presse Lamunière à Lausanne, la Télévision Suisse Romande décide de se doter d’une tour au début des années 1960. L’air du temps dicte ce genre de constructions. Sur le modèle américain, les organes d’information ne sauraient se passer d’un tel ancrage symbolique dans le skyline des grandes villes.

Le bâtiment sera implanté en bordure de l’Arve à proximité de bâtiments plus anciens déjà dévolus à la téléradiodiffusion. Une maison de la radio y a été construite à la fin des années 1930, un studio de télévision au début des années 1950. Le nouvel édifice est confié à l’architecte genevois Arthur Bugna qui a déjà réalisé le centre administratif de Givaudan. A l’exemple des buildings new-yorkais de l’après-guerre, il conçoit une tour, destiné à accueillir les bureaux de l’administration, reposant sur une « galette », un bâtiment bas et étendu dévolu à des activités plus triviales. Culminant à 60 m. et surmonté d’un antenne imposante, la tour de 17 étages comprend des bureaux, un restaurant et des locaux de montage. Dans la galette, se trouvent trois studios de tournage, l’un d’une surface de 800 m2 et deux autres de 175 m2.

Les travaux commencent en 1963 pour s’achever en 1970. Sur le modèle américain toujours, on commence par construire un noyau de béton armé qui renfermera tous les locaux de services : ascenseurs, escalier de secours et sanitaires. Sur ce noyau, s’accrochent les dalles de plancher, en béton armé également, qui reposent à l’extérieur sur des piliers d’acier. On suspend ensuite en façade des éléments préfabriqués en aluminium et verre émaillé. Des cloisons légères permettent de moduler l’espace intérieur à volonté.

Il est décidé de rénover la tour pour 2007, mais des sondages font apparaître qu’elle est bourrée d’amiante. On est alors forcé d’avancer les travaux. Quinze bureaux d’architectes suisses et étrangers sont invités à participer à un concours, qui est remporté par le bureau genevois de Patrick Devanthéry et Inès Lamunière. Initié en 2005, le démontage de la tour ne laisse plus que le noyau en béton armé. Les 440 tonnes de déchets contaminés par l’amiante sont transportés en containers scellés dans une usine spécialisée près de Bordeaux.

Les architectes réorganisent quelque peu la distribution intérieure, qui était marquée par une forte hiérarchisation dans le sens de l’élévation. Ils créent des vides sur plusieurs étages, en trois endroits, pour faciliter la communication entre les niveaux et aménager des espaces de réunion. Les deux derniers étages, qui étaient réservés à la direction, sont étendus en porte-à faux vers l’extérieur, pour servir à la fois de grand espace d’accueil et de studio improvisé. De fait, la direction doit redescendre au 8e étage. Enfin, la rénovation modifie complètement l’aspect extérieur de la tour, en remplaçant l’habillage de couleur sombre par des panneaux miroir en acier inox plus chatoyant.

Les travaux de rénovation sont achevés en 2010. Grâce à un nouveau système d’aération, à de l’eau chaude fournie par des panneaux solaires, à des fenêtres isolantes et à un éclairage basse consommation, le résultat est conforme aux normes Minergie. Les coûts de chauffage ont été réduits de 75% par rapport à l’ancien bâtiment. ■

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Lausanne Beaulieu: Projet tour Tschumi

Coll. R. Monnard/notreHistoire.ch

En vue de l’Exposition nationale qui doit se tenir à Lausanne en 1964, Emmanuel Faillettaz, qui préside au destin du Comptoir suisse pendant 40 ans après que son père, Eugène Faillettaz, l’eut fondé, s’inquiète de la concurrence que l’événement fédéral va faire à la foire agricole et commerciale vaudoise. Il se souvient alors que l’ingénieur Alexandre Sarrasin, grand spécialiste du béton armé, avait fait quelques années auparavant la proposition de construire une tour de 500 m de haut dans le cadre de l’Expo. L’idée fut rejetée, mais Faillettaz décide de la reprendre, en réduisant cependant la hauteur du projet à 280 m, ce qui en faisait tout de même une des constructions les plus élevées d’Europe. En outre, il adjoint à l’ingénieur un architecte prestigieux, Jean Tschumi, qui est en train de réaliser un autre bastion du parti radical vaudois, le bâtiment de la Mutuelle Vaudoise Accidents, et qui vient de refuser la direction de l’Exposition nationale.

Alexandre Sarrasin fait partie de ces ingénieurs civils héroïques qui au cours du XXe siècle domptent en Suisse les montagnes et les cours d’eau à coup de ponts et de retenues grandioses. Il est notamment l’auteur du barrage à voûtes et contreforts des Marécottes en 1925. Professeur à l’Université de Lausanne, il bénéfice d’une reconnaissance et d’un prestige incontestables. Après un début de carrière consacré à l’architecture d’intérieur, notamment pour l’entreprise Sandoz, Jean Tschumi enchaîne à la fin des années 1950 des chantiers de grandes envergures qui lui confèrent une stature internationale et en font un des constructeurs les plus marquants du XXe siècle en Suisse romande, notamment le siège de la compagnie André à Lausanne, le siège de Nestlé à Vevey et l’Organisation mondiale de la santé à Genève. Il est aussi le fondateur de la section d’architecture au sein de l’Ecole polytechnique et universitaire de Lausanne, future EPFL.

Cinq francs pour le sommet

Alors que le premier projet de Sarrasin se présentait comme un simple pylône s’effilant vers le haut, Tschumi lui confère une silhouette plus élancée. La tour évoque une feuille roulée posée sur la tranche, qui s’ouvre légèrement et opère une sorte de torsion. De fait, elle est plus étroite en son milieu qu’en son sommet et se fend sur toute sa hauteur en une échancrure qui en fait le tour. Tschumi a déjà pratiqué la construction en hauteur avec la réalisation en 1959 du silo à grain de Renens en bordure des voies ferroviaires. Haut de 64 mètres, l’édifice adopte alors plutôt la forme d’un monolithe à biseaux.

Pour faire passer son projet, quelque peu mégalomaniaque, Faillettaz le présente en grande pompe à l’assemblée générale du Comptoir suisse en 1961. Pour la justifier, la tour contiendra dans sa base une salle des congrès avec une capacité de 1000 places. Lausanne manque alors cruellement de ce type d’équipement. Le socle renfermera encore 15 étages d’espace utile. On y logera une haute école des études sociales, politiques et économiques, qui fait encore défaut à l’Université de Lausanne et qui pourra se répartir dans deux auditoires de 250 places, 25 salles de cours, des bureaux et une bibliothèque. Au sommet, un restaurant et un belvédère en plein-air seront ouverts au public. Prolongeant le point culminant, une mince aiguille d’une longueur de 100 mètres permet de dépasser symboliquement la hauteur de la tour Eiffel. Pour rendre le projet encore plus séduisant, Tschumi remodèle tout le site qui présente un aspect quelque peu disparate, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Il prévoit de raser toutes les halles, ainsi que l’ancienne caserne de la Pontaise, pour y installer de longues barres uniformes. L’accès à la tour pour une somme de 5 francs aurait permis d’amortir en partie les coûts de la construction.

Cependant, de nombreux obstacles mettent le projet en échec. La tour suscite à la fois l’opposition du syndic de Lausanne, Georges-André Chevallaz, des autorités cantonales et de la Confédération, qui tente alors d’empêcher la « surchauffe économique » en freinant les investissements dans la construction et voyait aussi certainement d’un mauvais œil cette concurrence faite à son Expo. En fin de compte, la mort prématurée de Jean Tschumi, victime d’une crise cardiaque en 1962 dans le train de nuit Paris-Lausanne, mettra un terme définitif à ces ambitions de grandeur.■

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La Place Saint François animée

La Place Saint-François, à Lausanne avec le bâtiment de l'ancienne Poste (vers 1916).

Coll. J.-L. Bonnet/notreHistoire.ch

Fraîchement débarquée à Lausanne, une famille de migrants venue de l’est traverse le Grand-Pont. Ils se rendent dans leur logement, place Bel-Air numéro 8. Le fils a 6 ans, le XXe siècle en a deux. Poussée par la pauvreté de leur région qualifiée de peu développée, voire de primitive, elle espère trouver sous nos latitudes une vie moins dure. Armée de courage, elle a quitté un environnement familier et tente sa chance, là où elle n’est pas attendue. Le père se demande s’il devra un jour regretter son choix. Il a fini par trouver un emploi de portier. La scolarisation de l’enfant s’annonce difficile. Sa langue, aux accents gutturaux, parfaitement incompréhensible, est sujette aux moqueries. Son Dieu même parle un étrange jargon. L’assimilation s’annonce difficile.

L’avenue d’Echallens, que traverse fréquemment l’enfant, est longée par des voitures tirées par des chevaux à l’encolure épaisse. Ces bêtes de somme laissent derrière elles des traces nauséabondes qu’il ne déteste pas. Elles lui rappellent son pays. Lentement, ces bourrins s’évaporent, et ce sont sous des capots pétaradants que les chevaux-vapeurs se cachent. Les odeurs ne sont plus les mêmes, mais il s’est habitué à tout. Il parle déjà « vaudois ». L’accent, les intonations, les dictons peuplent maintenant son univers. Il n’a plus honte de son «Schwitzertütch» qu’il utilise parfois pour compléter sa palette d’expressions colorées. Il ne renie plus son origine, coincée entre Appenzell et Saint-Gall. Quoique catholique, ce migrant venu de l’est de la Suisse est définitivement assimilé.

Enthousiaste, il adhère à différentes sociétés locales. Il pratique la boxe dans un club proche de Rumine. Pas très grand, de stature plutôt légère, il monte sur le ring pour un combat de démonstration en catégorie poids coqs. Il se retrouve opposé à un adversaire, excellent tacticien et redoutable sur son jeu de jambes. Le flash d’un photographe crépite juste avant un direct du gauche encaissé plein pot, et les cloches de la cathédrale carillonnent à toute volée juste après. Il ne tarde pas à se lancer dans un sport qui garantit le départ des coups dans l’autre sens. Il adhère à la société de tir «Guillaume Tell». Du «Pointu» à la «Pinte Besson», il étoffe un important réseau de vaudois pure souche.

Cinquante ans plus tard, je descends l’avenue des Bains à ses côtés. Les années ne l’ont pas fait plier. Droit dans ses brodequins, les mains dans le dos, le menton relevé en direction de Thonon, le chapeau pointé sur la dent d’Oche, il a la fière allure du Général Guisan et la rondeur du phrasé de Gilles. Un citoyen made in «Wadtland». On se dirige droit vers Vidy, où l’Exposition nationale suisse, une manifestation « de toute beauté », nous attend.

Nous assistons à un concert historique : la symphonie des machines. 156 concertistes, pour la plupart machines à écrire, mais aussi téléphones et imprimantes diverses, suivent à la baguette la partition dirigée par une IBM. Il est ravi par ce «puissant», par ce «faramineux tintamarre. Maintenant que les machines sont capables de «taguenazer» toutes seules, il ne sera bientôt plus nécessaire de «manoiller».

Réalisée pour l’Expo 64 par le compositeur suisse Rolf Liebermann, La Symphonie des échanges nous entraîne dans le staccato effréné des nouveautés électroniques.

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Après deux guerres mondiales, la crise de 29, c’est « du bienvenu ». Plus question de lécher les timbres sur les enveloppes, elles pourront aller toutes seules chez le destinataire ! Pas de doute «on va vers le beau». Les machines vont manger les heures de boulot, pas les postes de travail. Il faudra bien quelqu’un pour les surveiller. Il croit aux bienfaits de l’oisiveté, créatrice de civilisation. Il a une excuse. Il n’est pas le seul. De Sénèque à Bertrand Russel, en passant par Paul Lafargue, plusieurs grands philosophes ont démystifié le travail. À son tour, d’une parabole basée sur un fait réel, il prêche pour la libération du travailleur.

Un jour d’été, notre migrant, devenu chef de service à la Poste centrale, reçoit un jeune gymnasien qui aimerait travailler pendant ses vacances pour quelques sous. Bienvenu, le « petit jeune » se met au travail avec ardeur et détermination. Le soir, le chef de service l’interroge: «Mon petit Jean-Pascal, qu’est-il écrit en grandes lettres noires sur ce panneau jaune, juste au-dessus de nous?». Surpris le «petit Jean-Pascal» répond, un peu troublé «c’est écrit PTT». «En effet, mais que signifient ces trois lettres ?» «Cela signifie, Poste, Télégramme, Téléphone». «C’est exact, le matin cela signifie bien Poste, Télégramme, Téléphone, mais le soir par contre cela signifie : Pas Trop Travailler!».

Quelques années plus tard, notre migrant meurt et le «petit Jean-Pascal» devient Président de la confédération. Un Président Très Travailleur.

Grand-Père, si tu m’entends là où tu es, c’est vrai qu’on va peut-être vers le beau, mais hélas aussi vers le trop chaud! ■

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FC Fribourg, le retour des héros

L'homme à la Coupe, oui, c'est Ernest Dougoud, le héros accessible du FC Fribourg.

Photo J. Thévoz, coll. BCU Fribourg/notreHistoire.ch

Le Stade Saint-Léonard désert ne doit pas émouvoir les amis du FC Fribourg, la pandémie ne change rien. Ils se consolent en rêvant aux temps légendaires de la Ligue nationale A (oui, dans les années 1950 le français était encore une langue officielle en Suisse). Fribourg tutoyait alors le Grasshopper de Bickel et Ballaman, le Servette de Lulu Pasteur et de Jacky Fatton…

C’est en 1952 que le club, fondé en 1900 sous le nom de Stella, accède à l’étage supérieur du football suisse. L’entraîneur s’appelle Louis Maurer, et le gardien de l’équipe-fanion Ernest Dougoud. Un clubiste, comme on dit. Depuis l’âge des juniors, il n’a jamais porté un autre maillot et restera fidèle à celui-ci jusqu’à la fin de sa carrière, avec une seule exception, pour un seul match amical comme portier occasionnel des Young Boys – défaite 9 : 0 contre « l’équipe d’or » des Hongrois Puskas et compagnie. Sa place de titulaire à Fribourg n’est évidemment pas contestée, elle ne le sera qu’avec l’arrivée de l’entraîneur Branko Sekulic en 1957 et l’émergence d’une nouvelle génération de joueurs. Ernest est né en 1923.

Dans son temps, les ballons sont encore en cuir, cousus main, les gardiens coiffent des casquettes ouvrières et portent des pulls de laine tricotés par leurs femmes. Les supporters fribourgeois racontent qu’Ernest a décliné une sélection pour la Coupe du monde au Brésil (1950) parce qu’en équipe nationale il ne pourrait pas porter son pull fétiche, bleu ciel avec un grand 1 noir dans le dos. C’est encore plus beau que si c’était vrai.

En 1954, l’équipe des « Pingouins » (tenue blanche et noire oblige) va disputer la finale de la Coupe de Suisse au Wankdorf. Ernest ignore qu’à des milliers de kilomètres de Berne, dans une mission franciscaine de la Rhodésie du Nord sous autorité coloniale britannique, trois religieux fribourgeois ont bidouillé la batterie d’un camion pour suivre la retransmission du match sur l’émetteur de Beromünster : le Père Claude Cotting, frère de Marcel, le populaire tenancier du Café des Chemins de fer, et ses confrères Tiburce Cotting et Lucien Riedo.  Ils ouvriront une bouteille pour se consoler de la défaite, 0 : 2 contre La Chaux-de-Fonds.

Match perdu, nul ou gagné, Ernest plane au-dessus des résultats. Il plane d’ailleurs au-dessus de tout le monde pour cueillir les ballons en altitude. Le public ne sait plus s’il vient au stade Saint-Léonard pour un match de foot ou pour un meeting aérien. Le grand blond ébouriffé s’envole, puis à la façon des basketteurs déroule successivement le bras, la main, et sur le bout de ses doigts tendus le ballon vient se poser comme un oiseau, par magie. Ernest a pour devise : « Les seize-mètres, c’est à moi ! » Il joue comme il s’exprime, de manière flamboyante. L’angoisse du gardien de but au moment du penalty ? Connaît pas. A la seconde où le tireur s’élance, Ernest alerte l’arbitre avec véhémence, en moulinant l’air de ses bras interminables : « Fa va pas, M’fieur l’arbitre, y a un orthodoxe sur le pavatex ! » La formule est obscure. Peut-être le gardien signale-t-il qu’un joueur de l’équipe adverse, anticipant un rebond, a discrètement posé son pied d’appui à l’intérieur de la surface de réparation, contre le règlement. Plus certainement, Ernest a dans l’esprit que déconcentrer le tireur, c’est déjà se donner une chance d’arrêter le ballon.

Ernest Dougoud est un héros accessible. Il travaille comme tout le monde, le club local n’ayant pas les moyens de salarier des professionnels. De 1944 à 1988, il est employé à l’Arsenal cantonal, puis à la caserne de la Poya. Chaque jour de semaine sur le coup de midi, il passe à vélo sur la route des Arsenaux, roulant vers Granges-Paccot pour dîner en famille. Une bande de gamins l’escorte au pas de course, qui s’essoufflent à scander son nom : « Dou-goud, Dou-goud ! » Il jouit à Fribourg d’une popularité inouïe, pas seulement chez les gosses. Cet interminable gaillard pétri de bonhomie, au sourire éclatant, gardera longtemps son ahurissante souplesse. Il s’amuse, au bal du club, à passer la jambe par-dessus la tête de la femme du président Henri Noël, Maria Alexandra, qui n’est pourtant pas petite. Ernest est mort en 2015. ■

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D’autres photos du FC Fribourg, et une vidéo des Archives de la RTS

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