L'Inédit

par notreHistoire


Le premier "déserteur"

Coll. L. Saugy/notreHistoire.ch

Il se dégage une impression troublante de cette image prise en janvier 1945. Le déserteur de la Wehrmacht n’a plus l’arrogance et la séduction virile des hommes de la revue de propagande Signal qui, en français également, circulait depuis quelques années en Suisse romande. L’officier suisse paraît rasséréné, et sent bien que la roue a tourné. Les traqueurs et les traqués ne sont plus les mêmes, après ces longues années de guerre. Parce que la zone frontière du Grand-Saint-Bernard a été un point délicat depuis l’éclatement du conflit, devenu véritablement très sensible après l’effondrement de l’Etat italien, au lendemain du 8 septembre 1943, provoquant la redistribution des cartes stratégiques avec un grand basculement des alliances. Le IIIe Reich intervient alors militairement en Italie, le régime de Salò rassemblant les reliquats du fascisme se constitue et réprime férocement la contestation. L’armée régulière italienne en débandade et des milliers de civils alimentent alors les différents canaux de la Résistance italienne.

Le Val d’Aoste mitoyen est depuis lors en proie à des luttes intenses, et ses vallées latérales, structurées comme le Valais voisin, hébergent des groupes armés selon les affinités politiques, y compris les partisans d’une autonomie régionale encore à définir, fruit d’un long combat identitaire.

Le soldat et la princesse

« La photo est prise sur la route du Grand-Saint-Bernard, en amont de Bourg-Saint-Pierre, témoigne Luc Saugy, qui a publié ce document sur notreHistoire.ch. Début 1945, les déserteurs allemands essayaient de rentrer en Suisse par les Alpes, individuellement, échappant à la police allemande ou à la résistance valdôtaine. Il y eut même l’arrivée d’une compagnie entière, mon père était de poste cette nuit-là pour faire face avec cinq ou six autres soldats suisses, pas plus… Sur cette photo prise sur la route, ce fantassin allemand est accompagné jusqu’à Bourg-Saint-Pierre par le premier-lieutenant Bach, commandant en second de la compagnie, et de mon père. On devine ses 2 étoiles sur le col de sa veste. A 18 ans, le fantassin allemand avait déjà fait El Alamein et la campagne d’Italie… A noter que le PLt Bach avait été chargé du passage de la Princesse Marie-José de Belgique, on le reconnaît à sa moustache. La compagnie était répartie le long de la vallée. C’est tout ce que je sais. »

Depuis l’automne 1943, avec une répression antisémite accentuée et la pagaille qui disperse des milliers de prisonniers de guerre alliés dans la Péninsule, sans compter les résistants italiens acculés parfois, la Suisse devient la destination espérée. Les troupes « nazies-fascistes », dont ce soldat est un représentant, tentent bien sûr d’empêcher cet exode. Les filières se forment et transfèrent dans les passages alpins, du Grand-Saint-Bernard à l’Engadine, des dizaines de milliers de réfugiés potentiels. Le corps des garde-frontières et l’armée régulière sont au front, et appliquent tant bien que mal les directives fédérales en la matière. On retrouve dans cette zone le jeune officier et écrivain en devenir Maurice Chappaz (1916-2009), qui témoignera de ces heures et de ces ordres obscurs face à cette misère humaine prise dans la tourmente. Le père de l’historien suisse Gérard Delaloye est également employé des douanes en poste en Entremont à la même époque.

Le destin des déserteurs a souvent été négligé

Alors dans ce contexte, un déserteur d’une armée allemande – après des années d’une répression qui deviendra sauvage les derniers mois et après toutes les menaces qui ont pesé sur la Suisse -, cela dégage une étrange impression sans doute, et indique une inversion des rôles. A l’inverse de certaines catégories de civils, les militaires réguliers sont protégés par les lois de la guerre et les conventions de Genève de 1929. Commence alors le cheminement des internés militaires en Suisse. Puis surgira la vaste question, une fois la guerre achevée à partir de mai, des rapatriements, qui ne se feront pas sans peine dans l’Europe dévastée, aux frontières remaniées et bientôt partagée par un rideau de fer.

Qu’il s’agisse des internés militaires russes, polonais ou allemands, bien des questions se poseront, dans ces chassés-croisés, en fonction des origines ethniques – les armées sont souvent composites de ce point de vue – , de la politique et des attentes des grandes puissances. L’avenir est encore incertain dans le regard des deux hommes, mais une forme de soulagement se dessine. Et la figure du déserteur continue de hanter l’imaginaire d’un continent qui vient de connaître deux guerres mondiales. Cette nouvelle Guerre de Trente Ans aux dimensions inouïes a broyé des millions de vie embrigadées de gré ou de force sous l’uniforme. Le destin des déserteurs de toutes les armées de ces deux guerres a souvent été négligé ; on lui a préféré le culte des monuments aux morts, et sur ces hommes pèsera le sourd reproche de lâcheté, dans tous les camps, bien que les causes de ces fuites soient multiples et les circonstances différentes. Mais ces cheminements individuels dans la brume de la grande Histoire posent encore des questions essentielles au cœur d’un siècle de fer.■     


Référence

Collectif : Les réfugiés en Valais 1939-1945, SHVR, Musée de Bagnes, Médiathèque Valais-Martigny, Annales valaisannes, 2005

A lire sur L’Inédit     

Fuir la guerre, de la République de Salò au camp de Tramelan

A consulter également sur notreHistoire.ch

La guerre aux frontières de la Suisse, une série de documents des années 1939-1945

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Route de Martigny à Sion

Coll. P. Chappuis/notreHistoire.ch

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Frères et sœurs

De gauche à droite: Antoine (1961), Françoise (1957), Geneviève (1963), Michel (1960) et Fabienne (1956), les enfants de Marie-Noëlle et Joseph Savioz. Photo prise quelques jours avant le mariage de l'aînée. Coll. M. Savioz/notreHistoire.ch

Membre de notreHistoire.ch depuis le lancement de la plateforme, en 2009, Michel Savioz a publié de très nombreux documents sur sa famille et sur l’histoire de Vissoie, son village, et sur Anniviers. En avril dernier, il partage ce témoignage sur son frère autiste, un texte sensible et fort sur la réalité d’un handicap dans sa famille, à une époque où les mentalités n’étaient pas encore ouvertes à la question de « celui qui est différent » (le titre et les intertitres sont de la rédaction).

« Antoine est autiste. Né en 1961, il est le quatrième enfant de la famille de Joseph et Marie-Noëlle Savioz, de Vissoie. Marie-Noëlle me parle de cette vie: « II est là, et puis on attend, on voit que quelque chose ne va pas… Antoine ne marchera qu’à 7 ans… Et puis, ça va être la valse des médecins, de Sion à Berne, les couloirs d’hôpitaux si froids. On était très mal informés, même pas du tout. C’était froid. À Berne, les médecins ne prenaient même pas la peine de nous parler, ils ne répondaient pas à nos questions. Cette maladie n’était pas aussi connue qu’aujourd’hui, c’était très difficile. Nous ne pouvions nous empêcher de porter le poids d’une certaine culpabilité. » Imaginez votre réaction si on vous avait demandé si vous ou votre mari buviez… Mais tout ça c’était la société de cette époque.

C’est aussi à 7 ans qu’Antoine dira ses premiers mots. À cause d’un choc, car ce jour-là Joseph l’a emmené chez un médecin à Genève. En sortant de la consultation, il a un accrochage avec une autre automobile. En rentrant, Antoine a dit à Marie-Noëlle : « Papa poum avec toto ». Joseph avait répondu avec son humour: pour une fois j’aurais mieux aimé qu’il se taise ! Et puis vient de l’aide : une personne de Sion, l’école à Sierre… Mlle De Wolf, à Sion, qui s’occupait d’Antoine, avait été très impressionnée par ses progrès. « II faut dire que nous le stimulions énormément, d’ailleurs je ne supporte plus les puzzles et autres jeux ! Je ne peux plus les voir tellement j’en ai fait ! » me dit Marie-Noëlle avec son petit sourire. Marie-Noëlle a toujours eu du soutien ; de sa maman, de sa sœur, de son beau-frère et d’une amie voisine.

On a eu de la chance au village

La vie s’organise pour Antoine et autour d’Antoine. On était toujours coincés. Marie-Noëlle pense aux frère et sœurs d’Antoine, « même s’ils me disent qu’on ne leur a rien pris de leur vie et que c’était comme ça, confesse-t-elle, j’ai le sentiment de leur avoir enlevé quelque chose… » À Vissoie, la vie a été facile dans la communauté. Les voisins étaient très gentils et les enfants jouaient avec Antoine, ils ont longtemps joué au ballon avec lui. Dans le village, il n’y a jamais eu la moindre méchanceté envers lui, toujours le respect de sa personnalité, on a eu de la chance… Antoine va toujours aux soupers de la classe, et quand Marie-Noëlle s’inquiète : « II va vous embêter, vous gâcher la soirée ! » elle reçoit comme réponse : « Ne t’en fais pas, s’il parle trop on lui dit de se taire ! » Il y a quelquefois les maladresses, parce qu’on ne sait pas comment se comporter, qu’on est gauche, les phrases toute faites qu’on dit sans penser à mal.

La première communion reportée

Antoine n’a pas été un rayon de soleil, tous les enfants sont des rayons de soleil et la vie d’Antoine, ça a été une tuile. La vie de tous les jours a été un combat, nous devions poser exigences et limites. Il y avait ses limites à lui aussi, quand il ne pouvait pas aller plus loin. C’était difficile, même quand on n’avait plus la force de faire certaines choses, on n’avait pas le choix. La vie n’est jamais facile pour personne et ça c’était notre part. Il y a les chagrins, qui même avec les années, font de discrètes gouttes perlées au bord des yeux. Antoine a fait plus tard sa première communion, à Sierre, car à Vissoie, ça a été impossible. « Même si je me suis battue à cette époque, raconte Marie-Noëlle, il n’y a rien eu à faire. Le motif du refus était qu’Antoine ne pouvait pas lire et écrire, il était diminué mentalement donc il ne pouvait pas faire sa communion, point final! C’était dur à accepter qu’il ne fasse pas partie du monde de L’Église. Ça a été d’une tristesse, lorsque les voisines m’ont amené des petits pains, le jour de la communion de leurs filles, elles avaient le même âge qu’Antoine. Et en discutant, elles m’ont avoué que ça ne leur avait même pas traversé l’esprit qu’Antoine, lui aussi, aurait pu être là. »

Marie-Noëlle a eu l’occasion de reparler plus tard avec le prêtre qui avait refusé le sacrement de la communion à Antoine, il lui a dit : « Mon Dieu, j’étais d’un rigide à cette époque ! » Et Marie-Noëlle de me dire songeuse : « Maintenant, je comprends, parce que c’était comme ça ». L’Arche de Jean Vanier, qui accueille des adultes handicapés, n’avait pas encore essaimé en ce temps pourtant pas si reculé !

Comme une horloge qui s’arrête

Il y a la vie qui passe, et Antoine grandit. Quand ils sont petits, ça passe plus facilement, c’est après, quand ils sont adultes, que viennent les complications. Ce n’est plus normal qu’il soit encore un enfant, il y a ce décalage. Si on devait relever des traits du caractère d’Antoine, ce serait son humour : les jours où Joseph était de mauvaise humeur, Antoine, pour le contrer, lui disait que lorsqu’il serait vieux et qu’il serait dans une chaise roulante, il le mettrait dans la rue devant la maison et lâcherait les freins. Sa gaieté aussi : Antoine est très gai, il fait toujours le clown quand il est bien. Sa ponctualité : iI est réglé comme une horloge, par exemple pour les heures des repas… Sa camaraderie, quand il part au camp de scout, il dit : « je vais m’occuper des handicapés » , car ses copains qui sont en fauteuil sont handicapés. Il a toujours été très doux et jamais violent. Ce qui a été une chance pour nous. Antoine ne choisit jamais si on lui propose de trancher au niveau affectif. Marie-Noëlle ne l’a jamais vu plus aimer l’un ou l’autre, il n’a jamais pu dire s’il y avait quelqu’un qu’il préférait. C’est d’ailleurs devenu un jeu entre eux : qui tu préfères, celui-là où celui-ci ? Marie-Noëlle sait qu’Antoine ne répondra jamais à une telle question. Antoine est un hypersensible, Marie-Noëlle me l’a dit : l’autisme c’est la maladie des hypersensibles. Il a fait une déprime lorsque les deux derniers de la famille se sont mariés. À la période de Noël qui a suivi, quand je suis remontée d’une visite chez ma mère, il ne parlait plus, il est resté totalement absent jusqu’au 24 mars, c’est comme une horloge qui s’arrête. C’est ce jour-là qu’il a réalisé qu’ils étaient partis de la maison.

C’est dans des moments comme ça qu’on se rend compte que même s’il ne se manifeste pas toujours, dans tous les cas, il vit tout très fortement. Il sait les choses ; il aurait voulu être menuisier mais comme il le dit lui-même : comme je ne sais pas lire et que j’ai du mal avec les calculs, je ne peux pas. « Et puis un jour arrive le moment auquel on pense avec soucis, raconte Marie-Noëlle. Je suis tombée malade, et nous avons dû le placer. Au début, ça a été très dur. II est depuis un an à la Pommeraie à Sion, et il y est bien. Nous, nous avons pu un peu souffler. Maintenant nous sommes contents et rassurés. Nous savons qu’il est déjà dans son lieu de vie, s’il nous arrive quelque chose. Toute la famille lui rend visite, et il remonte chaque deux semaines. »

Antoine refuse de prendre ses affaires en bas, même pas les albums photos, il veut garder ici son chez-soi. Antoine a toujours été quelque part la « vedette » de la famille, il n’y a qu’à voir l’anniversaire de ses 40 ans. Comme conclusion je vous livre ce mot de Marie-Noëlle qui, à mon humble avis, résume toutes ces années et qui pourrait être partagé par ceux qui ont traversé des épreuves : maintenant, je peux vraiment en parler. »

Mon frère Antoine a 58 ans, il vit depuis plusieurs années en permanence en institution à Sion, dans un foyer de la FOVAHM. »■

Un portrait d’Antoine a été publié à la fin de ce texte sur notreHistoire.ch

Référence

Conversation transcrite par Cathy Chailley, Bulletin des Paroisses catholiques romandes, Novembre 2004

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Mariage

Coll. J..G. Mallet/notreHistoire.ch

Et si la robe de mariée n’avait pas toujours été blanche ? Au début du XXe siècle, l’habit immaculé qui peuple aujourd’hui notre imaginaire était encore un luxe réservé aux grandes de ce monde. Dans les couches populaires, les femmes portaient un vêtement sombre le jour de leur mariage, à l’image de Bertha Marti lors de ses noces avec Fritz Wasem, entourée de leurs proches, sur cette photographie de 1901 publiée par Jean-Georges Mallet sur notreHistoire.ch.

Un premier tournant vestimentaire avait eu lieu au début du XIXe siècle. Les mariages des têtes couronnées faisaient alors déjà parler d’eux loin à la ronde. Celui de la reine Victoria, en 1840, n’a pas échappé à la règle et les journaux ont longuement commenté la robe blanche de la souveraine, symbole d’une nouvelle mode qui va connaître un franc succès dans toute l’Europe. La tendance ne s’impose d’abord qu’au sein des cercles privilégiés.

Fidèles à une vieille pratique, bon nombre de femmes de la campagne ou des quartiers ouvriers continuent à porter des habits de noces rouges ou noirs. En cela, rien de surprenant. Pour les milieux modestes, l’achat d’un vêtement représente en effet un coût considérable. Alors, pour éviter de s’endetter, les mariées se contentent d’enfiler la plus belle pièce de leur garde-robe. Ou la moins usagée, qu’il est toujours possible de rapiécer. Souvent, il s’agit d’une robe noire, qui ne craint pas la saleté et qui pourra être portée à d’autres occasions, comme lors de la confirmation d’un neveu, pour le baptême d’un enfant… ou aux funérailles d’un proche parent. Le même vêtement accompagne ainsi les étapes les plus importantes de l’existence. Parfois, la robe est rouge. Peut-être est-ce le cas de celle de Bertha Marti ?


Le blanc triomphe

A cette époque pourtant, les premiers grands magasins commencent à vendre des robes blanches de mariage. A Zurich et Berne d’abord, à la fin du XIXe siècle. Puis à Genève, en 1905. Deux ans plus tard, à Lausanne, L’Innovation propose les dernières modes sur d’interminables rayons : boléros, jaquettes, paletots, corsages, rubans, plumes d’autruche, voilettes, blouses, fourrures, camisoles, brassières… « A-t-on jamais vu cela ? », commentent les clients (qui sont bien souvent des clientes, issues de la bourgeoisie ou de la classe moyenne). On peut y toucher de superbes vêtements sans craindre les réprimandes. Surtout, on s’y distrait, libre d’acheter ou non. Bientôt, ces enseignes dicteront le bon goût. La robe blanche, devenue un signe de pureté, gagne en popularité. Les jours du rouge et du noir sont comptés.

Emile Zola utilise d’ailleurs le détail de la couleur de la robe de la mariée pour marquer les classes sociales dans le chapitre III de L’Assommoir, publié en 1876, quand Coupeau et Gervaise – elle habillée « d’une robe de laine gros bleu » – attendent leur passage devant le maire: « Mais, quand le magistrat parut, ils se levèrent respectueusement. On les fit rasseoir. Alors, ils assistèrent à trois mariages, perdus dans trois noces bourgeoises, avec des mariées en blanc, des fillettes frisées, des demoiselles à ceintures roses, des cortèges interminables de messieurs et de dames sur leur trente-et-un, l’air très comme il faut. » ■

Références

Jean-Claude Kaufmann, Mariage. Petites histoires du grand jour, de 1940 à aujourd’hui, Paris : Textuel, 2012
«Grands magasins», Dictionnaire historique de la Suisse
«A l’Innovation», Nouvelliste Vaudois, 24 septembre 1907

A consulter également sur notreHistoire.ch

La mariée était en noir, une galerie de photographies

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