Et si la robe de mariée n’avait pas toujours été blanche ? Au début du XXe siècle, l’habit immaculé qui peuple aujourd’hui notre imaginaire était encore un luxe réservé aux grandes de ce monde. Dans les couches populaires, les femmes portaient un vêtement sombre le jour de leur mariage, à l’image de Bertha Marti lors de ses noces avec Fritz Wasem, entourée de leurs proches, sur cette photographie de 1901 publiée par Jean-Georges Mallet sur notreHistoire.ch.
Un premier tournant vestimentaire avait eu lieu au début du XIXe siècle. Les mariages des têtes couronnées faisaient alors déjà parler d’eux loin à la ronde. Celui de la reine Victoria, en 1840, n’a pas échappé à la règle et les journaux ont longuement commenté la robe blanche de la souveraine, symbole d’une nouvelle mode qui va connaître un franc succès dans toute l’Europe. La tendance ne s’impose d’abord qu’au sein des cercles privilégiés.
Fidèles à une vieille pratique, bon nombre de femmes de la campagne ou des quartiers ouvriers continuent à porter des habits de noces rouges ou noirs. En cela, rien de surprenant. Pour les milieux modestes, l’achat d’un vêtement représente en effet un coût considérable. Alors, pour éviter de s’endetter, les mariées se contentent d’enfiler la plus belle pièce de leur garde-robe. Ou la moins usagée, qu’il est toujours possible de rapiécer. Souvent, il s’agit d’une robe noire, qui ne craint pas la saleté et qui pourra être portée à d’autres occasions, comme lors de la confirmation d’un neveu, pour le baptême d’un enfant… ou aux funérailles d’un proche parent. Le même vêtement accompagne ainsi les étapes les plus importantes de l’existence. Parfois, la robe est rouge. Peut-être est-ce le cas de celle de Bertha Marti ?
Le blanc triomphe
A cette époque pourtant, les premiers grands magasins commencent à vendre des robes blanches de mariage. A Zurich et Berne d’abord, à la fin du XIXe siècle. Puis à Genève, en 1905. Deux ans plus tard, à Lausanne, L’Innovation propose les dernières modes sur d’interminables rayons : boléros, jaquettes, paletots, corsages, rubans, plumes d’autruche, voilettes, blouses, fourrures, camisoles, brassières… « A-t-on jamais vu cela ? », commentent les clients (qui sont bien souvent des clientes, issues de la bourgeoisie ou de la classe moyenne). On peut y toucher de superbes vêtements sans craindre les réprimandes. Surtout, on s’y distrait, libre d’acheter ou non. Bientôt, ces enseignes dicteront le bon goût. La robe blanche, devenue un signe de pureté, gagne en popularité. Les jours du rouge et du noir sont comptés.
Emile Zola utilise d’ailleurs le détail de la couleur de la robe de la mariée pour marquer les classes sociales dans le chapitre III de L’Assommoir, publié en 1876, quand Coupeau et Gervaise – elle habillée « d’une robe de laine gros bleu » – attendent leur passage devant le maire: « Mais, quand le magistrat parut, ils se levèrent respectueusement. On les fit rasseoir. Alors, ils assistèrent à trois mariages, perdus dans trois noces bourgeoises, avec des mariées en blanc, des fillettes frisées, des demoiselles à ceintures roses, des cortèges interminables de messieurs et de dames sur leur trente-et-un, l’air très comme il faut. » ■
Références
Jean-Claude Kaufmann, Mariage. Petites histoires du grand jour, de 1940 à aujourd’hui, Paris : Textuel, 2012
«Grands magasins», Dictionnaire historique de la Suisse
«A l’Innovation», Nouvelliste Vaudois, 24 septembre 1907
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