Un horizon bouché, des années de disette dans le viseur et une courbe ascendante des taux du chômage. Telles étaient les perspectives peu reluisantes promises à la jeunesse biennoise au moment de l’ouverture officielle de la Coupole au printemps 1975. A ce désenchantement économique s’était rajouté le démantèlement des derniers sites de l’ère industrielle, laissant par exemple hors sol d’anciennes usines à gaz à l’abandon. Ces vestiges auraient terminé leur carrière à la casse sans la débrouillardise et le sens de la récupération des milieux alternatifs de l’époque. A Zurich, à Berne ou à Bienne.
Sept ans plus tôt, dans le sillage de Mai 68, la jeunesse suisse s’était soulevée en lançant trois jours d’occupation des grands magasins Globus à Zurich au début du mois de juillet 1968. Quelques jours plus tard, le 6 juillet, deux à trois cents jeunes Biennois se solidarisent avec les agitateurs des bords de la Limmat et réclament l’implantation d’une commune dite auto-gérée dans leur cité. L’usine à gaz abandonnée faisait alors bien pâle figure au centre-ville, assommée qu’elle était par l’imposant Palais des Congrès d’en face.
« Autonomie, autonomie! »
Un trac a été vite ronéotypé puis distribué aux passants ce 6 juillet 1968 à Bienne. Il réclamait l’ouverture d’un centre pour la jeunesse. Mais il condamnait aussi les méthodes employées par la police zurichoise «pour résoudre les problèmes» provoqués par de jeunes trublions. Une vingtaine de manifestants se trouvaient toujours en détention préventive à Zurich. Le tract s’est ensuite transformé en motion devant le parlement biennois. L’exécutif de la ville s’est alors dit plutôt ouvert à l’idée d’une lieu auto-géré. Mieux : une presse locale enthousiaste – Journal du Jura et Bieler Tagblatt – s’est lancée, dans la foulée, dans une immense collecte publique permettant de recueillir au total 12’000 francs pour les besoins de cette cause. En quelques semaines seulement, le projet d’un lieu dédié aux adolescents avait séduit à Bienne. Restaient à définir les relations futures que cette jeunesse tapageuse, aux désirs inassouvis et aux cheveux longs, entretiendrait avec les autorités municipales. Et en quoi consistait alors exactement «l’autonomie» qu’elle réclamait maintenant à cor et à cri?
Un manifeste pour une utopie naissante
«Nous ne demanderons jamais d’autorisation», s’autorisent pourtant deux militants du mouvement de contestation «Lausanne bouge» postés comme deux vigies devant la Coupole en 1981. Se référant aux grandes chartes du droit international, ils exigeaient le droit de pouvoir manifester, le droit d’afficher, le droit de se réunir ou simplement le droit de pouvoir s’exprimer. «On n’en peut plus de la vie d’aujourd’hui et du nucléaire qu’on nous promet», disaient-ils alors.
Mais qui étaient en réalité les responsables des lieux ? En août 1968, un manifeste en 33 points entamait déjà les pourtours de l’utopie naissante du Centre autonome de jeunesse (CAJ) de Bienne: un lieu ouvert pour tout le monde et appartenant entièrement à ses participants. L’exécutif de Bienne insistait pour avoir en face, lors des négociations, des interlocuteurs officiellement désignés. Mais ce schéma ne correspondait pas véritablement aux aspirations – de type égalitaire – d’une frange importante de la jeunesse de l’époque. Cette dernière rêvait surtout de conquérir un espace sans le moindre contrôle étatique. Les discussions s’enlisent. Un comité d’action se met en place. On parle rénovation des lieux, travaux à effectuer, mais aussi futures fêtes à organiser dans l’antre de la Coupole. Celle-ci ouvrira finalement ses portes le 10 mai 1975, sept ans après les premières revendications dans la rue. L’autonomie des débuts s’est diluée. Mais le CAJ a gagné en respectabilité. Pour les rénovations, chacun y va alors de son coup de pinceau. Heidi et Christiane, sa copine, expriment clairement, dans le reportage de la TSR d’alors, leur désir de réaliser ce que bon leur semble à l’intérieur de cet îlot nu et délabré où la poésie allait rapidement convoler avec le psychédélisme le plus délirant. De célèbres agitateurs feront au fil du temps de la Coupole de Bienne un passage obligé (Léo Ferré, Linton Kwesi Johnson, entre autres).
Les acquis sont maintenus envers et contre tout
La Coupole reste à ce jour l’un des derniers espaces alternatifs de Suisse où, selon des acquis de l’époque, la police n’a pas le droit d’y pénétrer, sauf événement majeur. Les prix d’entrée pour les concerts et les spectacles sont contrôlés et ne doivent pas excéder un certain seuil, en fonction d’un budget soigneusement épluché par l’assemblée des usagers. Tout un chacun peut organiser un événement culturel à la Coupole, pour autant que le promoteur soit établi à Bienne et qu’il prouve son sérieux et sa probité grâce au blanc-seing d’un parrain. Accessoirement, il devra se rendre au moins trois fois sur une période d’un mois aux assemblées hebdomadaires des usagers du lieu, le mardi soir, sans quoi son projet risque bien de tomber à l’eau. La Commune autonome – comme on l’appelle à Bienne – à des principes auxquels il ne faut pas déroger. Outre l’ancienne usine à gaz devenue l’emblématique Coupole, le CAJ s’est aussi doté d’une imprimerie, puis plus tard d’un sleep-in pour les sans-abris et les toxicomanes. Un village alternatif a ainsi essaimé en ville. ■
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