L'Inédit

par notreHistoire


"Pompe funèbre" d'antan

Coll. P.-M. Epiney/notreHistoire.ch

Notre rubrique Témoignage et récit reprend des articles des membres de notreHistoire.ch, à l’instar de ce texte de Christine Riedo que nous publions ici, dans le prolongement de la Toussaint (la photo illustrant ce texte a été partagée par Pierre-Marie Epiney)

J’ai vu mon premier mort lorsque j’avais une dizaine d’années.

C’était au Tessin où j’ai habité enfant.

Lorsque il y avait un mort au village où j’habitais, le défunt était exposé dans sa maison, souvent sur son lit.

Les gens du village, petits et grands, en famille, passaient tous dans sa chambre lui rendre hommage. Pour l’enterrement ensuite, le village se mettait en cortège et nous l’accompagnions jusqu’à l’église et après la cérémonie jusqu’au cimetière.

Être confrontée à la mort dès le plus jeune âge ne m’a pas fait peur, parce que cela se faisait en communauté, en compagnie de nos parents, il y avait surtout du respect, la mort, les adieux faisaient partie de la vie, et tout le cérémonial, le rite d’accompagnement aidait au deuil, ça nous préparait aussi aux réalités de la vie. ■

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D’autres photographies et des vidéos des Archives de la RTS dans la série Jours de deuil

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Discours de Haïlé Sélassié 1er à la Société des Nations

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Série - Regards sur la Société des Nations

Un appel à la conscience d’une Europe civilisée

Cette série est conçue en partenariat avec les Archives des Nations Unies à Genève, qui ont publié sur notreHistoire.ch des documents, principalement des photographies, sources du travail des historiens et des journalistes que L’Inédit réunit pour l’occasion. Retrouvez les articles de cette série en cliquant ici.

La venue de l’Empereur d’Ethiopie à Genève en été 1936 s’effectue dans des conditions particulièrement éprouvantes. Pour le Négus, son recours à la Société des Nations est l’Appel d’un pays trahi et vaincu, dont la souveraineté et l’intégrité étaient garanties aux membres de la Société des Nations. Il pouvait escompter sur la « solidarité collective » à laquelle les Etats membres s’étaient engagés en devenant membre de la SDN.

Or, l’Italie fasciste a entrepris dès 1934 des initiatives pour étendre son emprise sur l’Empire d’Abyssinie. Installée depuis la fin du XIXe siècle dans la Corne de l’Afrique, en Erythrée et en Somalie, Rome avait tenté de prendre possession de l’Ethiopie, par la diplomatie d’abord, puis par la force. Mais à la surprise générale de l’Europe impérialiste, l’armée italienne fut battue : ce fut le désastre d’Adoua en mars 1896. L’Italie dut se résigner à se retirer de ce vaste Empire ; pour une Puissance européenne en pleine ambition coloniale, ce fut un affront que tôt ou tard les dirigeants italiens espéraient relever. C’est ce que Mussolini a décidé d’entreprendre dans le but de rallier le peuple italien à son projet ambitieux d’un grand empire colonial italien.

Très rapidement, l’ambition de Mussolini dégénéra en un conflit armé de plus en plus destructeur ; simultanément, la guerre de conquête du Duce portait frontalement atteinte à la sécurité et à l’intégrité d’un Etat membre de la Société des Nations. Or, l’Ethiopie était membre de la Société des Nations depuis 1923, d’ailleurs suite à une proposition italienne. C’est dire l’embarras des autres Puissances devant le coup de force de l’Italie, Etat fondateur de la SdN. Les diplomates tentèrent d’amener l’Italie à la raison, en proposant des compromis, mais rien ne pouvait faire reculer Mussolini.

La Société des Nations, face à cette violation caractérisée du Pacte fondateur, ne pouvait pas se déjuger. Son Conseil, réuni à plusieurs reprises pour examiner la situation et pour répondre aux doléances justifiées de l’Ethiopie, décida en septembre 1935, à la fureur des Italiens, d’engager des sanctions contre l’Etat violeur. Il dut aussi se prononcer sur la demande du Négus de venir lui-même défendre sa cause, car il était déterminé à faire un appel à la conscience de l’Europe civilisée pour condamner l’agresseur.

La première page du discours d'Hailé Sélassié, lu le 30 juin 1936 à Genève.

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

L’Assemblée extraordinaire de la SdN, convoquée par son Conseil, le 30 juin 1936, pour entendre l’Empereur d’Ethiopie, peut être interprétée, avec le recul, comme le dernier sursaut de l’organisation genevoise pour assumer son rôle de paix et de règlement des conflits. Comme le déclare le Président de l’Assemblée avant de donner la parole à l’Empereur d’Ethiopie, cette séance « peut signifier un nouvel et grand effort vers la paix, dans un même souci de conciliation et d’harmonie » (…) « Le monde réclame la paix, il souffre de son absence et de l’essai tant de fois tenté sans succès pour trouver sa stabilité définitive… ».

Au moment où le Chef de l’Etat éthiopien, Haïlé Selassié, prend la parole pour s’excuser de ne pas s’exprimer « en français comme je l’aurais voulu » et pour annoncer que pour pouvoir dire toute sa pensée, avec toute la force de son esprit et de son cœur, il va parler en amharique, un vacarme assourdissant secoue la salle. Il est provoqué par des agents et des journalistes italiens.

Les premières minutes du discours d'Hailé Sélassié sont perturbées par des agitateurs italiens (le son débute après une dizaine de secondes).

Coll. Archives des Nations Unies Genève/notreHistoire.ch

Après l’expulsion par la force des perturbateurs, le calme revenu, l’Empereur d’Ethiopie prononce un long plaidoyer en amharique, dont voici quelques extraits tels que publiés dans le Journal officiel de la Société des Nations :

« Je suis aujourd’hui ici pour réclamer la justice qui est due à mon peuple et l’assistance qui lui a été promise, il y a huit mois (en septembre 1935), par cinquante-deux nations ayant affirmé qu’une agression avait été commise en violation des traités internationaux ».

« Nul autre que l’Empereur ne peut adresser, à ces cinquante-deux nations, l’appel du peuple éthiopien.»

« Il est peut-être sans exemple qu’un chef d’Etat ait pris lui-même la parole dans cette Assemblée. Mais il est certainement sans exemple qu’un peuple ait été victime d’une iniquité pareille et soit actuellement menacé d’être abandonné à son agresseur. Il n’y a pas non plus d’exemple d’un gouvernement procédant à l’extermination systématique d’un peuple par des moyens barbares, en violation des promesses les plus solennelles faites à toutes les nations de la terre de ne point recourir à une guerre de conquête, de ne point user, contre des êtres humains innocents, du terrible poison des gaz toxiques. C’est pour défendre un peuple qui lutte pour son indépendance millénaire que le Chef de l’Empire d’Ethiopie est venu à Genève pour remplir ce devoir suprême, après avoir combattu lui-même à la tête de ses armées ».

Une pluie mortelle sur l’Ethiopie

Dans son discours, Haïlé Selassié dénonce notamment la violation du Protocole signé le 17 juin 1925, à Genève, « concernant la prohibition d’emploi de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques », dans les opérations militaires. Il se fait un « devoir de dénoncer au monde » les opérations criminelles menées par l’Italie fasciste en territoire éthiopien en recourant à des armes formellement interdites :

« Des diffuseurs furent installés à bord des avions afin de vaporiser, sur de vastes étendues de territoire, une fine pluie meurtrière. Par groupes de neuf, de quinze, de dix-huit, les avions se suivaient de manière que le brouillard émis chacun formât une nappe continue. C’est ainsi qu’à partir de la fin de janvier 1936, les soldats, les femmes, les enfants, le bétail, les rivières, les lacs, les herbages ont été arrosés continuellement par cette pluie mortelle. Pour tuer systématiquement les êtres vivants, pour empoisonner sûrement les eaux et les herbages, le commandement italien a fait passer et repasser ses avions. Ce fut là sa principale méthode de guerre.

 Le raffinement de la barbarie a consisté à porter le ravage et la terreur sur les points les plus peuplés du territoire et de plus en plus éloignés du théâtre des hostilités. Le but visé était de jeter l’épouvante et la mort sur une partie du territoire éthiopien.

Cette tactique effroyable a réussi ; hommes et bêtes ont succombé. La pluie meurtrière tombée des avions faisait fuir, en hurlant de douleur, tous ceux qu’elle touchait.» …

Dans son plaidoyer, l’Empereur d’Ethiopie poursuit la description des pratiques meurtrières de l’armée italienne. Sur ces pratiques, on peut lire un témoignage direct, détaillé et technique d’un grand praticien de l’action humanitaire qu’a été le Docteur Marcel Benoît, Délégué par le Comité international de la Croix-Rouge qui intervient sur le territoire éthiopien dès l’automne 1935. Le recours aux armes chimiques y est clairement constaté. (Voir Dr Marcel Junod, Le troisième combattant, CICR, 1989). Ses descriptions, comprenant des illustrations des horreurs commises, corroborent et développent la présentation qu’en a donnée Haïlé Selassié, dans son discours.

En 1924, Hailé Sélassié fait une première visite à la Société des Nations, ici au Palais Wilson.

Photo Frank Henri Jullien, coll. Bibliothèque de Genève/notreHistoire.ch

Dans son Appel à la conscience des Nations, l’Empereur d’Ethiopie, après avoir exposé ses relations complexes avec l’Italie, commenté le traité d’amitié italo-éthiopien de 1928, « qui proscrivait absolument et sous aucun prétexte le recours aux armes, substituant à la force la procédure de conciliation et d’arbitrage, sur laquelle les nations civilisées font reposer l’ordre international », récapitule les décisions de la SdN en faveur de son pays, la condamnation de l’Italie, l’imposition des sanctions prévue par le Pacte ; il dénonce ensuite la réticence de plus en plus affichée de certains Etats à appliquer les sanctions édictées. Cette réorientation diplomatique de la part de quelques Etats (dont la Suisse, prétextant ses relations intenses avec son voisin du Sud) pour se soustraire aux obligations d’appliquer concrètement les sanctions économiques et financières contre l’Italie fasciste, incite le Chef d’Etat africain à formuler un clairvoyant et lucide diagnostic : il annonce l’effondrement de la sécurité collective et des fondements moraux de la Paix internationale établis après le Premier conflit mondial :

« J’affirme, poursuit le Négus, que le problème aujourd’hui soumis à l’Assemblée est beaucoup plus large. Ce n’est pas seulement le règlement de l’agression italienne : c’est la sécurité collective ; c’est l’existence même de la Société des Nations ; c’est la confiance que chaque Etat doit accorder aux traités internationaux ; c’est la valeur des promesses faites aux petits Etats de respecter et de faire respecter leur intégrité et leur indépendance ; c’est le principe de l’égalité des Etats ou l’obligation pour les petites Puissances, d’accepter un lien de vassalité. C’est, d’un mot, la moralité internationale qui est en cause. Les signatures apposées au bas d’un traité ne valent-elles que dans la mesure où les Puissances signataires y ont un intérêt personnel, direct et immédiat ? »

L’Appel du Négus, si percutant fût-il, n’a pas laissé l’opinion internationale insensible. Mais les gouvernements, confrontés au délitement de la coopération internationale, ne sont pas à la hauteur de leur responsabilité.  Dans le contexte de la grande crise économique et sociale déclenchée par le krach de Wall Street en octobre 1929 qui a ébranlé les sociétés, les Etats membres de la SdN assistent comme tétanisés au retrait du Japon, membre fondateur, en 1933, suite à sa condamnation pour l’annexion de la Mandchourie, au retrait de l’Allemagne décidé par Hitler en octobre 1933, puis à la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936, sans réaction des Puissances à cette violation par Hitler du Traité de Versailles de 1919. En fait, les Etats de la Société des Nations recherchent un compromis avec l’Italie de Mussolini, pour qu’elle reste membre de la Société des Nations et pour la dissuader de se mettre dans le camp de Hitler et des ennemis jurés de la Paix de Genève. Ce fut la grande illusion des diplomaties européennes ainsi que leur défaite morale aux yeux de l’Histoire ! Le Négus l’avait augurée, les diplomates n’ont pas voulu entendre son Appel.

Deux ans plus tard, en 1938, le sort de la SdN est scellé : l’Anschluss de l’Autriche, Etat membre de la SdN, suivi par le démembrement de la Tchécoslovaquie à la suite des Accords de Munich, enfin le déclenchement dès 1939 de l’agression allemande en Pologne. A l’organisation de Genève et à ses principes pacifiques succède le « nouvel ordre hitlérien ».  L’accumulation fatale de violations des Traités internationaux et des engagements pris au sein de la Société des Nations a conduit au plus grand cataclysme de l’humanité qu’a été la Deuxième Guerre mondiale. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

D’autres documents dans la galerie consacrée à la SDN et une série de documents sonores des Archives de la RTS

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Fribourg, Soeur Léontine et le curé Nöel

Le curé Noël et sœur Léontine (au centre)

Coll. M. Morel/notreHistoire.ch

A la joie de ses ouailles, le curé Noël commente l’actualité dans son sermon de Noël : « Gargarine, dans son vaisseau spécial, a dit qu’en traversant le ciel il n’avait pas aperçu le bon Dieu. Il n’a sûrement pas bien regardé. » On est en 1961, le cosmonaute soviétique Youri Gagarine a réalisé le premier vol spatial habité. Il en faut plus pour impressionner Pierre Noël, curé de Saint-Jean, à Fribourg, depuis douze ans.

Peu de paroissiens savent que cet homme rougeaud, pataud, à la voix grasseyante et à la soutane douteuse, est très au fait des enjeux philosophiques et théologiques du temps. Simple, certes, avec ses allures de curé de campagne, mais pas simplet. L’évêque François Charrière, théologien et canoniste que les débats d’idées n’effraient pas, estime Noël pour la sûreté de son jugement. S’il l’a mis à la tête de la plus pauvre paroisse de la Basse-Ville, c’est aussi parce que ce fils d’un riche paysan, un notable broyard, s’est montré à l’aise avec le monde ouvrier dans son poste précédent, en assurant l’aumônerie du barrage de Rossens : quatre ans de chantier, treize morts.

Les paroissiens de Saint-Jean vivent pour la plupart entre la misère et la pauvreté. A l’entrée des années 1950, le directeur de la prison centrale et celui de l’usine à gaz émergent quasiment seuls d’une population ouvrière où les familles ne sont riches que d’enfants. Ce n’est pas une population inerte. Les gens ont lutté victorieusement pour se débarrasser du précédent curé, ils se battront davantage encore pour garder celui-ci, mais avec un succès en demi-teinte. En 1975, exaspérés par le non-conformisme (et la popularité, sans doute) du curé Noël, l’évêque Pierre Mamie et son administration lui extorquent sa démission. Deux lignes dactylographiées sur papier à en-tête de l’évêché, qu’il signe avant de s’insurger. Il refuse de quitter Saint-Jean pour la paroisse rurale qui lui est assignée. Ses ouailles s’insurgent plus vivement encore, bombardent l’évêque de lettres, pétitions et protestations. Pierre Mamie doit s’incliner devant la bronca, accepter un compromis : Noël quitte Saint-Jean mais reste en ville, désormais chargé « d’un ministère auprès des malades, des personnes âgées et des prisonniers ». Comme auparavant, somme toute.

A l'église Saint-Jean, en Vieille-Ville de Fribourg (années 1950)

Coll. L. Chevalley/notreHistoire.ch

Car il n’était pas souvent dans son église ! Plus fiers que fâchés, ses paroissiens affirmaient « le prêter aux autres ». D’un bout à l’autre du canton, le curé Noël suivait les enterrements, les fêtes de musique et les sorties de contemporains, il était l’aumônier de tous les groupements imaginables et le supporter indéfectible des équipes locales de foot et de hockey. Il y mettait du cœur, et les joueurs du HC Gottéron lui restaient reconnaissants d’avoir un jour, à la patinoire des Augustins, stoppé à coups de parapluie un ailier d’Arosa qui débordait le long de la bande. Don Camillo chez les Bolzes ?

Non, saint Martin parmi nous. Ou le Père Noël, comme le veut son nom. Il pratiquait une générosité folle, au vrai sens du terme. Sa famille ne s’y est pas trompée, qui s’inquiéta de le voir dilapider sa part d’héritage et mettre éventuellement le reste en péril. Car le curé distribuait l’argent de la quête aussi bien que la literie et le charbon de la cure à tous les pauvres diables, et ils étaient nombreux. Il régalait les détenus de la Prison centrale, ses voisins, dispensait cigares et chocolat aux malades des hôpitaux. Pour sa subsistance personnelle, aucun problème. On se l’arrachait les jours de la semaine dans toute la ville, et le dimanche il avait son couvert mis au Sauvage, le bistrot qui faisait face à l’église. Le curé précédent avait essayé d’acheter l’établissement, mais pour le fermer. Ce n’était pas le genre du curé Noël. ■

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La Basse-Ville de Fribourg, en images et vidéos des Archives de la RTS

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Quincy Jones à Montreux

Quincy Jones à la première édition du Montreux Jazz Festival, en 1967.

Photo Pierre Mateuzzi, coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Notre rubrique Témoignage et récit reprend des articles des membres de notreHistoire.ch, à l’instar de ce texte de François Bercher (le titre et les intertitres sont de la rédaction).

J’aimerais parler des années précédant la naissance du Festival de Jazz de Montreux. Au début des années 1960, il y avait pas mal de distractions pour les jeunes, du côté de Montreux: compétitions de groupes de Rock au Pavillon du Montreux-Palace, avec les Volcans et les Espadons de Montreux, et aussi dans le même lieu les soirées concoctées par le Club des Jeunes montreusiens, présidé par un dénommé Farine, et dont Jacques Pilet, le journaliste, était membre.

Au cours d’une de ces soirées Jacques Pilet nous avait fait un show basé sur des bandes magnétiques bricolées par lui-même, utilisant la voix monocorde du speaker de l’Agence Télégraphique Suisse de Berne pour lui faire dire des trucs complètement loufoques, tel que le mariage du Pape…

Et il y avait le Club de Jazz de Montreux, présidé par Claude Nobs, dont je suis devenu membre en 1962. À l’époque, nous nous réunissions dans un vaste galetas situé près du Caveau “Chez Fanchette” à la Rue Industrielle. Nous passions nos soirées à écouter du Jazz, en buvant quelques bières et en discutant des mérites de l’un ou l’autre des artistes écoutés. Il y avait là Claude, bien entendu, qui avait déjà une belle collection de disques et de bandes magnétiques et qui était employé de l’Office du Tourisme de Montreux, et dix à quinze membres dont Jerry Miauton, Kurt Fleury contrebassiste amateur, Bernard Michel, Danielle Spinner, Marie-Claire Badan, Jean-Claude Musso, et quelques autres dont le nom m’échappe.

La musique adoucissait les mœurs, mais pas celles des voisins de notre local, ce qui nous a forcé à nous replier début 1963 du côté de Territet, chez Claude Nobs à l’avenue de Chillon.

Plus de problèmes, les parents de Claude étaient propriétaires de la maison, donc nous pouvions écouter notre musique à un niveau “convenable”.

Des disques sur des bâtons de ski!

Nous nous réunissions 1 ou 2 fois par mois, et avions pris l’habitude de présenter, chacun son tour, comme thème de la soirée soit un musicien ou un style ou même une époque. Nous avions la chance, bien que chacun disposait généralement d’une discothèque assez fournie, de pouvoir “piocher” dans celle de Claude qui possédait déjà plus d’un millier de 33 tours (en 1963…), et une multitude de 45 tours qu’il empilait, grâce à leur gros trou central, sur des bâtons de ski !

En 1964, Claude, grâce à ses voyages pour le compte de l’Office du Tourisme, a pu nouer des contacts avec deux passionnés de Jazz allemands, Horst Lippmann et Fritz Rau, et surtout à attirer leur tournée “American Folk Blues Festival 1964″ à Montreux !

Gros boulot pour les membres du Club, car il fallait tout organiser, faire de la pub, envoyer des invitations aux nombreux pensionnats de la région, etc…

Mais la récompense fut à la hauteur de nos espoirs: Sonny Boy Williamson, Sunnyland Slim, Hubert Sumlin, Howlin’ Wolf, Lightnin’ Hopkins, l’harmoniciste Hammie Nixon, le chanteur et guitariste Sleepy John Estes, le batteur Clifton James jouèrent devant une salle comble au Casino de Montreux !

Re-belote en 1965 ! Cette fois nous eûmes le plaisir d’avoir la tournée “American Folk Blues Festival millésime 1965″ avec le guitariste Buddy Guy, J.B. Lenoir, les pianistes et chanteurs Eddie Boyd et Roosevelt Sykes, la chanteuse Big Mama Thornton, l’harmoniciste Doctor Ross, John Lee Hooker, Big Walter Horton, les chanteurs et guitaristes Jimmie Lee Robinson et Fred McDowell et le batteur Freddy Below. Et de nouveau un immense succès, toujours au casino de Montreux.

Pendant ces années, nous continuions nos soirées à thème, tout en admirant le dernier joujou de Claude, une rutilante voiture Lagonda bordeaux…

Fin 1965 l’ambiance au sein du Club de Jazz de Montreux devint plus difficile, pour différentes raisons: d’une part il se créa des “chapelles”parmi les membres, centrées sur des styles de Jazz très différents: les fanas de Free Jazz ne voulaient plus entendre parler de Be-Bop ou de Blues, et réciproquement, ce qui amena son lot de démissions et d’anathèmes…

D’autre part, Claude, qui voyait plus grand et plus loin (déjà visionnaire…) avait pris des contacts avec la Radio Suisse Romande et son gourou du Jazz Willy Leiser, estimant (à raison) que notre petit groupe n’avait pas le souffle ni la disponibilité pour organiser un “vrai” Festival de Jazz. Plusieurs membres furent déçus et se sentirent minimisés de ne pouvoir participer à la grande aventure qui s’annonçait.

C’est ainsi que mourut le Club de Jazz, mais aussi que naquit le Festival de Jazz de Montreux. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

L’été 1969 du Montreux Jazz Festival, une série de vidéos des Archives de la RTS

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