L'Inédit

par notreHistoire


Albert Gaeng à l'oeuvre

Coll. Ilya Gaeng/notreHistoire.ch

Par un hasard, certainement en partie calculé, cette photographie de l’artiste Albert Gaeng prise lors de la décoration du retable de l’église catholique de Fontenais, en 1935, reprend une composition caractéristique des peintures de la Renaissance. Les personnages, Albert Gaeng au centre entouré de ses collaborateurs (l’homme se tenant les mains est peut-être l’architecte Fernand Dumas, les autres les employés de la maison de céramique Kohler à Mâche-Bienne), adoptent une position pyramidale très souvent mise en scène par les peintres de l’histoire de l’art. En outre, placés sur un échafaudage, ils se trouvent à la hauteur du visage de saint Paul que Gaeng est en train de figurer en mosaïque. De fait, le cliché évoque plus spécifiquement une descente de la Croix, opération qui conduit souvent à ce type de composition dynamique. Enfin, un dernier détail renforce cette impression de déjà vu. Seuls le maître et un jeune apprenti regardent en direction du spectateur. Il s’agit aussi d’un procédé courant de la Renaissance. Celui-ci instaure une sorte de complicité entre le public et le peintre qui se représente au milieu des différents protagonistes. Un personnage très secondaire, voire situé au plus bas de l’échelle sociale comme un serviteur, peut jouer le même rôle. Il est alors fréquemment placé au bord du cadre.

Saint Paul est intégré dans une mosaïque monumentale qui occupe tout le fond du chœur. Il est représenté en pied à côté de saint Pierre. Il porte la main droite sur le cœur, alors que sa main gauche tient une épée, la pointe dirigée vers le bas. Il est debout sur un bateau, dont on distingue l’ébauche de la voile sur la photographie. A gauche, on voit l’amorce d’une grande croix portée par un Christ s’élevant vers le ciel. Au milieu de la composition, entre saint Paul et saint Pierre, est représentée l’église Saint-Pierre de Rome, dans un format relativement réduit.

Rétablir l’esprit de l’art religieux

L’évocation de la Renaissance ne tient certainement pas à la seule volonté du photographe de faire un clin d’œil. Albert Gaeng est en effet proche d’une association d’artistes, le Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, qui a pour vocation de rétablir l’esprit des grands moments de l’art religieux. Pour ce faire, il est recherché une collaboration étroite entre les différentes formes d’art, de l’architecture jusqu’au plus petit objet liturgique, à l’image des chantiers complets qui devaient présider à la réalisation des cathédrales. Cette photographie est la parfaite illustration de cet esprit d’équipe.

Né à Lausanne en 1904, Albert Gaeng étudie d’abord à l’Ecole des Beaux-Arts de Genève, puis aux Ateliers d’Art Sacré à Paris. Il collabore à plusieurs reprises avec le Groupe de Saint-Luc (sacristie de l’église de Semsales, chapelle de l’hôpital de Monney à Châtel-Saint-Denis) et travaille dans d’autres églises catholiques (Le Landeron, Lourtier, Lavey) et protestantes (Nyon, chapelle de l’Eglise libre). L’église de Fontenais est entièrement reconstruite à neuf par l’architecte Fernand Dumas en 1935. L’ensemble est conçu par des membres du Groupe de Saint-Luc. Gaeng y réalise aussi des vitraux et le décor du plafond, le mobilier est partagé entre François Baud et Marcel Feuillat.

Le Groupe de Saint-Luc a été fondé en 1919 par des artistes, des architectes et des intellectuels catholiques pour promouvoir un renouveau de l’art sacré. Les statuts de l’association excluent l’adhésion de tout protestant. C’est le cas de Gaeng qui ne renoncera pas à son état de réformé. Mais cette situation n’empêche pas de nombreuses et régulières collaborations. Pris dans une crise spirituelle sincère ou par simple opportunisme, d’autres artistes réformés se convertissent et peuvent y adhérer. Du reste, dans l’entre-deux-guerres, un large mouvement de conversion au catholicisme affole les églises protestantes romandes.

Formé à Genève comme Gaeng et comme de nombreux autres membres de Groupe de Saint-Luc, le peintre Alexandre Cingria en est la figure centrale. Il en est l’un des fondateurs et le principal animateur. Publiciste prolifique, il dénonce à travers ses manifestes la mièvrerie dans laquelle l’art religieux s’est enlisé et appelle à son renouvellement. Il s’insurge ainsi contre l’art sacré du XIXe siècle : « Qui prendrait enfin pour Saint-Michel cet écuyer de cirque qui jongle avec un gros lézard ? ». De fait, le Groupe de Saint-Luc intègre dans l’art religieux de nombreux éléments de la modernité, sans pour autant être accusé de tomber dans l’excès. A la recherche d’une esthétique propre à la Suisse romande, le programme du Groupe est empreint de régionalisme identitaire, voire de nationalisme. Il flirte souvent avec l’extrême-droite française et en particulier avec la pensée de Charles Maurras. Du reste, le frère d’Alexandre Cingria, dont il est très proche, l’écrivain Charles-Albert Cingria, est un admirateur déclaré de l’Italie fasciste. Cet ancrage politique explique pourquoi ce mouvement artistique tombera dans une certaine disgrâce après le Deuxième Guerre mondiale, après être intervenu dans plus de cent chantiers d’églises.

Un vaste programme de construction d’église

Une autre figure marquante de renouvellement de l’art catholique en Suisse romande est constituée par l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Marius Besson. Originaire de Chapelle-sur-Moudon dans le canton de Vaud, Marius Besson naît à Turin en 1876. Son père Edouard, protestant, y est précepteur et sa mère, Teresa Fossati, institutrice. Marius Besson se convertit au catholicisme à l’âge de 16 ans. Il fait donc partie de ces protestants renégats passé dans le camp des catholiques. De retour en Suisse, il se forme à la prêtrise à Fribourg. Docteur en histoire, il prend d’abord la direction du Grand Séminaire, puis succède à l’évêque en 1920.

Son épiscopat qui dure jusqu’en 1945 se caractérise par une double attitude vis-à-vis des protestants. D’une part, il lance de nombreux appels à un rapprochement, notamment par des publications comme La route aplanie en 1930. D’autre part, il mène une sorte de politique de reconquête, en particulier à travers un vaste programme de constructions d’églises, à l’intérieur et hors des terres catholiques. Au cours de sa carrière, il bénit et consacre pas moins de 120 églises et chapelles. Que ce soit pour des travaux de rénovation ou des constructions nouvelles, il recourt de façon privilégiée à l’architecte fribourgeois Fernand Dumas, qui est l’auteur de l’église de Fontenais. En outre, il suit de très près les chantiers, conseillant les paroisses et donnant souvent aux architectes et aux artistes son avis sur leurs projets. En termes de position esthétique, il se montre très favorable à la création contemporaine, afin que l’Eglise s’adapte à son temps, mais fustige à plusieurs reprises « les formules exotiques » et « certaines extravagances de l’art moderne ». En ce sens, le Groupe de Saint-Luc, qui allie habilement modernité et tradition, répond entièrement à ses attentes.

Bien que parfois un peu dédaignées, nombre de ces créations sont encore aujourd’hui en place et bénéficient d’un bon état de conservation. Cependant, certaines ont si bien intégré le concept d’œuvre d’art total que leur contemplation peut constituer une expérience esthétique assez éprouvante ! ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Figures du catholicisme en Suisse romande, une série de documents des Archives de la RTS

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EEF Foire aux Provisions Fribourg 1941

Coll. D. Bächler/notreHistoire.ch

La légende de la photo, « Le stand des EEF à la Foire aux provisions en 1941 », cache sous sa banalité une large tranche d’histoire économique fribourgeoise.

Les EEF, Entreprises électriques fribourgeoises fondées en 1915, sont alors une régie d’Etat qui dispose, dans la pratique, de la liberté d’action d’une société anonyme, ce qu’elle ne deviendra qu’en 2001. Elle est l’héritière de l’administration cantonale des Eaux et Forêts qui avait repris à la fin du XIXe siècle, au grand dam de la ville de Fribourg, les installations de l’ingénieur failli Guillaume Ritter, soit le barrage et l’usine hydraulique de la Maigrauge construits en 1873. Depuis 2005 et l’absorption de la neuchâteloise ENSA, l’entreprise est connue sous le nom de Groupe E. A l’époque de la photo, et récemment encore, on disait tout simplement « les Entreprises », car aussi longtemps que l’électricité fut un monopole public, les EEF étaient le visage de l’Etat pour les Fribourgeois dans leur vie quotidienne. Leur impact sur la vie publique du canton, en politique ou dans l’économie, était de première importance.

La Foire aux Provisions se tenait à la Grenette, dans le quartier historique du Bourg. En 1941, date de la photo, l’appellation vous a un petit air d’incitation à l’accaparement – ah, les « réserves de guerre » ! – qui trompe, car tout ou presque est rationné. La Foire aux Provisions est l’ancêtre du Comptoir de Fribourg qui investira dans les années 1950 au quartier de Pérolles une ancienne halle industrielle prolongée par des halles sous tente, puis le complexe moderne de Granges-Paccot (Forum Fribourg) en se rebaptisant Foire. Mais la Foire de Fribourg, victime des nouveaux modes de consommation, a disparu du calendrier comme presque toutes les manifestations de ce type, à l’exception du prospère Comptoir de Martigny.

Le stand des EEF à l'édition 1942 de la Foire aux provisions.

Coll. D. Bächler/notreHistoire.ch

A la Foire aux Provisions, les EEF exposaient des appareils électro-ménagers, principalement des cuisinières. Cela ne surprend personne aujourd’hui. Les Fribourgeois sont familiers, en effet, du vaste magasin que l’électricien a conservé au rez de l’ancien siège des EEF, sur le boulevard de Pérolles. Groupe E a voulu garder cet emplacement stratégique en vendant le bâtiment à l’Etat (c’est la Direction cantonale de l’économie et de l’emploi qui l’occupe aujourd’hui). Entre 1930 et 1950, pourtant, cette activité commerciale résultait d’une politique industrielle innovante.

Et à la Foire de 1944: "chaleur, lumière, force"

Coll. D. Bächler/notreHistoire.ch

L’électro-ménager, ce nouvel horizon

Dans un canton encore très agricole, où les fermes ne sont guère électrifiées que pour l’éclairage de la partie d’habitation, pour vendre leur courant les EEF doivent alors compter sur les ménages… et investir dans l’industrie pour les équiper. En somme, fabriquer des clients en fabriquant à leur intention des machines consommatrices d’électricité. Dès les années 1930, les EEF font des essais de plaques de cuisson avec pour partenaire une fabrique moratoise de radiateurs en acier, dont elles deviennent actionnaire minoritaire; celle-ci deviendra La Ménagère (1947) puis Mena-Lux (1956). Sa première cuisinière électrique à anneaux mobiles est exposée à Bâle en 1943. L’électro-ménager, un vrai luxe au sortir de la guerre, est rapidement promu au rang de commodité indispensable. En 1949, les EEF installeront 1676 cuisinières et 922 chauffe-eau (boilers), soit 9 appareils chaque jour. Ils ne cesseront de se diversifier, de l’aspirateur au lave-linge et du frigo-congélateur à la station de repassage, en passant par la brosse à dents et la machine à café.   

On ne fabrique plus de cuisinières électriques dans le canton, d’ailleurs il n’y a plus de Foire de Fribourg pour les exposer. La politique industrielle des EEF s’est désengagée de l’investissement dans les usines classiques fortement consommatrices (la verrerie, l’électro-métallurgie, l’équipement ménager) pour se concentrer sur la mise à disposition de terrains (zone industrielle du Grand Fribourg) et sur les activités de recherche et développement, menées en joint venture avec des partenaires internationaux comme Michelin, ou Engie, pour la production et l’utilisation de l’hydrogène.■

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Le muet

Coll. J.-M. Salamin/notreHistoire.ch

Autant en photographie, en littérature ou au cinéma, la figure du muet incarne l’être délaissé et mis sur le bas-côté par la société établie et bien-pensante. Pourtant, pour reprendre la citation de Jean-Luc Godard : « C’est la marge qui tient la page ». C’est donc cette figure quasi mythique et allégorique qui scelle le plus souvent le destin de la communauté qui l’a exclue.

Mis volontairement à la marge par ses concitoyens, le muet fait pourtant partie intégrante de la communauté, et son handicap lui donne une posture hors du commun. Souvent, il voit et entend les choses que l’on cache, par souci d’ordre ou d’hypocrisie. Il dévoile la part sombre de la bourgeoisie. Lui qui n’appartient à aucune classe, il endosse, malgré lui, un rôle presque révolutionnaire et bouscule les convenances et les conventions. Il descelle certains mystères, il est ancré dans « la » vérité. Nullement atteint d’arriération mentale, comme on le catalogue dans la plupart des récits, il est un être bénéfique.

Ainsi, ce beau portrait d’Augustin Favre le Muet (1862 – 1943), réalisé à Chadolin en Valais, est l’image archétypique du personnage du muet. Semi-adossé à un muret de pierres le long d’un chemin de montagne, se repose-t-il, peut-être, un instant après l’effort d’une marche trop pentue ? Des habits simples et vétustes mais dignes, une brante dans le dos, vide, un récipient en métal à la main gauche et un chapeau vissé sur la tête. La photographie est en plein dans le cliché de la représentativité du muet comme on s’attendrait à ce qu’il soit. Mais cela n’enlève en rien la beauté de cette image et le beau geste de semi-fatigue d’Augustin. La photographie est posée mais avec une illusion d’être prise sur le vif par le photographe. Cette image est d’un beau réalisme qui tend vers le naturalisme.■

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École d'horticulture - Châtelaine, Genève 1939

Coll. R. Horvay/notreHistoire.ch

Il est bien gros, ce poireau, pour un si petit bonhomme! Voilà ce qui frappe sur cette photo de 1939. Mais aussi ce sourire content, cette fierté dans le regard et dans le torse. Les témoignages le confirment: l’histoire de l’Ecole d’Horticulture de Châtelaine, près de Genève, transpire la bonne humeur et le cœur à l’ouvrage. En se promenant virtuellement dans ses allées, on voit ses élèves suer beaucoup, on les entend jurer parfois, et rire très souvent. On y croise aussi «Ballache», «Biota», «Dédé», «Gilette» et «Crocus», des professeurs surnommés drôlement par leurs apprentis facétieux et néanmoins reconnaissants pour le précieux savoir-faire enseigné.

Les élèves proviennent de toute la Suisse, mais aussi de l'étranger. Sur cette photo de 1938, (de gauche à droite) Roger Péquignot (Berne), Louis Meyer (Genève), Hans Bracher (Berne), Rodolphe Rumpf (Bâle), Victor Suter (Argovie), François Gagnebin (Berne), Robert Racchelli (Genève), Marcel Weingart (Berne), Roger Mathis (France), Walther Hofer (Thurgovie), Pierre Pochon (Vaud)

Coll. R. Horvay/notreHistoire.ch

Le garçon au poireau s’appelle-t-il Marcel, Edouard, Arthur ? Ou peut-être Heinrich ou Alberto ? Car en parcourant les registres d’élèves de ces années-là, on constate la diversité et le rayonnement dont l’école a joui dès ses débuts, avec des inscrits en provenance des quatre coins de la Suisse, mais aussi de l’étranger. La première volée comptait quatre Genevois, quatre Vaudois, quatre Neuchâtelois, un Fribourgeois, un Zurichois, un Schaffhousois et… un Hollandais ! C’était en 1887. L’école a été créée par Edmond Vaucher, horticulteur et arboriculteur chevronné. Il souhaitait dispenser un enseignement à la fois théorique et pratique sur ses terres de 6 hectares, avec quelques chambres servant de dortoir. Du pain bénit pour le Canton de Genève, qui a tôt fait de subventionner l’établissement, puis d’en faire une école cantonale. L’Etat rachète même le domaine en 1900, selon entente avec son fondateur décédé l’année d’avant. Ce dernier a insufflé l’esprit des lieux: une grande polyvalence, grâce à un enseignement pluridisciplinaire couvrant aussi bien la floriculture que l’arboriculture, la culture maraîchère et l’apiculture.

De la triandine à la pomologie

Pour beaucoup, c’était un lieu d’apprentissage du métier mais aussi de la vie. L’association des anciens élèves est aujourd’hui riche de 600 membres actifs, de Suisse et de l’étranger – preuve d’une «amitié horticole soigneusement entretenue», comme l’a relevé joliment l’un de ses membres. Pour son 100e anniversaire en 2010, elle a récolté des témoignages qui donnent un aperçu du quotidien de ces adolescents. Ils apprennent à tailler, planter, semer, bouturer, rempoter, labourer, ratisser et récolter. On les voit se lacérer immanquablement le pouce avec leur greffoir fraîchement aiguisé, lors de leurs premiers essais de bouturage. On assiste à leurs travaux à la bêche sur un sol si caillouteux que l’outil produit des étincelles et que son manche se casse. On les observe à la cueillette des petits fruits qui exige au contraire de la douceur et des précautions. Les travaux pratiques requièrent ainsi habileté, puissance et délicatesse. Il faut aussi apprendre à reconnaître, déterminer, classer des centaines de végétaux, fleurs, fruits, légumes, arbres et arbustes. Sans compter les centaines de travaux, herbiers, dessins et plans exécutés.

Ratissage et apprentissage, ce sont des mots qui vont si bien ensemble (année 1938).

Coll. R. Horvay/notreHistoire.ch

En pénétrant dans leur univers, on s’initie à des mots étranges et délicieux. La triandine, helvétisme signifiant fourche à bêcher à trois dents ou davantage. L’essarde, outil typiquement genevois permettant d’aménager la terre pour les semis ou plantons. L’écussonnoir, couteau à courte lame très tranchante et à spatule, servant à prélever un œil ou un bourgeon entouré d’une bordure d’écorce en forme d’écusson, en vue d’une greffe. Ou encore la pomologie, qui ne concerne pas seulement les pommes, mais l’étude des arbres fruitiers et des fruits (du latin pomus, fruit) ! Et que dire du patronyme si bien assorti entre un professeur et sa discipline: Charles Fleuriot, qui dispense des cours d’art floral…

Eh oui… en 1938 aussi!

Coll. R. Horvay/notreHistoire.ch

Les farces et «la fuite»

On se délecte aussi de leurs farces et bravades, dans un esprit de camaraderie favorisé par l’internat. A la cantine, se moquer des collègues alémaniques quand ils découvrent l’artichaut pour la première fois et enfournent hardiment les bractées entières dans la bouche. Chiper des œufs au poulailler pour se confectionner du cognac aux œufs. «Bien sûr, l’alcool était strictement interdit, mais il suffisait de ne pas se faire choper.» (Pierre Morel, volées 1943-1946). Quand on est «à la cuite», c’est-à-dire chargé de nourrir les cochons avec les déchets de cuisine cuits en soupe: refiler tous les rutabagas aux bêtes, qui s’en délectent alors que les élèves les détestent. Ou encore: marauder toutes les grappes de la nouvelle variété de vigne plantée et choyée par le prof d’arboriculture fruitière; et après les hauts cris de la direction, déposer sur le cépage dégarni trois belles couronnes mortuaires… réalisées la veille en examen d’art floral.

A l'heure des travaux pratiques en arboriculture (année 1938).

Coll. R. Horvay/notreHistoire.ch

Les nouveaux sont mis à l’épreuve par leurs aînés. «On a dû apprendre, en 1ère année, à servir la soupe aux 3èmes en faisant doucement glisser leur cuillère dans l’assiette; à cirer leurs chaussures de travail et celle de ville à l’extérieur et à l’intérieur, vers les orteils; à refaire leur lit « en portefeuille’ » pour les remercier de leur soutien et de leurs égards pendant les travaux de pratique.» (Hermann Gubler, volées 1971-1975). «Certaines nuits étaient quand même très courtes ! Mais tellement drôles. Parfois, les matelas d’un dortoir entier étaient retournés avec le dormeur dedans!» La vie de l’école est aussi animée par sa vieille et pérenne tradition post-examens: «la fuite». En une nuit, les diplômés réaménagent le site en créant un jardin, en installant un étang dans la cour, un décor floral sur le parking… Certains enseignants en sont anxieux par avance, d’autres sont remplis d’une fierté admirative. Le jour J, le directeur court dans tous les sens en criant pour empêcher les jeunes de grimper en haut du grand séquoia, craignant qu’ils se rompent le cou. Rien n’y fait, car ils tiennent à y accrocher leur drapeau avec la devise Post Victoriam Libertas.

Au fil des décennies, le domaine s’agrandit jusqu’à 10 hectares, exceptionnel par la diversité de ses arbres, fleurs et plantes de toutes sortes. Environ 1500 élèves y auront achevé leurs études. Dans les années 1970, une page se tourne avec l’arrivée des premières filles, promettant de nouvelles péripéties. Et l’école déménage dans la campagne genevoise à Lullier, qui offre de plus vastes espaces. S’ensuivront de nombreux changements dans l’organisation des filières. Quant à la parcelle de Châtelaine, elle est devenue le parc public des Franchises: un peu moins de fleurs, beaucoup d’aires de détente, et même un terrain de beach-volley.■

Source

Site internet de l’association des anciens élèves

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Une série de photographies de l’Ecole, et de ses élèves

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