Prolongez les Journées du patrimoine 2020, qui se sont tenues ce week-end sur le thème de la verticalité, avec un article consacré à une tour qui a tout d’une grande, mais dont on parle peu: le plus petit gratte-ciel de Suisse érigé à Fribourg. Vous pouvez retrouver l’ensemble de cette série en cliquant ici.
Droit vers le ciel, c’est la
direction originelle de Fribourg. L’historien de l’art Marcel Strub l’avait
noté : « Un tel lieu devait voir fleurir avec
bonheur un style aussi vertical (…) que le gothique », et de fait la ville grandit en se
hérissant de tour et de clochers jusqu’à ressembler, selon le même auteur, à
« un carré de pertuisaniers ». Certes, de nouveaux quartiers vinrent
s’étager au-dessus du bourg primitif, mais dans le regard des visiteurs comme
dans l’esprit des habitants la cité culminait avec la tour de Saint-Nicolas.
Viser plus haut ? Quasiment un blasphème.
L’industrie s’y hasarda pourtant, autour de 1900, en proposant de nouveaux signaux d’altitude, les cheminées de brique du plateau de Pérolles : brasserie du Cardinal, chocolaterie de Villars. Suivraient les silos, massifs. Mais il fallut attendre les années 1970 pour que les 18 étages de l’Eurotel renvoient les élancements gothiques dans les profondeurs du passé. Désormais, les citadins pourraient loger dans des immeubles-tours, voire des silos agricoles transformés, et Pérolles pourrait se prendre pour Manhattan. Mais on savait depuis quarante ans que ces temps verticaux pourraient advenir. En 1932, Fribourg avait élevé le plus petit gratte-ciel du pays. Adresse : rue Frédéric-Chaillet, numéro 7. Il s’agissait tout de même d’une première, avec ses neuf étages, d’un geste annonciateur de modernité. Les citadins le baptisèrent spontanément « tour Pizzera », du nom de l’entrepreneur, un Neuchâtelois.
Un sculpteur, un romancier, un maître de ballet
Les architectes,
Léonard Dénervaud et Georges Schaller, étaient bien d’ici. Leur bureau existait
depuis 1928, et dans la décennie suivante ils gratifièrent la ville de constructions
aux lignes sobres, aux formes pures, dans l’esprit de la Nouvelle Objectivité
et le sillage d’un plasticien comme le Genevois Maurice Braillard. Rue Chaillet
7, la façade lisse est strictement symétrique, sans ornement chichiteux. De
part et d’un axe étroit, vitré, encastré sur toute la hauteur, s’ouvrent à
chaque étage un balcon en retrait et une fenêtre aux proportions semblables.
Est-ce la qualité
de l’architecture qui peupla d’artistes les appartements, faisant de la tour un
petit centre culturel avant la lettre ? Le peintre Buchs y installa son
atelier, le sculpteur Antoine Claraz y logea, comme le maître de ballet Jean
Dousse ou le romancier Marc Waeber. Deux corps de musique, la Landwehr et
l’Union instrumentale, venaient au pied du bâtiment donner l’aubade à leurs
directeurs Oscar Moret et Paul Mossu, ou sonner la diane au matin de la
Fête-Dieu. La boulangerie Hauser, au rez-de-chaussée, assurait la survie de
tous. Telle s’élève la tour Pizzera dans mes souvenirs d’enfant.
L’immeuble était d’autant plus impressionnant qu’il s’élevait en bordure d’un profond ravin (Strub encore : « On retrouve infailliblement l’aspect vertigineux qui enchanta les Romantiques »), couvert d’une sauvage végétation. La tour fait aujourd’hui petite figure, mais à l’époque elle surplombait avec orgueil un dense quartier. Elle était flanquée, de chaque côté, par un immeuble allongé haut de quatre étages; en face, un bloc locatif en U entourait une cour herbue plantée en son centre d’un marronnier. Il y avait ainsi de la verdure devant et derrière, et surtout de l’espace pour les jeux des enfants, bientôt remplacés – hélas – par des parc à voitures. Seul reste interdite aux bagnoles, aujourd’hui, la minuscule esplanade servant de perron à la tour Pizzerra. Mais une pancarte interdit d’y jouer. ■
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