L'Inédit

par notreHistoire


Fribourg. Cortège funèbre

Coll. Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg/notreHistoire.ch

Pour un bel enterrement, c’est un bel enterrement. Précédé par une voiture de fleurs, le corbillard est tiré à deux chevaux, les tentures et caparaçons noirs sont frangés d’argent, douze enfants de chœur l’escortent, portant des cierges. Une double haie de soldats en armes, fusil au bras pointé vers le sol comme veut le protocole militaire en pareil cas, encadre le char funèbre. Derrière viennent sur deux rangs les membres de la famille, puis, devançant les corps constitués et la foule compacte qu’on voit progresser sur le boulevard de Pérolles, à Fribourg, marchent en file indienne et gibus sur la tête les membres du Conseil d’Etat. C’est leur collègue Louis Ody qu’on emmène au cimetière, le 1er décembre 1908. Mort d’une brève maladie de foie, il n’avait pas 40 ans.

Le photographe est Albert Ramstein, actif à Fribourg depuis 1896. Son atelier partage le marché local avec celui, ancien (1860), d’Ernest Lorson et celui, récent (1891), de Cyprien-Prosper Macherel, mais des liens étroits unissent ce petit monde : Macherel a été l’apprenti de Lorson, son fils Prosper sera celui de Ramstein. Dans ces premières années du siècle, alors qu’une certaine spécialisation les distingue déjà, l’époque favorise doublement leur artisanat, car la technique photographique se perfectionne et la ville se métamorphose. Le centre des affaires et l’habitat bourgeois se déplacent vers le haut, le dynamisme passe aux nouveaux quartiers de Pérolles et de Beauregard, centrés sur la gare du chemin de fer. Le bourg historique ne conserve plus que les sièges du pouvoir politique et religieux – l’hôtel de ville, l’évêché et la collégiale Saint-Nicolas où le défunt aura sa messe d’enterrement. Il habitait Pérolles, mais la paroisse de Saint-Pierre n’aura sa propre église que dans vingt ans.

Posté à l’entrée du boulevard de Pérolles, achevé en 1900, Ramstein a saisi en arrière-plan les badauds. Ils ont pris place devant le café Continental (1905), sous la belle marquise de fer et de verre, et l’immeuble de la Belle Jardinière (1907) qui fait l’angle avec la place de la Gare. Les immeubles de rapport contigus dont la rangée prolonge le café ont été élevés entre 1898 et 1904. Cette année-là, mais à l’autre bout de la ville, s’ouvre le cimetière de Saint-Léonard où l’on emmène le conseiller Ody. Le cortège défile dans le décor d’un Fribourg résolument moderne, même si la pompe funèbre, traditionnelle, le shako, les tuniques à double rangée de boutons et le sac à poil des soldats appartiennent encore au XIXe siècle.

Le cercueil est posé sur le corbillard communal, car il n’existe pas encore d’entrepreneur de pompes funèbres à Fribourg, la maison genevoise Murith n’y ouvrira une succursale qu’en 1916. Pour les gens modestes, la famille et les voisins se chargent des opérations, la Ville se bornant à fournir le char et les porteurs. Pour un conseiller d’Etat en exercice, bien sûr, on imagine que l’organisation des obsèques mobilise les bureaux de la chancellerie, mais les fonctionnaires ont de l’expérience.

En 1900 est mort en fonctions le vétéran de l’exécutif, Henri Schaller, 72 ans d’âge et quarante années au gouvernement. Louis Ody n’y a siégé que deux ans. Un an après ses obsèques, le 25 novembre 1909, se déroulent celles, non moins officielles, du commandant de corps Arthur de Techtermann; il a aussi été brièvement conseiller d’Etat, démissionnant en 1881 pour se consacrer à l’armée. En 1914 meurent en fonctions deux membres du gouvernement, Stanislas Aeby et Louis Cardinaux. Jusqu’à la fin du siècle, quatre conseillers d’Etat en exercice passeront encore en corbillard devant leurs concitoyens : Georges Python (1927), Emile Savoy (1935), Romain Chatton (1941) et Maxime Quartenoud (1956). Quels que soient la profession ou le statut social du défunt, les Fribourgeois restent amateurs de beaux cortèges funèbres. On n’a pas oublié pas ceux de l’abbé Bovet (1951), du coureur automobile Jo Siffert (1971) ou du plasticien Jean Tinguely (1991), tous insurpassables, chacun dans son registre. « Mais où sont les funérailles d’antan ? », chantait Georges Brassens. ■

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Grock

Agence de presse Mondial Photo-Presse, coll. L'Inédit/notreHistoire.ch

Doué pour le violon de poche et les acrobaties, le clown Grock s’était adonné, jeune, à la haute voltige. Quitte à en perdre l’équilibre. Charles Adrien Wettach avait 14 ans en mai 1894. De nature téméraire, il remplaça au pied levé un horloger dont le projet était de traverser sur une corde la place du Marché-Neuf à Bienne. Quelques bonnes dizaines de mètres à parcourir tête et buste hauts perchés, comme un funambule en équilibre avec une vue imprenable sur la ville. Mais un accident est arrivé. La corde n’était pas assez tendue. Il s’en était fallu – ô malheur – d’un souffle pour que Grock, qui allait devenir quelques années plus tard l’un des plus grands clowns du XXe siècle, ne connaisse dans le Seeland des débuts laborieux voire ratés.

Dans cette interview de 1953 réalisée par Lyne Anska, l'artiste révèle comment l'achat d'un petit violon lui inspirera l'un de ses plus grands numéros et dévoile la genèse de la « chute dans la chaise », réalisée pour la première fois en 1912.

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Dans le document des Archives de la Radio Télévision Suisse, il déclare avec justesse qu’ « un clown doté d’un faux nez n’est pas comique ». Seule l’exploitation de sa physionomie et de ses expressions compte artistiquement, selon lui.

D’où provenait aussi son truculent « Saaaaaaannnns blâââââguuuue » ponctué du rire sardonique dont raffolent les enfants qui s’esclaffaient jadis en écoutant ou en observant les drôleries de Grock. Avec son râle moelleux et rauque, ce clown d’un autre temps aurait pu naître en Haute-Provence et inspirer par exemple Giono, Daudet, Tartarin de Tarascon… Mais c’est au lieu-dit du Moulin de Loveresse, dans le Jura bernois, près de Reconvilier, que naquit Charles Adrien Wettach, dit « Grock », détenteur du timbre vocal un brin chantant des Jurassiens bernois qualifiés pourtant de taiseux. Mais au cours de sa longue carrière de troubadour, ce pince-sans-rire s’aperçut aussi que les spectateurs anglais ne saisissaient pas exactement toute la poésie contenue dans son « Saaaaaaannnns blâââââguuuue » sans queue ni tête,  devenu avec le temps sa marque de fabrique. Grock avait vécu plusieurs années outre-Manche et connaissait donc bien les zygomatiques d’Albion.   

Sur la bande grésillante des vieux studios d’antan, il égrène les étapes qui conduisaient à la transformation – au cœur de sa loge de maquillage – de Charles Adrien Wettach en Grock. Clown aux lèvres et yeux noirs et aux oreilles rougies. Et cette moque collée sous les narines, cette morve de saltimbanque. ■

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Genève - Place Neuve, 1951 - Le Grand Théâtre en feu

Coll. J.-C. Curtet/notreHistoire.ch

Il est midi, la foule afflue pour voir le triste spectacle à Genève, Place de Neuve, rue de la Croix-rouge, balcons genevois, plus loin ; la fumée se laisse apercevoir bien au-delà du Grand Théâtre. On serait tenté d’écouter La Walkyrie pour accompagner l’image que l’on regarde, puisque c’est en pleine répétition du célèbre opéra de Richard Wagner qu’un engin pyrotechnique met le feu à la scène, l’incendie se propageant rapidement. Mais c’est le silence qui règne dans l’attroupement. Peut-être certains commentent-ils brièvement, interrogent, déplorent, mais qu’y a-t-il à dire, pour l’instant, seulement à voir : le Grand Théâtre brûle. L’institution qui fait rayonner Genève, vieille d’à peine septante ans, se consume devant les Genevois hypnotisés par le tableau. Les pompiers s’activent, soutenus par tous ces yeux rivés sur eux, peut-être entendent-ils les prières et les encouragements que chacun formule en silence. Ils sont 250 à tenter de maîtriser le sinistre. Le combat dure plusieurs heures, aucune perte humaine n’est à déplorer mais les dégâts matériels sont conséquents ; les trois quarts du bâtiment sont détruits, dont la scène, la salle de spectacle, les salles annexes et le carré d’or. Seuls le grand foyer et la bibliothèque échappent aux flammes. Dehors, les façades sont préservées, les statues également représentant la danse, la comédie, la musique et la tragédie. Et c’est l’allégorie de la tragédie qui retient l’attention en ce 1er mai 1951, alors que le feu peu à peu s’éteint et que la fumée s’éloigne, emportant avec elle la musique de Wagner, le chœur des chanteurs, le trac de la troupe, l’impatience de l’orchestre, les ambitions de son chef.

Une année après l'incendie, en 1952, l'intérieur du Grand Théâtre est semblable à des ruines romaines.

Coll. C.-A. Fradel/notreHistoire.ch

Ensuite, pendant de nombreuses années, il s’agira d’argent et non plus d’art. Le Conseil administratif de la Ville de Genève se lance dans l’étude d’une reconstruction qui intégrerait les moyens électro-mécaniques les plus modernes de l’époque. Son projet, budgétisé à 14 millions de francs, est refusé lors du référendum populaire d’octobre 1953. Les travaux ne peuvent commencer, les volontés et les espoirs s’assoupissent. En 1958, un deuxième projet prévoit un budget à peine moins élevé de 13 millions de francs. Finalement, la facture s’élève à 26 millions de francs, en raison notamment de l’inflation, nous dit la Ville de Genève (notice d’autorité-Grand théâtre-Archives). Le Grand Théâtre reconstruit est inauguré le 10 décembre 1962, avec la version française de Don Carlos, de Verdi. Wagner attendra. Il sent encore le souffre. Il ne reviendra que le siècle suivant, en 2013 et en 2019, avant et après les seconds travaux de rénovation de la plus grande et la plus chère institution culturelle de Suisse romande. C’est d’ailleurs ce statut de géant autant que d’ogre que lui reprocheront les manifestants en 2015, en colère suite aux coupes budgétaires touchant la culture alternative. Cette fois, leur révolte touchera les façades du Grand Théâtre, la statue de la tragédie se retrouvant maculée de tags, devant les yeux indignés d’une autre génération de Genevois. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Le Grand Théâtre, une série de photos et un document sonore des Archives de la RTS

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La polémique

Coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

Au cœur du mois de juin 1983, c’est tout un petit monde qui est en proie à une vive excitation. Les esprits s’échauffent autour d’une affaire anatomique. Cause du scandale : sur les plages de la Riviera vaudoise, voilà que des dames bronzent seins nus. Une poignée de citoyens outrés publient une lettre ouverte aux municipalités de la région, dans les colonnes de la Feuille d’avis de Vevey. D’une plume solennelle, ils affirment que l’on « impose à une majorité d’adultes et d’enfants un spectacle contraire à la décence, à la morale et aux convictions religieuses de certains d’entre eux ». La gravité des faits justifie à leur sens l’application stricte des règlements de police. En un mot, ils veulent la peau du monokini.

Un été radieux… mais la polémique est lancée. Qu'en pensent les baigneuses?

Emission Journal Romand (28.06.1983), coll. Archives de la RTS/notreHistoire.ch

On aurait pu penser que l’exposition de la poitrine féminine à la face du soleil n’était plus un motif susceptible de froisser les âmes prudes, encore moins de susciter des vocations de lanceurs d’alerte. La mode du monokini, après tout, avait ses adeptes depuis deux décennies déjà, en France tout du moins. Le journal 24heures consacrait ainsi un court article au phénomène du « deux pièces moins une », en juillet 1964.

Ce sont alors les maires, en France, qui prennent la décision de tolérer ou non le monokini en bord de mer. Si quelques-uns d’entre eux semblent à l’avant-garde de la libération des corps, certains arguments invoqués nous laissent aujourd’hui pantois. Un exemple ? Le maire de Biscarosse se montre favorable aux seins nus « surtout si les demi-maillots sont portés par des belles filles ». Une gauloiserie qui n’appelle aucun commentaire.

Au cours des années suivantes, et loin des plages hexagonales où défilent les stars du monde entier, les Suissesses peuvent enfin espérer s’affranchir de certaines injustices. En 1971, elles obtiennent un droit de vote qui leur était jusqu’alors refusé. Quant à l’égalité des sexes, elle n’est inscrite dans la Constitution fédérale qu’en 1981, après de longs débats. Alors, quand quelques âmes effarouchées à la vue de seins nus croient bon de crier à la « dégradation morale », les principales intéressées peuvent bien se contenter d’en sourire, sans accorder trop d’importance à ceux qui souhaitent leur imposer un code vestimentaire prétendument pudique. Et de retourner parfaire leur bronzage, le buste libre et dénudé. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Les plaisirs de la baignade, en images et en vidéos des Archives de la RTS

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