« Et Favier, commissaire? Brisach les apaisa. « Mes enfants, dit-il, si vous saviez que, depuis hier soir dix heures, je prévoyais ce qui allait arriver, vous seriez plus indulgents. »
Ainsi débute, dans l’édition du 9 mai 1945 du Journal de Genève, le 49ème épisode du feuilleton La Maison noire, roman d’Edouard Aujay (1898-1969), pseudonyme d’Edouard Léon Marius Roulet, journaliste et auteur d’une vingtaine de romans – que personne ne lit plus; Edouard Aujay ne bénéficiant même pas d’un article dans Wikipedia. Evidemment, en faisant allusion à la veille au soir, Edouard Aujay restait dans la fiction de son personnage de roman, le commissaire Brisach. Mais dans la réalité, pour le lecteur du Journal de Genève? La veille, le 8 mai 1945, entre 20 h et 20h15, partout en Suisse les cloches sonnèrent la fin des hostilités en Europe. Dans les allocutions radiophoniques qui suivirent les carillons, le président de la Confédération, Eduard von Steiger, et les conseillers fédéraux Max Petitpierre – il venait d’accéder au gouvernement en décembre 1944 – et Enrico Celio exprimèrent chacun dans une des langues nationales leurs « premières pensées pour tous ceux qui, après des années d’asservissement et de misère, ont retrouvé la liberté. Notre reconnaissance va à notre armée, qui a gardé nos frontières en sachant que le peuple suisse faisait corps avec elle. Elle va aussi à tous les Suisses et à toutes les Suissesses qui ont su s’adapter aux contingences du temps de guerre et se sont soumis à une discipline matérielle et morale souvent dure. » Le discours fait ensuite référence aux difficultés traversées, et aux changements à venir – « Arrêt de la guerre et avènement de la paix ne sont pas synonymes », les tâches sont énormes: « Assurance-vieillesse et survivants, protection de la famille, lutte contre le chômage, aide aux Suisses de l’étranger; (…) solutions de tous les autres graves problèmes sociaux et financiers ». Et le Conseil fédéral de conclure: « notre pays, sans qu’il l’ait mérité plus qu’un autre, a été épargné des horreurs de la guerre. C’est profondément émus que les Suisses songent aujourd’hui à cette grâce immense, et, dans leur cœur reconnaissant, ils doivent répéter ensemble cette prière d’un de leurs poètes: O Dieu, fais descendre encore sur ma patrie la lumière de ta plus belle étoile. »
Plus tôt dans cette journée du 8 mai 1945, avant que n’apparaisse donc la lumière étoilée, la joie circule dans les rues de Genève. « Partout des drapeaux flottaient aux façades des immeubles ». La veille déjà, le 7 mai, « l’Union musicale française parcourut les rues, donnant, deci, delà, des aubades. » Les pupilles des sections genevoises de gymnastiques « firent aussi cortège et exécutèrent, à la place du Molard, à Cornavin et devant le Monument national des exercices d’ensemble alors qu’une quête pour le Don Suisse était faite. » Quant aux étudiants des Ecoles supérieures, ils n’hésitèrent pas, après s’être mis eux-mêmes en congé, à se rendre « devant les bâtiments des Ecoles supérieures de jeunes filles pour réclamer… leur libération »!
Et à la rue de la Canonnière, à la Servette? Trois sœurs, Ninon, Marinette et Claire sont endimanchées et s’apprêtent à se rendre en ville pour célébrer le retour à la paix. Un événement d’autant plus attendu que leur père, de nationalité française, avait été mobilisé sur la ligne Maginot puis fait prisonnier en 1940. Il réussit à rejoindre clandestinement la Suisse, en 1941, à sa deuxième tentative d’évasion et à retrouver sa famille à Genève. Pour connaître les couleurs du drapeau que porte Claire, nul besoin de chercher à coloriser la photo. Je prends le pari: bleu-blanc-rouge! ■
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Notre série « La rue de mon enfance » rassemble des textes inédits et des récits préalablement publiés par les membres de notreHistoire.ch sur la plateforme. Albin Salamin évoque ici la rue de Muraz, au-dessus de Sierre, où il a passé son enfance. Si vous aussi, vous souhaitez contribuer à cette série, écrivez-nous – claude.zurcher@fonsart.ch – ou publiez votre texte dans notreHistoire.ch. Nous l’éditerons ensuite dans L’Inédit. Nous espérons ainsi, au fil de vos contributions, constituer un recueil des lieux de notre enfance en Suisse romande, dont les souvenirs nous accompagnent au long d’une vie.
Ma rue et le quartier de mon enfance se situent au-dessus de la ville de Sierre, à Muraz. Après leur mariage, mes parents ont quitté définitivement le village de Saint-Luc, en Anniviers. Un village relativement pauvre suite à deux incendies. D’autre part, l’agriculture de montagne ne suffisant plus à nourrir la famille, mon père s’est engagé pour travailler à l’usine d’aluminium de Chippis. Comme bien des familles d’Anniviers, mes parents possédaient quelques vignes et un peu de prés pour l’herbe du bétail (une ou deux chèvres).
Mon père racheta avec son beau-frère une maison près d’une fontaine. Ils retapèrent au mieux le bâtiment avec un confort minimal. A ma naissance, la rue fut aménagée pour permettre à des véhicules de mieux circuler mais il n’en passait pas beaucoup, et nous pouvions jouer dehors sans trop de risque de se faire écraser ou de se faire enlever par un pervers!
Avec ses granges, ses raccards et ses petites ruelles, le quartier était notre ère de jeu. Pas beaucoup d’adultes pour venir nous dire ce que nous devions faire ou, surtout, ne pas faire.
Très souvent nous étions un petit nombre de gamins à jouer au ballon mais aussi à des jeux de cache-cache, de recherche d’ennemis imaginaires (les enfants de l’autre bout du quartier, voir du quartier voisin). Mais le quartier évolua avec la rénovation des maisons et l’élargissement de la rue pour permettre à tout un chacun d’utiliser sa voiture. Les granges ont été transformées en habitations.
Dans ma treizième année, j’ai quitté le quartier de mon enfance pour faire des études au collège de Saint-Maurice. Un tournant dans ma vie. Il me fallait quitter ma maison, avec sa croix au-devant, pour un autre « calvaire »: l’internat. Mais c’est une autre histoire! ■
Au cours du XXe
siècle, la ville de Lausanne n’a quasiment pas connu de construction de
gratte-ciel sur son territoire. Alors que les tours d’habitation ou de commerce
constituent la grande invention architecturale du siècle dernier, ce n’est que
dans une courte période s’étendant de 1960 à 1970 qu’une dizaine de
constructions de ce type sont érigées. La seule exception réside dans la tour
du Bel-Air Métropole dressée en 1930, mais elle ne connaîtra pas de
descendance, peut-être en raison de la forte opposition qu’elle a suscitée en
son temps ou du contexte de crise économique dans lequel elle est réalisée.
La décennie des tours à Lausanne s’explique certainement par l’euphorie économique qui domine alors. C’est du reste toujours au moment où les affaires se portent au mieux que ce type de projet tend à apparaître. Mais la fin des années 1960 met un terme précis à toute construction en hauteur. En 1972, un projet de tour-hôtel au port d’Ouchy est refusé lors d’un référendum par les deux tiers des votants. Ce chantier avorté, pourtant avancé par deux ténors de la politique locale et futurs conseillers fédéraux, Georges-André Chevallaz et Jean-Pascal Delamuraz, marque la fin pour plusieurs décennies de l’intérêt porté à cette forme d’édifice.
La plupart des tours construites durant les années 1960 répondent à la poussée démographique et sont destinées au logement. Elles sont implantées dans la périphérie urbaine et n’ambitionnent pas la reconquête du centre pour y constituer une nouvelle « city » des affaires. Quelques cas font cependant exceptions, parmi lesquels la tour des IRL construite par l’architecte Jean-Marc Lamunière entre 1957 et 1964 au numéro 33 de l’avenue de la Gare.
L’éditeur devient Edipresse
Les IRL (Imprimeries réunies lausannoises) publient à l’époque la Feuille d’Avis de Lausanne, rebaptisée depuis lors 24 heures, et la Tribune de Lausanne, qui deviendra Le Matin. Leur siège est établi à l’avenue de la Gare 33 depuis 1911. A la fin des années 1950, l’éditeur décide de se doter d’un nouveau bâtiment administratif, implanté au même endroit. Cette volonté de renouvellement doit certainement beaucoup à la personnalité dynamique de Marc Lamunière, qui a pris la tête de l’entreprise en 1953 à l’âge de 30 ans et qui va lui donner un essor extraordinaire, portant le groupe d’affaires à un niveau international sous le nom d’Edipresse. En 1956, un concours d’architecture est lancé et remporté par le propre cousin du directeur des IRL, Jean-Marc Lamunière, associé à Pierre Bussat. Cette coïncidence, que la Feuille d’Avis tentera de dissiper sous couvert de l’anonymat absolu du concours, ne manquera pas bien sûr de faire jaser.
Jean-Marc Lamunière est alors un jeune architecte de 31 ans. Outre de nombreuses villas et bâtiments administratifs, il réalisera par la suite les tours de Lancy, la fabrique de chocolat Favarger à Versoix ou encore la grande serre du jardin botanique de Genève.
Le spectacle des rotatives la nuit
A Lausanne, les
projeteurs héritent d’un agglomérat compliqué de bâtiments, adjoints à
l’immeuble de la Feuille d’Avis au
gré des extensions et comprenant notamment les éditions Skira et les ateliers
de reliure Mayer & Soutter. Unifier cet ensemble disparate constitue l’un
des enjeux du programme. Au-dessus d’un socle de trois étages semi-enterré, la
tour s’élèvera sur douze niveaux pour une hauteur de 33 mètres. Alors que la
tour accueille la rédaction et l’administration, la base renfermera
l’imprimerie, derrière de grandes baies vitrées offrant de nuit le spectacle
des rotatives en pleine action.
Le chantier connaît des délais très longs, en raison de négociations difficiles avec les propriétaires voisins, ainsi qu’avec les autorités communales, afin d’obtenir des dérogations en hauteur. C’est pourquoi plusieurs anciens bâtiments seront conservés, présentant un aspect hétéroclite dans une configuration de forte imbrication, et les imprimeries seront réalisées à Renens, également par Jean-Marc Lamunière, sur le même modèle constructif. La tour est inaugurée durant l’été 1964.
Une miniature new-yorkaise pour Lausanne
Sans que Jean-Marc
Lamunière ne s’en cache, la conception du bâtiment s’inspire directement de
l’architecte allemand, émigré aux Etats-Unis, Ludwig Mies van der Rohe. En
1922, le maître à penser posait déjà les principes de cette architecture en
verre et métal. La tour ne tient que par quelques piliers en acier disposés en
façade et sur un noyau en béton armé, contenant tous les locaux de services,
ascenseurs et sanitaires. Ce système permet d’aménager l’étage selon ses
besoins, soit en bureaux paysagers, soit divisé par des cloisons amovibles.
Entièrement climatisée, l’atmosphère intérieure est régulée par une pellicule
dorée intégrée dans les verres isolants, atténuant les rayons du soleil.
Bien que fondée sur
des modèles new-yorkais, la tour des IRL possède des dimensions très modestes. Chaque
niveau n’offre que 190 m2 de surface. La composition architecturale
réussit par un jeu subtil des proportions à pallier cette exiguïté en donnant à
la tour un effet d’effilement. Evidage de la base, irrégularité du nombre des
travées, étroitesse des façades latérales et élongation du couronnement
contribuent à fausser la perception. N’en déplaise à l’orgueil des Lausannois,
la tour « miniaturise les icônes américaines en rapport avec la
miniaturisation de la ville », selon les propres termes de Jean-Marc
Lamunière.
A l’usage, le
bâtiment révèle cependant quelques problèmes. En raison de ses dimensions
étriquées, les toilettes se retrouvent singulièrement malcommodes et les
escaliers de secours offrent une perspective particulièrement vertigineuse. Un seul
bouton permet de commander la venue des deux ascenseurs, entraînant de longues attentes.
Le calcul a été fait que ces attentes correspondaient à l’occupation d’une
personne à plein temps pendant une année. Totalement hermétique, l’enveloppe
rencontre à terme des problèmes d’isolation et d’équilibre des températures
entre les différents côtés de la tour. L’absence de stores et de fenêtres
ouvrantes rend toute compensation impossible.
Le bâtiment est
entièrement rénové en 1998. Les façades présentent de graves problèmes
d’étanchéité, le revêtement en aluminium est détérioré, les verres teintés ont
perdu de leur efficacité pour le filtrage du rayonnement solaire. Il faut
supprimer l’amiante abondamment utilisée en son temps et pallier l’absence de
protections anti-feu.
En outre, il est prévu de modifier fortement l’aspect extérieur de l’édifice en basculant d’une structure de couleur noire à une modulation de couleur blanche et de remplacer les verres cuivrés par un vitrage bleu-gris. Ce projet suscite l’opposition du service des monuments historiques, soucieux d’un bâtiment qui a été jugé d’importance régionale lors du recensement architectural. On décide alors de solliciter l’opinion de l’auteur sur une telle atteinte à sa création, plus de 30 ans après sa conception. Contre toute attente, Jean-Marc Lamunière se déclare favorable à la transformation au motif que la tour se rapprocherait ainsi encore plus de son modèle, Mies van der Rohe, qui n’aurait pas adhéré au caractère chamarré de la version originale. Les conservateurs du patrimoine ne peuvent alors que s’incliner devant la bénédiction accordée par le maître et, pour des raisons administratives, doivent même dégrader le bâtiment dans l’échelle du classement architectural afin d’autoriser sa transformation. ■
L’étude et la mesure précise des fonctions pulmonaires ont fait des avancées considérables ces dernières années et l’équipement de nos hôpitaux universitaires et cliniques spécialisées en sont aujourd’hui une magnifique réalité. Dans cet article, je voudrais rendre hommage à un pionnier de la mesure des réflexes respiratoires, le professeur Alfred Fleisch (1892-1973), patron et directeur de l’Institut de physiologie rattaché à l’Université de Lausanne, auprès duquel j’avais été engagé au printemps de l’année 1958 comme mécanicien-électricien et assistant technique de laboratoire.
Alfred Fleisch, après des études de médecine à Zurich, s’était orienté vers la physiologie auprès de Walter Rudolf Hess, toujours à Zurich. Durant la Seconde Guerre mondiale, il avait présidé la Commission fédérale pour l’alimentation et a été le lauréat du Prix de la Fondation Marcel Benoist en 1953. Son Institut à Lausanne, qu’il a dirigé durant une trentaine d’années (1932-1962) effectuait non seulement des recherches dans le domaine de la « mécanique du corps humain » et ses fonctions respiratoires en particulier, mais construisait aussi des petites séries d’appareils de mesure développés à partir de l’année 1925 déjà par cet éminent professeur, afin de répondre à la demande du corps médical. Ainsi ces « Pneumotachographes » constitués par un tube en laiton nickelé dans lequel soufflait le patient, et qui permettait de mesurer avec une grande précision le débit expiratoire, selon une application de la célèbre « Loi de Poiseuille ». Ou encore ces spiromètres secs, permettant de définir le volume respiratoire à l’expiration de la capacité pulmonaire d’un homme atteint par des pneumoconioses (silicose ou amiante), tout cela bien avant ce terrible Coronavirus que l’on apprends actuellement à connaître, soixante-deux années plus tard.
Métabo, la petite usine à Epalinges
Ces appareils ont aussi permis à Alfred Fleisch et à son équipe de concevoir un appareil mesurant les valeurs du métabolisme humain, appelé « Métabographe ». Cet appareil allait devenir une référence, à cette époque, pour définir les valeurs moyennes du métabolisme énergétique. Or, la construction de cet appareil, même par petites séries, ne pouvait s’envisager dans le cadre du Laboratoire lausannois de la rue du Bugnon, cela d’autant plus que le professeur Fleisch avait cessé son activité universitaire en 1962. D’où la construction d’une petite usine indépendante, baptisée « Métabo », située à Epalinges, équipée de machines-outils performantes pour l’usinage des pièces de ces appareils, puis leur montage en petites séries commercialisées. Cette fabrique d’appareils médicaux a cessé toute activité le 29 décembre 2011.
C’est là où j’ai travaillé durant les années 1960 à 1962. Nous avions par exemple l’un de ces métabographes installé dans une clinique à Montana, un autre dans un Centre pulmonaire français à Nancy, ainsi qu’à Fribourg-en-Brisgau, non loin de la frontière bâloise. Ils nécessitaient parfois un service d’entretien après-vente, spécialement pour le changement de certaines composantes, telles les sondes en platine qui permettaient de mesurer la résistivité de l’hydroxyde de potassium (KOH, ou potasse caustique) de l’appareil. Ce liquide était utilisé pour absorber le gaz carbonique rejeté par le patient lors d’un examen d’une dizaine de minutes en circuit fermé.
Aujourd’hui encore, le pneumotachographe est utilisé quotidiennement pour tester les capacités respiratoires, partout dans le monde. ■
Référence
Fleisch, Herbert, article Alfred Fleisch,Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 28.10.2009, consulté le 22.04.2020