Incorporé à l’âge de 16 ans dans les rangs de la Légion étrangère, un enfant de Vallorbe a vécu les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale, l’Algérie puis l’Indochine… sous l’uniforme kaki. En 1950, à son retour en Suisse, les douaniers n’ont pas manqué de l’intercepter manu militari à Genève.
Agé aujourd’hui de 92 ans, Fernand Mesot souffre de surdité. « Ce sont les aléas de la guerre qui lui ont partiellement fait perdre l’usage de l’ouïe », confesse son fils Richard à L’Inédit. Son père n’a que rarement évoqué en famille sa parenthèse de légionnaire. « Une histoire rocambolesque ! », comme la dépeint son fils. « Fernand est resté discret sur ce sujet. C’est moi qui l’ai titillé. » Qu’a-t-il donc retenu ? Qu’avant d’aller au combat, Fernand avait déjà eu à souffrir d’une enfance malheureuse. Jeune, il avait dû encaisser avec ses deux sœurs et son frère un divorce parental.
C’est la grand-mère de Fernand qui se charge du petiot. Séparé de sa fratrie, il est placé sans trop de ménagement dans une famille d’accueil de paysans des environs de Vallorbe. Le gamin a alors onze ans. « Il effectuait des travaux assommants dans la montagne pour un gosse de son âge », déplore son fils. Mais sans tout dévoiler, Richard évoque des histoires d’enfants placés de force, malmenés. Récits déterrés ici ou là en Suisse.
Fuite dans le Doubs
C’est ainsi peut-être que l’on devient rebelle… via les circonstances de la vie. Et Fernand va fuguer. Fuir cette maudite ferme sans prévenir. Repris puis puni, il sera expédié sans égard dans une maison de correction à Romont, dans le canton de Fribourg. Nous sommes en 1944. Fernand Mesot a 16 ans. La Deuxième Guerre mondiale s’éternise. Cet hiver-là, aidé par un camarade, il assomme l’un des gardiens de l’institut de redressement. Les deux adolescents prennent la fuite pour se retrouver, bec de gaz, dans la région du Doubs, côté français. Un territoire cerné par l’occupant nazi. Des soldats allemands tirent sur les fuyards et abattent son compagnon.
L’Algérie, l’Indochine
Lui demeure debout. Presque miraculeusement. Des résistants français le récupèrent puis l’amènent jusqu’à Lyon, dans les bureaux de la Légion étrangère. Comme l’homme-enfant de Vallorbe n’a aucune envie de rentrer en Suisse, fatalement il va faire sienne cette couleur kaki. Repéré par la Légion, il part au centre de recrutement à Marseille, et sous l’étiquette de « ravitailleur », Fernand sera expédié dans la foulée sur le front alsacien avant de poursuivre sa mission dans une Allemagne vaincue. Il rejoindra ensuite l’Algérie, puis l’Indochine. C’est à Saïgon (Ho-Chi-Minh-Ville) qu’il pose avec prestance pour la photo à laquelle nous devons aujourd’hui de relater son destin.
Zones d’ombres
Grièvement blessé, c’est une infirmière indochinoise qui l’aurait secouru. Son fils Richard pousse le bouchon plus loin. « Il aurait même eu une liaison en Indochine », pimente-t-il, « mais il n’a jamais rien voulu dire ». Fernand Mesot aura passé au total un peu plus de deux ans dans une région « où il ne laissait personne indifférent. C’était sa jeunesse qui touchait les autochtones », croit savoir Richard. Après Saïgon, retour en Algérie où il intègre à la fin des années 1940 le tout premier régiment de parachutistes de la Légion.
Les contrats de la Légion étrangère étant renouvelés tous les cinq ans, le jeune homme de Vallorbe allait devoir maintenant se décider : rempiler ou abandonner son parcours de légionnaire émérite ? Cinq ans de plus en kaki ? Quand on a le mal du pays, cinq ans… c’est long. Décision est prise : il va rentrer en Suisse. Intercepté en 1950 à la gare Cornavin par la police suisse, il se fait confisquer ses notes et ses photos (« un bon photographe », selon Richard). Quel avenir se présente à ce jeune légionnaire expérimenté sur le maniement des armes et qui a éprouvé le feu des combats? Un choix cornélien: pour lui, ce sera soit un séjour en prison pour avoir servi une armée étrangère, soit l’école de recrues en tant que grenadier au Tessin.
Bordel à la caserne !
Fernand Mesot choisit la seconde option. Mais quelle punition de devoir frayer avec de jeunes recrues suisses qui n’ont connu ni l’Allemagne nazie, ni l’Algérie et l’Indochine. Regroupés par l’armée dans des casernes tessinoises, d’autres anciens légionnaires d’origine suisse y trouvèrent là matière à déconner. « On a mis le bordel là-bas », raconterait parfois Fernand Mesot, sans s’appesantir. Motus et bouche cousue donc. « Un rebelle ! », résume Richard.
Fernand Mesot n’a pas gradé. Il s’est ensuite distancé de la Légion. « Mon père est allé s’établir au Locle afin d’y rejoindre un ami. Il a fait un apprentissage de faiseurs d’étampes chez Huguenin ». Ensuite, l’ancien légionnaire est retourné vivre sur ses terres. A Vallorbe puis à Genève, où il fonde une famille de trois enfants, dont Richard, lequel s’épanche sur ce passé: « notre père était sévère, exigeant, mais il nous a transmis des valeurs telles que l’honnêteté, la droiture, le respect de l’autre ».
Feuilles de palmier
Aujourd’hui encore, Fernand Mesot n’a pas pour habitude d’exhiber son passé de légionnaire. « Maman racontait que Fernand a toujours eu pour habitude d’agiter les pieds en dormant. En les faisant tournoyer la nuit au lit. Des gesticulations qui l’incommodaient, elle, pour dormir. » Pourquoi donc toute cette agitation fébrile sous la couette ? « En Indochine, les légionnaires s’accrochaient apparemment aux orteils des feuilles de palmier qu’ils éventaient ensuite pour mieux combattre la chaleur… » ■