L'Inédit

par notreHistoire


Incendie du Grand Temple

Coll. Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds/notreHistoire.ch

Les travaux de rénovation font toujours courir un grand péril aux églises ! Le 16 juillet 1919, c’est un réchaud de zingueur, oublié entre midi à deux heures dans les combles du bâtiment, qui met le feu au Grand Temple de la Chaux-de-Fonds. Actionnées électriquement, les propres cloches du temple sonnent l’alarme. La charpente s’enflamme et les ardoises brûlantes, glissant du toit à forte pente, empêchent les pompiers de s’approcher. Malgré l’eau projetée sous pression du sommet d’échelles, l’immense toiture finit par s’effondrer dans la nef. Les orgues et la chaire en bois sculpté, apportée au XVIIIe siècle du couvent de Bellelay, sont détruites. En revanche, le clocher en pierre résiste à la catastrophe et l’horloge continue à indiquer l’heure. Petite consolation pour l’orgueil des Chaux-de-fonniers. Sur la photographie, certains ne craignent pas d’assister au spectacle depuis le haut du beffroi.

Comme une malédiction

Le Grand Temple est marqué d’une forme de malédiction. En effet, il a déjà brûlé 126 ans plus tôt, en 1794, lors du grand incendie de la Chaux-de-Fonds. Ravageant tout le centre de l’agglomération, le feu emporte 42 maisons avec lui. Datant de 1528, il est aussitôt reconstruit sous la direction de Moïse Perret-Gentil, graveur de son métier et doté d’une vaste expérience grâce à de nombreux voyages à l’étranger. C’est lui qui donne au temple sa forme ovale, qui paraît très originale pour le canton, mais qui est certainement importée d’Allemagne, pays avec lequel Neuchâtel entretient des liens politiques particuliers.

Un temple incombustible

Comme après le premier incendie, les Chaux-de-fonniers décident en 1919 d’engager immédiatement la reconstruction. Pour ce faire un concours est lancé, remporté par deux architectes locaux, René Chapallaz et Jean Emery. Chapallaz est notamment un représentant important de l’Art nouveau à La Chaux-de-Fonds. Leur projet conserve un maximum d’éléments anciens, en particulier le clocher et la forme ovale de la nef. Les bancs passent cependant d’une disposition transversale à un aménagement « en long », atténuant quelque peu l’originalité du monument. Des détails contemporains y sont ajoutés, comme des vitraux et des bas-reliefs de Léon Perrin, un collaborateur de Le Corbusier. Enfin, on tente de parer à tout nouvel incendie par la mise en place de certaines mesures. La charpente est ainsi entièrement métallique et un faux-plafond de plâtre posé sur un grillage de fer, selon un dispositif éprouvé contre le feu, sépare le toit de la salle. En tout cas, le Grand Temple de la Chaux-de-Fonds n’a pas connu de nouvel incendie jusqu’à aujourd’hui. ■

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Urs Eggenschwyler et la lionne Grete

Le sculpteur Urs Eggenschwyler et la lionne Grete.

Photo Archives de la ville de Zurich

Septième et avant-dernier article de la série – sorte de feuilleton historique – que Jean Steinauer consacre aux animaux, réels et imaginaires, qui jalonnent l’histoire des Suisses (et peuplent leur inconscient). Après l’ours de Berne et l’ours d’Appenzell, les oiseaux, le taureau, le cheval, le bouquetin, le dragon, il est ici question du roi des animaux de la reine des villes alémaniques.

Le 20 septembre 1945, le conservateur du Musée d’histoire naturelle de Fribourg, Otmar Büchi, cède à un correspondant nommé Theodor Staub une vieille lionne (empaillée) pour 50 francs, son prix d’achat vingt ans plus tôt : « Nous ne voulons naturellement rien gagner là-dessus. » Staub (1864-1960) est un naturaliste zurichois. Lui-même aveugle depuis l’âge de 7 ans, ayant appris le Braille à 15 ans, puis les sciences naturelles à l’uni et au Poly, il a enseigné les sciences naturelles dans une institution pour aveugles, sourds et muets, fondé la Bibliothèque et le Musée suisse pour aveugles à Zurich, une institution qu’il dirige encore en 1945.

Dans une longue lettre à Büchi, où il raconte son amour des lions, il évoque un de ses concitoyens jouissant d’une vue parfaite, le sculpteur animalier Urs Eggenschwyler (1849-1923) à qui la ville doit, entre autres spécimens, le formidable Zürileu statufié du Mythenquai. Héraldiquement, l’animal est en effet le tenant d’armes de Zurich.

Eggenschwyler ne se contentait pas de sculpter des lions, il en élevait, et vivait familièrement en leur compagnie. Il se promenait en ville avec sa favorite Grete, rapporte l’historien Bruno Meier, s’arrêtant pour boire à quelque terrasse ombragée. C’est la police qui en prit ombrage, et le sculpteur dut se résoudre à des promenades nocturnes; s’il croisait un passant, toutefois, il le rassurait : « Il est gros, mon chien, n’est-ce pas ? » Theodor Staub conduisait ses élèves non-voyants à la ménagerie de l’artiste, mais aussi au cirque Schneider et chez Knie, afin qu’ils puissent caresser des lionceaux pour s’en faire une idée concrète, comme lui-même avait, adolescent, vécu cette expérience. Et Staub de narrer à Büchi l’histoire du lionceau Pollux, né au zoo de Zurich de parents nommés avec humour Félix et Regula, comme les deux martyrs chrétiens dont la ville a fait ses patrons célestes.  

Pollux, qui souffrait d’une légère malformation, fut confié tout petit à une dame du comité du zoo, qui l’éleva en compagnie d’un faon trouvé par des gosses dans la forêt du Zürichberg. Le jeune lion et le jeune chevreuil se succédaient sur les genoux de la dame pour le biberon, puis apprirent à manger dans le même bol et se plurent à jouer ensemble. Il existe une photo de mariage où, assis côte à côte, la femme porte le faon dans ses bras et le mari le lionceau sur ses genoux. « Une telle chose ne s’est jamais vue depuis que la terre existe ! », s’émerveille l’aveugle. Staub rendait visite à Pollux fréquemment, pour le caresser, ainsi qu’un autre sculpteur animalier de la place, Rudolf Wening (1893-1970. Quittant Zurich, ce Wening ramena Pollux au zoo de la ville, où d’emblée il apparut plus costaud que les quatre autres membres de sa fratrie, si bien qu’ils se cachèrent à sa vue. Les premiers jours, rapporte Staub, le jeune lion refusa de se nourrir, « et l’on pensa que c’était par nostalgie du petit chevreuil ». Un fauve qui fait la grève de la faim par amitié pour une proie, cela non plus ne s’est pas vu souvent depuis que la terre existe.

La fière Zurich ne pouvait choisir pour la représenter que le roi des animaux, mais l’orgueil n’empêchant ni la tendresse ni l’humour le Züri Leu est passé du statut d’emblème à celui de mascotte. Il patronne aussi bien le club de hockey sur glace que la société féline, une pharmacie qu’une confiserie. Un animal familier, en somme, tout le contraire d’un fauve terrifiant, même si les sculpteurs lui donnent un air féroce. Il ne faut pas le confondre avec le lion de Lucerne, dont Jack Rollan disait qu’il symbolisait le football suisse : mourant, mais la gueule ouverte. ■

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En barque, on prend la pose...

Coll. C.-A. Fradel/notreHistoire.ch

La photo date de 1905. Elle est prise depuis le rivage, probablement, et cadre les trois personnes au centre. Pourquoi probablement depuis le rivage ? Parce qu’à l’époque, il n’existait pas encore de petit format ou d’appareil réflex. Dans le cas présent, le photographe utilise une chambre, lourde et sur pied, au format 9X12 cm sur plaque de verre. L’appareil doit être fixe et le temps de pose plus long. Ce procédé garantit une netteté parfaite et une durée de conservation bien supérieure aux négatifs ou aux images digitales actuelles.

Pour réaliser une telle photographie, le photographe est un professionnel. C’est certain. L’eau est cadrée au 2/3, le ciel au 1/3. Un équilibre parfait avec les trois personnes, elles-mêmes bien centrées et disposées à la pose. Cette image a été réfléchie, elle a été commandée pour se souvenir d’un instant qui se veut éternel.

A l’aube du XXe siècle, la photographie a remplacé la peinture dans sa fonction de représenter le corps social et la généalogie. Désormais, on fera appel au photographe plutôt qu’au peintre ce qui libérera la peinture et la propulsera vers l’abstraction. Mandater un photographe a un coût financier. Ce n’est pas trop s’aventurer en affirmant que les trois personnes sur la photo doivent avoir les moyens de s’offrir les services d’un photographe. Le goût bourgeois pour l’image s’affine et s’affirme en ce début de siècle qui verra exploser la technologie. On laisse, loin derrière soi, la critique baudelairienne de la photographie et sa hiérarchisation des images.

Ici, dans mon souvenir, cette image a une consonance littéraire. Elle me rappelle Marins d’eau douce, le beau texte, libre et solaire, de Guy de Pourtalès, pour qui les paysages ont autant d’importance que les personnes et façonnent leur vie intérieure.

On ne peut que plonger dans cette image et succomber à la beauté de ce petit lac qui s’ouvre à l’immensité et à ces berges, encore sauvages, ou très peu habitées. D’ailleurs, en ces temps-là, peu de gens appréciaient de vivre trop près de l’eau. En général, c’était les filles qui recevaient en héritage les maisons en bordure de lac. Quant à la barque, vous l’aurez remarqué, elle s’appelle « Discrète », la bien nommée au moment de la pose devant le photographe!■

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Une galerie merveilleuse: les photographies sur plaque de verre

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Mon grand-père Maurice de Weck

Coll. L. de Weck/notreHistoire.ch

Chapeau en tête, cravate nouée, un vieillard en fauteuil roulant, les jambes couvertes d’un plaid, prend le soleil sur la Route-Neuve surplombant la Basse-Ville de Fribourg. Il s’appelle Maurice de Weck. Derrière lui sa femme Pauline, née de Buman, et la servante Marie, dans la famille durant plus de trente ans. On est en 1949. Maurice, qui a 82 ans, mourra l’année suivante en laissant des Souvenirs manuscrits enfermés dans un coffre jusqu’en 2000, suivant sa volonté. En 2011, son petit-fils Hervé les a édités à la Société d’histoire du canton de Fribourg. Ils éclairent l’histoire d’une famille et d’un groupe social très déterminants dans l’histoire du canton, mais aussi des traits de mentalité et des pratiques, publiques ou privées, relevant d’un monde aujourd’hui disparu.

La servante Marie n’apparaît pas dans les mémoires du patriarche, qui s’arrêtent en 1939. On y découvre en revanche la séquence élogieuse des cuisinières aux ordres de Pauline et de son mari. Voici Angélique Quillet, débrouillarde fille de Saint-Aubin, qui part en Allemagne épouser un valet de chambre et revient au pays avec lui, à la fin de la Grande Guerre. Puis Maria Berset, de Villargiroud; elle quitte le service pour épouser le menuisier de Lentigny Jules Huguenot. Enfin Thérèse Mary, de Chésalles, à qui le mémorialiste délivre ce certificat : « Elle est intelligente, active, dévouée, prenant l’intérêt de ses maîtres. J’espère que nous pourrons la garder longtemps encore, à moins qu’elle fasse un bon mariage, ce que je lui souhaite, car elle le mérite. » Ce n’est pas la comtesse de Ségur qui tient la plume, c’est l’inspecteur des arsenaux de Fribourg.

Avant d’occuper ce poste, Maurice a été préfet d’Estavayer, de 1899 à 1907. La vie de château car les préfets, successeurs des anciens baillis et tous issus, comme eux, du patriciat, étaient assez logiquement logés dans ce genre de monuments – mais en mode rustique. La tournée du district se fait en char à bancs, à cheval ou à bicyclette, piano. Il aime. Dans l’administration militaire, en revanche, l’ex-préfet n’est pas à l’aise, il y perd même une part de sa santé et beaucoup de sa joie de vivre. En l’absence d’une fortune personnelle, ses charges familiales (neuf enfants) lui font souci. Mais quand l’homme fort du canton, Georges Python, lui propose tout de go un poste de conseiller d’Etat (l’élection par le Grand Conseil est une formalité), cet homme scrupuleux et modeste refuse, ne se sentant pas le talent ni l’aisance, financière et sociale, nécessaires. Sa fin de vie professionnelle, à l’arsenal, sera pénible.

Il était le benjamin des onze enfants d’un aigle politique, le conservateur libéral Louis de Weck-Reynold (1823-1889). La génétique est parfois facétieuse. ■

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Maurice de Weck, une galerie de photos de son album de famille

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