L'Inédit

par notreHistoire


A Bienne lors de la grève de novembre 1918

Coll. B. Millier/notreHistoire.ch

Des photographies de la Grève générale de 1918 en Suisse ne sont guère légion. Celle croquée ici, devant ce qui ressemble à l’ancien hôpital de Bienne à la rue Dufour, « Hôpital de campagne numéro 2 » en temps de guerre, réunit autant d’éminents soldats, parmi lesquels le commandant Baumgartner bardé de noir des pieds à la tête, que de dévouées infirmières. Le personnel soignant aurait-il fait grève en 1918 ? N’a-t-on procédé à aucune opération ni prodigué aucun soin au motif du débrayage collectif ?  Et l’armée a-t-elle fonctionné au ralenti en ce 12 novembre de « Landesstreik » alors que la troupe était censée ramener l’ordre dans le pays ? Du laisser-aller pointerait ici son nez.

Sur le cliché, les mines sont très sérieuses. On ne badine pas avec les événements de cette importance. A peine un rictus naissant. Cette photographie est tombée un jour dans la poche du lieutenant Michel Chamay, le pharmacien-soldat qui trône plutôt fièrement en premier de cordée sur le perron de l’hôpital (premier sur la marche depuis la gauche).

Revenu aux affaires civiles, Michel Chamay tint une pharmacie au 77 de la rue des Eaux-Vives, dans un quartier constituant jusqu’en 1931 une commune indépendante du grand Genève. « Aux Eaux-Vives, on l’appelait le docteur ! Car à cette époque-là, les malades n’avaient pas toujours les moyens financiers de se payer les diagnostics d’un médecin », précise un siècle après son petit-fils Bernard Millier, que L’Inédit a retrouvé.

Puis les souvenirs de Bernard Millier défilent et l’odeur de l’éther refait surface. « Mon grand-père possédait son laboratoire derrière la pharmacie. C’est là, dans les années 1950, qu’il y concoctait ses préparations. Je me souviens bien de sa balance de précision posée dans une petite vitrine. Elle soupesait le moindre milligramme entrant dans les compositions ». Des balances comme ça, on en voit encore dans certaines officines… elles sont devenues une simple décoration, gage de sérieux du pharmacien.■

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Le quartier des Eaux-Vives en images

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Le passage trop rapide

Coll. C. Zurcher/notreHistoire.ch

Réussir une photographie nette d’un sujet en mouvement, même à grande vitesse, est aujourd’hui aussi facile que n’importe quelle autre photographie. Nos appareils se déclenchent plus vite que l’éclair ! Mais pour cela, il a fallu des décennies de progrès technique depuis l’invention de la photographie en 1839. Pendant longtemps, saisir un objet en mouvement a constitué une véritable prouesse photographique. Des inventions, telles que la chronophotographie d’Edward Muybridge et Etienne-Jules Marey dans le dernier tiers du XIXe siècle, vont renforcer la fascination pour le mouvement : en le fixant sur la surface sensible, on peut le décomposer, l’étudier et le comprendre. Grâce à Marey, il sera démontré scientifiquement qu’un cheval au galop n’a les quatre fers en l’air que lorsque ses pattes sont rassemblées sous son ventre, contrairement à ce que les artistes se plaisaient à représenter depuis des siècles.

Pour les professionnels comme pour les amateurs éclairés, photographier le mouvement représentait donc l’occasion de mesurer la maîtrise technique qu’ils avaient de leur matériel. Une des plus célèbres photographies du XXe siècle est d’ailleurs une image du Grand Prix de l’Automobile Club de France prise par Jacques Henri Lartigue en 1913 et qui semblait, tout comme cette image de 1928 tirée d’un album de famille genevois, complètement ratée en termes techniques (décadrée, déformée et floue).

Quinze ans après Lartigue, le 29 juillet 1928 – comme l’indique la date inscrire sur cette photographie – prendre une image correcte d’un bolide nécessitait encore une grande maîtrise de la part du photographe. C’est ce qui a manqué à l’auteur de cette image. Pourquoi a-t-il néanmoins décidé de la conserver et de la coller dans l’album de famille ? La beauté de ce souvenir n’était apparemment pas ternie par un peu de flou cinétique. Au contraire même, le flou symbolisait peut-être un événement emblématique de cette vitesse presque impossible à fixer sur la pellicule, en ce début de XXe siècle qui voyait le rythme s’accélérer continuellement dans tous les domaines de la vie et de la société. Le même ratage heureux qui fera de l’image de Jaques Henri Lartigue un emblème de la modernité et de son auteur une célébrité.

Ce passage rapide… et si c’était une course ?

Que voit-on exactement ? Quelle est cette forme filant déjà hors du cadre de l’image ? Une voiture ? Un cycliste ? Le doute est permis. Le seul indice fiable tient dans les personnes que l’on distingue sur le bord de la route, derrière la forme floue, semblant suivre son passage avec attention. Nous aurions donc affaire à une course. Y en avait-il une organisée à cette date dans la région de Genève, région qu’habitait la famille propriétaire de cet album photographique ?

Oui ! Le dimanche 29 juillet 1928 se tenait le Grand Prix d’Europe, « la plus grande manifestation motocycliste que l’on ait vue en Suisse », selon le Journal de Genève du jour. Sur notre photo, il s’agit donc fort probablement d’une moto, ou éventuellement d’un side-car, catégorie qui concourait à 11h30 ce jour-là.

Les véhiculent empruntaient un circuit de 9,3 kilomètres en forme de triangle à Meyrin, combinant lignes droites valorisant la puissance des moteurs et virages serrés défiant l’adresse des pilotes, à parcourir jusqu’à 32 fois selon la catégorie. La course durait ainsi jusqu’à quatre heures d’affilée. Ce circuit fut utilisé pour la première fois lors du Grand Prix de Suisse organisé en 1923, après une première édition au lac de Joux l’année précédente. 1928, année de l’image qui nous occupe, en marqua l’apogée avec sa sélection pour accueillir le Grand Prix d’Europe. Quel événement dans la vie de la famille genevoise venue encourager les concurrents le long du parcours ! D’autant que, pour l’épreuve de la catégorie reine des 500 cmc, ce fut une machine genevoise pilotée par un Anglais qui remporta la course haut la main. En effet, la firme Motosacoche, fondée en 1899 par les frères Henri et Armand Dufaux à Genève, fabriquait des bolides qui n’avaient rien à envier aux marques les plus connues. Le compte rendu du Journal de Genève du lendemain de la course victorieuse ne tarit pas d’éloge à l’égard de Motosacoche : « Quant à la machine, elle a fait l’admiration de tous et montre combien elle avait été minutieusement étudiée et mise au point dans les ateliers des Acacias, sous l’experte direction de M. Marchand, chef du service des courses. ».

À la toute fin du même article du Journal de Genève, le journaliste déplore l’apparition d’une pétition dans les cafés de Meyrin demandant au Conseil municipal de ne plus autoriser de course si une partie des recettes n’est pas reversée à la commune en compensation des désagréments subis par les habitants (routes bloquées pendant plusieurs jours, pollutions diverses, foule, etc.). La requête sera finalement acceptée. Mais ce sera le début de la fin. Le déclin du Grand Prix sera rapide dans les années suivantes et un malheureux accident, qui coûtera la vie à un habitant de Meyrin en 1931, mettra fin à l’organisation de toute nouvelle course automobile sur le territoire de la commune. ■

Références

1. Clément Chéroux, Fautographie, Petite histoire de l’erreur photographique, Crisnée, Yellow Now, 2003
2. Sous la direction d’André Gunthert et Michel Poivert, L’art de la photographie des origines à nos jours, Paris, Citadelles et Mazenod, 2007
3. Sur la photographie de Jacques Henri Lartique
4. Sur la chronophotographie
5. Sur le Grand Prix d’Europe dans les archives en ligne du Journal de Genève
Archives de la commune de Meyrin
6. Sur Motosacoche, dans le Dictionnaire historique de la Suisse

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Ateliers Piccard & Pictet

Coll. S. Bazzanella/notreHistoire.ch

Ils se sont donné rendez-vous pour la photo. Ils, ce sont les ouvriers de l’usine automobile Pic-Pic, Piccard & Pictet, aux Charmilles, à Genève. Peignés, presque endimanchés, avec de belles tenues qui ne sont pas des bleus de travail. Tous prêts, certains debout, d’autres assis, à poser pour le photographe. Par contre, ce qui contraste avec une photo de famille traditionnelle, c’est le manque d’ordre dans l’alignement. Chacun est disposé d’une façon inorganisée mais dans un agencement qui permet tout de même au photographe d’avoir tout le monde dans l’image.

Ce désordre produit, grâce à la magie du cadre photographique, un véritable équilibre. La photo est très bien composée et la technique à la chambre donne une netteté et une profondeur de champ inégalables. Sur les visages des ouvriers, on peut lire la fierté, réelle ou forcée, de travailler pour la première marque automobile genevoise. Une marque prestigieuse. D’ailleurs, ces automobiles sont photographiées avec les ouvriers. On veut les montrer.

Cette photo a quelque chose d’étonnant. A notre époque comme par le passé, il est rare, voire interdit, d’introduire un appareil photographique dans une usine et plus rare encore de mettre en scène les ouvriers en leur donnant une telle visibilité. Nous ne sommes pas encore à l’heure du documentaire social.

L’automobile Pic-Pic, fabriquée aux Charmilles, est le premier véhicule à moteur à atteindre les 120 km/heure. Une véritable performance technique pour l’époque. Ce sera la voiture de tourisme la plus vendue en ces années. Mais 1914 arrive… l’usine se met à fabriquer des obus pour les Alliés. A la sortie du conflit, la crise économique s’installe et perdure, ce qui précipite la firme dans des chiffres rouges épouvantables et doit définitivement arrêter la production. L’usine Piccard & Pictet deviendra l’usine Charmilles avant d’être définitivement détruite. Un tel document fige une étape importante du développement du tissu industriel genevois. A l’heure des délocalisations industrielles et de la mondialisation, l’usine Pic-Pic paraît provenir d’un autre âge, à jamais disparu.■

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Le premier "déserteur"

Coll. L. Saugy/notreHistoire.ch

Il se dégage une impression troublante de cette image prise en janvier 1945. Le déserteur de la Wehrmacht n’a plus l’arrogance et la séduction virile des hommes de la revue de propagande Signal qui, en français également, circulait depuis quelques années en Suisse romande. L’officier suisse paraît rasséréné, et sent bien que la roue a tourné. Les traqueurs et les traqués ne sont plus les mêmes, après ces longues années de guerre. Parce que la zone frontière du Grand-Saint-Bernard a été un point délicat depuis l’éclatement du conflit, devenu véritablement très sensible après l’effondrement de l’Etat italien, au lendemain du 8 septembre 1943, provoquant la redistribution des cartes stratégiques avec un grand basculement des alliances. Le IIIe Reich intervient alors militairement en Italie, le régime de Salò rassemblant les reliquats du fascisme se constitue et réprime férocement la contestation. L’armée régulière italienne en débandade et des milliers de civils alimentent alors les différents canaux de la Résistance italienne.

Le Val d’Aoste mitoyen est depuis lors en proie à des luttes intenses, et ses vallées latérales, structurées comme le Valais voisin, hébergent des groupes armés selon les affinités politiques, y compris les partisans d’une autonomie régionale encore à définir, fruit d’un long combat identitaire.

Le soldat et la princesse

« La photo est prise sur la route du Grand-Saint-Bernard, en amont de Bourg-Saint-Pierre, témoigne Luc Saugy, qui a publié ce document sur notreHistoire.ch. Début 1945, les déserteurs allemands essayaient de rentrer en Suisse par les Alpes, individuellement, échappant à la police allemande ou à la résistance valdôtaine. Il y eut même l’arrivée d’une compagnie entière, mon père était de poste cette nuit-là pour faire face avec cinq ou six autres soldats suisses, pas plus… Sur cette photo prise sur la route, ce fantassin allemand est accompagné jusqu’à Bourg-Saint-Pierre par le premier-lieutenant Bach, commandant en second de la compagnie, et de mon père. On devine ses 2 étoiles sur le col de sa veste. A 18 ans, le fantassin allemand avait déjà fait El Alamein et la campagne d’Italie… A noter que le PLt Bach avait été chargé du passage de la Princesse Marie-José de Belgique, on le reconnaît à sa moustache. La compagnie était répartie le long de la vallée. C’est tout ce que je sais. »

Depuis l’automne 1943, avec une répression antisémite accentuée et la pagaille qui disperse des milliers de prisonniers de guerre alliés dans la Péninsule, sans compter les résistants italiens acculés parfois, la Suisse devient la destination espérée. Les troupes « nazies-fascistes », dont ce soldat est un représentant, tentent bien sûr d’empêcher cet exode. Les filières se forment et transfèrent dans les passages alpins, du Grand-Saint-Bernard à l’Engadine, des dizaines de milliers de réfugiés potentiels. Le corps des garde-frontières et l’armée régulière sont au front, et appliquent tant bien que mal les directives fédérales en la matière. On retrouve dans cette zone le jeune officier et écrivain en devenir Maurice Chappaz (1916-2009), qui témoignera de ces heures et de ces ordres obscurs face à cette misère humaine prise dans la tourmente. Le père de l’historien suisse Gérard Delaloye est également employé des douanes en poste en Entremont à la même époque.

Le destin des déserteurs a souvent été négligé

Alors dans ce contexte, un déserteur d’une armée allemande – après des années d’une répression qui deviendra sauvage les derniers mois et après toutes les menaces qui ont pesé sur la Suisse -, cela dégage une étrange impression sans doute, et indique une inversion des rôles. A l’inverse de certaines catégories de civils, les militaires réguliers sont protégés par les lois de la guerre et les conventions de Genève de 1929. Commence alors le cheminement des internés militaires en Suisse. Puis surgira la vaste question, une fois la guerre achevée à partir de mai, des rapatriements, qui ne se feront pas sans peine dans l’Europe dévastée, aux frontières remaniées et bientôt partagée par un rideau de fer.

Qu’il s’agisse des internés militaires russes, polonais ou allemands, bien des questions se poseront, dans ces chassés-croisés, en fonction des origines ethniques – les armées sont souvent composites de ce point de vue – , de la politique et des attentes des grandes puissances. L’avenir est encore incertain dans le regard des deux hommes, mais une forme de soulagement se dessine. Et la figure du déserteur continue de hanter l’imaginaire d’un continent qui vient de connaître deux guerres mondiales. Cette nouvelle Guerre de Trente Ans aux dimensions inouïes a broyé des millions de vie embrigadées de gré ou de force sous l’uniforme. Le destin des déserteurs de toutes les armées de ces deux guerres a souvent été négligé ; on lui a préféré le culte des monuments aux morts, et sur ces hommes pèsera le sourd reproche de lâcheté, dans tous les camps, bien que les causes de ces fuites soient multiples et les circonstances différentes. Mais ces cheminements individuels dans la brume de la grande Histoire posent encore des questions essentielles au cœur d’un siècle de fer.■     


Référence

Collectif : Les réfugiés en Valais 1939-1945, SHVR, Musée de Bagnes, Médiathèque Valais-Martigny, Annales valaisannes, 2005

A lire sur L’Inédit     

Fuir la guerre, de la République de Salò au camp de Tramelan

A consulter également sur notreHistoire.ch

La guerre aux frontières de la Suisse, une série de documents des années 1939-1945

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