Est-on punk parce qu’on photographie des punks ? Est-on punk parce qu’on vit l’âge d’or du mouvement squat dans un squat punk à Genève dans les années 1980 ? Peut-on être punk vivant en Suisse, pays le plus riche et capitaliste de la planète ? Ces questions, je me les pose à moi-même et elles font sens dans une société de plus en plus normative et léthargique.
Ces diverses remarques resurgissent en regardant les magnifiques photos réalisées par Nicholas Palffy en 1984, en immersion, dans le mythique squat punk de la rue Argand, à quelques mètres de la gare Cornavin. En 2020, squatter un immeuble locatif dans ce quartier est de l’ordre de l’inimaginable.
La photo qui m’a le plus touché est celle de cette jeune femme assise au bord d’une fenêtre ouverte, une cigarette à la main, et fixant l’objectif du photographe. Un visage radieux que la lumière naturelle vient éclairer à la perfection.
La pose, la lumière, la composition et l’usage du noir et blanc sont maîtrisés et rejailli sur nous, tel un flux, l’ultra-sensibilité du photographe.
Ce qui me frappe, c’est le décalage entre l’iconographie punk et le classicisme total d’une telle photographie. Dans l’imagerie punk, on s’attendrait à voir une image pleine de poussière, mal cadrée et mal développée et prise sur le vif. Non. Ici, nous retrouvons tous les codes traditionnels de la photographie noir et blanc. Vraiment ! La série que nous propose Nicholas sur notreHistoire.ch est sublime et documente une période importante et libre du mouvement punk genevois que peu de gens connaissent.
Chaotique… forcément chaotique!
Que s’est -il passé à la rue d’Argand en ces années 1980 ? Ce squat est le plus emblématique de la période punk à Genève. Dans l’immeuble, à l’angle, de la rue d’Argand et Necker, des punks, étudiants et réfugiés, pour la plupart venus d’Amérique latine, vivent et cohabitent dans une ambiance libertaire et chaotique. Comme on ne supprime vraiment jamais la logique de classe, même chez les punks, ce sont les étudiants qui représentent et coordonnent le squat. Il est intéressant de noter ce qu’écrit Maria-Isabel Sanchez dans son mémoire sur le mouvement punk à Genève : « (Il) est plutôt l’effet d’une mode à Genève et ne joue pas le même rôle qu’à Londres où les jeunes punks sont le reflet d’une réelle réaction à une société en crise ».
A d’Argand, la musique joue un rôle crucial et tous, pratiquement, s’investissent dans la gestion de la salle de concert et la planification des dates. Le groupe de rock « Killing Joke » s’y est même produit.
Aujourd’hui, le squat de la rue d’Argand n’existe plus et, à la place, le syndicat Unia a pris possession des lieux. Une autre forme de lutte institutionnalisée prend la relève. Le photographe Nicholas Palffy, qui a si bien documenté ce moment de vie utopiste par de beaux portraits et des photos de concert très personnelles, a fondé sa propre boîte de communication. Un destin houellebecquien, en somme. ■
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Le témoignage d’un squatter de la rue d’Argand
Référence
Sanchez, Maria-Isabel, La contre-culture punk dans le mouvement alternatif genevois dans les années 1970 et 1980, Maîtrise, Uni Genève, 2009.
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Le squat de la rue d’Argand en photos