Sur cette photo des années 1970, des élèves d’une école enfantine du quartier de la Jonction, à Genève, (peut-être celle des Plantaporrêts ?) arrivent en haut de la Corraterie et s’apprêtent à entrer dans le parc des Bastions. Après avoir défilé devant les autorités cantonales et municipales massées sur une estrade, ils pourront s’en donner à cœur joie sur les carrousels et goûter à l’inoubliable sirop de grenadine versé dans leurs verres à l’aide de grands arrosoirs. Ils portent fièrement des drapeaux aux couleurs des cantons suisses et des mâts fleuris mais ceux-ci commencent à s’incliner, trahissant une fatigue tout à fait légitime.
C’est qu’ils sont à la fin d’un parcours relativement long pour leurs petites jambes : partis du boulevard Jaques-Dalcroze, où un bus de la CGTE spécialement réservé pour l’occasion les a amenés, ils sont descendus sur le rond-point de Rive et ont longé les Rues Basses avant de remonter en direction de la place Neuve (ainsi l’appelait-on à l’époque…) selon un itinéraire immuable depuis 1965 (mais qui sera raccourci en 2005 avec un départ à la rue de la Croix d’Or). Parents, grands-parents, frères et sœurs aînés et même badauds de passage, agglutinés derrière des barrières, auront longuement patienté pour les voir passer et de tenter, parmi toutes ces frimousses, de repérer celles qui leur sont chères. Certains, émus par ce spectacle, auront même laissé échapper une petite larme.
Tout à gauche, la maîtresse s’est mise sur son trente-et-un et ses élèves ne sont pas en reste : le petit garçon du premier rang porte un complet à pantalon court tandis que ses camarades ont de jolies robes blanches ou pastel ; certaines portent même un petit sac à main ou des gants, comme celle qui abrite ses yeux d’un rayon de soleil intempestif – ou d’un objectif qu’elle juge indiscret ? Socquettes blanches et chaussures du dimanche sont également de rigueur et les commissaires, chargés d’accompagner et d’encadrer les classes, ne sauraient assumer leur rôle autrement qu’en veston et cravate.
Des pasteurs en habit noir
Ce cortège, qui, chaque année, bloque une partie de la ville pour laisser place à une ribambelle à la fois joyeuse et solennelle, s’inscrit depuis si longtemps dans le paysage genevois qu’il figure depuis 2012 dans la liste des traditions vivantes de Suisse. Son origine remonte en effet au Collège fondé par Calvin en 1559, dont les élèves se rendaient, à la fin de l’année scolaire, en rang et en musique du bâtiment de Saint-Antoine à la cathédrale Saint-Pierre. En dépit du lieu où elle se déroulait, il s’agissait alors de la seule fête civile de la cité à laquelle toute la population était conviée. Du XVIe au XIXe siècle, un cortège solennel rassemblait à sa tête les autorités religieuses, civiles et judiciaires qui défilaient dans leurs tenues d’apparat : robe et col à rabats pour les pasteurs, habit noir, épée au côté et bâton symbole de leur charge pour les syndics (autorités politiques de l’époque), toge et toque pour les avocats. L’actuelle commémoration historique de l’Escalade – recensée elle aussi au patrimoine fédéral – nous donne une petite idée de ce à quoi cette manifestation pouvait ressembler.
Le cortège dans les Rues Basses date pour sa part de 1886 mais son point de départ est alors le Jardin Anglais. S’il passe invariablement par la place Neuve, le lieu principal des réjouissances a longtemps été la Plaine de Plainpalais, aménagée pour l’occasion selon un plan bien précis. C’est en 1964 qu’elles se déroulent désormais à huis clos entre les grilles des Bastions aux portes desquelles les parents s’agglutinent en attendant de pouvoir entrer.
Le choix des mots
Dès l’origine, la fête des Promotions a eu pour principale caractéristique une appropriation momentanée du domaine public par la Genève scolaire qui défile fièrement dans les rues marchandes. Au départ, il s’agissait, comme son nom l’indique, de commémorer solennellement le passage des élèves d’un degré à l’autre. Au fil du temps, c’est la coloration festive qui finit par l’emporter, et en 1998, les autorités de la Ville de Genève la rebaptise « fête des écoles ». Mais l’appellation peine à prendre et tout le monde parle encore des promotions, à tel point que le débat s’invite de manière plutôt vive au Conseil municipal de la Ville de Genève : au nom de la tradition, celui-ci vote, en 2019, pour un retour en arrière alors que le Conseil administratif maintient sa position, affirmant sa volonté d’une manifestation inclusive qui célèbre la fin des classes et le début des grandes vacances pour tous, y compris ceux qui n’ont pas terminé l’année scolaire avec succès. Dans les autres communes en revanche, qui ont officiellement reçu mission d’organiser les festivités par une modification de la loi sur l’instruction publique de 1979, le terme de « promotions » n’a pas disparu partout.
Il arrive hélas que les Promotions n’aient pas lieu. La cause en est parfois la tenue simultanée d’autres événements : en 1896, l’Exposition nationale occupait toute la plaine de Plainpalais ; les enfants durent rester dans leurs écoles respectives où ils reçurent goûters et jouets. En 1941, elles sont remplacées par la célébration solennelle du 650e anniversaire de la Confédération qui se déroule au Parc des Eaux-Vives. Les deux guerres mondiales ont également interrompu la tradition : en 1915 et en 1940, les autorités ordonnent une suppression pure et simple et en 1916, seules les fêtes dans les parcs sont autorisées. Il en va de même en 2019, mais pour d’autres raisons : l’alerte canicule est déclenchée et l’on renonce raisonnablement à faire défiler les enfants par 38 degrés. En cette année 2020, c’est un vilain virus qui s’invite à la fête pour mieux l’annuler : tout est supprimé pour cause de pandémie… ■
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