L'Inédit

par notreHistoire


Grand Jour devant les Trois Tours

Coll. G. Hande/notreHistoire.ch

Une famille pose devant le photographe, à l’occasion d’une première communion, à Fribourg. Mais c’est un détail en arrière plan qui nous intéresse. Le punctum, pour reprendre le terme de Roland Barthes, c’est l’inscription sur la façonnage du bâtiment. On y lit en grosses lettres, « Rois Tou », il s’agit en fait de « Trois Tours ».  Mais que sont ces « Trois Tours » au-delà de la représentation héraldique de la ville de Fribourg ? Les « Trois Tours » ont été durant près d’un siècle le grand magasin incontournable de Fribourg, sorte de Galerie Lafayette sur Sarine. Le photographe fribourgeois Jacques Thévoz a d’ailleurs documenté le lieu par de très beaux portraits au moment des soldes.

C’est en 1919 que la succursale fribourgeoise des magasins « A la ville de Paris », implantés également à Langnau-Langenthal, Aarberg, Frutigen et Zweisimmen devient « Les Trois Tours ». Ce changement de nom est dû à Isodore Nordmann, époux d’Alice Bloch dont la famille a prospéré dans le commerce de détails. Il faudra attendre 1976 pour un nouveau changement de nom, les « Trois Tours » devenant « La Placette », puis, en 2001 « Manor » dans un bâtiment entièrement transformé, maintenant sans fenêtre et dont la façade est hérissée de blocs, sorte d’écailles d’acier.

Revenons au premier plan. Cette photo de famille suscite plusieurs hypothèses et interrogations.

A l’occasion de la première communion de Robert Corpataux Jr, toute la famille se réunit pour immortaliser l’événement. Dans un canton catholique, cette fête est un rituel de passage primordial et on se doit d’en garder un souvenir. Toutes et tous, jeunes et plus vieux, ont mis leurs habits du dimanche. Ce qui est étrange, c’est qu’en face des « Trois Tours » se trouve un temple protestant. Pourquoi a-t-on décidé de prendre cette photo à cet endroit ? Autre interrogation. Le cadrage de cette photo de groupe a été fait en hauteur, depuis une esplanade. Pourquoi n’avoir pas plutôt fait la photo devant l’église catholique dans laquelle s’est déroulée la communion ? Ces suppositions demeureront sans réponses et participent au mystère de cette belle image qui, malgré l’amateurisme de son cadrage, véhicule une émotion sincère. ■

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Les grands magasins de Suisse romande

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Homme et bête 1937...

Pierre Bezençon et Astarté en 1937

Coll. J.-P. Salomon/notreHistoire.ch

Quatrième article de la série – sorte de feuilleton historique – que Jean Steinauer consacre aux animaux, réels et imaginaires, qui jalonnent l’histoire des Suisses (et peuplent leur inconscient). Après l’ours de Berne et l’ours d’Appenzell, les oiseaux, le taureau, place au cheval, la plus belle conquête de l’armée suisse.

L’armée suisse n’a plus de cavalerie depuis bientôt un demi-siècle. Supprimant en décembre 1972 les 18 escadrons qu’elle comptait encore, le Parlement fit un acte doublement significatif sur le plan politique. Il mit en évidence un vrai fossé, dans les deux Chambres, entre Romands et Alémaniques. Il rappela aussi que la pétition n’est qu’un geste futile : celle qui demandait le maintien des troupes montées avait récolté plus de 430’000 signatures, et les parlementaires s’asseyaient dessus. Du moins le drame sentimental vécu par les dragons et leurs amis valut au public de grands moments d’éloquence.

Le conseiller national Georges Thévoz toucha même au lyrisme. Paysan à Missy (VD) et porte-drapeau de l’agriculture de plaine au civil, il était en effet major de cavalerie. Ce libéral grand teint eut le soutien, à la tribune, de deux compatriotes excellents orateurs, le socialiste Gilbert Baechtold et le radical Georges-André Chevallaz. Quant au popiste Armand Forel, médecin à Nyon, l’un des fondateurs du Parti du travail (PST/POP), un inébranlable opposant aux crédits militaires, il applaudit également à la charge du major Thévoz, mais in petto. « Il suffirait que je parle en faveur de la cavalerie pour décider quelques bourgeois indécis à voter la suppression », m’expliqua-t-il. Non que Forel attachât une quelconque importance à la survie de troupes montées, mais un anti-militariste conséquent se devait de prendre une position contraire à celle du Département militaire et des chefs de l’armée, pressés d’en finir avec le cheval en gris-vert. Et peut-être ce communiste de toujours avait-il été sensible au fait que Georges Thévoz avait, chevauchant au grand galop la tribune parlememntaire, déclamé à la gloire des cavaliers un passage de La chaussée de Volokolamsk, roman soviétique écrit en pleine guerre, alors que la Wehrmacht menaçait Moscou. Le cheval, décidément, était plus rassembleur – plus fédérateur, osons le mot – que l’armée elle-même.

Le non du général

On le savait d’expérience. En 1945, à la fin de la Mob’, le chef de l’état-major général préconisait déjà de supprimer la cavalerie, contre l’avis du commandant en chef, le général Guisan, lui-même fervent cavalier. Deux ans plus tard, une pétition couverte de 158’000 signatures exigeait le maintien. L’historien militaire Hervé de Weck résume tout d’une litote : supprimer la cavalerie est « militairement justifiable, mais politiquement et économiquement difficile ».

Photo du général Guisan, en 1942, remise au "tringlot" qui s'occupa durant une semaine de son cheval.

Coll. D. Aeby/notreHistoire.ch

L’armée n’aura donc pas tenu plus longtemps que les civils. Dans l’agriculture de l’après-guerre, bien lancée sur la pente du productivisme, le cheval de trait ou de labour a rapidement été victime du tracteur. Il a fait place, de nos jours, au cheval de loisir que le paysan prend en pension, afin de compléter son revenu.

Dans le monde du transport, le moteur avait tué le cheval depuis longtemps. Certes, au milieu du siècle, l’entreprise Friderici à Morges possédait encore 48 bêtes, mais elles n’étaient pas souvent dans ses écuries, (lire à ce propos l’article L’entrepreneur a un faible pour les chevaux). On ne s’en servait plus pour livrer des marchandises. Une partie, louée à l’armée, servait à la remonte de la cavalerie. Entre deux cours de répétition, les chevaux étaient placés à la Vallée de Joux, pour les foins, ou en hiver à Gstaad, pour tirer les traîneaux, histoire d’économiser le fourrage. Le patron, Charles-Félix, passionné de chevaux, les conservait pour le plaisir. Son fils Alfred ne les liquida qu’à sa mort, en 1958. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

La cavalerie suisse en photos de toutes les époques, et la fin de la cavalerie en vidéo des archives de la RTS

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Sentier des crêtes de l'Emmental

Coll. P. Chappuis/notreHistoire

Trois fois par année, je bois un café dans mon quartier des Pâquis à Genève avec mon ami et photographe Didier Ruef. Didier a voyagé pour ses reportages à travers toute l’Afrique. Au fil d’une de nos discussions, il me dit qu’il a été frappé par la similitude des paysages du Rwanda et de l’Emmental. Il y voit la même ondulation des collines à perte de vue. L’herbe verte, presque fluorescente. Les chemins sinueux qui se perdent dans l’horizon azur.

Cette image noir et blanc a été prise au sommet d’un de ces sentiers des crêtes dans l’Emmental. A mi-chemin dans l’image, une ferme, typique, qui a bravé le temps et qui semble poser là pour l’éternité. En Emmental, chaque vallée a sa manière bien à elle de construire ses fermes. Plus on s’élève dans les collines et plus les toits descendent jusqu’à toucher le sol afin de garder toute la chaleur pour l’hiver.

Au dernier plan, nous apercevons un arbre, seul, en haut d’une colline. Le plus souvent, les paysans les plantaient à cet endroit pour qu’ils servent de paratonnerre. On y plantait expressément des arbres qui poussent vite comme le tilleul ou l’érable. Dans les temps anciens, ils avaient aussi une autre fonction. On passait une corde autour de leur tronc et à l’autre bout un cheval tirait une herse qui labourait la terre.

L’Emmental, au coeur de la Suisse, pourrait être un échantillon terrestre du paradis originel; tout comme le Rwanda, considéré d’ailleurs comme la Suisse de l’Afrique. Aucun chauvinisme, juste la description de deux pays aux paysages sublimes et deux terres paysannes aux traditions fortes.

Le Rwanda, ravagé par un des plus barbares génocides du XXe siècle, sonne en échos au récit violent, allégorique et moralisateur « L’araignée noire » de Jérémias Gotthelf. Le Déluge qui s’abat en Emmental et qui est merveilleusement et tragiquement bien décrit dans le livre de Gotthelf, lequel influencera fortement Charles-Ferdinand Ramuz, s’ancre dans le sol et l’âme de ses habitants, tout en ayant une portée universelle. C’est à cela que l’on reconnaît les chefs-d’œuvre.

Jérémias Gotthelf vécut la fin de sa vie en Emmental dans la ville de Lützelflüh où il mourut ; ville qui se situe en bas d’une de ces collines qui portent ces sentiers des crêtes. ■

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Assemblée constituante jurassienne réunie pour la première fois le 12 avril 1976 en l'église Saint-M

Valentine Friedli, un engagement politique pour la cause des femme et l'indépendance du Jura

Coll. Mémoire d'ici/notreHistoire.ch

Le début de l’histoire est bien connu. Durant les années 1970, une partie des Jurassiennes et des Jurassiens décident de se séparer de Berne afin de former un nouveau canton. Mais une fois les drapeaux de la victoire rangés au fond des placards, que s’est-il donc passé ? On aurait pu croire l’affaire réglée. Tout ou presque restait cependant à inventer pour donner naissance à un État qui suscitait tant d’espoir dans les rangs séparatistes.

Le 20 mars 1976, le peuple du canton en devenir élit par conséquent cinquante représentants. Ils auront pour noble fonction de rédiger une Constitution. Le taux de participation aux élections semble aujourd’hui stratosphérique, puisque près de 83 % des citoyens se rendent aux urnes. Le nom des députés ne tarde pas à se faire connaître. Et voilà que le couperet tombe : une seule citoyenne est élue.

Cette femme, c’est Valentine Friedli. Engagée au Parti socialiste et de formation commerciale, elle militait depuis le début des années 1960 au sein de l’Association féminine pour la défense du Jura. Si elle s’investit pour l’indépendance, elle a donc aussi à cœur de voir se concrétiser l’égalité entre les hommes et les femmes dans un canton qu’elle rêve pionnier en la matière.

Donner de la visibilité aux femmes

Bien qu’elle semble esseulée parmi ceux que la presse appellera pompeusement les « pères constituants », elle jouera de toute son influence pour se faire le porte-voix d’un corps électoral féminin presque réduit au silence. La route vers l’égalité s’annonce sinueuse, mais pleine de promesses.

Cela dit, Valentine Friedli doit encore user de tout son art oratoire pour imposer le statut des femmes comme un thème central des discussions, à un moment où beaucoup préfèrent célébrer l’indépendance. Bientôt, les premières réunions de la Constituante ont lieu. Le 12 avril 1976, les députés participent à une séance inaugurale, en l’église Saint-Marcel de Delémont. On rappelle quelques épisodes de l’histoire séparatiste, on rend hommage au « magnifique peuple jurassien » qui a dû s’engager dans un long bras de fer avec un canton de Berne « intraitable ». Voilà qui pose le décor.

Le lendemain, à l’occasion de la session constitutive qui se déroule à Porrentruy, Valentine Friedli profite de la tribune qui lui est offerte pour déplorer la marginalisation dont sont victimes les femmes : « J’ai l’honneur d’ouvrir la première session de travail de la Constituante. Un seul regret : celui d’être l’unique représentante de la moitié du peuple jurassien dans cette assemblée. »

L'Assemblée constituante jurassienne réunie pour la première fois le 12 avril 1976 en l'église Saint-Marcel de Delémont.

Coll. Mémoires d'Ici, Fonds Nouss Carnal/notreHistoire.ch

Soucieuse de porter son combat dans l’arène politique, elle souligne l’importance des figures féminines dans la lutte pour l’indépendance : « Des liens indissolubles se sont tissés tout au long de notre combat entre hommes et femmes de milieux différents. Cette solidarité doit nous aider à élaborer une Constitution progressiste, sociale, égalitaire et ouverte sur l’avenir, pour permettre à notre peuple, et particulièrement à notre jeunesse, d’organiser une société plus fraternelle ».

Une femme, un ouvrier

Ses collègues masculins seront-ils sensibles à son plaidoyer ? Rien ne semblait gagné. D’autant plus que les femmes ne sont pas les seules à être largement sous-représentées au sein de l’Assemblée constituante : seul un ouvrier y siège, alors que l’on recense sept juristes et trois médecins. Malgré tout, si l’on en juge la Constitution qui sera adoptée par le peuple l’année suivante, Valentine Friedli saura convaincre, contribuant à faire inscrire un article 6 encourageant dans la charte fondamentale : « Hommes et femmes sont égaux en droit ». Le principe était acquis, il faudra patienter longuement avant d’en célébrer l’application concrète.

L’unique femme de l’Assemblée constituante deviendra par la suite députée au Parlement de son canton, avant d’entrer au Conseil national, où elle siégera jusqu’en 1987. Figure féministe, Valentin Friedli est décédée en juillet 2016, à l’âge de 87 ans. Pour honorer sa mémoire, Delémont a donné son nom à l’une des places de la ville, non loin de l’église Saint-Marcel. Après la lutte, la reconnaissance. ■

Références

1 24heures, 24 mars 1976
2. Le Journal du Jura, 12 juillet 2016
3. Dictionnaire du Jura, article « Association féminine pour la défense du Jura »
4. Dictionnaire historique de la Suisse, article « Friedli, Valentine »
5. Débats de l’Assemblée constituante

A consulter également sur notreHistoire.ch

La question jurassienne de 1964 à 1974, un dossier des archives de la RTS

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