C’est un petit carnet bleu, de ceux, scolaires, dans lesquels on note de longues listes de mots allemands à apprendre par cœur ou de conjugaisons. Dans celui-ci, cependant, point d’énumérations soporifiques, mais le récit frais et enjoué d’un jeune garçon, parti découvrir la région de Champéry en août 1870 avec quelques camarades de son école. Au temps où les photographies étaient réservées aux événements spéciaux et prises, le plus souvent, dans des studios, les pages noircies du carnet sont enrichies de nombreux dessins à la plume et à l’encre brune, relevés quelquefois de traits rouges. Ce compte-rendu est celui de Maurice Cramer, alors élève de l’École Privat à Genève, une institution scolaire privée inaugurée en 1814, année de la Restauration pour accueillir les générations d’enfants des familles patriciennes. Au fil des pages, le déroulement de la journée, les découvertes, les exploits ou les petits malheurs se succèdent dans une écriture encore un peu maladroite.
Les promenades du jeudi
L’École Privat organise régulièrement des voyages pour ses élèves, que ce soient des excursions hebdomadaires appelées « promenades du jeudi », des camps de ski à la saison d’hiver ou des voyages à la découverte de la Suisse en été, principalement dans les Alpes. Selon ses enseignants, les voyages forgent la jeunesse, développent leur sens de l’observation et le goût des sciences naturelles tout en lui permettant de s’imprégner de mille impressions et souvenirs. Un récit, journal de bord, accompagne souvent ces expéditions. Hommage à Rodolphe Töpffer, célèbre Genevois, celui-ci prend parfois la forme d’un « voyage en zigzag », relatant les exploits des participants. Ces mémoires, destinés principalement aux parents des élèves, permettent de se plonger dans une époque où les trajets s’effectuent en train, en bateau à vapeur, en charrette ou à pied, et durant lesquels on jouit de simples bonheurs et de l’esprit de camaraderie.
Ce petit cahier fait partie du fonds d’archives de l’École Privat versé à la CRIÉE, l’institution elle-même ayant fermé ses portes en 1960. Au fil des pages, l’esprit voyage en même temps que son auteur. On mange de la marmotte, dont le goût ne plaît pas à l’enfant, on construit des canaux et l’on escalade des rochers. Mais l’intérêt de cette chronique, dont l’écriture est quelquefois interrompue par des ratures ou des taches d’encre, réside également dans les dessins qui animent les aventures quotidiennes. Ceux-ci n’ont probablement pas été réalisés par l’auteur du texte qui, selon une note de son fils, aurait alors eu sept ans. Ils émanent plutôt d’Ernest Privat, accompagnateur du voyage et membre de la famille dirigeant l’école. Dans ces croquis, l’esprit se veut caustique, à l’instar des dessins de Töpffer qui agrémentait également ses histoires d’images comiques. Dans ce dessin, des rochers aux gueules de loup, dignes d’un conte fantastique, se rient du citadin qui s’est accroché à une branche morte et qui se retrouve coincé, suspendu au-dessus du vide. Un épisode qui marqua sans doute le jeune garçon victime de l’incident et que le dessin nous rapporte toujours aussi fraîchement, 150 ans après être survenu. ■
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D’autres belles pages de cahiers d’écoliers sont publiées par la CRIÉE (communauté de recherche interdisciplinaire sur l’éducation et l’enfance), qui conserve les traces de l’éducation d’autrefois.