Jean-Jacques Lagrange, un des fondateurs de la RTS, fait revivre dans cette série les premières heures de la Télévision, ce nouveau média qui va transformer la société des années 1960. Pour lire les articles précédents, cliquez sur ce lien.
Sept mois après ses débuts dans le petit studio de la Télévision Genevoise à Mon Repos – une villa du parc La Perle du Lac à Genève – la TSR déménage en 1955 déjà dans un grand studio installé précipitamment dans l’ancienne salle de répétition de l’OSR à Radio-Genève.
C’est le résultat d’un épisode de la rivalité entre Genève et Lausanne pour l’obtention du futur centre fixe de la Télévision en Suisse romande (lire le premier épisode de cette série).
Ce nouveau studio comprend un plateau de 400 m2 équipé d’un gril d’éclairage en tubulaires. La hauteur limitée du local n’a pas permis de construire des galeries d’accès pour les électriciens par-dessus le gril, comme dans un studio de cinéma. C’est donc au moyen d’échelles que les éclairagistes suspendent les projecteurs sur les tubulaires.
A l’extérieur du studio, sur le toit de Radio-Genève, l’architecte a construit trois locaux pour la régie image, la régie son et le contrôle image. Les régies image et son ont une baie vitrée avec vue sur le studio alors que le contrôle image est doté d’une porte avec accès direct dans le studio.
Sous ces locaux, la salle de repos des musiciens de l’OSR a été transformée en local pour les télécinémas 16mm et 35mm. Les locaux sanitaires ont été partiellement aménagés pour créer un local de maquillage. Enfin, à l’intérieur du studio, le long du mur des régies, un couloir insonorisé a été créé pour avoir un accès direct au hall d’entrée de Radio-Genève.
Les PTT, qui sont responsables des équipements techniques de la SSR, ont doté le studio de trois caméras électroniques PYE avec tourelle à quatre objectifs ou avec zoom de studio posées sur pieds « Crabe ». Cet équipement de base est complété par une grue « dolly » pour caméra et une girafe mobile pour le son. Ce studio restera l’unique studio de la TSR jusqu’à la construction de quatre nouveaux studios mis en fonction en 1975.
Les vrais débuts d’un programme TV
Avec ce nouvel outil de travail de 400 m2 et avec le car de reportage vidéo stationné à Lausanne, l’équipe de la Télévision Suisse Romande peut enfin commencer à réaliser un vrai programme de télévision avec toutes les facettes d’émissions que le public attend de ce nouveau média.
En feuilletant les pages du magazine Radio TV Je Vois Tout de ces années-là, on voit se mettre en place progressivement des émissions régulières d’information, documentaires ou pour les jeunes, des émissions de variétés, de ballet ou de musique classique et des émissions de débats. Mais surtout le directeur Frank Tappolet veut que chaque semaine une «dramatique», qu’il s’agisse d’une mise en scène originale de pièces de théâtre puis de scénarios écrits spécialement pour la télévision, soit réalisée dans le grand studio.
Les décors de toutes ces émissions sont construits par une équipe spécialisée de la TSR qui s’est constituée et qui utilise les ateliers Sainte-Clotilde tout proches du studio et appartenant au Grand Théâtre de Genève, locaux alors inoccupés après l’incendie de la salle de la Place Neuve. Les décors sont ensuite transportés à Carl-Vogt, et montés dans le studio par l’escalier extérieur prévu pour l’accès des musiciens de l’OSR ! Plus tard, un ascenseur sera installé pour faciliter le travail des décorateurs, machinistes et constructeurs. De 1955 à 1960, ce sont des centaines d’émissions les plus variées qui sont diffusées en direct exclusivement par la TSR dont au moins plus de cent «dramatiques».
De son côté, le car de reportage sillonne la Suisse romande pour réaliser en direct des émissions documentaires, des retransmissions de spectacles sur les scènes locales ou des reportages sportifs.
Le Téléjournal de quinze minutes d’actualités filmées conçu à Zurich continue d’être diffusé en différé le lendemain soir par la TSR. Mais en 1958, une solution centralisée à Zurich permet, dans un compromis bien helvétique, de diffuser le Téléjournal le soir même sur toute la Suisse. Avec une seule bobine de film d’actualités et une seule cabine de commentateur (où se succèdent les journalistes alémaniques, romands et tessinois), le Téléjournal passe en allemand de 19h30 à 19h45 sur DRS. Puis de 20h à 20h15 en français sur TSR et de 20h30 à 20h45 en italien sur TSI. De toutes ces centaines d’émissions vidéo, il ne reste hélas aucun document!
Des images vidéo à jamais perdues
En 1954, il n’y a pas en Suisse de moyen technique d’enregistrer des images vidéo. Donc les images de toutes les émissions émises en direct chaque jour par la TSR et DRS se sont évanouies à tout jamais dans l’atmosphère ! Il existe bien un dispositif permettant d’enregistrer sur pellicule film l’image qui apparaît sur un moniteur vidéo : le kinescope. Mais la TSR et la SSR en phase expérimentale n’ont pas le budget pour l’acheter.
Le kinescope est un appareil équipé de deux caméras 16mm avec chargeurs de 120m (durée 10′) qui filment alternativement sur un moniteur vidéo de haute qualité les images des émissions en direct. Le son est enregistré synchrone sur bande SEPMAG.
La TSR recevra son premier kinescope dans le courant de l’année 1958 mais la première émission vidéo de la TSR enregistrée le sera sur le kinescope de Zurich le 31 janvier 1958, il s’agit de La Valse de Maurice Ravel interprétée par l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Ernest Ansermet.C’est ainsi que commencent les archives vidéo de la RTS dont près de 40’000 heures enregistrées ont été, depuis 2005, numérisées et cataloguées par la RTS et la FONSART (Fondation pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine audiovisuel de la RTS) ainsi que les 30’000 heures d’images filmées directement sur 16mm.
Il n’empêche que nous n’avons aucun document d’archives audiovisuelles de cette multitude d’émissions en direct diffusées par la TSR de 1954 jusqu’à 1958. De toute cette créativité évaporée, il reste pourtant quelques souvenirs sur papier.
La photo au secours de l’histoire de la TSR
Dès le 1er novembre 1954, un des cameramen de la TSR, Jaques Margot, a aussi été chargé de faire les photos de plateau des émissions. Puis d’autres personnes ont aussi photographié les artistes et l’activité du grand studio ainsi que le travail du car de reportage. Soixante ans après, nous avons retrouvé une partie de ces images et les avons regroupées sur notreHistoire.ch (voir à ce propos Les débuts de la TSR à Mon Repos 1954-1955 et La TSR à Carl-Vogt 1955-1960).
A partir de 1960, la plupart des émissions ont été enregistrées sur kinescope puis, dès 1970, sur bande magnétique. Un large choix de ces documents peuvent aujourd’hui consultés sur le site des archives de la RTS. ■
Notre série se poursuit, la semaine prochaine, avec un pan oublié de l’histoire de la TSR: l’importance des émissions dramatiques à l’antenne.
A consulter également sur notreHistoire.ch
Un grand choix de photos de ces premières années de la TSR sont réunies sur notreHistoire.ch