Le début de l’histoire est bien connu. Durant les années 1970, une partie des Jurassiennes et des Jurassiens décident de se séparer de Berne afin de former un nouveau canton. Mais une fois les drapeaux de la victoire rangés au fond des placards, que s’est-il donc passé ? On aurait pu croire l’affaire réglée. Tout ou presque restait cependant à inventer pour donner naissance à un État qui suscitait tant d’espoir dans les rangs séparatistes.
Le 20 mars 1976, le peuple du canton en devenir élit par conséquent cinquante représentants. Ils auront pour noble fonction de rédiger une Constitution. Le taux de participation aux élections semble aujourd’hui stratosphérique, puisque près de 83 % des citoyens se rendent aux urnes. Le nom des députés ne tarde pas à se faire connaître. Et voilà que le couperet tombe : une seule citoyenne est élue.
Cette femme, c’est Valentine Friedli. Engagée au Parti socialiste et de formation commerciale, elle militait depuis le début des années 1960 au sein de l’Association féminine pour la défense du Jura. Si elle s’investit pour l’indépendance, elle a donc aussi à cœur de voir se concrétiser l’égalité entre les hommes et les femmes dans un canton qu’elle rêve pionnier en la matière.
Donner de la visibilité aux femmes
Bien qu’elle semble esseulée parmi ceux que la presse appellera pompeusement les « pères constituants », elle jouera de toute son influence pour se faire le porte-voix d’un corps électoral féminin presque réduit au silence. La route vers l’égalité s’annonce sinueuse, mais pleine de promesses.
Cela dit, Valentine Friedli doit encore user de tout son art oratoire pour imposer le statut des femmes comme un thème central des discussions, à un moment où beaucoup préfèrent célébrer l’indépendance. Bientôt, les premières réunions de la Constituante ont lieu. Le 12 avril 1976, les députés participent à une séance inaugurale, en l’église Saint-Marcel de Delémont. On rappelle quelques épisodes de l’histoire séparatiste, on rend hommage au « magnifique peuple jurassien » qui a dû s’engager dans un long bras de fer avec un canton de Berne « intraitable ». Voilà qui pose le décor.
Le lendemain, à l’occasion de la session constitutive qui se déroule à Porrentruy, Valentine Friedli profite de la tribune qui lui est offerte pour déplorer la marginalisation dont sont victimes les femmes : « J’ai l’honneur d’ouvrir la première session de travail de la Constituante. Un seul regret : celui d’être l’unique représentante de la moitié du peuple jurassien dans cette assemblée. »
Soucieuse de porter son combat dans l’arène politique, elle souligne l’importance des figures féminines dans la lutte pour l’indépendance : « Des liens indissolubles se sont tissés tout au long de notre combat entre hommes et femmes de milieux différents. Cette solidarité doit nous aider à élaborer une Constitution progressiste, sociale, égalitaire et ouverte sur l’avenir, pour permettre à notre peuple, et particulièrement à notre jeunesse, d’organiser une société plus fraternelle ».
Une femme, un ouvrier
Ses collègues masculins seront-ils sensibles à son plaidoyer ? Rien ne semblait gagné. D’autant plus que les femmes ne sont pas les seules à être largement sous-représentées au sein de l’Assemblée constituante : seul un ouvrier y siège, alors que l’on recense sept juristes et trois médecins. Malgré tout, si l’on en juge la Constitution qui sera adoptée par le peuple l’année suivante, Valentine Friedli saura convaincre, contribuant à faire inscrire un article 6 encourageant dans la charte fondamentale : « Hommes et femmes sont égaux en droit ». Le principe était acquis, il faudra patienter longuement avant d’en célébrer l’application concrète.
L’unique femme de l’Assemblée constituante deviendra par la suite députée au Parlement de son canton, avant d’entrer au Conseil national, où elle siégera jusqu’en 1987. Figure féministe, Valentin Friedli est décédée en juillet 2016, à l’âge de 87 ans. Pour honorer sa mémoire, Delémont a donné son nom à l’une des places de la ville, non loin de l’église Saint-Marcel. Après la lutte, la reconnaissance. ■
Références
1 24heures, 24 mars 1976
2. Le Journal du Jura, 12 juillet 2016
3. Dictionnaire du Jura, article « Association féminine pour la défense du Jura »
4. Dictionnaire historique de la Suisse, article « Friedli, Valentine »
5. Débats de l’Assemblée constituante
A consulter également sur notreHistoire.ch
La question jurassienne de 1964 à 1974, un dossier des archives de la RTS