L'Inédit

par notreHistoire


La nuit aux Avanchets

Coll. C.-A. Fradel/notreHistoire.ch

Les Avanchets, sur la commune genevoise de Vernier, sont souvent désignés comme exemple repoussoir des cités-satellites réalisées dans les années 1960 et 1970. Mais, à l’instar du Lignon, ce quartier expérimental mérite certainement d’être réhabilité dans l’opinion publique.

Vu de l’extérieur, ce qui frappe au premier regard, c’est le caractère refermé sur elle-même de cette cité de 2000 logements. On se trouve face à un mur de 10 étages, de forme circulaire et au crénelage irrégulier, qui lui confèrent toutes les apparences d’une forteresse. En outre, l’ensemble est ceinturé d’importants axes routiers à la circulation incessante évoquant inévitablement les douves d’un château. Voilà qui lui donne naturellement un aspect assez hostile.

Cependant, il suffit de chercher à entrer dans la place pour se rendre compte que tout est conçu, et avec intelligence, pour faciliter la circulation piétonne. Des passerelles enjambent le flot des voitures, la base des remparts est percée de toutes parts pour se laisser pénétrer et il est possible de traverser de part en part toute la cité en une agréable promenade architecturale.

Une circulation en deux mondes séparés

Pour bien profiter de cette expérience spatiale, il est indispensable de comprendre le principe qui a présidé à son élaboration. Comme souvent dans l’urbanisme de l’après-guerre, les concepteurs, Steiger Partner AG, Walter Förderer et Franz Amrhein, ont décidé de dissocier la circulation automobile de la circulation piétonne, en les plaçant chacune à des niveaux différents. Les voitures ne sont pas absentes mais reléguées au niveau du sol, passent ou stationnent sous les bâtiments. Elles possèdent leur propre monde semi-enterré. En tant que piéton, il ne faut jamais s’y aventurer, au risque de se retrouver perdu dans un réseau incompréhensible et inadapté pour une personne qui n’avance pas à la vitesse d’un moteur à explosion.

Pour ceux et celles qui utilisent leurs jambes, tout se passe au premier niveau, qui devient dès lors rez-de-chaussée des immeubles et point de référence des aménagements extérieurs. A l’intérieur de la cité, végétation et pelouses abondent, le tout ramené par le jeu des remblais au niveau des premiers étages. Parfois, une passerelle s’élance au-dessus d’un profond canyon au fond duquel passent quelques voitures. Ailleurs, des collines ondulantes ménagent des petites places au mobilier d’extérieur. Ces espaces semblent répondre aux attentes de la population. Ils connaissent une forte fréquentation, que ce soit par des mamans à pousse-pousse ou des jeunes en survêt, qui dans d’autres cités accapareraient les cages d’escalier.

Une alternance contre la monotonie

Conscients de l’aspect massif que pouvait produire les grandes barres d’immeubles, les architectes ont tenté d’en amoindrir au maximum la monotonie. Malgré les importants efforts d’économie réalisés grâce à des éléments de construction préfabriqués et des revêtements en plaques de fibro-ciment, les façades se singularisent par des orientations toutes différentes. La taille et l’alignement des fenêtres subit de subtiles variations. Des murs pleins alternent avec d’autres munis de balcons. Sur les façades, des dégradés de couleurs, passant du brun de la terre au bleu du ciel, essaient d’évoquer un paysage naturel.

Dans le but de conférer à la cité une certaine autonomie, son centre est occupé par des bâtiments plus bas, accueillant différents services : galeries commerciales, écoles, cabinets médicaux et espaces culturels. Malheureusement ces infrastructures ont passablement souffert de modifications au fil du temps et ont petit à petit perdu, par manque de souci patrimonial, leur parenté avec les immeubles environnants, remettant ainsi en cause la cohérence de l’ensemble.

Nonobstant, les Avanchets ont conservé une grande part de leur ambition utopique et leur découverte tient un peu du voyage dans une ville futuriste au charme suranné d’une bande dessinée des années 1970. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Un reportage de la RTS de 1976 sur la cité-satellite des Avanchets
A la maison des jeunes des Avanchets, en 2005, un reportage de la RTS

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Aigle tué au Salève - vers 1935 Collonges-sous-Salève

Aigle tué au Salève, vers 1935

Coll. P.-O. Boillet/notreHistoire.ch

Deuxième texte de la série – sorte de feuilleton historique – que Jean Steinauer consacre aux animaux, réels et imaginaires, qui jalonnent l’histoire des Suisses (et peuplent leur inconscient). Après l’ours de Berne et l’ours d’Appenzell, cette semaine, place aux oiseaux.

Les Genevois n’ont pas attendu Chris McSorley et sa mascotte volant à travers la patinoire des Vernets pour se projeter dans un aigle. Cet oiseau royal se déploie dans les armoiries de la cité depuis les Moyen âge, bien que d’une aile seulement – c’est une allusion historique à l’Empire. La demi-aigle, qui se détache en noir sur le fond jaune, partage l’écu avec la clé empruntée à saint Pierre, dorée comme il se doit, posée sur un champ rouge. En termes peu héraldiques, mon père commentait : « Demi-poulet grillé servi avec mayonnaise, et la clé de la cave pour le gamay qui l’accompagne. »

Mon père, originaire d’Einsiedeln, ne pouvait rester muet sur les deux corbeaux occupant les armoiries de l’abbaye et de la ville qui en est issue. Il en savait la légende. Le saint moine Meinrad, qui s’était construit là un ermitage (Einsiedelei), y fut tué en 861 par deux vagabonds convoitant les cadeaux que déposaient les pèlerins. Mais deux corbeaux que Meinrad avait apprivoisés suivirent les assassins, ce qui permit de les retrouver et de les condamner. Oiseaux vengeurs, plus forts que des chiens policiers !

En avant la grue!

Ma famille vivant dans le canton de Fribourg, je fus intrigué assez tôt par un troisième volatile d’armorial, la grue. Celle des comtes de Gruyère, emblème à notre époque du district de ce nom, m’impressionnait par son allure offensive – bec pointu, patte levée, plumes hérissées – que soulignait encore la devise du journal radical portant son nom : « En avant la grue ! » Les Gruériens étaient-ils belliqueux par nature ? J’appris à l’âge adulte que le toponyme Gruyère ne devait rien à l’oiseau, mais tout au gruier, sorte d’inspecteur forestier de l’époque féodale. Dans ma petite oisellerie blasonnée, la grue était donc intruse, et tant pis pour les radicaux bullois s’ils croyaient encore à ses vertus combatives.   

Mais je m’interroge. Pourquoi trouve-t-on, dans les armoiries de nos cantons et de nos villes, si peu d’oiseaux qui nous soient familiers ? Oiseaux de la ville et des champs, du lac et de la forêt… Nombre de citadins ne verront jamais ailleurs qu’au cinéma voler l’aigle royal, mais tous ont l’expérience quotidienne du pigeon qui fiente et du moineau qui picore jusque sur les tables des terrasses. Les paysans distinguent parfaitement les martinets des hirondelles, et les promeneurs en forêt le chant du coucou des frappes du pic-vert. Quant aux pêcheurs, ils écoutent le cri des mouettes et glissent en silence leurs barques entre les cygnes, au bord des roselières.

Une foule d’oiseaux mériteraient, d’ailleurs, la promotion héraldique, au motif qu’ils peuplent notre imaginaire – la chanson, la poésie, les arts visuels en témoignent. Le rossignol chante sur la plus haute branche depuis longtemps, jamais je ne l’oublierai. Voici « l’errante hirondelle » de Lamartine, qui ne fait pas le printemps mais annonce mélancoliquement l’automne et nous remet en mémoire les morts aimés, Georges Brassens l’a très bien mise en musique. Les oiseaux ordinaires sont aussi porteurs de symboles évidents : gaieté du pinson, sagesse de la chouette, fidélité du chardonneret ornant en marqueterie les monumentales « armoires de mariage » que le menuisier du coin vous fabriquait pour la vie…

Nous protégeons le gypaète barbu, c’est entendu. Mais les petits, les obscurs, les sans grade ? Les oiseaux de tout le monde et de tous les jours ? J’ai peur que nous ne les aimions plus. Nous essayons de stériliser les pigeons, et rêvons d’exterminer les cormorans pour laisser aux seuls pêcheurs le droit de prendre des poissons. ■

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Télégraphe

Salle de la transmission-réception des télégrammes de l'Office de Saint François, à Lausanne, en 1961.

Coll. A.-M. Martin-Zürcher/notreHistoire.ch

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Les deux Maurice des lettres valaisannes 3.

A Randonnaz, le 22 août 1985, Maurice Chappaz (à droite) retrouve Maurice Zermatten. Les relations entre les deux écrivains vont s'apaiser.

Coll. P.-M. Epiney/notreHistoire.ch

Faire la part belle aux arts et aux lettres. C’est avec cette volonté chevillée au corps que Bernadette Roten participe à promouvoir les écrivains, les artistes et les compositeurs sur le devant de la scène, dans le Valais des années 1980. Alors enseignante à Savièse, elle soumet au Conseil d’État un projet innovant : intégrer des séminaires consacrés à la culture locale dans le cadre des semaines pédagogiques auxquelles participent les institutrices et les instituteurs valaisans : « A cette époque, a-t-elle confié à L’Inédit, j’ai constaté que mes collègues connaissaient mal l’art et la littérature de leur canton. De mon côté, je dirigeais déjà un théâtre amateur. Ce fut donc un vrai plaisir de contribuer à faire découvrir des acteurs culturels. »

A l’occasion du premier séminaire qu’elle organise en 1985 – et qui s’intitulera Les heures littéraires valaisannes –, Bernardette Roten choisit de convier Maurice Zermatten, lui-même fils de « régent », comme l’on disait alors. Le célèbre écrivain avait publié deux ans plus tôt son roman A l’est du Grand-Couloir, inspiré de l’histoire tragique de Randonnaz, un petit hameau de montagne, rebaptisé Zampé dans le récit. Perchés sur les hauteurs de Fully, les quelque cinquante habitants qui y vivent au début du XXe siècle voient leur existence rythmée par le cycle immuable des saisons et des travaux de la terre. Lorsque la neige recouvre la montagne, le lieu se transforme en forteresse imprenable – à moins qu’il ne s’agisse d’une prison sans évasion possible ? En hiver, personne ne se risquerait en effet à descendre dans la vallée, tant le murmure des avalanches intimiderait le plus téméraire des aventuriers. Le temps de la morte saison instaure un univers en vase clos, à la fois horrifique et rassurant de par l’intense solidarité qu’il renforce entre les villageois.

Et puis, en 1930, les habitants de Randonnaz doivent quitter leurs maisons et dire adieu à l’endroit qui fut façonné par leurs aïeux. Endettés, mis sous pression par des autorités religieuses et politiques qui voient d’un mauvais œil leur éloignement, ils n’ont d’autre choix que de vendre leurs biens à la commune de Fully : celle-ci s’en frotte les mains. La plupart d’entre eux rejoindront la plaine, où certains peineront à s’adapter à leur nouvelle réalité. En somme, ce déracinement prendra des allures de migration forcée. Quant au hameau, il sera entièrement détruit pour être transformé en alpage. A l’est du Grand-Couloir lutte par conséquent contre la disparition d’un lieu qui aurait bien pu sombrer dans les oubliettes de l’histoire.

Des relations ombrageuses entre les deux écrivains

Alors, si Randonnaz n’est plus, il subsistera un hymne somptueux à Zampé. L’un des protagonistes du roman lance ainsi un cri du cœur, lorsqu’il pressent déjà la fin prochaine du hameau : « Zampé ce n’est pas seulement des maisons, des granges, des greniers, des prés, des jardins et des champs. Pas seulement l’herbe et le seigle. Pas seulement les bêtes que nous élevons et qui nous permettent de vivre. Tout cela, je le sais, nous pourrions le trouver ailleurs. Ce que nous ne pourrions pas trouver ailleurs, c’est l’air de Zampé, la paix de Zampé, le ciel de Zampé, et sous la terre, les racines de notre vie. »

Si Maurice Zermatten propose une relecture de ce passé douloureux, c’est qu’il passa un hiver à Randonnaz, lorsque son père y fut chargé de l’instruction de la poignée d’écoliers. De façon tout à fait étonnante, le séminaire organisé par Bernadette Roten a eu lieu à l’endroit même où s’élevait jadis le hameau, un demi-siècle après son démantèlement. Plus incroyable encore, un autre monument littéraire valaisan a accepté de participer à cette journée pédagogique : « Maurice Chappaz est monté avec nous, un sac en cuir usé sur le dos. Il avait lui aussi connaissance de l’histoire de Randonnaz. Sa présence était loin d’être une évidence, puisque ses relations avec Zermatten étaient pour ainsi dire ombrageuses. Alors, quand il a débouché une bouteille de blanc pour trinquer avec lui, imaginez un peu l’émotion qui planait dans l’air ».

Au cours de cette journée à nulle autre pareille, Maurice Zermatten a fait resurgir ses souvenirs de jeune garçon pour le plus grand bonheur des participants, en désignant l’emplacement des habitations, des granges ou des étables disparus. Bernadette Roten garde un souvenir ému de cette promenade littéraire en compagnie de grands noms de la littérature valaisanne : « J’ai éprouvé une joie profonde parce que l’on a pu baigner dans une atmosphère supérieure à l’ordinaire des jours. Ces individus savaient traduire le beau et ouvrir des fenêtres. Ce fut une chance d’être aspirée dans leur univers. » ■

Référence

A l’est du Grand-Couloir de Maurice Zermatten, réédité en 2017 chez Zoé.

A consulter également sur notreHistoire.ch

Visages de Maurice Zermatten, un galerie de documents d’archives et de vidéos de la RTS
Maurice Chappaz, une vie pour l’écriture, une série de vidéos de la RTS

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