Que savons-nous du catch en Suisse romande? Pas grand-chose, il faut l’avouer. Pourtant le catch, ici, a une histoire (récente), grâce à l’initiative de quelques passionnés parmi lesquels Adrian McLeod, auteur de ce texte publié en mars 2012 sur notreHistoire.ch et que nous reprenons dans notre rubrique Témoignage et récit (le titre et les intertitres sont de la rédaction).
Tout débute avec un match exhibition – un véritable succès – réalisé en 2004 par les deux créateurs de la Fédération, Adrian Johnatans et Heinrich van Richter. Des amis souhaitent les rejoindre et une petite salle d’entraînement est improvisée à Lausanne dans un sous-sol avec des tatamis et quelques haltères. La Swiss Power Wrestling (SPW) se dote d’une petite équipe et s’applique à créer des personnages qui peuvent donner lieu à des matchs intéressants. Un ring est construit et des shows commencent à apparaître, alors nommés Doom’s Day.
De 2004 à 2005 le roster de la SPW continue à s’agrandir et grâce au bouche à oreille de plus en plus de personnes se rendent aux shows, l’affluence moyenne ne dépasse toutefois pas les 35 spectateurs, avec quelques piques d’une cinquantaine ! L’année suivante, en décembre 2006, la SPW revient à ses origines et organise une fois encore un match exhibition pour une fête scolaire, cette fois un record est battu, avec 250 spectateurs et beaucoup de sang versé. Le show est appelé Christmas Chaos !
En mai 2007 la SPW a une nouvelle occasion de présenter un match exhibition, cette fois lors du festival international Balélec à Lausanne, une centaine de personnes s’amassent autour du ring et la fréquentation du site web grimpe en flèche. Cette année-là, le show annuel unholy freedom est organisé avec la célèbre salle le Romandie et le record suisse d’affluence à un show local est battu, avec plus de 500 personnes présentes ! La SPW se médiatise beaucoup à cette occasion en passant dans quelques journaux et magazines, ainsi que sur la télévision lausannoise TVRL.
Quelques temps après, un magazine est créé, baptisé SPW Powermag, tout premier (et seul) magazine suisse dédié au catch et, au passage, la SPW devient l’une des seules fédérations européennes à posséder son propre magazine. Le numéro 0 n’a que 8 pages, mais il permet à la SPW de faire un deal avec la WWE pour leurs dates suisses, le logo du magazine apparaît même sur les affiches officielles ! De plus, la WWE se base sur la connaissance des dirigeants de la SPW et des fans de Suisse romande qui leurs ont conseillé d’ajouter une deuxième date à leur passage, en venant à Genève, alors que la WWE ne souhaitait organiser qu’une date en Suisse, à Zurich, pour chaque tournée européenne.
Une reconnaissance de la Ville de Lausanne
En parallèle, la SPW Academy se développe, reçoit une aide financière de la Ville de Lausanne et s’installe dans un dojo dans les hauts de Lausanne. En 2008 un nouveau ring est acheté et les élèves sont au nombre de 25. Cette même année le roster de la SPW est doté de 38 catcheurs, Suisses et internationaux confondus.
Une nouvelle série de petits shows réguliers est mis en place au dojo de la SPW, appelés Saturday’s powerslam fest avec des storylines plus poussées. Le nombre d’élèves de l’Academy continue à grimper, mais en été 2008 tout s’arrête lorsque des sommes d’argents disparaissent… obligeant Adrian Johnatans à renoncer à son dojo et à fermer son école.
Du jamais vu dans la Broye
En mai 2009, la SPW revient et de nombreux shows sont organisés jusqu’à la fin de l’année, lors du show SPW retribution où une importante feud (une rivalité) née entre The Ooggy Dog et The British Stallion. L’année suivante, en février, la SPW passe un accord avec le taco’s bar – où plusieurs shows ont déjà été organisés – pour des shows mensuels. Cette série est appelée Wednesday Warzone et elle connaît un franc succès avec une affluence moyenne de 100 personnes !
Les storylines sont de plus en plus sérieuses et la feud entre le Stallion et Ooggy Dog continue jusqu’en juin 2010. En parallèle, de plus gros shows sont organisés, notamment au Giron de la Broye, mais le record de 500 personnes n’est jamais battu !
En 2011, la SPW continue la série des warzone, avec un nouveau site web, un bon roster. De plus ses catcheurs sont de plus en plus connus sur la scène européenne !
Une Académie sur les bords de la Sarine
La SPW-Academy a été créée en 2006 par le British Stallion, et il a entraîné la plupart des catcheurs actuellement en activité en Suisse Romande. En 2010, il aide l’un de ses anciens élèves à fonder une école de catch dans le canton de Fribourg, l’AWF pour American Wrestling Fribourg qui devient le premier territoire externe de la SPW.
En 2011, il fonde une école de catch à Genève, à la demande de la municipalité.
Avec un total de 3 territoires actifs, une fan-base de plus en plus grosse, un web show, 2 rings, 3 entraîneurs, 16 catcheurs, 70 alumnis et un grand nombre de « première fois », tel que le premier Ladder match de Suisse, le premier TLC de Suisse, le premier tournoi Street Fight, ainsi que le record jamais battu de 500 personnes, la SPW peut fièrement se déclarer leader du catch suisse ! ■
Réflexion sur la traçabilité d’un virus à travers la redécouverte d’un imprimé bernois de 1787 enjoignant la population à se méfier d’une peste venue des terres ottomanes. Ou comment l’origine géographique d’une maladie virale peut laisser la porte ouverte à toutes les interprétations.
Alors que le coronavirus sévit, l’expression « communiquer la contagion » pourrait apparaître de nos jours un brin maladroite. Le 18 août 1787, la menace d’une peste en provenance « des terres de la domination Ottomane » avait fait réagir des autorités bernoises qui sentaient le danger imminent. Les édiles ne parlaient pas de recommandation mais d’avertissement à la population et ne prenaient déjà pas de gants (sans jeu de mots) pour en appeler à des mesures drastiques. Des restrictions liées aux marchandises en raison de cette peste. Un avertissement auquel les citoyennes et citoyens de la Ville et République de Berne avaient dû répondre après lecture de l’avis du Conseil de santé local.
Epicentre Zéro
Ce dernier avait répandu la nouvelle selon laquelle la peste
s’était manifestée à Larissa (en Grèce), puis à Tarnow, située aujourd’hui en
Pologne. Avant de descendre jusqu’en Orient. A Alep et à Smyrne, l’actuelle
Izmir. Des experts prévoyaient une pandémie et craignaient que ce fléau ne fasse
des ravages jusqu’en Helvétie. Les Excellences de Berne imposaient donc des
précautions.
Cet avertissement s’adressait en premier lieu aux négociants, fabricants et commissionnaires (les distributeurs d’aujourd’hui) de coton, de laine ou de soie, afin que ces derniers cessent dans les plus brefs délais tout commerce en provenance des contrées infectées. La peste avait eu pour terreau originel « des terres de la domination Ottomane », peut-on lire sur le document publié sur notreHistoire.ch. Un épicentre zéro délimité : l’Empire ottoman. Rien à redire géographiquement. Mais l’exploitation du lieu d’incubation d’une épidémie pourrait parfois être sujette à questionnement.
Le « virus chinois » pour cibler l’origine du mal
Insister davantage sur le foyer zéro d’une maladie infectieuse plutôt que définir exclusivement celle-ci sous son nom scientifique (COVID-19 ou coronavirus au lieu de l’appellation de « virus chinois » empruntée par Donald Trump) dénoterait d’un besoin incompressible de vouloir désigner un coupable, un bouc émissaire. Autrement dit : cibler l’origine du mal. Ceci avant d’envisager devoir protéger d’abord son peuple.
Comment cette épidémie de peste aurait pu s’infiltrer en
Suisse ? Comment avait-elle été tracée ? Quel était l’envergure du déploiement
du bacille ? Selon l’Avertissement daté du 18 août 1787, elle aurait pu s’approcher
des Alpes via la Méditerranée ou, à l’est, via la Hongrie, ceci en prenant
compte de données succinctes pour définir sa traçabilité. Les marchandises des
pays contaminées devaient subir la quarantaine (mesure aussi appelée contumace)
avant d’entrer sur sol helvétique.
Aujourd’hui, alors que le coronavirus poursuit ses ravages, de
jeunes chercheurs suisses – sous l’égide de la direction de la santé du canton
de Berne et de l’ETH de Zurich – viennent de lancer une récolte de données géographiques
sur le COVID-19 à l’échelle du pays. Objectif : identifier les cas suspects
au plus tôt pour obtenir une carte régionale des foyers dangereux potentiels.
Il était temps.
Décompte morbide
Tracer et traquer le coronavirus s’inscrit depuis le mois de
janvier déjà parmi les tâches primordiales de l’Université Johns Hopkins de Baltimore,
dans l’Etat du Maryland, dans le nord-est des Etats-Unis. Cocher la mention COVID-19
sur la page de garde du site Internet de l’Université et apparaît immédiatement
le décompte des cas recensés de coronavirus dans le monde (« Global Cases »).
Un décompte morbide remis continuellement
à jour. A cela s’ajoute la traçabilité du virus en temps réel. Un tableau de
bord réalisé par la professeure Lauren Gardner et son équipe de chercheurs.
Disponible depuis le 22 janvier, soit au moment où la Chine s’enfonçait
dans cette crise, ce véritable Atlas du coronavirus est aujourd’hui utilisé autant
par les chercheurs que par des responsables en santé publique, afin de mieux
observer comment l’épidémie se répand, parmi quels « clusters »
et à quelle vitesse. L’entrée des données est générée manuellement ou sinon automatiquement
par le système. Des données qui proviennent de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) ainsi que de centres spécialisés aux Etats-Unis, en Europe et en Chine. Mais
cette traçabilité prend également en compte des articles de presse et des
chiffres divulgués par des départements locaux de la santé.
Traçabilité intra muros
Le 17 mars dernier, le « New York Times » s’est
lui aussi penché sur le « tracking » du virus à l’intérieur
des frontières d’un pays comme Singapour, là où deux décès seulement auraient
été enregistrés. Dès l’apparition du coronavirus, les autorités ont compilé des
informations sur les occupations (travail, loisirs, etc) des patients ayant contracté
la maladie, pour cerner d’où provenaient les nids à microbes. Il s’est vite avéré
qu’un groupe de chanteurs avait répandu le coronavirus au sein de leurs
familles respectives, avant que le COVID-19 n’aille ensuite se balader dans une
salle de gym puis dans une église. Et ainsi de suite. « Si vous poursuivez
le virus, vous serez toujours derrière la courbe », avait alors averti
au « NYT » Vernon Lee, le Daniel Koch local, responsable –
comme ce dernier en Suisse – de la division des maladies transmissibles à
Singapour.
« Certaines des leçons tirées des expériences faites à Hong Kong, Singapour ou Taïwan, n’auraient malheureusement servi que trop tard aux Etats-Unis et en Europe », notait déjà à la mi-mars la journaliste Hannah Beech du « NYT ». Confronté jadis à d’autres épidémies, Singapour s’est dotée depuis lors de cliniques adaptées pour le traitement des virus. « En temps de paix, nous planifions des plans d’action contre les épidémies », a conclu le Docteur Lee dans le quotidien new-yorkais. ■
Chaque image peut porter sa part d’ombre. Elle donne une tonalité expressionniste à la photographie. Sur notreHistoire.ch, une série de photos de différentes époques, du noir et blanc à la couleur (numérique), est réunie et toutes ces images ont en commun une sorte de signature: elles portent l’ombre du photographe! Simple erreur ou maladresse de photographe amateur ? Peu importe. Ce qui compte en photographie, c’est la composition, l’esthétique et l’énergie. Certaines de ces images correspondent à ces trois critères. La solution de facilité serait de dire que le photographe qui le fait d’une façon « inconsciente » est amateur et celui qui le fait d’une façon « consciente » est professionnel et rajoute à la photographie un élément artistique. Je n’aime guère ce genre de classification. Chacune et chacun peut être photographe. Le photographe professionnel s’inscrit dans la durée et doit être capable de répondre à des mandats. Par contre, dans le domaine artistique, le flou perdure.
Si ces photos étaient ratées, pourquoi les avoir gardées ? Certainement parce qu’à l’époque de la photographie argentique sur films ou plaques, la photographie avait une valeur et un coût. Cela pose une autre question à l’ère du numérique. Le flux et la quantité que permet l’image numérique nous aveuglent et nombre d’images qui nous paraissent mauvaises sur le moment sont effacées alors qu’elles pourraient détenir une qualité que nous n’avons pas su percevoir. Cette spontanéité d’analyse dessert, à mon avis, la sélection définitive quand nous construisons un sujet.
Un homme à chapeau, comme un fantôme
Et si ces photos étaient de l’art ? Le caractère artistique de cette ombre est indéniable. Au-delà de l’art, il situe la photographie dans un discours sur son propre langage. Cette ombre imprime le hors-champ dans une image qui est sensée rendre le réel tel qu’il est. Alors que le réel n’est pas toute la photographie; ce n’est qu’un seul instant figé à tout jamais et cadré selon un point de vue unique. On pourrait dire que la photographie, c’est l’appropriation d’un morceau de réel. Cette ombre apparente nous le rappelle. Elle donne un élément étrange, presque fantasmagorique.
Dans le cas précis, si on regarde les photos de cette série dans son intégralité, on est dans le portrait, voire même de l’auto-portrait qui est un art à part dans l’histoire de la photographie. Le photographe s’inscrit de sa présence dans son image et la charge d’un élément qu’on pourrait définir comme fictionnel. Cette intervention sur le réel trouble, dans un domaine de composition stricte, et la plupart du temps, équilibre l’image.
L’ombre est, bien évidemment, chargée d’intention. L’ombre, ce sont les ténèbres, le côté inconscient de l’homme et d’une certaine manière l’ombre est par essence romantique. Elle crée un hors-temps. L’ombre, c’est le reflet de l’âme du photographe. C’est un acte et une implication esthétique. L’ombre donne une identité à l’image. La photo fixe cette ombre; cette photo qui est elle-même révélée et fixée grâce à la lumière et à la chimie. L’ombre, c’est la possibilité d’un intervalle, d’un interstice ou d’une parenthèse. L’ombre, c’est une projection inversée qui s’aplatit le plus souvent sur la terre, minéral rocailleux, dense et épais afin de nous rappeler que nous sommes tous mortels, en somme.
Cette ombre, de par sa présence, nous parle aussi de vide et d’absence. Elle nous envoûte et nous entraîne vers une étendue rêveuse qui libère la photographie de sa tyrannique réalité absolue. ■
A consulter également sur notreHistoire.ch
L’ombre du photographe, une série poétique et captivante d’images tirées d’album de famille
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Nous ouvrons une nouvelle série, écrite et dirigée par Jean-Jacques Lagrange, un des fondateurs de la Radio Télévision Suisse. C’est en effet en 1953, après un passage à la Radio, que Jean-Jacques Lagrange participe à la création de la Télévision Genevoise qui deviendra, une année plus tard, la Télévision Suisse Romande. Il y jouera un rôle majeur comme réalisateur de reportages et de fictions (il sera un des membres fondateurs du Groupe 5). Chargé professionnel des réalisateurs, Jean-Jacques Lagrange ouvre pour les Romands une fenêtre sur le monde avec les émissions de Continents sans Visa puis de Temps présent. Il n’a cessé de faire vivre la télévision, dans son présent mais aussi dans son histoire. Pour les 50 ans de la Télévision Suisse Romande (aujourd’hui RTS), il crée le site Histoire de la TSR. Il a également rassemblé une série de photos inédites des premières années de la télévision, dont un choix illustre cette série.
C’est sur le Salève que tout a commencé ! En 1949, un car de la RTF, installé au restaurant du téléphérique du Salève, réalise des émissions qui sont transmises par link sur Radio-Genève où le public découvre avec stupéfaction les images mobiles sur trois récepteurs installés dans le grand studio radio. Car personne n’a jamais vu alors des images de télévision en Suisse ! Cette initiative, on la doit à René Dovaz, le directeur de Radio-Genève. Deux ans plus tôt, tout en développant les programmes radio, René Dovaz s’intéressait déjà à la télévision et, grâce à ses excellents contacts avec la RTF à Paris, il réussit à organiser cette première démonstration depuis le Salève qui lui permettra de convaincre les autorités genevoises pour la construction d’un studio de télévision. Avec l’architecte Jean Camoletti, il visite les studios de la RTF à Paris et, le 6 octobre 1950, Camoletti remet les plans d’un studio TV de 850 m2 devisé à 850’000 francs.
En 1950, Marcel Bezençon,
devenu directeur général de la SSR, décide d’envoyer une délégation pour
étudier la TV américaine. Eduard Weber, directeur général des PTT, accompagné
d’un expert fédéral TV, de René Dovaz et de Francis Zuber, chef technique de
Radio-Genève, visitent les studios de CBS à Boston, New York et Washington.
Leur rapport va activer l’idée d’une Télévision en Suisse.
René Dovaz pense que Genève
doit au plus vite se positionner pour faire de la télévision, car la rivalité
entre Genève et Lausanne est terrible. Chacune des deux villes revendique déjà
d’avoir le futur centre TV romand. En réponse aux essais de la télévision au
Salève, Radio-Lausanne organise en 1951 une série d’émissions de démonstration
avec la firme Philips financée par la municipalité lausannoise.
En réplique à l’initiative vaudoise et sur proposition d’André Fasel, président de l’Association des Amis de Radio-Genève, la Fondation genevoise de télévision se crée et obtient le soutien de la Ville et du canton.
Une rencontre inopinée dans un bistrot
Pendant la guerre, René Schenker avait étudié l’alto au Conservatoire de Lausanne. Il rencontrera dans un bistrot de Clarens un pilote de la RAF interné après que son avion eut été abattu en Suisse. Ce pilote, un certain M. Wilson, était ingénieur à la BBC pour le développement de la télévision… en couleurs (déjà !).
Devenu directeur-adjoint de Radio-Genève, René Schenker s’est souvenu de cette rencontre. Il contacte Wilson qui l’invite à Londres pour suivre pendant l’été 1952 un cours de formation en réalisation TV destiné aux metteurs en ondes radio. René Dovaz saute sur l’occasion mais la direction générale de la SSR, à Berne, refuse de financer ce voyage et René Schenker y va sur son temps de vacances et à ses frais !
A son retour, il donne une
conférence au personnel radio pour expliquer ce qu’est la télévision. A la fin
de sa présentation, trois collaborateurs lui demandent si on ne pourrait pas
organiser une équipe à Genève. Ce sont Robert Ehrler, William Baer et
Jacqueline Regamey. Chose dite, chose faite.
Ils s’achètent une caméra Paillard 16mm, une visionneuse et une colleuse alors que René Schenker trouve une classe inoccupée dans l’école de Genthod, classe qui avait été celle d’Henri Baumard, le fameux «Oncle Henri» des émissions radio pour les enfants !
Des collaborateurs de Radio-Genève rejoignent les pionniers. Ce sont Bernard Schmidt, opérateur son, Edouard Brunet, ingénieur radio et Roger Keller, concierge de Radio-Genève mais habile menuisier. Ils installent la classe comme ils imaginent que doit être un studio TV, bricolent un gril pour l’éclairage… bref, c’est le système D avec l’aide de René Schenker, très fort pour trouver du financement et des solutions, notamment en récupérant le matériel son, des câbles et des projecteurs à Radio-Genève.
Chaque membre du groupe paie son matériel et sa pellicule mais René Schenker note tout dans un carnet et remboursera chacun quand la Télévision Genevoise sera officiellement créée. Parmi les équipements récupérés, il y a une trouvaille que René Schenker a déniché au marché aux puces: un poste de radio comportant au centre un verre dépoli en forme d’écran TV. Sur un côté du poste, un casier avec un projecteur 16mm et un jeu de miroirs projetant l’image sur le verre dépoli.
De ce fameux poste, il n’existe qu’une seule photo montrant le caisson latéral avec le projecteur. Un système de miroirs renvoyait l’image sur le verre dépoli. Par le dessin, on a reconstitué l’aspect du poste avec son cadran lumineux montrant les noms des stations radio, les deux boutons du volume et du curseur de recherche des stations, l’écran en verre dépoli et, en gris, le haut-parleur de la radio. C’est sur ce poste que l’équipe se projette ses premiers films et cet appareil va jouer un rôle capital pour la suite de l’aventure de la Télévision Genevoise.
La projection décisive un peu bricolée
A Genthod, le Groupe
progresse et tourne de petits sujets sur ce qu’il pense devoir être de la
télévision. Tous travaillent 44 heures à la radio et viennent le soir et les
week-ends pour « faire de la TV ». René Schenker et René Dovaz sentent bien
qu’il faut passer à la vitesse supérieure et font marcher leurs relations.
Au printemps 1953, ils invitent trois conseillers administratifs, Maurice Thévenaz, Marius Noul et Albert Dussoix pour une démonstration dans le studio de Genthod. Tout est ripoliné et, sur une table, trône le poste-radio et son écran dépoli. Le Groupe a collé bout-à-bout de petites actualités sur Genève, du sport et une chanson mise en images par Robert Ehrler, sa spécialité. Le film muet a été sonorisé sur un magnéto 6mm qu’Edouard Brunet, dans les coulisses, fait démarrer synchrone au pif ! Les trois conseillers administratifs admirent le studio et s’installent devant le poste. Noir. Film. L’illusion est parfaite. A la fin, applaudissements et, croyant avoir vu de la télévision, Albert Dussoix demande : « Quelle définition utilisez-vous ? »
Il faut bien lui expliquer la
« supercherie », mais les politiques sont si enthousiasmés qu’ils décident sur
le champ de soutenir l’initiative. Albert Dussoix, le grand argentier de la
Ville, est prêt à tout faire pour aller vite. En fin politicien et visionnaire,
il voit les avantages qu’il peut tirer pour Genève… et pour sa carrière. Avec
René Schenker, ils deviendront les vrais complices de l’aventure de la
Télévision Genevoise.
Le Conseil administratif de la Ville de Genève s’engage aussitôt sur trois points. Il met à disposition la villa Mon Repos, située dans le parc de la Perle du Lac, pour en faire le centre de la Télévision Genevoise. Ensuite, un gros crédit de 235’000 francs est accordé. Albert Dussoix le sort de ses tiroirs pour financer l’installation du studio et la production, sans attendre l’aval du Conseil municipal qui ne sera donné qu’en septembre 1953 ! Enfin, troisième point, la Ville s’accorde avec l’Etat pour que les étudiants de l’Institut de Physique construisent un émetteur TV et pour demander à la Confédération une concession de diffusion expérimentale qui sera accordée.
Les pionniers de la Télévision Genevoise se rassemblent
Tout s’accélère : les pionniers de Genthod déménagent à Mon Repos. Des techniciens de Radio-Genève viennent donner un coup de main à Edouard Brunet et Roger Keller pour installer toute la technique et le gril d’éclairage. René Schenker puise dans les stocks de matériel usagé de Radio-Genève pour équiper le studio, René Dovaz ferme les yeux sur ces glissements radio-TV et de nouveaux collaborateurs viennent grossir les rangs du Groupe de Mon Repos: Jo Excoffier, journaliste radio, Guy Plantin et Georges Hardy, speakers à Radio-Genève, Roger Bimpage, un photographe indépendant s’intéressant au cinéma et Humbert-Louis Bonardelly, directeur de La Semaine Sportive qui offre à l’équipe une caméra Caméflex 16mm (que Robert Ehrler se fera voler six mois plus tard à Paris !).
En juin 1953, Christian Bonardelly, Lyne Anska et moi-même rejoignons le groupe de Mon Repos. Je travaille maintenant à Radio-Genève comme régisseur de la continuité et programmateur de disques. Tous les membres de l’équipe de Mon Repos assurent leur travail à Radio-Genève et prennent sur leur temps libre et leurs loisirs pour préparer ce qui va devenir la Télévision Genevoise. Nous nous répartissons le travail en fonction de notre expérience et de nos capacités.
Pour William Baer, Robert Ehrler et moi, c’est le
tournage de sujets d’actualité ou des documentaires. Chacun monte ensuite son
film, écrit le commentaire, choisit la musique et fait l’enregistrement sur un
vieux projecteur 16mm que René Schenker a acheté. Il n’y a pas de laboratoire
de développement 16mm inversible à Genève. Les films sont donc envoyés à Berne
pour développement puis portés chez Cinégram, à Genève, pour être « pyralisés
», une opération qui permet de poser une fine bande magnétique latérale pour y
enregistrer ensuite le son.
C’est vraiment du bricolage artisanal et de la
débrouille mais l’enthousiasme est total. Les passionnés de télévision passent
week-ends et nuits entières à Mon Repos dont les lumières nocturnes intriguent
les gens du quartier !
Chacun apporte ses idées, propose des sujets qui doivent démontrer que Genève offre mille possibilités pour faire de la télévision. René Schenker coordonne le tout et prépare déjà l’avenir. Sans avoir le budget, il va à Paris acheter un télécinéma 16mm Flyingspot fabriqué par l’entreprise Radio-Industrie SA. Il revient avec une grosse facture qu’Albert Dussoix se charge aussitôt d’éponger.
Comment construire un émetteur de télévision?
De leur côté, les étudiants de l’Institut de physique, sous la direction de Pierre Girard et Claude Bonhomme, les deux assistants du professeur Extermann, épluchent les revues techniques américaines pour comprendre comment construire un émetteur TV et achètent aux Etats-Unis les pièces nécessaires. A la fin de 1953, ils seront prêts et érigeront l’antenne sur une tour en tubulaire construite sur le toit de l’Institut de physique.
Pendant tout l’automne, l’équipe de Mon Repos tourne des sujets pour construire un programme de démonstration car la date de l’inauguration officielle de la Télévision Genevoise a été fixée au 28 janvier 1954. Je dessine le logo du générique des émissions qui représente la silhouette de la ville sur fond de Salève avec une antenne d’émetteur TV en contre-plongée (voir le dessin du générique). René Schenker commande à Louis Rey une musique de générique et il choisit Arlette Brooke comme speakerine.
Comme l’équipe n’a pas de caméra-son, il faut filmer les annonces d’Arlette en muet, envoyer le film à développer à Berne puis à Cinégram pour pyralisation. Pour finir, Arlette postsynchronise tant bien que mal ses annonces en s’aidant de la bande son témoin 6mm enregistrée au tournage! Il faut ensuite coller chaque annonce devant le sujet idoine dans un bout-à-bout général faisant une grosse bobine d’une heure afin que l’émission s’enchaîne correctement… en priant pour que les collures à la colle tiennent le coup ! ■
Dans la suite de ce récit, que nous publierons la semaine prochaine, vous apprendrez comment les premières images de la Télévision Genevoise furent transmises grâce à l’ingéniosité d’étudiants de l’Institut de physique.