L'Inédit

par notreHistoire


Occupation d’un immeuble pour empêcher sa démolition.

Coll. A. Sin/notreHistoire.ch

Membre de notreHistoire.ch, Armand Sin a publié une photo de l’occupation de l’immeuble du no2 de la rue Argand, à Genève, datée de janvier 1981. Cette photographie est l’oeuvre d’Oscar Luchino, habitant aujourd’hui à Cordoba, en Argentine. Ce dernier a également relaté les conditions de cette occupation dans un court texte que nous reprenons ici car il illustre un pan de l’histoire des squats genevois du début des années 1980.

« Nous étions tous ou presque des étudiants et nous étions jeunes. Depuis des années, nous avions trouvé, au numéro 2 de la rue Argand, à Genève, un lieu où la vie semblait être aimable et surtout pleine de joie. Mais un jour, nous avons reçu l’ordre d’abandonner les lieux. On avait signé la mort de la vieille bâtisse pour construire une nouvelle à la place. Une fois la surprise de cette nouvelle passée, nous avons été encouragés à résister par de nombreuses personnes qui en savaient long sur les magouilles des promoteurs. Le 2 de la rue Argand ne courait pas de risques, mais il fallait le sauver d’une mort injustifiable. C’est alors que l’occupation des lieux a commencé. Elle s’est étendue pendant deux ans avec les anciens locataires.

C’est à eux que je veux rendre hommage. Qui étions-nous? Une multinationale d’étudiants d’Amérique latine, des Maghrébins, des Africains, beaucoup de Valaisans qui se sentaient à Genève aussi étrangers que nous, des ressortissants du tiers-monde. Mais ce n’est pas tout. Il restait deux locataires. L’une était une coiffeuse célibataire et l’autre, une vieille dame, une « mémé » qui nous a manqué à tous, ensuite.

Cette expérience nous a fait grandir comme jamais. Nous n’avons pas eu peur de mener cette lutte pendant de longs mois. Comme tout résistance, elle a connu ses échecs et ses changements. C’est ainsi qu’au fur et à mesure que les appartements se vidaient, on a dû faire face à des lumpen de tout allure qui voulaient y habiter. Cela n’a pas était facile. Pendant ces mois, il y eut toute sorte de manifestations, et des sacrifices bien sûr. Mais il y eut aussi beaucoup de fêtes, des naissances même, et la reconnaissance des nombreux associations genevoises qui ont décidé, un 1er Mai, de lancer le cortège depuis notre bâtiment.

Il faut ajouter que le 2 de la rue Argand n’a jamais été démoli! » ■

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Le bonheur est dans le squat, un dossier de vidéo d’archives de la RTS

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Lausanne - Le Palais de Rumine

Coll. S. Bazzanella/notreHistoire.ch

Le palais de Rumine sur la place de la Riponne à Lausanne est flanqué, sur les deux côtés de son avant-corps, d’une colonne portant chacune une statue. Sur l’une d’elle se tient un griffon, représenté à gauche sur cette photographie du 1er août 1940, et sur l’autre colonne une sphinge, version féminine du sphinx, dotée d’une poitrine généreuse. Le palais de Rumine est construit entre 1892 et 1906, à l’emplacement d’un ancien couvent, pour accueillir l’Université et toute une série de musées cantonaux. Le griffon, animal mythologique associant un corps de lion avec une tête et des ailes d’aigle, est réputé depuis l’Antiquité garder des trésors. Il se poste certainement ici, à l’entrée du palais, pour préserver les richesses conservées dans les musées. En miroir, la sphinge représente le savoir, associé à l’université. On se souvient de sa rencontre avec Œdipe, chez qui il ou elle déclenche la découverte désagréable de ses origines.

Le tout appartient au répertoire antique, passé par la Renaissance italienne, qui détermine l’ensemble de l’esthétique du palais. Son architecte lyonnais, Gaspard André, s’inspire directement des bâtiments renaissants de la ville de Florence, comme en témoignent entre autres le socle au lourd appareillage de pierres, la multiplication des fenêtres cintrées, les tourelles ajourées et les toits tuilés à faible pente. Les sculptures posées sur des hautes colonnes participent aussi aux embellissements traditionnels des villes italiennes. Celles qui dépendaient du pape-roi sont signalées par une colonne exhibant une louve allaitante. La plus connue étant certainement celle exposant un lion ailé sur la place Saint-Marc à Venise.

Les deux sculptures de la Riponne sont exécutées par Louis Uberti, qui, associé à Negri, réalise autour de 1900 une grande partie des ornements de façade dans l’arc lémanique : Beau-Rivage Palace, Caux-Palace, Lausanne-Palace et gare de Montreux par exemple. Ces multiples chantiers semblent avoir apporté prospérité aux deux associés puisqu’ils commandent en 1911 l’édification d’un immeuble avec atelier et appartements à Clarens auprès de l’architecte Eugène Jost pour lequel ils ont fréquemment travaillé. L’association sera cependant rompue en 1918.

Le buste du donateur couleur chocolat

Le griffon et la sphinge sont faits par galvanoplastie, technique encore relativement nouvelle à l’époque. L’opération consiste à électrifier un moule qui attire ainsi une couche de cuivre sur son relief intérieur. Dans le palais, au-dessus de l’escalier central, un buste du donateur Gabriel de Rumine est conçu suivant le même procédé par l’artiste Raphaël Lugeon. Cependant, cette technique lui confère une étrange couleur chocolat. Les deux bêtes fantasmagoriques se tiennent sur des colonnes aux fûts impressionnants, taillés dans du granite rose de Baveno, petite ville italienne située au bord du Lac Majeur. Par ailleurs, le palais multiplie le recours à toutes de sortes pierres, qu’elles soient suisses ou étrangères.

Coll. M. Desarzens/notreHistoire.ch

Sur cette seconde image colorisée, le griffon est vu depuis l’intérieur du palais, depuis une de ces grandes fenêtres cintrées, afin d’être pris en quelque sorte à son niveau. Derrière lui apparaît une série de bâtiments, aujourd’hui en partie disparus. Au premier plan, émerge la toiture d’une construction basse d’un étage, située derrière la Grenette, l’ancienne halle aux grains. L’édifice, qui occupait tout un côté de la place, est démoli et remplacé en 1964 par le bâtiment de l’administration cantonale. Derrière lui, se dresse un immeuble d’habitation, rue du Tunnel 1, remplacé en 1950 par le bâtiment actuel. Plus loin, pointe l’angle de la maison Hollard, construite en 1867 et occupée depuis 1932 par le Cercle italien. Enfin, tout au fond, se dresse le clocheton du bâtiment à l’angle de la rue du Valentin et de l’avenue Vinet, toujours présent aujourd’hui. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Le Palais de Rumine en images et en vidéos de la RTS

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Chevrolet impala 1963

Modèle impala 1963

Coll. R. Mesot/notreHistoire.ch

«Je vais t’acheter une Chevrolet. Donne-moi un peu de ton amour». En fredonnant cette rengaine tirée de la chanson «Hey Gyp» en 1967, le chanteur britannique Donovan prévoyait tout le bénéfice qu’il pouvait retirer en offrant à sa dulcinée cette rutilante… Chevrolet. Mais savait-il que Louis Chevrolet, concepteur de la voiture la plus branchée des années 1920, était un natif de La Chaux-de-Fonds et originaire de Bonfol, dans le canton du Jura? Et que le modèle dont il entendait prendre possession, qu’il chérissait, pouvait bien avoir été fabriqué, qui sait, dans ces années-là… à Bienne.

Le plus gros fabricant américain d’automobiles d’alors, General Motors, décida en effet d’installer sa filiale suisse de montage dans le chef-lieu du Seeland dès 1935. Guido Müller, maire de la ville de 1921 à 1947, ne résista pas à l’envie de booster économiquement la région, en y laissant peut-être au passage un peu de son âme de socialiste engagé. C’est sans hésiter qu’il fit un cadeau royal à la GM : une fabrique clé en main et une exonération fiscale sur cinq ans. Une offrande que les Biennois plébisciteront par les urnes et qui permettra la création de plus de 300 nouveaux postes de travail dans leur ville.

Des Chevrolet, des Buick ou encore des Cadillac sortiront ainsi des usines seelandaises. A l’exception des années de guerre, il en sera ainsi jusqu’en 1975, année de la fermeture de l’usine suisse de montage de la GM à Bienne,  confrontée à une trop forte concurrence venue d’Europe, liée notamment à l’émergence de la Communauté européenne. Près de 500 emplois passeront alors à la trappe, entraînant Bienne et sa région dans une longue sinistrose. 

Arzier, Pâques 1964. Photo Renée Flohr-Champendal.

Coll. C. Bärtschi-Flohr/notreHistoire.ch

Mais trois ans avant « Hey Gip », au chalet de l’Oncle Henri et la Tante Simone à Arzier (GE), on jouait à cache-cache, à Pâques, en chassant les œufs autour de la « Chevrolet à papa ». L’imposante monture est devenue un élément de décor : photos de vacances à Gignac ou de sorties aux sports d’hiver. La Chevrolet, véhicule tout terrain, auprès duquel il faisait bon prendre la pose, comme le témoigne cette photo tirée de l’album de Claire Bärtschi-Flohr. « I’ll buy you a Chevrolet / Just give me some of your love… »

Références

Christoph Zürcher, General Motors (GM), Dictionnaire historique de la Suisse.
OPEL, « 1935-1975 : 40 Jahre montage suisse », site web GM

A consulter également sur notreHistoire.ch

Ma première voiture inoubliable, une série de photos
La Chevrolet à toute occasion

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Patient du Dr Xavier Cuony, physicien de ville, Fribourg

Ils sont connus par leur sobriquet : Phitt de l’Hôpital; Baeriswyl, dit Pouta du Manège; l’innocent chiffonnier Tornare, dit Lollé; Sitzemann le violoneux; la belle Rataflux aux cheveux d’or; Rossier le messager des amoureux; Gobe-la-Lune, le poissonnier du Vully. Eux, ce sont les «lazzaroni oisifs» qui se tiennent sous le tilleul de Morat, devant l’Hôtel-de-Ville, à Fribourg.

Un médecin les a photographiés, utilisant le procédé des plaques de verre. Ce médecin, c’est le Docteur Cuony, dévoué aux soins des pauvres. Né le 3 décembre 1841, François Xavier Edmond Cuony est le fils de Jean-Augustin Cuony, notaire et syndic de Fribourg. Il suit ses écoles à Berne, Einsiedeln, Würzburg, Prague et Fribourg-en-Brisgau, où il exerce à la clinique ophtalmique. Durant la guerre franco-allemande de 1870, «il consacre son temps et ses soins aux malades et aux blessés des ambulances allemandes», lit-on dans la nécrologie que lui consacre La Liberté en 1915.

Physicien de ville à l’âme tendre

Portrait sur plaque de verre du Dr Cuony.

Coll. BCU Fribourg/notreHistoire.ch

De retour dans son Fribourg natal aux débuts des années 1870, Xavier Cuony officie durant près de trente ans comme «physicien de ville», une archaïque dénomination pour désigner la mission de soigner les pauvres hères. «Il multiplia les visites dans les quartiers excentriques pour porter les secours de son art aux indigents, dont aucune détresse imméritée ne le laissait insensible», nous apprennent les Nouvelles étrennes fribourgeoises de 1915-1916. «Son aspect austère, presque ascétique, ne laissait guère soupçonner son âme tendre, d’une sensibilité très vive, qui, au récit d’une infortune ou à l’éveil d’un souvenir, s’émouvait aisément jusqu’aux larmes.»

Peu après la mort du médecin, son neveu Auguste Schorderet livre quelques détails sur cette clique qu’il nomme «célébrités bolziques», nom emprunté au Bolz, l’idiome parlé en Basse-Ville, savant mélange de français et de singinois: «C’était un cachet pittoresque de notre ville que ces simples ou ces originaux, dont on riait sans grande malice, que souvent on faisait marcher, mais qu’on plaignait sincèrement au fond et, surtout, qu’on aimait et qu’on secourait quand ils en avaient besoin, à cause même de leur célébrité!»

Sur les quelques plaques de verre retrouvées dans les archives du docteur Cuony, une vieille renfrognée regarde timidement l’objectif. S’agit-il de Mayossé la mère aux chats? De Justine, connue de tout Fribourg pour se trimbaler avec son poulet apprivoisé? De Marie Féguise, qui chantait si bien, disait-on, mais qui était incapable de passer un ruisseau à pieds secs? Plus d’un siècle après cette prise de vue sur la terrasse du praticien, impossible d’identifier avec certitude laquelle de ces célébrités bolziques le médecin a immortalisé. Devant la porte close – est-ce celle de son cabinet? – d’autres laissés-pour-compte posent devant son objectif, les regard parfois fuyants, les corps souvent déchargés de leur poids par une canne. Des sans-noms qui résonnent aujourd’hui comme autant de synonymes de précarité, de dénuement, de vulnérabilité.

Coll. BCU Fribourg/notreHistoire.ch

« Et tant d’autres dont le nom se perd dans la nuit des temps »

Tel un inventaire à la Prévert, il allonge la liste d’autant de noms croquignolets: «Il y eut jadis Waldvogel, le petit ramoneur aux images; Peter Putscher, montreur d’une lanterne magique où se voyait “le cheval blanc” tour à tour du baron d’Alt ou de Napoléon; Bionda, l’aveugle ménétrier, et son ami Cagno; Gross le chaudronnier garde-stable à Saint-Nicolas… Et tant d’autres dont le nom se perd dans la nuit des temps.»

Tel un inventaire à la Prévert, il allonge la liste d’autant de noms croquignolets: «Il y eut jadis Waldvogel, le petit ramoneur aux images; Peter Putscher, montreur d’une lanterne magique où se voyait “le cheval blanc” tour à tour du baron d’Alt ou de Napoléon; Bionda, l’aveugle ménétrier, et son ami Cagno; Gross le chaudronnier garde-stable à Saint-Nicolas… Et tant d’autres dont le nom se perd dans la nuit des temps.»

Auguste Schorderet enchaîne: «Lollé l’innocent chiffonnier, qui parcourait les rues, son parapluie toujours ouvert, chantait à tue-tête des refrains toujours sans suite. Il y avait encore Tonté aux grands yeux rouges, Buntschu l’organiste, la suave Doura, à qui les gamins sans pitié faisaient maintes farces et de folles colères. Et encore le bon Rodolphe à la contrebasse, cet ineffable Rothengarten qui accompagna avec les trois cordes de son instrument des générations de clarinettistes, de flûtistes ou de trompettes dans la plupart de nos pintes. Sans parler de François Thossi, ce pauvre chimiste, marchand d’encre, de cirage et de drogue pour détruire cafards, rats, souris et insectes nuisibles, ce pauvre philosophe qui se disait “empereur des encres” et que la malice enfantine avait baptisé Kakernase à cause du volume de son appendice nasal… Que d’originales physionomies disparues, qui donnaient une teinte particulière à notre cité et dont le souvenir se perdrait complètement pour nous si, de temps à autre, nous n’entendions le grand jeu des orgues éclater au bord d’une fontaine pour l’ébahissement de quelques gamins!»

Article dérangeant sur la mortalité infantile

Désigné «père des pauvres» pour le quartier de La Planche, Xavier Cuony laisse «le souvenir d’un grand travailleur, d’un médecin dévoué à ses malades, d’un esclave de son devoir et d’un citoyen vivement soucieux des intérêts de Fribourg». En 1893 d’ailleurs, il publie un article dérangeant sur La mortalité infantile dans la ville de Fribourg, «où il dénonce la misère et les conditions d’hygiène catastrophiques dans lesquelles est plongée une partie de la population, en particulier les bas quartiers», écrit l’historien Alain Bosson dans son livre Fribourg, une ville aux XIXe et XXe siècles.

En 1915, ces figures d’un autre temps étaient encore dans toutes les mémoires. Un siècle plus tard, elles seraient définitivement oubliées si la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg n’avait pas archivés seize portraits conservés par les héritiers de Xavier Cuony. Seize célébrités bolziques, seize excentriques anonymes qu’il côtoya dans son cabinet, seize portraits de sans-grade au tournant du XXe siècle, qui font aujourd’hui connaître Fribourg sous une nouvelle lumière. ■

A consulter également sur notreHistoire.ch

Fribourg à travers les siècles

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