Alors qu’en terrasse l’apéro se termine, un petit éléphant descend les marches du café des Chemins de fer, à Fribourg, caressé par la fille du patron Marcel Cotting. Non, les consommateurs qui assistent à la scène n’ont pas forcé sur l’absinthe, encore interdite, ni fumé de la drôle d’herbe, pas encore à la mode. On est le 26 septembre 1957 et le cirque Knie donne son spectacle aux Grand-Places. Le cornac Josef Hack, venu donner le bonjour à Marcel, a emmené son jeune protégé.
Il s’appelle Ma Palaj et va sur ses trois ans, autant qu’on le sache. Dans son Asie natale, les registres d’état-civil manquent de rigueur, au moins pour les éléphants. Les Knie viennent d’acheter ce jeune spécimen à un marchand d’animaux exotiques. Est-ce à Romanshorn chez Künzler ou en Allemagne chez Ruhe ? On ne le saura pas. Ma Palaj va rester sept ans sous le chapiteau suisse, gagnera en 1966 le zoo de Hanovre et vivra de 1971 à sa mort, en 1998, à celui de Gelsenkirchen. Voilà pour sa biographie.
Les archives Knie, qui semblent aussi bien tenues pour les hommes que pour les bêtes, nous apprennent encore que Josef Hack est un spécialiste des éléphants, qu’il a soignés, conduits et dressés des années durant chez Knie. Ces pachydermes font la gloire de Rolf Knie Sr, qui dirige le cirque avec son frère Freddy, dresseur de chevaux. Cela tombe bien pour les Hack, dont la fille Erna, justement, est écuyère. Elle se produit avec la famille propriétaire dans un numéro de haute école. Mais cela, nous le savions déjà par le canal du Père Claude.
Ce religieux franciscain est missionnaire en Rhodésie du Nord sous mandat britannique. Pour l’état-civil suisse, il se nomme Pierre-Baptiste Cotting : c’est le frère aîné du tenancier des Chemins de fer. Bon vivant, joyeux drille, aussi truculent que Marcel, le Père Claude maîtrise cinq ou six langues plus quelques dialectes d’Afrique australe, sans oublier son parler bolze natal. Il a publié en 1977 un petit recueil de souvenirs débordant d’aventures picaresques, mais rempli de tendresse humaine. On en retient la figure d’un type débrouillard et chaleureux, qui avait besoin de grands espaces pour donner sa mesure, mais d’une modestie toute franciscaine – pas frimeur pour un sou.
Or, un jour, passant par Cape Town en Afrique du Sud, il se rend au cirque, admire le numéro de dressage d’Erna Hack et va féliciter l’artiste. Il prend un verre dans la roulotte familiale, apprend qu’un prochain contrat va lier père et fille au Cirque Knie. Formidable, quand vous ferez halte à Fribourg allez voir mon frère Marcel au café des Chemins de fer. C’est promis, Father ! Quand le cirque national, le 25 septembre 1959, plante son chapiteau sur les Grand’Places, les Hack feront connaissance avec les Cotting à l’issue du spectacle. Et le lendemain, peinard, le papa cornac va se pointer aux Chemins de fer pour l’apéro. Le Père Claude, toujours en Afrique orientale, est en quelque sorte représenté par l’éléphant. Beaucoup plus jeune que lui, certes, mais plus imposant : près d’une demi-tonne.
Agile, pourtant ! Non seulement il descend les marches, mais il prend l’ascenseur : une publication promotionnelle des Knie le montre en 1960, à Lausanne, embarquer dans la cabine de la tour Bel-Air. ■
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Sous le grand chapiteau, une série de vidéos des Archives de la RTS sur le cirque Knie, dont le dressage des éléphants par Rolf Knie Sr.