Sur cette photographie prise lors de la cérémonie d’ouverture d’Expo 02, à Yverdon-les-Bains, le 15 mai 2002, l’ancienne présidente de la Confédération et conseillère fédérale, Ruth Dreifuss est souriante et détendue.
Ruth Dreifuss vit aujourd’hui à Genève, dans le quartier populaire des Pâquis, comme moi, et je la croise régulièrement. On se connaît et on se salue. C’est cette désacralisation du pouvoir et cette disponibilité des politiques qui me font aimer la Suisse, malgré tous ses défauts.
Pour qu’elle me parle de cette image publiée sur notreHistoire.ch, je l’appelle chez elle. Elle me répond avec cordialité et enthousiasme et elle accepte de partager ses impressions.
A ses yeux, l’exposition nationale suisse de 2002 est un moment charnière et primordial dans l’histoire de la Suisse contemporaine. Selon elle, chaque exposition nationale, d’ailleurs, s’inscrit dans une étape importante du pays. Celle de 1964 a été saluée par une volonté de croissance et de modernité et a eu un vrai soutien populaire. Bien entendu, dans ce genre d’exposition, il ne faut pas être naïf, il y a toujours une part d’autocélébration, mais de vrais questionnements surgissent aussi.
Expo 02 est l’aboutissement d’une longue période de doute sur la cohésion nationale. Les années 1990 sont marquées par des questionnements sur l’identité de la Suisse et l’échec de la célébration des 700 ans de la Confédération, en 1991, a pesé. Lors de cette date anniversaire, de nombreux artistes se sont rebellés contre une Suisse qui n’arrive plus à entendre la diversité. Une succession de rapports et de discussions s’ensuivront autour de la notion d’unité. C’est à ce moment que le terme « röstigraben » est apparu pour marquer dans le langage politique cette division entre les régions alémanique et romande qui se distingue dans les votes et les élections. Mais il serait trop simpliste de décrire cette différence uniquement à cause des langues, le facteur ville/campagne joue aussi un rôle important.
Le vote de 1992 sur l’EEE (Espace Economique Européen) peut être analysé aussi sous cet angle. Y-a-t-il urgence ? Un possible éclatement peut-il se produire ? Alors qu’en ce début des années 1990, à quelques milliers de kilomètres de la Suisse, la Yougoslavie est en train de vivre sa propre désintégration…
La rôle de l’éphémère
La Confédération voit l’importance de se positionner sur ces questions et votent les pleins budgets (une fortune qui fera couler beaucoup d’encre) pour créer une exposition nationale. Initialement prévue en 2001, l’Expo est reportée d’une année et la Confédération espère que cette exposition, en misant sur la décentralisation et le fédéralisme, calmera le conflit entre les diverses forces politiques et linguistiques du pays. On choisit la région des Trois Lacs (Neuchâtel, Bienne et Morat) qui symbolise à elle-seule ces thématiques : fédéralisme et diversité linguistique. Un autre projet, aussi nommé les Trois Lacs, lequel a été vite mis de côté, a essayé de réunir les lacs du Tessin, de Constance et de Genève.
En parallèle, Genève a voulu faire cavalier seul en proposant, sous le patronage de Guy-Olivier Segond, une exposition nationale centrée sur le cerveau et les sciences et basée uniquement à Genève. Ce projet, jugé trop intellectualisant, est délaissé par la Confédération, raison pour laquelle Genève boudera, dès le début, Expo 02.
Ruth Dreifuss a beaucoup apprécié Expo 02 et fut présente sur les cinq sites, y compris lors de la Journée genevoise. Pour elle, l’esprit critique n’a pas totalement été phagocyté par les institutions et l’humour était présent.
Depuis le Conseil fédéral, l’ancienne présidente voit toute la complexité relationnelle que Genève entretient avec Berne. Pour elle, Genève et la Suisse ont des relations difficiles mais qui évoluent sans cesse, comme un couple.
Le seul regret qu’elle a vis-vis d’Expo 02 ? Pour résoudre la crise de la direction, née de coûts trop élevés, on a dû faire vite; ce qui veut dire faire du temporaire. Afin d’éviter de demander et d’attendre des autorisations de construire, on a pris la décision de démonter tous projets de l’exposition une fois celle-ci terminée. Seuls demeurent encore présents Le Palafitte à Neuchâtel, la Salle Mummenschanz transportée à Villars-sur-Glâne et le Palais de l’Equilibre qui se trouve actuellement devant le CERN à Genève.
Expo 02 échappera, à cause de cette vision temporaire, aux ambitions de transformations urbanistiques qui découlent, en général, lors des expositions nationales.
Expo 02 n’a pas laissé beaucoup de traces dans les villes et c’est aussi, peut-être, pour cette raison qu’on l’a vite oubliée. Il n’est pas resté grand-chose de bâti et de solide, comme si l’éphémère l’avait emporté. ■
A consulter également sur notreHistoire.ch
Expo 02, une série de documents sur les trois sites
Les Expositions nationales de 1964, de 1939, de 1896